L’essentiel sur… La glycémie postprandiale Un paramètre à prendre en compte (aussi) dans le diabète de type 2 n Si la prise en compte de l’hyperglycémie postprandiale (HPP) est admise de longue date dans le diabète de type 1, son diagnostic et sa prise en compte sont plus récents dans le diabète de type 2 (DT2). Mieux diagnostiquée, elle est mieux ciblée par les molécules récentes car elle est probablement directement impliquée dans les complications macrovasculaires. Clinique D’abord par la clinique, car si l’HPP est influencée par plusieurs facteurs (la glycémie préprandiale, le taux d’incrétines, la sécrétion d’insuline), la sensibilité à l’insuline des tissus périphériques est au premier plan. Par conséquent, le patient insulinorésistant est à risque d’HPP et le surpoids avec un tour de taille augmenté sont des indicateurs de cette anomalie métabolique (1). Biologie ❚❚La tolérance normale ❚ au glucose Chez les sujets ayant une tolérance normale au glucose, la glycémie plasmatique ne dépasse généralement pas 7,8 mmol/l (1,40 g/l) à la suite de la prise d’aliments et revient physiologiquement à son niveau préprandial au bout de 2 heures (2). *CHU de Bordeaux 352 L’Organisation mondiale de la santé définit par ailleurs la tolérance normale au glucose par une valeur glycémique inférieure à 7,8 mmol/l (140 mg/dl) 2 heures après l’ingestion d’une charge de 75 g de glucose (hyperglycémie provoquée par voie orale [HGPO]). ❚❚L’état postprandial L’état postprandial correspond à la période de 4 à 6 heures suivant un repas pendant laquelle les glucides sont progressivement hydrolysés et absorbés au niveau intestinal. Les phénomènes postprandiaux peuvent se recouvrir les uns les autres durant la journée, du fait de la succession des prises alimentaires (3). Au cours d’une journée, le temps passé en état postprandial se révèle beaucoup plus long que les périodes de jeûne : chez un sujet normal, le cumul des périodes postprandiales atteint environ 12 heures par jour, contre seulement 2 heures en fin de nuit pour l’état strictement à jeun (4). Des analyses de profil glycémique sur le nycthémère ont permis d’estimer que la durée cumulée de l’élévation des chiffres glycémiques au-delà © Chris Fertnig - iStockphoto Comment l’identifier, comment la définir ? Pr Bogdan Catargi* des valeurs préprandiales était de l’ordre de 6 heures chez le sujet non diabétique et pouvait atteindre 12 à 15 heures chez le patient diabétique (Fig. 1). C’est l’utilisation des méthodes de mesure en continu de la glycémie qui a permis de mieux cerner la dégradation progressive de la glycémie et de confirmer que la perte du contrôle de la glycémie postprandiale (GPP) est un phénomène précoce (5). Diabète & Obésité • Novembre 2011 • vol. 6 • numéro 53 La glycémie postprandiale HbA1c : ■ < 6,5 % (n = 30) ■ 6,5 % à 7 % (n = 17) ■ 7 % à < 8 % (n = 32) ■ 8 % à 9 % (n = 24) ■ 9 % (n = 26) Petit-déjeuner quelles valeurs cibles ? Concentration en glucose (mmol/l) Les valeurs cibles de la glycémie recommandées par les sociétés savantes sont présentées dans le tableau 1. Cette relation a été mise en évidence par plusieurs études épidémiologiques dont DECODE (6) menées sur une large cohorte de population non diabétique. Tous ont bénéficié d’une HGPO lors de l’inclusion. Les valeurs prédictives de la glycémie à jeun et de la glycémie à 2 heures étaient étudiées et comparées à la mortalité totale. Le principal résultat était que plus la GPP est élevée, plus le risque de mortalité augmentait et, ce, quel que soit le niveau