La Campanie: enjeu de touts les convoitises

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La première guerre punique
Les Guerres Puniques ont une importance considérable dans l’histoire romaine. Si
les Guerres Samnites marquent la dimension italienne de Rome, les Guerres Puniques
marquent sa dimension méditerranéenne. Première guerre avec Carthage devait durer 23
ans, se dérouler sur terre et sur mer en Sicile, en Afrique, dans les eaux tyrrhéniennes et
aboutir à la main mise de Rome sur la Sicile. Point le plus important est le développement
de la puissance navale des Romains. Ils n’utilisaient que des bateaux tarentins et napolitains
et se décident à se lancer sur mer en 261. Rome, avant même la fin des guerres samnites,
avait des ambitions maritimes, comme nous pouvons le constater avec la fondation du port
d’Ostie à la fin du IVe s., celui de Pouzzoles au IIIe s. et la création de deux amiraux en 311
à une époque où Rome ne disposait que des flottes de ses alliées et en particulier de Naples.
I- Les origines de la guerre :
Avec la soumission de Tarente en 272, Rome, vainqueur des Samnites, des
Lucaniens, des Etrusques et des Celtes est maîtresse de presque toute la péninsule. Elle
tourne désormais son regard vers la Sicile qui, depuis le VIIe s., est partagée entre les cités
grecques sur la côte orientale et les cités puniques sur la côte occidentale. Quatre traités
d'alliance ont été signés entre Rome et Carthage qui avaient le plus souvent des ennemis
communs:
- 509
- 348
- 306 (détroit de Messine comme zone d’influence)
- 278 (interdiction de paix séparée avec Pyrrhus)
Ces traités fixaient les zones d'influence politique et de commerce de chaque cité. Carthage
possédant des cités en Sicile, en Espagne méridionale, en Sardaigne et dans les îles Lipari,
avait fixé comme frontière maritime entre zones punique et romaine le détroit de Messine.
Carthage avait consolidé ses possessions en Sicile occidentale et ne cessait, depuis la bataille
d’Himère de 480, de lutter contre la cité grecque de Syracuse.
Deux cités chalcidiennes qui contrôlaient le détroit de Messine, Rhegion et Messine,
l'ancienne Zancle, étaient entre les mains de mercenaires campaniens qui, du côté sicilien se
faisaient appeler les Mamertins, les enfants de Mars. Le tyran Hiéron II de Syracuse voit
d’un mauvais œil la prise du pouvoir de cette cité grecque par des mercenaires qui
organisent des expéditions de pillage dans son territoire. Après avoir vaincu les mercenaires
campaniens en rase campagne, il décide de faire le siège de Messine. Face à cette menace,
les Mamertins envoient au sénat romain une ambassade pour proposer une alliance mais
font la même proposition aux Carthaginois. Le sénat ne sait quelle réponse apporter à ces
individus, certes de sang italien, mais qui ne sont que des mercenaires qui ont pris le
pouvoir par la violence dans une ville grecque. C’est un consul, Appius Claudius Caudex,
qui obtient l’appui populaire et réussit à faire voter l’intervention militaire par les comices.
Pour remporter l’adhésion populaire, il a utilisé l’argument du butin fabuleux qu’il était
possible de faire en Sicile, mais cette rupture du traité de 306 est motivée par la peur que
Carthage ne s’empare de toute la Sicile et devienne ainsi une puissance colossale aux portes
même de l’Italie.
Pour la première fois de leur histoire, les légions romaines mettent le pied en-dehors
de la péninsule italienne. Toutefois, les Carthaginois ont eux-aussi répondu favorablement à
la demande des Mamertins et ont installé une garnison dans la forteresse de Messine. La
guerre n'étant pas officiellement déclarée, chacun attend que l’autre déclenche les hostilités
et prenne du coup la responsabilité de la guerre. Grâce à une ruse, les Romains réussissent
à s'emparer de la personne de l'amiral carthaginois et ne le libèrent qu'à la condition que
celui-ci quitte Messine avec ses troupes. L'amiral retourne à Carthage et, dès son départ, les
légions s’installent à Messine sans coup férir et sans avoir déclenché les hostilités. Le Sénat
de Carthage, humilié, décide de condamner le général responsable au supplice de la croix
et de déclarer officiellement la guerre à Rome.
