ARTICLE DE REVUE 489
Un défi de prise en charge individuelle et biopsychosociale
Escarres – un update
Anke Scheel-Sailera, Christoph Plattnerb, Beat Fckigera, Barbara Lingc, Dirk Schaeferc, Michael Baumbergera,
Reto Wettsteinc
a Schweizer Paraplegiker-Zentrum, Nottwil; b Praxis Christoph Plattner, Meggen; c Plastische, Rekonstruktive, Ästhetische und Handchirurgie,
Universitsspital Basel
Les escarres de cubitus sont des plaies complexes qui cessitent une prise en
charge interdisciplinaire. Malgré de vastes mesures pventives et trapeutiques,
les taux de complication et de récidive restent élevés et demandent de nouvelles
stragies trapeutiques.
Introduction
Les escarres sont des sions cutaes qui, par ni-
tion, n’évoluent pas selon le principe normal de gri-
son des plaies. Elles représentent, en dehors des infec-
tions, toujours et encore une des complications les plus
fréquentes durant l’hospitalisation [–]. Malgré l’opti-
misation des stragies de prévention, les nouveaux
cas de survenue d’escarre se produisent dans les unis
de soins intensifs chez près de % des patients. La p-
vention ainsi que la prise en charge des escarres est un
challenge en soi, et ce, à diérents niveaux. En raison
du taux élevé de récidives après traitement chirurgical
ainsi que du grand nombre de patients sujets à plusieurs
cidives d’escarres, de nouvelles stragies de prise en
charge sont cessaires. Une ponse possible étant
l’instauration d’une prise en charge coordone et inter-
disciplinaire [].
Les escarres supercielles (derme partiellement intact)
guérissent gce aux mesures conservatives, pour les
escarres profondes (avec perte complète du derme) une
prise en charge chirurgicale est indiquée. En principe,
toutes les escarres pourraient guérir dès lors que le
principe de charge est appliqué, et à condition que
les parties osseuses ne soient pas exposées, cependant
la zone cicatricielle qui en résulterait serait instable et
aurait tendance à cidiver. De même, la durée jusqu’à
guérison compte est signicativement plus élevée
ainsi que les besoins en soins de plaie et charge en
comparaison avec une prise en charge chirurgicale.
Une prise en charge interdisciplinaire structurée entre
dans le cadre du modèle international de classication
de la capaci fonctionnelle et du handicap crit par
l’OMS (ICF, WHO ). Dans cette classication, le pa-
tient est crit, au-de de son diagnostic, en terme d’ac-
tiviet de participation, mais aussi par son contexte
bio-socio-psychologique. Cet ICF propose un cadre in-
ressant pour structurer le discours et les responsabi-
lis qui en découlent []. Une documentation standar-
die et structue nous semble être la base pour une
bonne prise en charge ainsi que pour une alioration
des stratégies de pvention.
Les recommandations pour la prise en charge et la pré-
vention des escarres ont é retravaillées selon l’état
actuel des connaissances en octobre  dans les
recommandations internationales de l’European Pres-
sure Ulcer Advisory Panel (EPUAP) et de l’US National
Pressure Ulcer Advisory Panel (NPUAP) [,]. Les chan
ge-
ments principaux sont l’utilisation d’échelles d’évalua-
tion, la preuve scientique concernant certains facteurs
de risque comme l’humidi, les forces de cisail lement,
l’approfondissement des connaissances en matre de
modications psychologiques sous-jacentes, ainsi que
la preuve de résultats de certaines thérapies complé-
mentaires comme l’électrostimulation, et enn la -
Anke Scheel-Sailer
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nition de la prise en charge interdisciplinaire prenant
en compte les facteurs biopsychosociaux. Tout comme
pour la prise en charge de nombreuses autres patholo-
gies chroniques ingrant des règles baes sur les don-
es scientiques, l’adaptation des standards à la situa-
tion individuelle du patient et de la plaie en elle-même
fonde la base d’une prise en charge de quali.
Etant donné que la prévention primaire et secondaire
corrèlent étroitement avec les principes de prise en
charge, nous crirons ces deux aspects en me
temps.
nition, classication
et physiopathologie
nition
«Une escarre est une sion limitée de la peau et/ou
des tissus sous-jacents, en ral en regard de reliefs
osseux, faisant suite à une pression ou une pression
combinée à des forces de cisaillement. Il y a une série
de facteurs supplémentaires impliqués de manière
factuelle ou supposée, mais dont la signication est en-
core à déni [].
