Self multidimensionnel, mémoire autobiographique et vieillissement

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Revue thématique
Psychol NeuroPsychiatr Vieil 2007 ; 5 (3) : 179-92
Self multidimensionnel, mémoire
autobiographique et vieillissement
Multidimensional Self,
autobiographical memory and aging
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017.
CÉLINE DUVAL1
FRANCIS EUSTACHE1
PASCALE PIOLINO1,2
1
Inserm-EPHE -Université de
Caen-Basse Normandie,
Unité E0218, Laboratoire de
neuropsychologie,
CHU Côte de Nacre, Caen
2
CNRS FRE 2987,
Laboratoire de psychologie et
neurosciences cognitives,
groupe de recherche
Mémoire et Apprentissage,
Université Paris Descartes
<[email protected]>
Tirés à part :
P. Piolino
Résumé. De nos jours, le concept de Self (le soi) est l’objet d’étude de plusieurs domaines
de la psychologie qui proposent chacune leurs propres définitions et méthodes d’évaluation. En tant que système cognitif, le Self se définit comme un ensemble de représentations
personnelles, aux dimensions multiples de nature épisodique ou sémantique. A la fois sujet
et objet de la conscience, il est la base du sentiment subjectif d’identité et de continuité au
cours du temps. Aussi, l’objectif de cette revue est de présenter le concept de Self en lien
avec la mémoire autobiographique et de préciser l’impact du vieillissement sur les aspects
structuraux (connaissance de soi) et fonctionnels (conscience de soi) du Self. Les données
actuelles suggèrent que le vieillissement n’affecte pas de la même manière les différentes
caractéristiques du Self et agit plus spécifiquement sur ses aspects fonctionnels.
Mots clés : Self multidimensionnel, identité, mémoire autobiographique, vieillissement,
conscience de soi
Abstract. Nowadays, several psychological fields are interested in the Self-concept and
then propose their own definitions and assessment methods. The Self is considered as a
cognitive system and is structurally composed of a set of multidimensional episodic and
semantic personal representations. While it could be either the agent or the object of
consciousness, the Self is at the origin of the subjective identity and feeling of continuity
across the time. In the present review, we aimed at introducing the concept of Self focusing
on its links with autobiographical memory and to expose the research about the impact of
aging on the Self, distinguishing between its structural (Self-knowledge) and functional
(Self-consciousness) dimensions. The results from the literature and our own research
group suggest that the Self characteristics are not equally changed by aging, the functional
dimensions being more specially involved.
Key words: multidimensional
Self-consciousness
doi: 10.1684/pnv.2007.0100
D
e nos jours, dans le domaine de la recherche
en psychologie, la volonté de percer les mystères de la conscience place l’identité (Self ou
Soi) sous le feu des projecteurs. En effet, l’intérêt porté
au modèle d’identité de l’individu est en plein essor.
Toutefois, au regard de la littérature, le concept de Self
reste multiple sur le plan définitionnel et très complexe
au niveau théorique. Cependant, certains modèles
théoriques en psychologie cognitive et en neuropsychologie se sont intéressés à définir les liens entre Self
et mémoire dans la lignée de grands philosophes tels
que John Locke (1632-1704), David Hume (1711-1776)
ou William James (1842-1910).
C’est dans cette perspective, considérant le Self
comme un ensemble de représentations personnelles
multidimensionnelles stockées en mémoire, que cet
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 5, n° 3, septembre 2007
Self,
identity,
autobiographical
memory,
aging,
article s’intéresse aux effets de l’âge sur le Self. Alors
que l’impact délétère du vieillissement normal est
démontré sur le fonctionnement mnésique, qu’en est-il
du Self ? Si cette entité joue un rôle central pour donner
du sens et guider les expériences vécues, il se peut que
le contenu et la structure du Self change au cours du
vieillissement du fait de la transformation ou de la
dégradation des traces mnésiques.
Le concept de Self
En psychologie clinique ou en psychopathologie, le
Self est appréhendé, en référence à la dichotomie
conscient/inconscient proposée par la théorie psychanalytique de Freud (1916), selon différentes acceptions
variables en fonction des courants de pensée. Malgré
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des divergences sur le terme même de Self, la plupart
des auteurs considèrent le Self comme une instance de
la personnalité constituée de sensations, de souvenirs
conscients ou inconscients à partir desquels l’individu
se construit, élabore des mécanismes de défense, vit sa
relation à l’autre, structure sa personnalité en référence
à des perceptions externes.
Dans une perspective sociale et/ou développementale, certains auteurs proposent un concept de Soi unitaire [1], définissant le Self comme une structure
regroupant en un tout cohérent des pensées, des sentiments, des représentations et des jugements sur
l’image et les capacités cognitives, physiques, affectives et comportementales qu’un individu a de luimême. Historiquement, les études du Self dominées
par une vision unitaire l’associent principalement à la
notion d’estime de soi. D’autres avancent une conception multidimensionnelle du Self [2] dans laquelle les
connaissances que le sujet a de lui-même sur différents
aspects de son identité, tel son physique, son état émotionnel, sa relation aux autres, ses connaissances académiques... sont structurellement et théoriquement
distinctes (par exemple voir tableau 1). Malgré ces
divergences, l’idée d’un Self constitué de plusieurs
catégories ou sous-structures de connaissances est de
plus en plus retenue et bien établie dans beaucoup de
domaines de la psychologie (social, développement,
éducation).
Par ailleurs, dans le domaine de la cognition qui
considère les processus mentaux comme une succession d’étapes consacrées au traitement de l’information ou à l’exécution d’une fonction particulière, les
théoriciens s’accordent à définir le Self comme une
variété de représentations cognitives et affectives, de
forme verbale ou visuelle qui situent le Self dans le
passé et le futur, aussi bien que dans l’ici et maintenant
[3]. Certaines de ces représentations seraient organisées dans des structures contenant une base de
connaissances bien élaborées et des règles de
production/action pour comparer et savoir comment se
comporter dans certaines conditions. D’autres seraient
plus provisoires, labiles, instables, construites au cours
d’une interaction sociale particulière. Certains chercheurs considèrent le Self, non seulement comme une
structure supérieure élaborée, mais aussi comme un
processus qui faciliterait la mémorisation (pour la
notion d’effet de référence à soi dans l’apprentissage et
le rappel en mémoire, voir [4]) et, plus généralement, la
métacognition. Pour Northoff et Bermpohl [5], le Self
serait un terme générique pour désigner un ensemble
de processus cognitifs de référence à soi (représenta-
180
tion, contrôle, évaluation et intégration), mis en jeu
dans diverses activités cérébrales comme la mémoire
autobiographique, les émotions, la conscience ou
encore la perception.