II- Les événements militaires :
Commençant en 264, la guerre durera jusqu'en 241, avec comme théâtres
d'opérations la Sicile et l'Afrique du nord. Appius Claudius Caudex installé avec ses
troupes à Messine commence les opérations militaires contre Hiéron II de Syracuse qui doit
se soumettre en 263. Rome dispose donc à partir de cette date, de trois grands ports grecs :
Tarente, Naples et Syracuse. Ce sont des navires grecs qui assurent le ravitaillement des
troupes ainsi que leur transport. Carthage décide de concentrer ses troupes de mercenaires
ibères, africains, Baléares, Celtes dans la cité d’Agrigas, l’ancienne Agrigente, devenue
punique.
Au printemps 262, après 6 mois de siège, Agrigente est prise et les légions
romaines sont désormais très proches des possessions carthaginoises de Sicile. Mais si Rome
bénéficie de trois grands ports grecs elle ne peut empêcher la venue incessante, de la part de
Carthage, de vivres, de matériel et d’hommes par voie maritime. Les Carthaginois étant
maîtres d’une partie de l’Afrique du Nord, de l’Espagne du Sud, des Baléares et de la
Sardaigne,
ils
disposent
ainsi
de
ressources
inépuisables
en
hommes
et
en
approvisionnements. Rome, puissance terrestre doit devenir une puissance maritime et
faire la guerre sur mer. Et pour construire ces nombreux navires de guerre, les équiper et
recruter ses équipages, Rome doit faire appel aux cités étrusques et grecques ayant une
longue tradition maritime, et, parmi celles-ci, Naples joue un rôle primordial. La
Campanie, par sa proximité géographique des lieux de combat sert de base logistique à
Rome. Son économie est orientée vers l'approvisionnement des troupes, en blé et en
matériel tandis que la construction navale à Naples devient de plus en plus importante. Dès
261, sont mises en chantier 100 quinquérèmes et 20 trirèmes tandis que les futurs équipages
de ces navires sont entraînés, en particulier par les marins grecs sur la terre ferme. Mais
entre la théorie et la pratique, il y a un monde et les défaites navales des Romains sont
incessantes, à tel point que les Carthaginois, loin de s’effrayer à l’arrivée de navires
romains, s’amusent de leurs manœuvres lentes et maladroites. Toutefois, une première
grande bataille navale est remportée par Rome en 260 au large de Mylès. Les Romains ont
en effet inventé un procédé technique qui leur permet de faire sur mer un type de guerre
qu’ils connaissent bien et pour lequel ils ont l’avantage : le combat au corps à corps. Cette
invention, c’est le corbeau qui permet d’éviter l’éperonnage pour imposer l’abordage : ainsi
sont présents sur une quinquérème romaine 250 rameurs, 40 soldats de marine et 25
légionnaires. Les Carthaginois, inquiétés par le fait qu’ils ne sont plus les maîtres sur mer
se lancent dans une intense activité de construction navale, suivis par les Romains. En 256,
ce sont des flottes considérables qui s’affrontent : 330 navires romains s’opposent à 350
navires carthaginois sur la côte méridionale de la Sicile, à Ecnome.
Forts de leur apparente supériorité sur mer, les Romains décident de porter la
guerre en Afrique. Une expédition est envoyée en 255, commandée par le consul Atilius
Régulus, qui s’empare de la ville de Tunis au printemps 255. Mais les Carthaginois font
appel à un mercenaire lacédémonien, Xanthippe, et, comme à l’époque de Pyrrhus, les
phalanges grecques l’emportent sur les légions et durant l’été 255, Atilius Régulus est fait
prisonnier avec plusieurs milliers d’hommes et une flotte est envoyée pour venir au secours
des 2000 rescapés. En 254, cette force considérable de 350 navires est détruite par une
violente tempête sur les côtes rocheuses de la Sicile méridionale. A la fin de la même année,
Panormos est prise et les opérations militaires se concentrent alors autour de Panormos que
les Puniques veulent reprendre et autour de Lilybée qui est devenue le nouvel objectif des
Romains. Mais en 253, une nouvelle flotte envoyée en Afrique est détruite par une tempête.