Classication
La dénition de la classication recommane actuel-
lement se trouve dans les «règles de pvention des
escarres» (g.) [].
La plaie se présente souvent dans plusieurs stades de
gravité concomitants et sera classiée selon le degré -
sionnel le plus profond. An de reconnaître cette classi-
cation dans le cadre d’une conférence de consensus,
l’EPUAP propose l’acs libre à un programme de forma-
tion de qualité (http://www.puclas.ugent.be/puclas/fr/).
Le diagnostic d’escarre englobe le degré et la localisa-
tion. Les escarres sont nommés d’après le relief osseux
sous-jacent (tab., g.) []. La classication en stades
crite par le pas par Seiler et Staehlin [] (propre vs
infectée) devrait à présent apparaître comme mesure
de l’infection dans la documentation de la plaie ou
dans le diagnostic de l’inammation sysmique (sep-
sis). Le stade V selon Daniel et al. [] (ulration impli-
quant l’os) sera à psent décrit comme stade IV selon
l’EPUAP et complée avec le diagnostic d’«ostéomyé-
lite». La raison de cette classication modiée coule
de la nécessité de classier les lésions de manre pure-
ment clinique. Ainsi, la suspicion d’ostéomlite peut
être clinique, et la conrmation nécessite une biopsie
osseuse, qui elle-même pourra être ou non compe
par un examen radiologique.
Physiopathologie
Les escarres surviennent dans le cadre d’une pression
continue exercée sur les parties molles en regard des
reliefs osseux. Alors qu’une pression élevée mais de
courte durée sera bien tolée, une pression continue
surieure à la pression capillaire arrielle de  mbar
entraîne un manque en oxyne et en éléments nutri-
tionnels sultant en une sion tissulaire []. De ma-
nière compmentaire, une pression continue supé-
rieure à la pression capillaire veineuse de  mbar
entraîne une accumulation de tabolites toxiques,
de lymphe et ainsi une sion tissulaire. Dans les suites,
les capillaires se dilatent, la perabilité capillaire
augmente, des œdèmes et microthromboses locales se
produisent, provoquantnalement une nécrose tissu-
laire localie. Par ce procédé complexe avec inter-
action de réactions tissulaires de protection d’une part
et lésionnelles d’autre part, la courbe individuelle de
torance à la pression joue un le important []. En
outre, les phénones suivants sont impliqués: forces
de cisaillement, modication du système nerveux au-
tonome et de la capacité de régénération des tissus
[,].
D’une part, les diérents types tissulaires impliqués
(peau, tissus adipeux, muscle et os) ont des degrés de
sistance à l’iscmie qui dièrent, d’autre part, les
particularités physiologiques des diérentes localisa-
tions anatomiques entraînent des constellations de
risques particulières [].
Les escarres issues de la surface sont considérablement
inuencées par les forces de cisaillement et le degré
d’humidi []. Les escarres issues de la profondeur se-
ront pour leur part plutôt provoqes par la pression
tée et les forces de cisaillement.
Les escarres doivent être diérenciées cliniquement
des intertrigos ou des macérations cutaes. Pour ces
derniers, l’humidiainsi que les modications cuta-
es émanant de la surface souvent combinées à des
Tableau 1: Localisation et lieux de prédilection pour les escarres.
Localisation En décubitus
dorsal
En position
assise
En décubitus
laral
Sacrum, coccyxxxx xx
Turosité ischiatique xxxx
Talonxxxx
Maolexx
te du 5e métatarsienx (chaussure)
Hanches latérales
(tubercule majeur du fémur)
x
Occiput x
Coudex
Scapulax
Crête iliaquex (corset)
Processus épineux vertébrauxx
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Figure 1: Classification, catégories/stades/degrés I–IV, non classifiable et lésion tissulaire profonde [4].
A: Cagorie/stade/degré I: rougeur circonscrite et ne disparaissant pas à la pression avec peau intacte, habituellement en regard de reliefs osseux.
La région peut être plus douloureuse à la pression, indurée, plus souple, plus chaude ou plus froide que les tissus avoisinants.
B: Cagorie/stade/degré II: atteinte partielle de la peau (jusqu’au derme), qui se présente sous forme d’ulcère plat au lit rosé et sans revêtement de
fibrine. Dans certains cas peut se présenter sous forme de phlyctène remplie de liquide séreux intacte ou partiellement rompue. Se manifeste aussi
entant qu’ulre plat brillant ou sec, sans tissus nécrotiques ou hématome.