de la glycémie à jeun. La valeur prédictive de la glycémie à 2 heures s’est avérée indépendante de la glycémie à jeun. Ceci souligne le fait que la relation entre hyperglycémie (ou HbA1c) et le risque cardiovasculaire dans la population générale n’implique pas uniquement la glycémie à jeun mais aussi la glycémie postcharge. Les études d’intervention L’étude STOP-NIDD Il y a très peu d’études d’intervention, et encore moins qui soient concluantes car le risque vasculaire est plurifactoriel. La plus ancienne est l’étude STOP-NIDD qui a suivi 1 429 patients intolérants au glucose pendant au moins 3 ans, traités par acarbose et qui a montré une réduction significative du risque cardiovasculaire (Fig. 2) (7). Postprandial (période journée) 13 12 11,5 11 10 9 10,0 8 7 6 5 8,4 4,4 Matin 0 2 4 6 8 0,7 10 12 14 Temps (heures) 16 18 20 22 24 Figure 1 - Mesure de la glycémie par un système de surveillance continue, sur 24 heures, de 130 patients diabétiques de type 2. Cinq groupes selon les niveaux d’HbA1c : 6,5 % (n = 30), 6,5 - 6,9 % (n = 17), 7 - 7,9 % (n = 32), 8 - 8,9 %, (n = 25), 9 % (n = 26). Objectif : déterminer si la dégradation de la GAJ et celle de la GPP dépendent de l’évolution du diabète de type 2. Tableau 1 - Valeurs cibles de la glycémie recommandées par les sociétés savantes. Organisation ADA-EASD IDF-Europe AACE Probability of Any Cardiovascular Event Relation entre glycémie postprandiale et risque cardiovasculaire A jeun (période nocturne) 14 Durée du diabète (année) 15 0,06 0,05 0,04 Placebo 0,03 0,02 Acarbose 0,01 P = 0,04 (Log-Rank Test) P = 0,03 (Cox Proportional Model) 0 0 No. at Risk Placebo Acarbose HbA1c (%)GAJGPP < 7 … … < 6,5 5,5 mmol/l (< 1,00 g/l) 7,8 mmol/l (< 1,40 g/l) ≤ 6,5 6,1 mmol/l (< 1,10 g/l) 7,8 mmol/l (< 1,40 g/l) 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1 000 1 100 1 200 1 300 1 400 Days After Rondomization 686 682 675 659 667 635 658 622 643 608 638 601 633 596 627 590 615 577 611 567 604 558 519 473 424 376 332 286 232 203 Figure 2 - Effet d’un traitement par acarbose sur les risques cardiovasculaires chez des sujets intolérants au glucose (7). Les études sur l’athérosclérose Plus nombreuses sont les études qui se sont intéressées aux critères indirects de l’athérosclérose, et en particulier l’épaisseur intima/media (EIM). K. Esposito a étudié l’impact spécifique sur la GPP de 175 patients diabétiques de type 2 du repaglinide Diabète & Obésité • Novembre 2011 • vol. 6 • numéro 53 versus le glyburide. La glinide s’est avérée plus efficace sur la glycémie postprandiale, la GPP, (- 0,7 g/l vs - 0,5 g/l) et a permis une réduction plus importante de l’EIM (Fig. 3) (8). L’étude NAVIGATOR On attendait beaucoup de l’étude 353 L’essentiel sur… L’étude HEART2D (hyperglycemia and its effect after acute myocardial infarction on cardiovascular outcomes in patients with type 2 diabetes mellitus), bien que discutable sur le plan méthodologique, est intéressante car elle a comparé les effets du contrôle des glycémies à jeun versus les glycémies postprandiales sur le risque d’événement cardiovasculaire chez les diabétiques de type 2, après un infarctus du myocarde. Cette étude prospective randomisée a inclus 1 115 diabétiques de type 2 de 30 à 75 ans, 21 jours après un infarctus du myocarde, sur une durée moyenne de 963 jours (1-1687). Le groupe PRANDIAL (n = 557) a été traité par un analogue rapide de l’insuline lispro avant chaque repas, avec un objectif glycémique < 7,5 mmol/l à 2 heures. Le groupe 354 Glyburide Pic postprandial P < 0,001 