L'ANCIENNE ABBAYE
SAINT-LÉGER
DE
CHAMPEAUX
(Saint-Léger-Triey, Côte-d'or)
CONTRIBUTION
A
L'ÉTUDE
ARCHÉOLOGIQUE
DES
ÉLÉMENTS
SUBSISTANTS
ET DES
FOUILLES
RÉCENTES
(1969-1977)
par
M.
Christian
SAPIN
Ce sont
les
huit
ans de
travaux entrepris
par le
propriétaire
actuel,
et sa
famille,
qui
nous offrent
la
possibilité
de
reprendre,
à
la
lumière
de
nouvelles données archéologiques,
les
principales
étapes
de
l'histoire architecturale
de
l'abbaye. Ceci essentiellement
pour
les
périodes
les
plus reculées
où
nous avons
pu
déceler
cer-
taines caractéristiques
de
l'architecture religieuse
du
Haut Moyen
Age
en
Bourgogne. Dans l'état actuel
des
recherches, cette étude
ne
se
veut
pas
exhaustive. Nous espérons
que
d'autres découvertes
ou recherches
1
permettront
de la
reprendre.
Le domaine
de
Saint-Léger
se
trouve
sur la
petite commune
de Saint-Léger-Triey,
à
l'extrémité
du
département
de la
Côte-
d'Or,
à
cinq kilomètres
de
Pontailler-sur-Saône. Jadis entouré
d'une grande forêt dont
il
reste
une
partie importante, l'ancienne
abbaye,
se
trouve aujourd'hui parfaitement visible
de la
route,
reliée
à
elle depuis
le
xvnie siècle
par une
grande allée d'arbres
2.
Origine.
Nous n'avons
pas de
charte
ou de
date précise
de
fondation mais
seulement
une
tradition
et une
mention.
La
mention
est
soulignée
par
les
auteurs anciens comme Mabillon
ou la
Gallia
Chrisliana
3
1.
Nous devons remercier ici Monsieur et Madame De B. sans qui nous
n'aurions pu mener à bien cette étude, ainsi que Monsieur le Chanoine
Marilier à qui nous devons de connaître Saint-Léger et Monsieur Camp qui effec-
tua, au début des fouilles, les premières recherches historiques. Qu'ils trouvent ici
le témoignage de notre reconnaissance pour l'aide et l'accueil qu'il nous ont
accordés.
2.
Il est regrettable que l'administration des Monuments Historiques n'ait
pas cru devoir classer ou inscrire ce site quand il était temps : son approche
gest achée depuis peu par une résidence moderne.
3.
Gallia
Clirisliana,
t. IV, p. 653.
238 CHRISTIAN SAPIN
et reprise
par les
auteurs récents
et
notamment l'abbé Bresson
qui
a
publié en 1902 une série d'articles constituant
la
seule mono-
graphie connue
sur
Saint-Léger 4. C'est
la
chronique
de
l'abbaye
de Bèze
5
qui fait mention en 826 pour
la
première fois
du
nom
de
Saint-Léger
à
propos
d'un
échange
de
terrains entre
les
deux
abbayes ; celui
de
Saint-Léger
est
alors désigné comme Saint-
Léger
de
Champeaux6
: «...
Abbatem Theutonem Monasterii
sancti Leodegarii, quod Campellense nominatur...
»
La tradition considère que ce monastère aurait été fondé quelques
temps auparavant
par
Theoderad, une
des
filles
de
Charlemagne.
En fait Mabillon qui rapporte
le
nom
de
Theoderad parle surtout
d'une restauration 7.
Les
auteurs modernes
8 ont
cherché
à
voir
là
la
véritable fondation. Nos recherches
et
les indications fournies
par M. le Professeur Folz ne nous ont pas permis de préciser d'avan-
tage
la
véracité
et la
date
de
ceci.
Theoderad est
la
fille
de
Charlemagne
et
de
sa
troisième femme
Fastrade. Elle
fut
abbesse d'Argenteuil qu'elle reçut
en
don avant
814,
le
restituant plus tard,
en
828,
à
l'abbaye
de
Saint-Denis
tout en se réservant l'usufruit. Elle vécut plus longtemps, semble-t-il,
puisqu'elle intervient
en
844 dans
un
diplôme
de
Louis
le
Germa-
nique, possédant alors l'usufruit
du
monastère
de
moniales
de
Schwarzach. Elle
est
citée comme morte dans
le
Diplôme
n° 79
de Louis
le
Germanique,
le 27
mars 857 9.