C: Cagorie/stade/degré III: atteinte de toutes les couches de la peau. Le tissus sous-cuta peut être visible, contrairement aux parties osseuses,
muscles ou tendons. Il peut y avoir un revêtement de fibrine, mais cela ne permet pas de déterminer la profondeur de la lésion. Il peut y avoir des canaux
ou des defects sous-jacents. Les os ou tendons ne sont pas visibles ou palpables.
D: Catégorie/stade/deg IV: complète perte cutanée ou tissulaire / perte cutanée totale avec os, tendons ou muscle expos. Il peut y avoir un revêtement
ou une croûte. Un tunnel ou defect sous-jacents sont souvent présents.
E: Catégories supplémentaires / stades aux Etats-Unis: non-classifiable: perte cutanée ou tissulaire complète – profondeur non interprétable. Perte
cuta e outissulaire complète dans laquelle la profondeur pcise est dissimue par un retement (jaune, jaune fon, gris, vert ou marron) ou une
croûte (jaune fon, marron ou noire). Il n’est dans ce cas pas possible de détermner la profondeur de la plaie sans retirer le revêtement, il s’agit en
néral de catégorie III ou IV. Des croûtes stables et ches au niveau des talons agissent comme protection biologique de la plaie et ne doivent pas être
retirées.
F: Suspicion de lésion tissulaire profonde, profondeur inconnue. Zone violae ou rouge-marron, peau intacte ou vésicule emplie de sang en raison
de lalésion des tissus mous sous-jacents.
Reproduction avec l’aimable autorisation du Centre suisse des paraplégiques.
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mycoses, sont en premre ligne. Les zones de pdilec-
tion conceres sont les plis inguinaux, la gion scro-
tale ou la région sacrée comme pour les escarres. La
prise en charge comprend au-de du contle de l’hu-
midité, la décharge et aussi les antimycotiques locaux
voire les antibiotiques dans certains cas.
La prise en charge globale des escarres
Selon les possibilités de charge, certaines escarres
peuvent être prises en charge en ambulatoire. L’impli-
cation rapide des centres spécialis (consultation des
plaies, consultations spécialies, chirurgiens plasti-
ciens) est primordiale, étant donné la longue due de
guérison, le risque de perte de motivation du patient
augmente ainsi que le risque d’aggravation de la plaie
jusqu’à des lésions de troisième degré ou des infections
locales. En cas de stagnation de l’état clinique, une prise
en charge hospitalière est souvent recommandée.
La prise en charge interdisciplinaire des escarres de-
vrait être structue, correspondre à un scma établi
propre à l’établissement, et inclure une coordination
régulre au sein de l’équipe (g.). Dans ce cadre,
lesinterventions doivent être discutées et planiées de
manière optimale dans le but de faciliter la guérison
dela plaie dans un but de prophylaxie des récidives
lors la phase de mobilisation.
Ceci inclut par exemple l’évaluation des facteurs de
risques d’un point de vue de médecine interne, l’éva-
luation de l’opérabili par les anestsiologistes avant
Figure 2: Localisation en regard des reliefs osseux.
A) Lieux de prédilection pour les escarres en décubitus dorsal. B) Lieux de prédilection pour les escarres en position assise. C) Lieux de prédilection
pour les escarres en décubitus latéral. Reproduction avec l’aimable autorisation du Centre suisse des paraplégiques.
Figure 3: Concept de prise en charge interdisciplinaire au Centre suisse
des paraplégiques, 2015.
Reproduction avec l’aimable autorisation du Centre suisse des paraplégiques.
Evaluation
Guérison
Conservateur
Mobilisation
croissante
Escarre
Concept de chirurgie plastique
Prise en charge chirurgicale
Médecine interne générale
Diagnostic et traitement des comorbidités
Physiothérapie
Thérapie respiratoire, renforcement, entraînement aux transferts, électrostimulation fonctionnelle
Soins
Traitement des plaies selon le concept TIME, soins cutas, éducation
Ergothérapie
Evaluation et adaptation des moyens d’aide, entraînement aux transferts,lm sur les escarres
Conseils nutritionnels
Recommandations de pratique nutritionnelle basées sur l’évidence
Psychothérapie intégrée
Individualisée, psychoéducation, thérapie des traumatismes, stratégies de coping
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le traitement chirurgical plastique, la thérapie respira-
toire par les physiotrapeutes lors de la phase d’immo-
bilisation, l’entraînement aux transferts par les ergo- et
physiothérapeutes lors de la lente phase de mobi lisa-
tion progressive, et la prise en charge psychotrapeu-
tique ingrée lors de tout le séjour hospitalier, adaptée
aux possibilités et besoins individuels du patient.