P < 0,01 220 Glucose (mg/dl) 180 140 100 Avant Après Avant Après 260 220 180 140 P < 0,001 100 0 60 P < 0,01 120 0 60 Minutes 120 Minutes Figure 3 - Effets de la réduction de l’hyperglycémie postprandiale sur l’athérosclérose dans le diabète de type 2 (8). Événements cardio-vasculaires (%) L’étude HEART2D 260 20 Hazard ratio, 0,94 (95 % CI, 0,82-1,09) P = 0,43 15 10 Placebo 5 Nateglinide 0 0 1 2 3 4 5 6 Années de suivi Figure 4 - Effet du nateglinide sur l’incidence du diabète et les événements cardio-­ vasculaires chez des sujets intolérants au glucose (9). 1,0 Proportion de patients n’ayant pas eu d’événement du critère primaire NAVIGATOR (Nateglinide and Valsartan in Impaired Glucose Tolerance Outcomes Research) initiée dans les années 2000. Cette étude prospective multicentrique, randomisée avait pour objectif de déterminer si le risque de diabète et d’événements cardiovasculaires peut être diminué. 9 306 sujets intolérants au glucose (HbA1c = 5,8 %, GAJ = 6,1 mmol/l, GPP = 9,2 mmol/l) et ayant des antécédents cardiovasculaires ou à haut risque cardiovasculaire ont été inclus et traités, soit par placebo versus nateglinide (60 mg x 3/j), soit par valsartan versus placebo (plan factoriel 2 x 2). Le suivi a duré 3,3 ans. Il n’a pas été observé de baisse de l’incidence du diabète (critère principal), ni du critère composite étendu (décès cardiovasculaire, infarctus non fatal, AVC non fatal, hospitalisation pour insuffisance cardiaque ou angor instable, revascularisation artérielle) (Fig. 4) (9). Repaglinide Pic postprandial BASAL (n = 558) PRANDIAL (n = 557) 0,9 0,8 0,7 0,6 0,5 0 Prandial Basal 200 400 600 800 1 000 1 200 1 400 1 600 jours n = 557 n = 453 n = 420 n = 407 n = 393 n = 392 n = 388 n = 384 n = 558 n = 464 n = 430 n = 410 n = 399 n = 386 n = 382 n = 377 Figure 5 - Effet du contrôle de la glycémie prandiale versus à jeun sur les événements cardiovasculaires chez des sujets DT2 après un infarctus du myocarde (10). Diabète & Obésité • Novembre 2011 • vol. 6 • numéro 53 Contrôle 5 Saxagliptine 4 3 2 1 0 5 Patients à risque Contrôle Saxagliptine 1 251 3 356 24 37 50 935 2 615 860 2 419 774 2 209 63 76 Semaines 545 1 638 288 994 89 102 115 128 144 498 123 436 102 373 57 197 Figure 6 - Délai d’apparition du premier événement cardiovasculaire indésirable majeur (MACE) (12). Les incrétines pour le nouveau traitement de la GPP Il s’agit de la classe des incrétines (inhibiteurs de la DPP-4 et analogues du GLP-1). Ces molécules étant récentes, les études d’intervention sur la GPP et le risque cardiovasculaire sont encore en cours. Exenatide plasmatique postprandial 2 h après les repas (pM) GLP-1 plasmatique postprandial 2 h après les repas (pM) BASAL (n = 558) a reçu de l’insuline NPH 2 fois par jour ou de l’insuline glargine 1 fois par jour avec un objectif glycémique à jeun < 6,7 mmol/l. Le critère principal était un critère combiné et fait d’événements cardiovasculaires : mort cardiovasculaire, infarctus du myocarde non fatal, AVC non fatal, revascularisation coronaire, hospitalisation pour un syndrome coronarien aigu. Cette étude a été négative, puisque le nombre de patients ayant eu un événement n’était pas différent dans les deux groupes (PRANDIAL n = 174 (31,2 %) versus BASAL n = 181 (32,4 %)) (Fig. 5) (10). Premier événement indésirable (%) La glycémie postprandiale Les inhibiteurs de la DPP-4 Ils agissent sur la GPP en prévenant la dégradation du GLP-1 endogène sans agir sur sa sécrétion, en augmentant la sécrétion d’insuline et en diminuant la sécrétion de