On
peut seulement
constater dans ces faits que rien
ne
s'oppose
à ce
que Theoderad
se soit intéressé
à, un
monastère
du
diocèse
de
Langres,
qui de
plus
se
trouvait
à
proximité d'un palais carolingien 10.
La vie de
Theoderad et la mention de 826 nous permettent donc de croire à une
fondation autour
de
800-820.
Il
reste
la
question
du
vocable
de
4. BRESSON
(J.), L'ancien prieuré de Saint-Léger au duché de Bourgogne,
dans Bulletin d'histoire religieuse et littéraire du diocèse de Dijon, t. XX, 1902,
p.
205-258.
5.
Chronique de Saint-Pierre de Bèze, publié par J. Garnier, Dijon, Analecta
Divionensia, 1875, p. 261.
6. Ou « appelé champeaux », cf. en 994, D. Bouquet, X, 564.
7. MABILLON,
Annales Ordines Sancti Benedicti, t. Il, 1704, p. 347.
8.
COURTÉPÉE
(Cl.), Description générale du duché de Bourgogne, 3e échelon,
1968,
t. IV, p. 242 ;
ROUSSEL
(L.), Histoire du
Diocèse
de Langres, t. III, p. 151
et BRESSON, op. cit.
9. Réf. biblio. dans
BRANDENBURG
(E.), Die Nachkommen Karls des Grosse,
Leipzig, 1935, red. Francfurt, 1964 et
WERNEH
(K. F.), Die Nachkommen Karls
des Grosse dans Karl der Grosse, t. IV, Dusseldorf, 1967.
10.
A Pontailler-sur-Saône. Bien que signalé plus tard, ce palais pouvait
exister déjà à l'époque de Theoderad. Pontaliacus, palalium régis, en 869,
COURTOIS
(J.), Chartes de l'abbaye de Saint-Êlienne de Dijon, vmc-xic siècles,
Paris-Dijon, 1908, n° 4, p. 11-12! Il est cité en 872 d'après
LOT
(F.) (Mélanges
carolingiens, 1904-1905, p. 131) qui y voit un palais important en relation
avec la voie Langres-Dole et donc la Belgique et l'Italie.
SAINT-LÉGER DE GHAMPEAUX 239
Saint-Léger qui n'est pas spécifiquement carolingien et pour cause
et où l'on pourrait discerner le souvenir d'une première fondation
mérovingienne u.
De même que pour la plupart des monastères bourguignons
le xe siècle semble avoir été une époque de déclin pour l'abbaye
puisque l'on éprouva le besoin de la relever, au même moment où
Guillaume restaurait Saint-Bénigne et Heldri Flavigny, c'est-à-
dire dans les dix dernières années du xe siècle. Cet intérêt pour la
rénovation nous est confirmé à, Saint-Léger par la Charte précisant
qu'en 994, Henri I, Duc de Bourgogne, donna aux religieux de
Saint-Germain d'Auxerre cette abbaye (qui fut par la suite réduite
au rang de prieuré), à, condition qu'on y entretienne toujours huit
moines 12.
C'est sans doute peu de temps après que se situent le passage et la
formation de l'illustre Raoul Glaber qui y résida quelques temps
avant de se rendre dans les monastères de Saint-Bénigne, Moutiers
Saint-Jean, Auxerre et Cluny 13. C'est là qu'il décrit sa première
rencontre avec le diable : « A l'époque, où je vivais au monastère
du bienheureux martyr Léger, qu'on appelle Champeaux, une nuit,
avant l'office de matines, se dresse devant moi au pied de mon lit
une espèce de nain horrible à voir14. »
Nous limiterons là les quelques données historiques concernant
les débuts de l'abbaye, et nous renvoyons à l'étude de J. Bresson
pour son histoire jusqu'au xixe siècle, afin d'examiner plus lon-
guement les éléments archéologiques qui subsistent 15.
Description.
Les constructions encore existantes forment un ensemble de
bâtiments d'habitation pour la plupart reconstruits au début
et à la fin du xixe siècle. Enserrée dans cet ensemble s'élève une
tour massive dont nous reparlerons longuement mais dont on
reconnaît très bien le clocher sur l'unique représentation 16 ancienne
11.
Origine que Baudot envisageait également dans ses notes sur Saint-Léger
Triey (Arch. dép. Côte-d'Or, 1 F 75).
12.