Ainsi, dans la littérature, il apparaît que la définition
du Self reste encore très morcelée au regard des différentes approches. De plus, bon nombre d’études soulignent la complexité du Self et son interrelation avec
une multitude de variables, comme le genre, les sources de motivation et les buts, les croyances personnelles, la variabilité intra individuelle, les processus cognitifs d’adaptation, la subjectivité, ou d’autres influences
sociales comme les stéréotypes... Toutefois, en
essayant d’extraire dans ce flou conceptuel des éléments communs, il semble que le Self soit à l’origine
de la construction de notre identité. Cette structure de
connaissances nous permettrait alors de répondre à la
question : « Qui-suis-je ? ». Constitué d’un ensemble
de représentations que l’individu a de lui-même, tant
d’un point de vue physique, social, que comportemental ou encore émotionnel, il est en lien avec la mémoire
puisque le matériau du Self reste avant tout des représentions mnésiques. La définition du Self proposée par
Kihlstrom et al. [6] résume parfaitement bien cette
idée : le Self est une représentation mentale personnelle de sa propre personnalité ou identité, formée à
partir d’expériences vécues, de pensées encodées en
mémoire ; il est constitué et structuré par un ensemble
de schèmes, de prototypes, d’images et de buts, définis
chacun par des informations descriptives sur des traits
caractéristiques, des rôles, des comportements, des
règles, ou encore des procédures d’inférence. Ainsi,
dans cette perspective, le Self est, selon les chercheurs,
appréhendé en termes de fonction supérieure au
même titre que la mémoire ou le langage, de système
ou encore de processus. Au total, le Self peut se décrire
selon sa dimension structurale, puisqu’il est constitué
de plusieurs catégories ou sous-structures de connaissances, et/ou fonctionnelle sous forme de processus
intervenant dans différents systèmes cognitifs et impliquant alors la prise de conscience de soi.
Self et mémoire
Dans le domaine de la mémoire, plusieurs auteurs
ont introduit la notion de Self dans leurs modèles théoriques. En effet, il semble pertinent de penser que
l’ensemble des connaissances que le sujet a de luimême constitue un stock d’informations spécifiques
sur son identité et soit intrinsèquement lié à des systèmes et/ou des processus mnésiques ; l’implication du
sujet dans l’encodage d’un événement personnelle-
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Self, mémoire autobiographique et vieillissement
Tableau 1. Modèle du concept de Soi de L’Écuyer [14].
Table 1. Model of the Self-concept (L’Écuyer [14]).
Structures
Soi matériel
Sous-structures
Catégories
Soi somatique
Traits et apparence physique
Condition physique et santé
Soi possessif
Possession d’objets
Possession de personnes
Soi personnel
Image de soi
Aspirations
Énumération d’activités
Sentiments et émotions
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Goûts et intérêts
Capacités et aptitudes
Qualités et défauts
Identité de soi
Dénominations simples
Rôles et statut
Consistance
Idéologie
Identité abstraite
Soi adaptatif
Valeur de soi
Compétence
Valeur personnelle
Activités du soi
Stratégies d’adaptation
Autonomie
Ambivalence
Dépendance
Actualisation
Style de vie
Soi social
Préoccupations + attitudes sociales
Réceptivité
Domination
Altruisme
Référence à la sexualité
Références simples
Attrait + expériences sexuelles
Soi non-soi
Référence aux autres
Opinion des autres sur soi
ment vécu ou dans le rappel d’informations personnelles, résulte de mécanismes mnésiques.
Dès le XVIIe et XVIIIe siècle, philosophes et psychologues ont longtemps débattu de la nature du Self et de
sa relation avec la mémoire. « Qu’est-ce qui fait que je
suis moi ? » Locke, dans ses Essais sur l’entendement
humain, plus précisément, dans le livre II, chapitre
XXVII, intitulé « Identité et différence », répond :
« L’identité personnelle n’est rien sans la mémoire ».
C’est la mémoire consciente de la continuité de notre
existence dans le temps qui fonde l’identité personnelle en tissant le lien entre les moments passés et les
moments présents. Sans cette mémoire, sans les souvenirs, on ne pourrait parler de passé, ni répondre à la
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question : « Qui suis-je ? ». Alors que, pour Locke, c’est
le souvenir des expériences passées qui fait l’identité
du sujet, en considérant alors l’identité comme une
continuité de la mémoire, Hume suggère que c’est la
capacité de l’individu à reconstruire ses expériences en
mémoire qui est à l’origine du Self. James a été un des
premiers psychologues à approfondir le concept de soi
(Self) et à définir ses liens avec la mémoire à long
terme à travers son questionnement sur le sentiment
d’existence. James distingue deux aspects dans le
concept de soi : celui du Moi qui est le soi matériel,
spirituel et social et celui du Je, qui assure la continuité
et la correspondance de soi. Le Moi (Self-objet, structure passive, objet de la connaissance) réfère, de
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manière objective ou cognitive, à la connaissance, à la
représentation et à la description de soi tandis que le Je
(Self-sujet, agent actif et sujet de la connaissance) est
décrit comme un processus dynamique qui dirige,
contrôle implicitement ou subjectivement les expériences, les pensées, les actes, et permet l’évaluation de
soi. Alors que le Moi correspondrait à sa structure, le Je
peut s’associer au processus conscient du Self. James
privilégie le lien entre la mémoire et le Je . Un souvenir
vrai fait partie intégrante du Je, il est daté dans mon
passé, enveloppé de cette “chaleur”, de cette “intimité”, qui permettent de le reconnaître en tant
qu’expérience de soi, bastion de l’identité.
Dans cette lignée, plusieurs auteurs contemporains
retiennent actuellement l’idée d’un lien direct entre
mémoire, Self et identité. Nous en citerons deux :
1) Pour Tulving [3], le Self est l’une des trois caractéristiques, avec le temps subjectif et la conscience autonoétique, qui définit la mémoire épisodique comme
mémoire des souvenirs autobiographiques inscrits à la
fois dans un contexte spatial et temporel précis. Le Self
reflète l’implication du sujet dans l’événement et sert
de base aux deux autres caractéristiques. En effet, « un
voyage mental dans le temps a besoin d’un voyageur ;
sans voyageur, pas de voyage », ni de prise de conscience de sa propre identité. Ainsi, le souvenir épisodique est associé à un état de conscience qui offre à
l’individu la capacité de voyager mentalement dans le
temps, de se représenter lui-même consciemment
dans des événements passés sous la forme de reviviscence, et de les intégrer à un projet futur. Le Self est
alors considéré comme un processus intrinsèquement
lié à la mémoire épisodique, à la base de la constitution
d’un souvenir émaillé de détails phénoménologiques
et de la conscience autonoétique. Les processus de stockage et de récupération liés au Self sont considérés
comme indépendants de la mémoire sémantique qui
stocke des connaissances générales ou personnelles
décontextualisées. La notion de Self chez Tulving est
celle d’un Self phénoménologique dans la lignée de
Locke et James.
2) Conway, et al. [7, 8], dans une autre perspective,
proposent le Self memory system (SMS). Selon ce
modèle qui est actuellement l’un des plus aboutis, Self
et mémoire autobiographique sont intimement interdépendants. La mémoire autobiographique correspond
en effet à l’interaction entre trois systèmes : le Self à
long terme, le système de mémoire épisodique, et le
Self de travail (working Self) qui permet de rendre
compte d’une organisation structurale hiérarchique de
la mémoire autobiographique et de son fonctionnement (figure 1).