En raison des diérents groupes de professionnels im-
pliqués dans la mise en place du concept global de prise
en charge, les grandes priorités en terme de direction
et de responsabiliglobale sont à dénir. Ainsi, la res-
ponsabili principale peut être endossée par ex. par le
médecin de famille en milieu ambulatoire, le médecin
de réadaptation, le riatre ou l’interniste au cours de
la phase de traitement conservateur en milieu station-
naire ou le chirurgien plastique lors de la prise en
charge p- et postopératoire directe accompage de
ses s spéciques. Dans le contexte de légation
des responsabilis, un case manager ayant un back-
ground inrmier ou de trapeute pourrait prendre en
charge la coordination. Il est en tous les cas évident
que le responsable principal doit être pleinement
conscient de la complexi et des ches qu’implique la
coordination, et qu’il doit ingrer activement les
autres disciplines dans le processus thérapeutique.
Les escarres sont des plaies complexes, c’est pourquoi
une documentation standardisée et gulière est pri-
mordiale an d’évaluer la guérison. Cette documenta-
tion devrait avoir lieu régulrement, en cas de change-
ments particuliers de la plaie, ou en cas de changement
de régime de pansement, et doit comprendre les cri-
res suivants []:
Description de l’escarre: degré selon la classication
en vigueur, localisation, date de la première évalua-
tion, taille, particularis comme stules, creux,
description des parties de la plaie comme les -
croses, la granulation, les signes d’infection, et l’état
de la peau en périprie.
Description de la prise en charge: phase de net-
toyage, protection des bords de la plaie, pansement,
xation du pansement et fquence de changement
de pansement.
Documentation photographique, accord du patient,
technique photographique standardisée selon le
même angle et la me distance avec une gle cen-
timétrique.
La prise en charge des escarres profondes (degrés III et
IV) peut être sous-cagorie en ces  principes selon
le «Basler Dekubituskonzep, parmi lesquels les es-
carres superciels (degrés I et II) ne nécessitant pas de
prise en charge chirurgicale [, ].
charge;
prise en charge de la plaie;
bridement, contle de l’infection et conditionne-
ment de la plaie;
prise en charge des comorbidités, des facteurs de
risque, et optimisation de l’état nutritionnel;
recouvrement cutané (chirurgie plastique);
éducation, soins de suite, prophylaxie.
Ces principes ont été créés dans la prise en charge des
patients de riatrie et sont particulrement à relati-
viser dans le cadre de la prise en charge de patients plé-
giques. Les escarres supercielles ne cessitent pas
toujours de prise en charge chirurgicale.
Décharge
Sans décharge une escarre ne peut pas grir. Lors de la
charge, se produit un rétablissement imdiat de la
Tableau 2: Matelas spécialisés.
Construction Principe de prise en chargeIndication Avantages et inconnients
Courant d’air continu Pression homogène et continue
encharge maximale
Risque d’escarre éle ou escarre à sur-
face importante dans la phase aig,
éventuellement aussi en postopératoire
cessité d’une alimentation en électrici
curisée, nuisance sonore constante
Thérapie à pressions
alteres
partition des pressions alteres
grâce au remplissage alternatif des
chambres pneumatiques
Risque d’escarre moyen, ou phase
postopératoire
cessité d’une alimentation en électrici
curisée, nuisance sonore modérée
Principe «Turn Soft»Matelas en mousse avec possibili de
changements de position continus grâce
au repositionnement sur le matelas ou
lesommier
Risque d’escarre modé à moyen,
possibili d’activité indépendante
cessaire
Alimentation électrique pour le mode
depositionnements passifs, stabili
possible pour les transferts
Chambre à air Certain degré de décharge à l’aide
del’adaptation au corps et des
changements positionnels passifs
Risque d’escarre modéPas d’alimentation électrique nécessaire,
techniquement peuable, contrôles
cessaires
Construction ou mousse
spéciale
Décharge statique grâce à l’augmentation
de la surface de contact
Risque d’escarre modéPlus grande stabili pour l’activité
indépendante, ct moindre
Matelas normalPas de risque d’escarre Couche inférieure plus dure, nécessité de
changements positionnels réguliers
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