QUANTIN, Cartulaire général de l'Yonne, t. I, p. 157-158 :
«
... Quadam
suis abbatiola constructa patrimoniis in honore sancti Leodegarii martyris,
nomine Campellis, ipsum eum locum ampliavit...
13.
Pour la biographie de Glaber, cf. PETIT (E.), Revue historique, t. 48,
1892.
14.
Livre V, chapitre I.
15.
L'examen n'a pu être ici
définitif,
aussi bien pour les parties de l'avant-
nef que les enduits modernes ont en grande partie recouvert que pour les
subslructions orientales qui ne sont pas encore complètement dégagées.
16.
ïl
s'agit
d'une photographie d'un tableau original disparu. Nous
n'avons retrouvé par ailleurs aucun dessin ni plans anciens des bâtiments
subsistants ou disparus.
FIG. 1.
L'ABBAYE DE SAINT-LÉGER. DESSIN ANONYME (xvme SIÈCLE). VUE DU SUD-EST.
(Cliché J. Marilier.)
SAINT-LÉGER DE CHAMPEAUX 241
(sans doute avant 1800) du prieuré. En arrière plan sur ce dessin
on distingue un second clocher, celui de l'église paroissiale et sur la
droite un troisième, celui du chœur de l'ancienne église. Tous les bâti-
ments en U avec combles à toits
brisés16
bis
qUi figurent devant, ont
disparu ainsi que la tour carrée qui en flanque l'extrémité droite.
Celle de gauche est encore debout ainsi que le bâtiment qui la
prolonge 17, vers le Nord. Ce qui demeure surprenant quand on
examine cette représentation peinte, c'est le vide entre le premier
et le second clocher. Sur place on ne trouve aucune explication
puisque ce vide se retrouve dans l'absence de toute construction
à l'Est du premier clocher. En fait ce sont les textes qui nous per-
mettent le mieux de comprendre ce vide. En effet toutes les visites
du prieuré au xvme siècle notent que la nef est ruinée et un texte
de 1674 précise même qu'après « la chute de la nef on a fermé le
chœur avec un mur qui a paru fait depuis environ 15 ans 18. »
Cette destruction doit être imputée aux troupes de Gallas qui
pillèrent la région en 1636. On ne relèvera jamais cette nef alors
que l'on réparera et reconstruira les bâtiments monastiques, ceci
surtout à partir de 1738, après avoir détruit le cloître qui avait
été pourtant jugé en assez bon état en 1721 19.
Grâce aux mêmes procès-verbaux de visites effectuées réguliè-
rement par l'abbaye Saint-Germain d'Auxerre, nous avons des
indications assez précises sur les mesures des principales parties
de l'abbatiale avant destruction ou transformation : ainsi la visite
du 11 avril 1674 précise que : « l'enclos du prieuré a 156 toises de
pourtour, la toise comptée pour six pieds, cet enclos a paru aussi
ancien que le prieuré à la réserve de vingt toises du côté du midi
qui ont été depuis douze ou quinze ans. L'enclos est entouré de
16 bis. Ce sont certainement les bâtiments reconstruits par l'abbé Lefèvre
de Caumartin dont les plans et devis ont été faits en 1742 par Saimac, et
auxquels on travaillait encore en 1758 (Arch. dép. de la Côte-d'Or, H 38/744
et C 4282, dans un relevé général de 1762, on reconnaît le plan de masse
des bâtiments).
17.
C'est sous cette tour carrée qu'a été découvert réutilisé comme marche
d'escalier un fragment de pierre tombale où l'on reconnaît le dessin d'un ange
thuriféraire dont le style rappelle les dalles funéraires sculptées du xivé siècle.
Au-dessus de celui-ci débute l'inscription qui devait encadrer la pierre : « Hic
iacet frater Guillermus de Vau... ». Pour M. Camp, il s'agirait de Guillaume
de Vaucemain, prieur attesté entre 1315 et 1323.
Le bâtiment qui s'appuie au nord sur cette tour ne se situe pas tout à fait
dans le même axe ; sa construction peut être datée par le style de ses ouvertures
du début xix°. Une plaque de cheminée porte la date de 1827 et les initiales
J. P. qui sont certainement celles du colonel et baron Jules Antoine Paulin,
propriétaire de l'ancien prieuré jusqu'en 1875.
18.
Archives du Château de Saint-Léger, procès-veibal de visite du 11 avril
1674.
19.
Arch. dép. Yonne, H 1067, procès-verbal de visite du 10 avril 1721.
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