Le Self à long terme constitue une structure conceptuelle spécifique contenant deux entités : la base des
connaissances autobiographiques et le Self conceptuel.
– La base des connaissances autobiographiques abrite
des connaissances personnelles générales organisées
de façon hiérarchiques en trois niveaux d’abstraction
emboîtés (schéma du récit de vie, périodes de vie,
évènements généraux) et constitue la principale voie
d’accès aux souvenirs épisodiques autobiographiques.
Les schémas de vie constituent les représentations les
Le Self à Long terme
Self de travail
Connaissances
autobiographiques
Schéma
historique
personnel
Fonctions
exécutives
Périodes
de vie
Self
conceptuel
Script personnel
Système
de
mémoire
épisodique
Self possible
Image
sensorielle
Événements
généraux
Croyance
Souvenirs autobiographiques
Figure 1. Schéma du modèle Self memory system adapté de Conway [8].
Figure 1. Framework of the Self memory system adapted from Conway [8].
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Self, mémoire autobiographique et vieillissement
plus abstraites et renvoient à des informations très
générales sur l’histoire globale de l’individu (par exemple le travail). Ils s’appuient notamment sur des
conventions socio-cognitives à propos de l’ordre et des
thèmes dominants du schéma de vie classique de la
culture d’appartenance de l’individu. A un niveau un
peu moins abstrait se trouvent les périodes de vie ;
elles sont associées à des buts et activités larges, et
contiennent des connaissances générales (lieux, personnes) liées à de longues durées comme la période du
lycée. Enfin, les événements généraux, liés temporellement ou organisés autour d’un thème commun, correspondent soit à des événements répétés (exemple les
cours de sport), soit à des événements étendus d’une
durée supérieure à 24 heures (le voyage linguistique à
Nuremberg) et se mesurent en jours, semaines ou
mois.
– Le Self conceptuel regroupe les connaissances
sémantiques personnelles non temporellement spécifiées et génère les attitudes, les valeurs, les croyances.
Cette composante contient des scripts personnels, les
images de soi possibles ou désirées, des schémas
socialement établis et des catégories qui définissent
chaque individu, mais également les autres, les interactions avec ces tiers et le monde environnant. Il peut
être décrit sous forme de règles orientant les contenus
de la base de connaissances autobiographiques.
Le système de mémoire épisodique sous-tend le
niveau de spécificité le plus grand qui stocke des informations de brève durée (quelques secondes, minutes
ou quelques heures au maximum). Il permet de retenir
des informations sur les activités reliées aux buts
actuels (à court terme) et contient des détails sensoriels, perceptifs, cognitifs et affectifs liés à l’événement
vécu et organisés selon un ordre chronologique. Il
implique donc l’imagerie mentale et une expérience de
reviviscence du passé qui s’apparente à la conscience
autonoétique de Tulving. Un souvenir épisodique est
maintenu dans la mémoire autobiographique dès lors
qu’il est intégré au Self à long terme et représente un
changement de but. Plusieurs souvenirs épisodiques
seraient formés chaque jour, mais tous ne résisteraient
pas au passage du temps, seuls les plus pertinents en
fonction des buts actuels de l’individu étant retenus. La
fréquence de répétition des événements similaires
détermine dans la plupart des cas une transition de la
mémoire épisodique vers la mémoire sémantique par
un processus de sémantisation : la capacité de rappel
des circonstances épisodiques de chaque événement
s’efface au profit du rappel des caractéristiques communes sous formes de schémas et d’amalgames. Tou-
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tefois, certains souvenirs épisodiques sont particulièrement résistants aux effets du temps : les souvenirs
définissant le soi (Self-defining memories [8]). Ils sont
caractérisés par leur densité d’images mentales et
d’affects, le haut niveau de répétition, le lien avec des
souvenirs qui partagent le même thème, central pour
l’individu, et l’accessibilité.
Enfin, le Self de travail (working Self) est constitué
par un ensemble complexe de processus de contrôle
dirigés par les buts actuels du sujet. Le Self de travail
peut être considéré comme un ensemble de processus
exécutifs liés aux lobes frontaux, correspondant au
modèle de Normann et Shallice du Système Attentionnel Superviseur (SAS). Conway fait aussi explicitement
référence à la mémoire de travail de Baddeley.
Le Self de travail contraint à la fois l’encodage et la
construction des souvenirs sur la base de deux principes : la correspondance et la cohérence [8]. D’une part,
il permet d’encoder les expériences correspondant aux
buts activés et, d’autre part, il maintient une représentation stable et cohérente de l’interaction du soi avec le
monde, permettant ainsi un sentiment continu de
l’identité. En vertu de ces principes, le Self de travail et
ses buts influencent la construction des souvenirs et la
récupération des connaissances autobiographiques en
modulant l’accessibilité de certaines représentations.
Cependant cette influence est indirecte : le Self de travail détermine quels indices seront utilisés pour initier
la recherche d’informations dans la base de connaissances, mais c’est le SMS dans son ensemble qui facilite l’accès aux représentations supportant le soi et les
buts actuels ou inhibe les représentations en désaccord
avec le soi et ses buts afin d’éviter un état de dissonance et les affects négatifs qui en résulteraient. Toutefois ces processus sont pour la plupart inconscients.
Les souvenirs autobiographiques sont ainsi des
constructions mentales transitoires, établies par le Self
de travail, d’un moment psychologique particulier
défini par l’installation d’un but, sa valence, et l’allocation de ressources exécutives.
En résumé, l’aspect dichotomique du Self se
dégage des différentes conceptions : un « Selfstructure » (Self-Concept, Moi ou Soi autobiographique) et un « Self-processus » (conscience autonoétique, Je ou Soi central). Quelles soient d’ordre
fonctionnel comme chez Tulving ou structurofonctionnel comme chez Conway, la question reste
ouverte sur les relations entre Self et mémoire, plus
précisément entre Self et mémoires épisodique et
sémantique.
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C. Duval, et al.
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Self et troubles de mémoire
L’approche neuropsychologique du Self en
mémoire apporte des indications notables sur l’existence de deux entités et/ou processus distincts mais en
constante interaction. L’étude des patients présentant
des troubles de mémoire d’origine neurologique ou
psychiatrique montre que, sur le plan clinique, il existe
des dissociations au sein de la mémoire du Self et
entre cette mémoire et les autres mémoires. Le célèbre
patient KC [3], atteint de déficits antérograde et rétrograde suite à une lésion cérébrale, est incapable
d’apprendre de nouvelles informations et d’évoquer le
moindre événement épisodique important de sa vie,
pourtant il garde les connaissances générales sur lui.
