Communiquer, 2015(13), 79-89
82 | D. Pasquier
Opportunités et apprentissages en ligne
Il y a eu de nombreux travaux sur les usages communicationnels d’Internet chez les jeunes.
Ils s’accordent sur plusieurs constats.
Le premier a un caractère paradoxal : beaucoup de jeunes disent se sentir plus à l’aise dans
les relations en ligne que dans les interactions en face à face, surtout les garçons qui entrent
dans l’adolescence (vers 13-14 ans) et qui sont issus de milieux populaires (Livingstone
et al., 2012). Dans la lignée de nombreux travaux sur les sociabilités juvéniles, l’enquête
de Céline Metton (2009), menée sur des collégiens avec des méthodes d’observation
qualitatives, permet de comprendre des mécanismes importants à cet égard : la sociabilité
masculine juvénile fonctionne sur la base de groupes de liens faibles, avec un fort contrôle
du groupe sur les individus en ce qui concerne les choix vestimentaires, l’afchage des goûts
musicaux ou les relations avec l’autre sexe. En ligne, ce contrôle s’atténue nettement : Metton
montre que, sur MSN, les jeunes collégiens se sentent plus libres de parler des choses qui
leur tiennent à cœur : « les personnalités les plus timides peuvent s’afrmer autrement
qu’en face à face » (Metton, 2009, p. 135). Les chats, où le jeu des pseudonymes permet un
certain anonymat, sont aussi des lieux d’évacuation de la tyrannie des apparences. Dans un
univers très codié comme celui du lieu scolaire, les critères physiques ont une importance
déterminante pour l’intégration sociale. Être trop petit ou trop grand, trop gros ou trop
maigre, ne pas porter les bonnes marques de basket ou de blouson, avoir une coupe de
cheveux démodée, un sac à dos qui fait trop penser à un cartable ou un modèle de téléphone
mobile trop ancien sont autant de fautes sanctionnées par la marginalisation sociale. Les
échanges en ligne, où les apparences étaient absentes avant la circulation généralisée de
photographies, peuvent alors constituer une deuxième scène interactionnelle, une sorte de
scène de rattrapage où certaines individualités peuvent s’exprimer à l’abri du regard des
pairs (Pasquier, 2005).
Deuxième constat : Internet est un lieu où l’on peut effectuer un certain nombre
d’apprentissages sur la vie relationnelle. Plusieurs travaux sur les blogues adolescents ont
travaillé sur cette piste. Fluckiger (2006) a suivi en parallèle un groupe de collégiens dans
leur vie sociale quotidienne et sur leur blogue. Le blogue apparaît être un instrument dont
la signication évolue au cours du développement de la sociabilité des collégiens et de leur
construction identitaire :
Pour les plus jeunes, il est une fenêtre ouverte sur le monde des plus âgés, permettant d’observer de
l’intérieur le monde des « grands » du quartier, d’incorporer ses normes, et par les commentaires
laissés sur les blogues d’autres adolescents, d’apprendre à intervenir dans l’univers social
(Fluckiger, 2006, p. 135).
Chez les plus grands, le blogue devient un instrument collectif de communication, une
sorte de mémoire de la vie du groupe, qui permet de conserver et de partager le souvenir
des moments passés ensemble. Les photos des activités communes jouent évidemment un
rôle essentiel et sont reprises de blogue en blogue, comme autant de preuves de la vie du
groupe. Hélène Delaunay Teterel (2010), qui a aussi mené une enquête en parallèle sur la
sociabilité réelle et virtuelle, mais cette fois d’un groupe de lycéens, montre que les blogueurs
cherchent à délimiter très strictement le périmètre de leur audience. Le blogue « s’adresse
aux proches, et parfois même seulement aux très proches, c’est à l’auteur du blogue de
prévenir ses amis de son existence et de les convier à venir y déposer des commentaires »
(Delaunay-Teterel, 2010, p. 116). Comme l’auteure le souligne, « le blogue est le support
d’un processus d’individualisation des liens » (ibid.). Les jeunes sur lesquels elle a enquêté
en font un lieu où déclarer leurs amitiés, déclarations qui empruntent au vocabulaire de
l’amour et ne reculent devant aucun superlatif – dont le mot trop exprime nalement bien
le caractère inationniste (« t’es trop belle »). L’ami, c’est à la fois celui avec qui on peut