Mansour Amrouche, auteure de l’ouvrage Histoire de ma vie, et la sœur de Jean El-Mouhoub Amrouche, écrivain
algérien de renom. Exilée dans un autre pays, exilée dans une autre religion, exilée dans une autre langue,
Marguerite Taos Amrouche, auteure de nombreux ouvrages et romans et interprète des chants traditionnels
berbères, est restée l’Algérienne qu’elle a toujours été, la Berbère qu’elle n’a jamais cessé d’être, la passionnée
de la culture algérienne qui a toujours été la sienne. Elle fut la première Algérienne à publier un roman, Jacinthe
noire, en 1947. Elle a donné sa voix exceptionnelle aux chants berbères de Kabylie ; c’est à ce titre qu’elle fut
invitée pour se produire sur de nombreuses scènes d’art et de culture, notamment à Paris, Madrid, Barcelone,
Dakar, Florence et Rabat. Le pouvoir algérien de l’époque l’a cependant privée des honneurs qu’elle méritait et
ne l’invitera même pas au Festival culturel panafricain d’Alger, en 1969.
Elle sera, par contre et pour une juste réparation de reconnaissance, invitée pendant cette période, à Alger, par
les étudiants de l’université d’Alger, devant lesquels elle déclamera, avec émotion et fierté, ses poèmes et ses
chants. Elle participera, à Paris, en 1966, à la fondation de l’Académie berbère. Ses principaux romans sont :
Jacinthe noire (1947), Rue des tambourins (1960), L’amant imaginaire (1975). Elle laisse également un recueil
de poèmes, histoires et proverbes kabyles Le grain magique (1966). Ses disques ont sauvé, à jamais, de l’oubli,
les Chants traditionnels berbères de Kabylie qu’elle tenait de sa mère, auxquels elle a donné sa merveilleuse
voix et qu’elle a chantés, pour la première fois en public, au premier Congrès de musique marocaine de Fès, en
mai 1939, à l’âge de 26 ans. C’est à cette occasion qu’elle a été nommée pensionnaire de l’Académie espagnole
de Musique, La Casa Vélasquez de Madrid. Au-delà de ce parcours exceptionnel, il y a aussi le lien émotionnel
intense, le lien charnel, qu’elle entretenait avec son pays et son peuple, elle qui a été projetée d’un exil à un
autre, d’une rupture à une autre, d’une incompréhension à une autre. Comment retrouver les signes de cette
vie bouleversante, sinon dans ses écrits les plus spontanés ? Dans ces écrits qui ne sont pas retravaillés ou
réécrits sous le regard d’un éditeur exigeant. Dans ces écrits, on retrouve l’émotion, non plus celle d’une femme
écrivaine et chanteuse d’opéra, mais l’émotion brutalement ressentie au plus profond d’elle-même. On y
découvre l’émotion d’une Algérienne blessée par l’exclusion qu’elle a connue et vécue avec douleur. On y
découvre aussi ses espérances pour une Algérie dont elle rêvait, comme d’un fruit à cueillir avec tendresse. On
y découvre le cri d’une femme meurtrie par l’incompréhension d’hommes politiques désincarnés de la vérité de
leur société.
On y découvre aussi cette prémonition, qui était la sienne, qu’un jour les jeunes de son pays viendraient à bout
de toutes les injustices et de tous les oublis. Elle n’a eu le temps de vivre ni Avril 80, ni Octobre 88, mais elle
pressentait qu’un jour meilleur viendrait grâce à une jeunesse algérienne bouillonnante du désir de liberté. Dans
ces extraits de lettres, on pourra suivre ses appels au pays qui lui manque, à ce pays que lui ont arraché ses
exils et ses exclusions. Elle ne cessait de se voir, comme dans un récit fabuleux, parcourant l’immensité de
l’Algérie et en même temps toute sa beauté. Dans ces extraits de lettres, nous suivrons, impuissants, son long
combat contre la douleur d’une maladie qui l’arrachera à la vie ; une vie qu’elle voulait prolonger pour voir se
réaliser son rêve le plus fou, celui de revoir son pays, sa Kabylie, son Algérie, de se réapproprier ces objets si
simples d’une vie simple qu’elle voulait revivre. Comment, à l’écouter nous lire ses lettres, ne peut-on point
sentir cette fragilité et cette force de résistance qui était la sienne ? Comment ne pas ressentir pour Nna Taos,
l’émotion communicative qui était la sienne ?
Écoutons-la donc lire ses propres mots écrits de sa propre main et essayons de reconstruire, avec elle, son
univers intime.
Paris, le 4 janvier 1970
Mon cher et fidèle Mohand. Ton télégramme m’est bien arrivé (lors du récital de Taos Amrouche, à Rabat), qui
m’a apporté la sève de tous les jeunes arbres de chez nous, de notre terre, qui poussent droit, sous la lumière
de Dieu, sous le soleil des ancêtres. J’avais tant besoin de cet apport. Je me suis battue là-bas avec foi et j’ai
triomphé (...). Les applaudissements, au cours de la dernière séance, sont allés à une ‘triomphatrice’, déchirée
et transformée en fontaine de larmes !! (…). J’ai reçu également ta si émouvante carte. Le ton (le tien) est
toujours aussi juste, aussi calme, résolu et ferme et aussi fier.
Cette année sera décisive ‘Assegwass agi da ssegwas amervouh !’. Celle des prises de conscience, des réveils.
L’année du bonheur. (…) Mon 3e disque sera en vente en janvier (ces jours-ci) Les chants de l’Atlas. Traditions