Ce patient n’est pas privé de toute sa mémoire autobiographique, il peut répondre à sa manière à la question
« Qui suis-je ? ». Pourtant, il semble que la part
défaillante le prive de toute capacité de reviviscence de
son passé et de toute “intimité”, vivant dans un présent
perpétuel désincarné, détaché de son passé qui lui
semble impersonnel. Suite à un épisode brusque de
perte d’identité d’étiologie incertaine, le patient CL [9]
présente une amnésie rétrograde sévère, aussi bien sur
le versant épisodique que sémantique. Sa perte d’identité est totale, contrairement à KC, car il ne sait rien de
lui avant l’épisode : « Je suis face à une porte dont j’ai
perdu les clés ». Sa famille constate qu’il n’est plus tout
à fait le même : ses goûts, ses buts, ses attitudes ont
changé. Par contre, ses capacités d’apprentissage étant
relativement préservées, progressivement, CL peut
réapprendre les différentes périodes importantes de sa
vie, mais sans revivre subjectivement le moindre événement particulier de son passé. Son identité semble
construite à partir des expériences vécues depuis son
épisode de perte d’identité. Autre exemple, l’observation du patient K. [26], âgé de 53 ans, retrouvé assis sur
le sol de sa cuisine, silencieux et hébété, se plaignant
d’un terrible mal de tête causé par un coup de batte de
base-ball. Ce patient ne peut reconnaître ni sa femme,
ni ses enfants, ni même son visage. Lorsqu’on l’interroge, Monsieur K est incapable de se souvenir de ce qui
lui est arrivé depuis l’âge de ses 14 ans, en 1945. Cette
année là, le patient avait vécu plusieurs changements
importants dans sa vie (un déménagement, un changement d’école, le décès d’un grand parent, l’incendie de
sa maison, la fin de la seconde guerre mondiale) outre
un choc à la tête. Les patients comme Monsieur K.
vivent le présent en fonction des informations de la
période de vie accessible qui déterminent leur sentiment d’identité actuel et l’état de leur Self. Dans le cas
des démences, telles que la maladie d’Alzheimer,
184
l’atteinte hétérogène de la conscience de soi est avérée
[10]. Les patients sont qualifiés d’anosognosiques,
c’est-à-dire non conscients de leur pathologie. Pour
certains auteurs, des aspects spécifiques du Self
seraient plus touchés que d’autres comme la conscience de soi. Pour d’autres, c’est le déficit de mémoire
autobiographique qui affecte l’étendue et la qualité des
représentations du Self [11]. D’autres, enfin, n’ont
observé aucun déficit au sein de cette structure, même
aux stades les plus avancés de la maladie. Ces divergences de résultats, dues aux différentes méthodologies utilisées ou au degré d’évolution de la maladie, ne
permettent pas de conclure clairement sur les effets du
vieillissement pathologique sur le Self en lien avec la
mémoire. Néanmoins, il semble que l’atteinte de la
conscience autonoétique varie selon le type de
démence [12]. En effet, la nature des souvenirs atteints
(épisodiques ou sémantiques, anciens ou récents) spécifie la démence (maladie d’Alzheimer, démence
sémantique ou fronto-temporale). Par exemple, la
conscience de soi associée aux souvenirs épisodiques
est plus prégnante dans la démence sémantique par
rapport aux deux autres types de démences, mais reste
toutefois fragile par comparaison avec des sujets sains.
Enfin, dans la pathologie psychiatrique, des dysfonctionnements mnésiques ont été mis en évidence dans
les troubles de dissociation de la personnalité, dans la
schizophrénie ou encore dans la dépression, pathologies dans lesquelles le Self est touché. Par exemple,
dans la dépression [13], les patients rapportent plus de
souvenirs négatifs que positifs contrairement aux
sujets non déprimés. De plus, leurs souvenirs négatifs
sont beaucoup plus spécifiques que leurs souvenirs
positifs ce qui conforte l’état de leur Self actuel. Bien
que l’on puisse à certains niveaux distinguer ce qui
revient purement au Self ou purement à la mémoire, il
apparaît que ces deux systèmes soient en étroite interaction. De plus, le Self phénoménologique et le Self
conceptuel semblent également dissociables, mais en
étroite interaction pour assurer un sentiment d’identité
intact. Qu’en est-il au cours du vieillissement normal
avec l’émergence de perturbations mnésiques ?
Self et vieillissement
Comme les autres structures cognitives, le Self
n’est pas immuable et se modifie au cours du temps
avec l’âge. Ces transformations peuvent être non seulement le fruit de processus d’intégration de nouvelles
informations, mais aussi le reflet d’un déclin naturel
associé ou non à celui d’autres fonctions cognitives,
comme la mémoire.
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Self, mémoire autobiographique et vieillissement
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Un remaniement de la structure du Self ?
Peu d’études se sont penchées sur le concept de
Self chez la personne âgée bien portante. Seul L’Écuyer
[14] a proposé un modèle structural de développement
du Self au cours du temps, en décrivant des stades
d’évolution de cette structure en fonction de l’âge de 0
à 100 ans. L’Écuyer propose un « modèle expérientieldéveloppemental du concept de Soi » (figure 2). En
fusionnant différentes notions proposées sur le
concept de Self, il décrit un modèle intégré, multidimensionnel et hiérarchique du Soi (tableau 1). Au-delà
de la conception structurale, il prend également en
compte l’aspect développemental, selon l’âge et le
sexe, et y associe sa méthode d’évaluation « Genèse
des Perceptions de Soi », dérivée du test « Who are
you ? » de Bugental et Zelen en 1950 et correspondant
aujourd’hui au Twenty statement test souvent employé
dans les études anglo-saxonnes. Il s’agit de répondre
ouvertement à la question « Qui suis-je ? » en commençant chaque phrase par « Je suis ». Par la suite,
parmi les éléments énoncés par le sujet, ce dernier doit
préciser ceux qu’il considère comme les plus importants pour lui. Chaque stade est alors défini selon le
degré d’importance accordé à telle(s) ou telle(s) structure(s), sous-structure(s) ou catégorie(s) du concept de
soi : soi matériel, personnel, adaptatif et social. Les
profils ainsi obtenus grâce à cette méthode reflètent le
profil pour le groupe d’âge entier et non des profils
individuels. L’intérêt réside dans l’obtention de profils
intra-âges évolutifs, et dans l’identification de degrés
d’importance entre les diverses représentations de soi.
Pour L’Écuyer, la « permanence du soi » reflète la
structure du Self des sujets sains âgés de 60 à 100 ans,
décrivant un concept de soi vivant, dynamique, se
transformant par l’assimilation de nouvelles informa-
tions ou connaissances. Ce stade, caractérisé par un
remaniement de l’organisation hiérarchique du
concept de soi, s’articule autour de deux sous-stades :
la « reviviscence du soi », marquée par une évolution
positive des représentations de soi et une importance
égale donnée au soi matériel, personnel, adaptatif et
social, et la « sénescence du soi », définie par une centration sur soi, un retrait social, où les dimensions liées
à l’environnement extérieur prennent moins de place
(soi social et adaptatif) au profit de celles qui sont liées
à la personne elle-même comme le soi matériel ou
personnel. Dans ce modèle, l’évolution du concept de
Self semble associée à l’intégration de nouvelles informations, connaissances ou expériences que l’individu
acquiert au cours de sa vie. En effet, il est pertinent de
penser que les événements de vie affectent les contenus des représentations de soi, réorganisant ainsi la
structure du Self.