En 249, la flotte romaine du consul P. Claudius Pulcher fait le blocus de l’armée
carthaginoise enfermée dans Lilybée. Ce siège se termine par la défaite navale de Drépane
et une autre flotte, envoyée au secours de la première, est encore annihilée par une tempête.
Face à ces pertes terribles en hommes et en matériel, Rome décide de changer de
stratégie et de se consacrer à une guerre de raids et de pillages en Sicile pour épuiser les
Puniques et les forcer à la paix.
Mais les Carthaginois font de même en Italie et, en tant que place stratégique, la
Campanie devient dès lors un objectif militaire pour les Carthaginois. A partir de 247,
Hamilcar Barca, le père d'Hannibal, organise de nombreuses opérations de razzias et de
destructions sur la côte campanienne jusqu'à Cumes. Les Romains font de même en Sicile,
organisant le pillage des terres puniques, sans qu’aucun des belligérants n’ose se lancer
dans une opération de grande envergure, les désastres des années précédentes ayant servi
de leçon. Pourtant, il s’avère que face à ces luttes ponctuelles mais acharnées, les deux
adversaires s’épuisent sans que l’un puisse l’emporter sur l’autre.
Les Romains n’osent plus se lancer dans l’aventure maritime et ils comptaient,
depuis le désastre de Sicile, sur la supériorité des légions pour l’emporter définitivement en
Sicile en prenant les villes puniques l’une après l’autre. Mais les troupes carthaginoises sont
désormais sous le commandement d’Hamilcar Barca, un général de valeur qui sait
intelligemment s’opposer à toutes les manœuvres et attaques romaines.
L’enlisement de la guerre, les pertes humaines, l’effondrement de son économie
conduisent Rome à revenir à des opérations navales qui, seules, peuvent forcer les Puniques
à la reddition. Le Trésor Public, exsangue, ne pouvant subvenir aux dépenses nécessaires,
ce sont les hommes de la classe dirigeante qui financent la construction de 200 pentères sur
le modèle d’un navire grec très performant capturé en Sicile. La flotte est mise sous le
commandement du consul C. Lutatius Catulus. L’effet de surprise produit par l’arrivée de
cette flotte en Sicile est très fort à Carthage qui doit, rapidement, construire de nouveaux
navires, les équiper et entraîner des équipages inexpérimentés. Cette nouvelle flotte arrive
en toute hâte pour briser le blocus de Lilybée avec pour objectif de rejoindre les troupes
d’Hamilcar Barca et d’embarquer ses meilleurs hommes pour être à égalité avec la flotte
romaine forte de ses 25 légionnaires par navire. C. Lutatius Catulus, informé de l’arrivée de
la flotte carthaginoise se porte à sa rencontre devant l’île d’Aïgussa avant qu’elle ne puisse
faire sa jonction avec l’infanterie d’Hamilcar Barca. La victoire des îles Aegates est celle
qui permet à Rome de gagner la guerre.
Ainsi, la première guerre punique s'achève en 241, par la bataille navale des îles
Aegates. Carthage demande la paix alors que ses forces sont encore considérables, mais sa
population est épuisée et anéantie par plus de 20 ans de guerre. Les Carthaginois doivent
évacuer la Sicile et les îles Lipari.
Carthage, exsangue, devant payer à Rome une amende de 3200 talents, ne peut
rémunérer ses mercenaires qui dès lors se révoltent et font le siège de la ville. Hamilcar
Barca réussit à vaincre les mercenaires en 237. La même année les mercenaires de
Sardaigne se révoltent. Carthage envoie une flotte et du coup Rome menace de déclarer à
nouveau la guerre pour rupture de traité. Les Carthaginois, effrayés, doivent retirer leurs
troupes et évacuer la Sardaigne qui tombe entre les mains de Rome. Ainsi, Rome s'est
acharnée pendant plus de 20 ans et récolte, comme fruits de cette volonté ses deux premiers
territoires hors de l'Italie, la Sicile et la Sardaigne qui deviennent les deux premières
provinces romaines. La Sicile comme la Sardaigne sont en effet des territoires situés endehors de l’Italie pour lesquels il est nécessaire de créer une nouvelle forme de juridiction.
