POLITIQUE CRIMINELLE APPLIQUEE
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Apparu en Allemagne4 au début des années 1980, le phénomène des black blocs
constitue, selon le ministère de l’Intérieur, un avatar de l’« ultra-gauche mouvance
anarcho-autonome »5. Il s’agit de « regroupements ponctuels d’individus ou de
groupes affinitaires constitués le temps d’une manifestation » qui, tous vêtus de
noir6, recourent à « une forme d’action collective » qui « consiste (...) à manœuvrer
groupés de sorte à prendre l’apparence d’un bloc au milieu duquel chacun préserve
son anonymat » afin « d’indiquer la présence dans la manifestation d’une critique
radicale du système économique et politique »7, éventuellement en s’attaquant à
des cibles symboliques8. Structure informelle et décentralisée, le black bloc
4 L’expression « black bloc » est une traduction de « schwarze block », qualificatif élaboré par la
police allemande pour désigner les groupes d’autonomes qui, au cours des années 1980, se sont, pour
divers motifs, affrontés aux forces de l’ordre lors de manifestations (étudiantes, Berlin, décembre
1980; pour la défense des squats, Hambourg, 1986; contre la visite du président des Etats-Unis
d’Amérique, Berlin, 1987 ou contre la réunion de la Banque mondiale et du Fonds monétaire
international, Berlin, 1988). Pour une « autobiographie » du phénomène, cf. D. Young, Autonomia
and the Origin of the Black Bloc, 2001, disponible sur www.ainfos.ca
5 Selon la formule adoptée par Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, pour qualifier le groupe
d’individus arrêtés à Tarnac le 11 novembre 2008. Le qualificatif « anarcho-autonome » apparaît
pour la première fois dans le rapport des Renseignements généraux au gouvernement intitulé
« Extrême-Gauche 2000 », remis en juin 2001. Il remplace l’expression « anarcho-libertaire », utilisée
antérieurement mais sémantiquement pléonastique. Il est utilisé dans une note de la Sous-direction
antiterroriste de la Direction centrale de la police judiciaire, intitulée Renseignements concernant la
mouvance anarcho-autonome francilienne, en date du 26 janvier 2008 puis dans une note de la Direction
des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, en date du 13 juin 2008 qui atteste de
l’adhésion de l’ensemble de la « chaîne pénale » à la terminologie policière.
6 Outre à rendre l’identification des participants plus délicate, l’« uniforme » noir que se doivent
d’arborer les individus qui prennent part au groupe est destiné à marquer la solidarité des membres,
l’égalité entre eux et à symboliser leur unité en créant un effet de masse. Le choix du noir constitue
une référence à la couleur de l’anarchie.
7 F. Dupuis-Déri, Les black blocs - La liberté et l’égalité se manifestent, 3ème éd., Lux, coll. Instinct
de liberté, 2007, p.13
8 Les « actions directes » des black blocs consistent principalement dans l’exercice de violences
contre les forces de l’ordre, la destruction ou la dégradation de locaux appartenant aux entreprises
qu’ils identifient au capitalisme mondialisé ou à l’ordre bourgeois (par exemple, tag « Omnia sunt
communia » apposé sur le Baptistère Saint-Jean, plus vieil édifice chrétien de France). Certains
proposent d’aller plus loin dans l’action violente en revendiquant la pratique des black blocs comme
un des moyens de déstabiliser l’Etat (Comité invisible, L’insurrection qui vient, La Fabrique, 2007).
Néanmoins, contrairement aux raccourcis opérés dans la communication du ministère de l’Intérieur,
la constitution d’un black bloc au sein d’une manifestation n’emporte pas systématiquement
perpétration d’exactions. En outre, les modes d’action adoptés par les « autonomes » ne sauraient se
résumer à l’exercice de violences (I. Pereira, Anarchistes, La ville brûle, coll. engagé-e-s, 2009,
pp.108-109; C. Rollot, « Jeudi noir ou les squatteurs surdiplômés de la place des Vosges »,
Le Monde, 26 novembre 2009, p.13; L. Noualhat, « La tactique du commando à vélo », Libération,
16 décembre 2009, p.19; S. Maurice, « L’Etat empêche un nouveau Sangatte à Calais », Libération,
8 février 2010), ni même d’actes illégaux [groupes de clowns: à l’occasion du Sommet de l’Union
européenne de Göteborg, en juin 2001, T. Blair avait qualifié les protestataires de « anarchist
travelling circus » (cirque anarchiste itinérant). En réaction, des activistes fondèrent, lors du sommet
du G8 de Gleneagles en 2005, la Clandestine Insurgent Rebel Clown Army (Armée clandestine
insurrectionnelle de clowns rebelles), devenue depuis lors un groupe récurrent des contre-sommets
altermondialistes dont l’activisme consiste principalement dans le blocage des voies de circulation et
l’exécution de pitreries aux abords des zones dites «vertes»].