Toutefois, Labouvie-Vief et al. [15] ont montré que,
bien qu’il existe un continuum dans l’évolution des
représentations de soi au cours de la vie, ces dernières
semblent moins différenciées (en termes de complexité) chez le sujet âgé. Par ailleurs, en distinguant le
Self-sujet (Je) du Self-objet (Moi), Troll et McKean Skaff
[16] soulignent une dichotomie au sein du sentiment de
continuité de l’identité au cours du temps chez les personnes très âgées. Alors que des changements sont
mentionnés par les individus âgés sur certains attributs
du Moi, aucune modification n’affecte le sentiment de
cohérence du Self (Je) au cours de la vie. En d’autres
termes, l’individu reconnaît être la même personne
tout au long de la vie, mais perçoit consciemment des
modifications dans certaines de ses caractéristiques
personnelles. Enfin, en psychologie sociale, le remaniement de la structure du Self est envisagé en fonction
Concept de Soi
Enfant
(0-9 ans)
Adolescence
(10-23 ans)
Adulte
(24-57 ans)
Adulte âgé
(58-100 ans)
Stade 1 (0-2 ans)
Émergence du Soi
Stade 4
Réorganisation du Soi
Stade 5
Maturation du Soi
Stade 6
Permanence du Soi
Stade 2 (2-5 ans)
Confirmation du Soi
Sous-stade 4.A
Différenciation du Soi
Sous-stade 5.A
Polyvalence du Soi
Sous-stade 6.A
Reviviscence du Soi
Stade 3 (6-9 ans)
Expansion du Soi
Sous-stade 4.B
Adaptation du Soi
Sous-stade 5.B
Reconnaissance du Soi
Sous-stade 6.B
Sénescence du Soi
Figure 2. Stades d’évolution du concept de Soi au cours des périodes de vie d’après L’Écuyer [14].
Figure 2. Self-concept evolution across lifetime periods adapted from L’Écuyer [14].
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 5, n° 3, septembre 2007
185
C. Duval, et al.
Tableau 2. Exemples d’items par catégorie du Self et interprétation à l’échelle Tennessee self concept scale (TSCS 2).
Table 2. Examples of items for each self-concept category and interpretation in the Tennessee self concept scale (TSCS 2).
Interprétation
Catégories du Self
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Identité
Satisfaction
Comportement
Self physique
Je suis une personne
séduisante
Je ne suis ni trop gros(se)
ni trop maigre
J'essaie de prendre
soin de mon apparence
Self moral
Je suis une personne
honnête
J'aimerais être plus
digne de confiance
J'agis parfois de façon
immorale
Self personne
Je suis d'un naturel
joyeux
Je suis content(e)
d'être qui je suis
Je résous mes problèmes
facilement
Self familial
Je vis dans une famille
heureuse
Je devrais aimer ma
famille davantage
Je me dispute avec ma
famille
Self social
Je me lie d'amitié
difficilement
Je me trouve suffisamment
sociable
Je suis mal à l'aise avec
les gens
Self académique
Les mathématiques ont toujours été difficiles pour moi
Tableau 3. Scores enregistrés à l’échelle Tennessee self concept scale (TSCS 2) [18].
Table 3. Scores measured in the Tennessee self concept scale (TSCS 2) [18].
Scores de validité
IN : inconsistance des réponses
SC : mensonge
FG : désirabilité sociale
RD : distribution des réponses
Scores globaux
TOT : estime de soi
CON : ambivalence
de ses rôles et statuts sociaux. Les rôles sociaux, le
regard et les interactions avec autrui, modèlent également fortement les représentations de soi et sont à
l’origine de nombreuses modifications [17].
Nous avons étudié les effets de l’âge sur le Self
multidimensionnel en comparant des sujets jeunes
(moyenne d’âge 22 ans ; n = 95) et des sujets âgés
sains (moyenne d’âge 70 ans ; n = 63) avec une échelle
d’évaluation du Self, aussi bien sur le versant catégoriel (Self physique, moral, comportemental...) que
dynamique (valence, consistance des représentations).
Cette étude a été axée sur des processus d’autoévaluation du Self mobilisant des processus de prise de conscience de soi.
186
Scores Self
PHY : représentation physique
MOR : représentation morale
PER : représentation personnelle
FAM : représentation familiale
SOC : représentation sociale
ACA : représentation académique
Scores supplémentaires
IDN : identité
SAT : satisfaction
BHV : comportement
Parmi les différentes échelles d’auto-évaluation du
self conceptuel, la Tennessee self-concept scale
(TSCS 2) de Fitts et Warren [18] est apparue la plus
adaptée car elle a l’avantage de distinguer, non seulement différentes catégories du Self (physique, personnel, social...), mais aussi la trame interne à partir de
laquelle se décrit le sujet (son identité, son évaluation,
ses actions). La TSCS 2 est constituée de 82 phrases
affirmatives ou négatives ; pour chacune d’elles le sujet
indique si la phrase (par exemple : « Je suis une personne honnête ») le décrit, correspond à sa personnalité, définit son identité, en sélectionnant sur une
échelle en 5 points (de 1 = non pas du tout à 5 = oui tout
à fait) le seul choix de réponse qui lui semble le plus
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 5, n° 3, septembre 2007
approprié. Chaque item (exemples, tableau 2) appartient à l’une des trois caractéristiques du concept de soi
(identité, satisfaction, comportement), elles-mêmes
imbriquées dans chaque sous-catégorie du Self (Self
social, moral, personnel...). Chaque item est donc spécifique d’une dimension. Cette échelle permet de calculer principalement un score total regroupant les différentes dimensions et un score par dimension et des
scores de validité (tableau 3). L’interprétation du score
se fait en termes de valence : plus le score est élevé,
plus l’individu possède une bonne représentation
(positive) de lui-même, globalement (c’est l’estime de
soi) ou par dimension. Par ailleurs, le score RD (distribution des réponses) renseigne sur la qualité (précision) de la représentation : plus le score est élevé,
meilleure est la consistance de la représentation.
Nous avons aussi utilisé la sous-échelle du SelfPrivé de l’Echelle révisée de conscience de Soi (ERCS)
[19]. Cette échelle est la version traduite et validée en
français de la Self-consciousness scale. La sous-échelle
Self privé mesure la tendance à l’introspection, c’est-àdire la capacité du sujet à porter attention ou à réfléchir
sur lui-même et sur ses états mentaux internes. Constituée de 9 items, elle prend en compte la part ou le
poids des processus d’introspection. Pour chaque
phrase (par exemple : « Je réfléchis beaucoup sur moimême »), le sujet s’auto-évalue sur une échelle en
4 points (de 0 = ne me ressemble pas du tout à 4 = me
ressemble tout à fait). Le score obtenu varie de 0 à 27 :
plus le score est élevé, plus la part d’introspection est
importante. Cette échelle complète la TSCS 2 pour
80
SA
*
*
60
prendre en compte la part introspective du soi qui est
une dimension et un processus important constitutif du
Self qui n’y est pas évalué. Enfin, nous avons ajouté
deux autres échelles d’autoévaluation en version
réduite estimant les difficultés de mémoire dans la vie
quotidienne (CDS) et la dépression (GDS).