Les Romains inventent donc la provincia, c’est-à-dire le territoire à l'intérieur duquel le
Sénat romain autorise un magistrat supérieur à exercer son imperium (pro-vincia : pour
vaincre). Ce magistrat est, à l’origine, un préteur élu par le peuple romain, mais, plus tard,
ce seront des magistrats sortis de charge qui seront nommés gouverneurs. En 241 est créée
la province de Sicile et en 236 celle de Corse-Sardaigne.
III- Les Campaniens dans la première guerre punique :
Negotiatores romains surtout d’origine campanienne qui jouèrent un grand rôle durant
la guerre : pendant la révolte des mercenaires, ces marchands romains ravitaillent les
insurgés et plus de 500 se font capturer par les armées carthaginoises. Rome reconnut que
ses propres citoyens avaient fauté et interdit désormais à ses negotiatores de ravitailler les
ennemis de Carthage. En fait, ce n’est pas un hasard si ce sont des Campaniens qui sont à
l’origine de la guerre. Famille des Atilii, d’origine campanienne, qui occupe le consulat
entre 267 et 245 et il semble que la première guerre punique ait été déclenchée à
l’instigation de grandes familles campaniennes qui formaient un véritable lobby
économique à Rome et qui voulaient en finir avec cette présence carthaginoise en mer
Tyrrhénienne qui représentait une concurrence commerciale préjudiciable.
Les Campaniens sont des acteurs importants de la première guerre punique sous la
forme de marchands, de propriétaires terriens, de propriétaires de manufactures livrant
leurs produits aux légions et d’armateurs mais aussi sous la forme de mercenaires qui sont
très nombreux durant toute cette guerre dans un camp comme dans l’autre. Ce sont les
Mamertins qui sont à l’origine de la guerre. Les enfants de Mars, ce nom qu’ils se sont
donnés signifie qu’au début du IIIe s., le rituel du Ver Sacrum, du printemps sacré est
encore en usage chez les Samnites. Toutefois, comme il n’est plus possible de se consacrer à
l’activité guerrière en Italie désormais romaine, ils se font recruter comme mercenaires. Ils
furent très actifs durant la guerre contre Pyrrhus et à la fin de celle-ci, c’est désormais la
Sicile qui représente l’opportunité de se consacrer à leur passion guerrière. Le siège de
Carthage par les mercenaires, épisode fameux, est très instructif puisque les mercenaires
sont menés par deux chefs: l'Africain Matho et le campanien Spendios. Les armées
carthaginoises comprenaient donc un nombre important de mercenaires campaniens. Cette
première guerre punique nous montre donc le visage de deux Campaniens. Le Campanien
riche, parfaitement bien intégré dans le jeu politique romain et participant activement à
l’essor économique de l’Italie et le Campanien héritier des traditions guerrières samnites.
Refusant la pacification de l’Italie sous la férule romaine, il ne peut plus, après la guerre de
Pyrrhus, que jouer un rôle aux marges de l’Italie romaine, à Rhegion et à Messine. Groupes
insoumis, violents, non intégrés dans les structures sociales et politiques de l’Italie romaine,
ils sont à l’origine de la première guerre punique et peuvent continuer à mener leur vie
guerrière grâce à cette longue guerre.
Conclusion :
Cette conquête de la Sicile est d’une importance considérable en termes économiques.
La Sicile devient la terre à blé de la République romaine et, territoire en partie de culture
grecque depuis le VIIIe s., comme la Campanie, elle représente, pour les Romains, le foyer
de culture hellénique le plus important en Occident. Ainsi, la Campanie comme l’ensemble
de l’Italie du sud perd son individualité pour être intégrée dans la culture latine et
l’économie italienne. Seule Naples représente encore un foyer culturel grec en terre
italienne et un port économique important. Désormais, et ce jusqu’à la fin de l’Empire, les
zones de conflits s’éloignant de l’Italie centrale, la Campanie ne représente plus un enjeu
stratégique important. Par sa position géographique centrale dans la mer Tyrrhénienne,
elle demeure toutefois un carrefour maritime de premier ordre, raison pour laquelle sera
fondé le port de Pouzzoles, premier port commercial de la République romaine, et seront,
plus tard aménagées les infrastructures portuaires militaires pour en faire le premier port
de guerre de l’empire.
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