glucagon. Ils n’ont pas d’effet sur la vidange gastrique. L’effet sur la GPP a été montré avec ces molécules. Par exemple, la sitagliptine diminue la GPP de - 2,7 mmol/l par rapport au placebo (11). Les résultats poolés des études de phase IIb/III avec cette molecule montrent un délai d’apparition plus tardif du premier événement cardiovasculaire indésirable majeur (MACE) (Fig. 6) (12). Les analogues du GLP-1 Ils réduisent la GPP par la conjonction de 3 mécanismes : • l’inhibition de la production hé- sitaglipline Figure 7 - Différences entre IDPP-4 et analogues du GLP-1 (d’après 13). patique de glucose (par stimulation de la sécrétion d’insuline et inhibition de la sécrétion du glucagon) ; • la diminution de l’absorption Diabète & Obésité • Novembre 2011 • vol. 6 • numéro 53 intestinale de glucose (par le ralentissement de la vidange gastrique) ; • l’augmentation de la captation hépatique de glucose (par stimulation 355 L’essentiel sur… L’exénatide (Byetta®) semble avoir une efficacité postprandiale supérieure au liraglutide (Victoza®) dans une étude de non-infériorité menée sur 24 semaines (Fig. 8) (14). Comment expliquer le hiatus entre l’épidémiologie et l’intervention ? Plusieurs explications peuvent être apportées : • durée insuffisante des études d’intervention ; • amélioration de la prise en charge des autres facteurs de risque cardiovasculaire ; • dilution de l’effet potentiel d’une intervention sur la GPP ; • contrôle de la GPP insuffisant dans les études d’intervention ; • intervention glycémique trop tardive/risque cardiovasculaire et maladie cardiovasculaire. Le plus probable étant que la GPP n’est pas seulement un facteur mais aussi un marqueur 14 Glycémie (mmol/L) de la sécrétion d’insuline et inhibition de la sécrétion du glucagon). Les analogues du GLP-1 ont un effet plus marqué sur la GPP comparativement aux inhibiteurs de la DPP-4 (Fig. 7) (13). ** p < 0,0001 ** p = 0,0005 13 12 11 * 10 BYETTA® 10 µg 2x/j (n = 231) ligne de base semaine 26 * p < 0,0001 ** p = 0,0005 ** 9 * 8 Liraglutide 1,8 mg 1x/j (n = 233) ligne de base semaine 26 * p < 0,0001 7 6 0 tp n a Av r ne jeu dé teti prè ’a 90 sp r ne jeu dé teti t an Av r ne jeu dé ’ 90 ap er un éje d rès nt a Av er dîn rès p ’a 90 er dîn Au r he uc co Déjeuner : p = NS Figure 8 - Différence sur le profil glycémique entre les 2 analogues du GLP-1 (14). de risque cardiovasculaire et il y a donc nécessité d’une prise en charge globale et précoce de tous les paramètres métaboliques associés à l’hyperglycémie postprandiale. Conclusion Les objectifs à atteindre avec l’ensemble de ces molécules est possible, mais il faut tenir compte du rôle probablement favorisant des hypoglycémies sur le risque cardiovasculaire et des effets secondaires de ces molécules à manier parfois avec précaution après un événement cardiovasculaire aigu (syndrome coronarien aigu, pon- tage coronarien). C’est la raison pour laquelle le Groupe Coronaire et Diabète, dans ses nouvelles recommandations à paraître, suggère la sollicitation d’un diabétologue par l’équipe de cardiologie dans les jours qui suivent un événement cardiovascun laire aigu. Mots clés : Diabète de type 2, Glycémie postprandiale Bibliographie 1. Monnier L. Thérapeutique. In : Diabétologie. Paris : Masson, 2010 : 3-5. 2. IDF-European Guidelines. 2007. 3. Slama G. Contribution des glycémies postprandiales à l’évaluation de l’HbA1c. Médecine des maladies métaboliques, 2007 ; 1 : 35-40. 4. Monnier L, Lapinski H, Colette C. 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