Une fois l’influence de facteurs de biais potentiels
entre les sujets jeunes et les sujets âgés neutralisée
(niveau d’études, dépression, autocritique, désirabilité
sociale), à l’aide d’Ancova, les résultats ont montré que
les sujets âgés ne diffèrent pas sur les deux principaux
scores de la TSCS 2, score total (estime de soi) et score
de consistance. Par contre, les sujets jeunes et âgés se
distinguent sur trois scores : le Self physique, le Self
identité et le Self introspection. Les sujets âgés de
notre étude ont une image plus nuancée de leur apparence physique, ils ne se décrivent pas aussi positivement que les jeunes et n’accordent pas autant d’importance au Self (figure 3).
Nos résultats portant sur le score total et le score de
consistance de la TSCS 2 suggèrent l’absence d’effets
notables de l’âge sur l’état global du Self. Toutefois, les
résultats obtenus par dimension montrent certaines
différences selon le groupe d’âge. Plusieurs études
indiquent que les représentations liées à l’apparence et
à la santé physique deviennent plus importantes avec
l’âge [14]. Cependant, peu d’études fournissent un support empirique à une relation linéaire entre l’âge et la
valence négative des représentations de soi (physique
et identité) et l’introspection. Certains travaux trouvent
que les sujets âgés ont tendance à porter attention aux
SJ
Scores (%)
*
*
*
40
*
20
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on
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Self, mémoire autobiographique et vieillissement
Figure 3. Différences intergroupes sujets jeunes et âgés (SJ et SA) aux scores des échelles d’autoévaluation du Self (TSCS 2, ERCS), de
la mémoire (CDS) et de la dépression (GDS). *p < 0,05
Figure 3. Age-group differences on the self-assessment of self concept (TSCS 2, ERCS), memory (CDS) and depression (GDS). SJ:
young subjects; SA: aged subjects.
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C. Duval, et al.
aspects personnels, intimes, introspectifs de leur Self,
d’autres trouvent qu’ils s’attachent moins à structurer
et organiser leur Self qu’à chercher à adapter et ajuster
leurs représentations personnelles face aux changements [14, 20]. Ainsi, la mobilisation des processus
introspectifs diminuerait au cours de l’empan de vie
avec la stabilisation de la structure du Self. L’introspection serait donc moins sollicitée chez les sujets âgés
(possédant une structure du Self plus cristallisée) : elle
serait remplacée par d’autres processus cognitifs permettant l’adaptation du Self [20] qu’il conviendrait
d’étudier chez les sujets âgés : l’assimilation (maintien
d’un Self cohérent en dépit du décalage entre représentation et expérience), l’accommodation (changement
du Self face à l’expérience) et l’équilibre (flexibilité
entre processus d’assimilation et d’accommodation).
Par ailleurs, nos résultats confirment que le Self est
un construit complexe qui subit des changements liés à
l’âge mais qui est aussi sensible à d’autres facteurs
notamment émotionnels et mnésiques. Indépendamment de l’âge, nos résultats montrent que la valence du
Self dépend de l’humeur actuelle du sujet : plus il ressent des affects dépressifs et moins il se décrit positivement. Par ailleurs, plus les scores de Self sont élevés
(consistance des représentations, bonne estime de soi,
description positive...), moindre est la plainte mnésique
(CDS). Ce résultat suggère un lien entre le Self et les
capacités de mémoire dans la vie quotidienne, d’autant
plus que cette relation est indépendante de l’âge, du
niveau d’études et de l’humeur des sujets. Aussi, le
modèle d’identité du sujet semble sous-tendu par un
double mécanisme : un Self flexible, soumis à
l’influence de divers facteurs comme l’humeur et un
Self stable, rigide, cristallisant la personnalité du sujet.
Cela expliquerait que des modifications du Self puissent surgir au cours du vieillissement sans affecter le
sentiment subjectif d’identité et de continuité dans le
temps.
Quel lien existe-t-il entre Self et mémoire
autobiographique au cours du vieillissement ?
Parce que les processus du Self et de la mémoire
autobiographique sont en interaction, comment
peut-on appréhender les transformations et/ou la stabilité du Self suite au « déclin » des fonctions mnésiques
au cours du vieillissement ? En effet, il est bien admis
aujourd’hui que les fonctions mnésiques déclinent
naturellement avec l’âge, touchant plus particulièrement les processus de récupération en mémoire épisodique. Qu’en est-il du Self qui repose sur des représentations mnésiques ? Trop peu de travaux ont ciblé les
effets de l’âge sur le concept de Self chez l’individu âgé,
188
en axant principalement son étude en lien avec la
mémoire autobiographique.
Plusieurs auteurs ont mis en évidence un biais de
positivité chez les sujets âgés lorsqu’ils évoquent des
souvenirs autobiographiques par rapport aux sujets
jeunes. Même lorsqu’ils évoquent des événements
négatifs (comme un accident, un événement stressant)
[21, 22], les sujets âgés ont tendance à les évaluer
comme neutres, voire positifs. Cet effet de positivité
souligne de nouveau le lien entre Self, mémoire et
régulation de l’émotion qui semble d’autant plus
important chez les sujets âgés.
D’autres études ont décrit la distribution temporelle
en mémoire autobiographique en fonction de sa nature
sémantique ou épisodique et de l’âge des sujets. Le
rappel de connaissances sémantiques personnelles
(« le nom des camarades de classe ») reste relativement insensible aux effets de l’intervalle de rétention et
de l’âge des sujets [23]. Par contre, la distribution temporelle des souvenirs épisodiques change d’allure
selon l’âge des sujets. Chez les sujets jeunes il existe
deux composantes : la fonction de rétention et l’amnésie infantile. La fonction de rétention avec son effet de
récence correspond à une courbe d’oubli classique au
cours du temps. L’amnésie infantile caractérise la pauvreté du rappel des événements vécus avant l’âge de
5-6 ans, avec une absence presque totale de souvenirs
des trois premières années de vie. À partir de l’âge de
40 ans, s’ajoute une troisième composante qui montre
la supériorité du rappel des souvenirs encodés à l’adolescence et à l’âge de jeune adulte, entre 10 et 30 ans,
par rapport aux autres périodes du passé : l’effet de
réminiscence. Avec l’avancée en âge des sujets, l’effet
de récence est conservé et le pic de réminiscence
devient de plus en plus ancien, mais il coïncide toujours aux événements encodés entre 10 et 30 ans [23,
24]. L’explication du phénomène n’est pas consensuelle. Certains auteurs invoquent un mécanisme
d’encodage spécifique et d’autres un mécanisme particulier de récupération puisque cette période de vie
fournit des indices de rappel particulièrement efficaces
(« le jour du mariage »). Mais l’explication la plus probable est celle qui est liée au Self. Cette période de vie
déterminante pour la construction et le maintien du
sentiment d’identité dépendrait de l’influence des intérêts et des buts les plus stables, liés à l’identité, qui
continueraient d’exercer une influence tout au long de
la vie [25].
Afin d’étudier les liens entre mémoire autobiographique et Self phénoménologique (Self-processus,
conscience de soi dans le temps), nous avons adminis-
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Self, mémoire autobiographique et vieillissement
tré un questionnaire autobiographique semi-structuré
à 180 sujets âgés de 21 à 80 ans répartis en 3 groupes
d’âge : 75 jeunes (moyenne d’âge 25 ans), 55 sujets
âgés (moyenne d’âge 62 ans), 50 sujets très âgés
(moyenne d’âge 75 ans). Les sujets âgés étaient tous
autonomes et sans déficit cognitif et antécédent neurologique ou psychiatrique. Le test épisodique de
mémoire du passé autobiographique [26] est un questionnaire qui évalue spécifiquement la capacité à revivre mentalement les détails phénoménologiques et
contextuels des événements autobiographiques en
fonction de cinq périodes de vie. Pour chacune des
5 périodes testées, le sujet doit évoquer un événement
spécifique (unique, inférieur à 24 heures, situé dans le
temps et l’espace et détaillé) à partir d’un thème de
rappel. Chaque souvenir évoqué est contrôlé lors d’un
retest proposé au sujet 15 jours après le test et auprès
de la famille, puis coté sur une grille d’épisodicité en
5 points (0-1-2-3-4). Pour chaque période, un score dit
strictement épisodique comptabilise les souvenirs présentant tous les critères d’épisodicité cotés 4 points, les
autres souvenirs étant plus ou moins sémantisés. Ce
test permet aussi d’évaluer l’état de conscience autonoétique (paradigme “je me souviens”/“je sais” [3])
et la perspective du Self (paradigme “acteur”/
“observateur” [27]) pour chaque souvenir évoqué par
le sujet.
Le paradigme “je me souviens”/“je sais”
(Remember/Know) consiste à demander au sujet de
préciser s’il sait (K : know) ou s’il se souvient (R :
remember) avoir vécu l’événement autobiographique
rappelé. Les réponses « R », sont l’expression directe
de la mémoire épisodique lorsqu’elles sont associées à
la reconstruction consciente de la scène dans laquelle
les événements ont été vécus et, par conséquent, à la
reviviscence qui implique le Self subjectif et le situe
dans un contexte spatio-temporel. Les réponses « K »
sont l’expression d’un processus plus automatique, un
sentiment de familiarité qui n’implique que la mémoire
sémantique et pas le Self subjectif.
Le paradigme “acteur”/“observateur” (Field/Observer)
permet d’évaluer la perspective du Self dans le rappel
de souvenirs en caractérisant le point du vue associé à
la représentation mentale correspondante. Lors de
l’évocation d’un souvenir, le sujet doit préciser s’il voit
la scène de ses propres yeux (acteur), comme s’il revivait l’événement en tant que sujet/acteur, ou s’il se voit
lui-même dans la scène (observateur) et joue alors le
rôle de spectateur. Ce paradigme ne recouvre pas strictement les notions de mémoire épisodique et de
mémoire sémantique car d’autres facteurs peuvent
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 5, n° 3, septembre 2007
influer sur le point de vue (comme l’émotion, l’intervalle de rétention). Par exemple, avec le temps, les
souvenirs tendent à être rappelés davantage avec une
perspective d’observateur et avec des réponses K. Toutefois, la reviviscence qui implique le Self subjectif
s’accompagne le plus souvent de réponses R et d’une
perspective d’acteur [28].
Nous avons montré [29] que les capacités de rappel
d’événements autobiographiques spécifiques et
détaillés (composante épisodique) diminuent avec
l’âge et sont remplacés par des souvenirs génériques
(composante sémantique personnelle). Néanmoins,
même chez les sujets très âgés, quelques souvenirs
épisodiques persistent. Leurs caractéristiques sont
semblables aux souvenirs des autres groupes d’âge et
définissent les souvenirs liés au Self (voir supra). De
plus, les résultats montrent que le sentiment de « se
souvenir » du passé autobiographique diminue avec
l’âge alors que le sentiment de le « savoir » augmente.
Comme l’illustre la figure 4, les sujets âgés revivent
moins facilement l’épisode d’encodage de leurs souvenirs, avec toutefois une amélioration concernant les
périodes les plus anciennes comme celle qui recouvre
en partie le pic de réminiscence (18-30 ans). Ils sont
aussi davantage observateurs de leur souvenir
qu’acteurs. L’ensemble de ces résultats indique un
changement délétère lié à l’âge dans la mémoire autobiographique et le Self subjectif. Si la dissociation des
effets de l’âge sur le type de souvenirs évoqués et le
type de réponses R/K plaide clairement en faveur d’un
impact spécifique du vieillissement sur les aspects épisodiques épargnant les aspects sémantiques, le profil
de résultats sur les réponses acteur/observateur est
moins net. En particulier, le point de vue peut refléter,
au-delà de la nature de la trace mnésique, les caractéristiques affectives et cognitives des souvenirs. La perspective d’acteur accompagne plus souvent le souvenir
lorsqu’il est associé au Self actuel et à une valence
positive [30] et lorsque le sujet revit le contenu émotionnel au lieu des circonstances de l’événement [27].
Ainsi, un nombre moins élevé de perspectives d’acteur
chez les sujets âgés pourrait témoigner non seulement
de la sémantisation des souvenirs, mais aussi d’une
difficulté à utiliser les structures du Self de travail.
Les modifications de la spécificité des souvenirs
ainsi que de la conscience autonoétique et de la perspective du Self permettraient de prédire un affaiblissement du sentiment d’identité chez les sujets âgés. Or,
ces déficits liés à l’âge n’entament pas globalement le
sentiment d’identité (par exemple, la consistance des
représentations du soi et l’estime de soi, voir supra)
189
C. Duval, et al.
De plus, la sémantisation des souvenirs chez les
sujets âgés s’accompagne chez certains d’une tendance à apporter de la signification aux événements
vécus en tirant une leçon ou une morale. Selon Blagov
et Singer [31], la spécificité ne serait pas l’unique
dimension des souvenirs fortement intégrés au Self. Le
fait d’utiliser des processus d’élaboration des souvenirs (intégration) permettrait à la mémoire d’influencer
le Self, et donc de renforcer et transformer les buts de
vie, et de se construire une identité cohérente, notamment en élaborant les expériences négatives [32].
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comme dans la dépression, la maladie d’Alzheimer ou
les patients porteurs de lésions frontales. Cette étude
met en évidence que, malgré des déficits de mémoire
autobiographique chez les sujets âgés, la conservation : a) de connaissances sémantiques personnelles,
qui sont une composante fondamentale de l’identité
personnelle, b) du sentiment subjectif de reviviscence
du passé lointain et (c) de quelques souvenirs épisodiques définissant le Self, permettent à ces sujets de
voyager dans leur passé, en assurant ainsi un sentiment d’identité et de continuité.
Rappel de souvenirs épisodiques
16
14
Score moyen
12
10
jeunes
âgés
très âgés
8
6
4
2
0
0-17 ans
18-30 ans
> 30 ans
1-5 ans
0-12 mois
Pourcentage de réponses Remember justifiées par le rappel de détails
120
jeunes
âgés
très âgés
100
80
60
40
20
OÙ
0-12 mois
1-5 ans
> 30 ans
18-30 ans
0-17 ans
1-5 ans
0-12 mois
> 30 ans
0-17 ans
18-30 ans
1-5 ans
QUOI
0-12 mois
> 30 ans
0-17 ans
18-30 ans
0
QUAND
Figure 4. Rappel de souvenirs épisodiques (haut) et conscience autonoétique (sentiment de reviviscence) associée au contenu factuel
(QUOI), spatial (OÙ) et temporel (QUAND) des souvenirs (bas) en fonction de 5 périodes d’encodage chez 3 groupes d’âge de sujets
sains d’après Piolino et al., [29]. Les périodes 0–17 ans, 18–30 ans et > 30 ans correspondent à des âges d’encodage, les périodes
1–5 ans, 0–12 mois correspondent à des durées de l’intervalle de rétention.
Figure 4. Recall of episodic memories (top) and autonoetic consciousness (sense of reviving, Remember responses justified in terms of
details) associated with the factual, spatial and temporal (WHAT, WHERE and WHEN) content of memories (bottom) according to
5 periods of encoding for 3 age groups of healthy subjects adapted from Piolino et al. [29]. The periods 0–17, 18–30, > 30 years old
correspond to ages of encoding, the periods 1–5 years and 0–12 months are retention time intervals. Dark: young; middle: old; light: very
old.
190
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Self, mémoire autobiographique et vieillissement
La relation réciproque entre mémoire autobiographique et Self est utilisée comme principe de base dans
les thérapies de la réminiscence, chez les sujets âgés
institutionnalisés par exemple. Butler en 1963 a défini
la revue de vie (the “life review”) ou réminiscence
comme un processus mental naturel et adaptatif qui
consiste en un rappel conscient des expériences autobiographiques passées et à un retour aux conflits non
résolus. Les thérapies de la réminiscence retiennent
l’idée qu’une introspection sur son propre passé aurait
une fonction adaptative dans le présent en renforçant
l’identité et l’estime de soi et favorisant l’intégration
dans un nouvel environnement. Certains sujets âgés,
en fonction de leur vécu et de leur personnalité, semblent ne pas privilégier autant l’introspection que des
sujets plus jeunes (voir nos résultats supra) ou bien
privilégie un type d’introspection délétère pour le Self.
En effet, comme le montrent Watt et Wong [33] dans
leur taxonomie, il existe plusieurs types de réminiscence qui servent des fonctions bien différentes pour le
Self. La réminiscence intégrative permet à l’individu de
s’accepter en tant que tel et d’accepter les autres, de
résoudre ses conflits et d’intégrer le présent et le passé
afin de trouver un sens et une cohérence à sa vie. En
fait, les chercheurs soulignent l’importance des représentations positives personnelles des sujets âgés pour
un « vieillissement réussi », qui résultent de processus
cognitifs d’adaptation et d’autoprotection, et dont
l’interaction assure un sentiment de continuité au cours
du temps et structure l’identité. Grâce aux mécanismes
d’assimilation, d’accommodation et d’équilibre [34], les
sujets âgés tendent à maintenir un Self positif et même
à le majorer. D’autres types de réminiscence sont aussi
favorables au self. La réminiscence instrumentale
consiste à se servir du passé pour résoudre les problèmes actuels, se rappeler ses buts et ses plans passés et
à se souvenir comment nous avons fait face à nos
anciennes difficultés. La réminiscence transmissible
correspond au partage de son expérience personnelle,
ses valeurs et son héritage culturel. Par contre, la réminiscence obsessionnelle est caractérisée par une rumination incessante et négative des événements passés
et n’est pas bénéfique au Self.
L’activité de réminiscence intégrative a été utilisée
par les cliniciens comme moyen d’intervention thérapeutique auprès des personnes âgées, dans la dépression et la maladie d’Alzheimer. Depuis, de nombreuses
études ont examiné ses bénéfices sur le plan compor-
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 5, n° 3, septembre 2007
temental mais beaucoup plus rarement sur le plan
cognitif. Certains auteurs suggèrent que la réminiscence serait particulièrement efficace et utile en institution où les résidants ont un manque d’identité. Malgré
la vison très positive qui se dégage des études sur la
réminiscence, aucune de ces études n’a véritablement
testé son impact sur le plan cognitif (Self et mémoire,
notamment) et, de plus, ce champ d’étude manque
encore le plus souvent de méthodologie rigoureuse
[35].
Conclusion
Bien que non exhaustive, cette revue sur le Self
multidimensionnel en lien avec la mémoire et les effets
de l’âge montre que le vieillissement n’affecte pas de la
même manière les différentes caractéristiques du Self.
Peu de modifications apparaissent avec l’âge sur le Self
conceptuel (Self-structure) contrairement au Self phénoménologique (Self-processus).
La complexité de cette structure de connaissances
qu’est le Self est illustrée par les liens qu’elle tisse avec
d’autres systèmes cognitifs comme l’émotion ou la
mémoire. En effet, les connaissances de soi reposent sur
une base mnésique et sont fortement teintées par
l’humeur actuelle de l’individu. D’autres travaux sont
nécessaires pour étudier l’impact du vieillissement sur
les diverses facettes du Self aussi bien sur le versant
structural que fonctionnel. En effet, les différentes catégories (Self physique, personnel...), le domaine (description, valence, importance, complexité), le contenu
(représentations sémantiques, épisodiques, émotionnelles...), la référence (self actuel, idéal, désirable) doivent
être pris en compte structuralement, de même que les
différents processus associés (référence à soi, introspection, autoévaluation...) et niveaux de conscience (conscience de soi, méta-conscience) au plan fonctionnel. En
outre, d’autres travaux devront préciser l’impact de
nombreux facteurs qui concourent à influencer le Self
multidimensionnel dans le vieillissement; de nature
contextuelle ou environnementale, socioculturelle, motivationnelle ou encore émotionnelle, ces variables semblent agir, modeler et transformer le Self. Il serait particulièrement intéressant d’étudier les mécanismes cognitifs
qui permettent d’intégrer les changements au sein de la
structure du Self et ainsi de conserver le sentiment subjectif de continuité dans le temps.
191
C. Duval, et al.
Références
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