TROISIÈME PIERRE SUJET BAYLE, - PIERRE BAYLE PRÉCURSEUR (1647-1706) DES LUMIÈRES Je suis citoyen du monde, chevalier au service de la Vérité. Pierre Bayle Pensées sur la comète I PRÉSENTATION 1 2 3 4 I I - PIERRE BAYLE Pierre Bayle, le philosophe de Rotterdam Un précurseur des Lumières, partagé entre la France et la Hollande Ses relations avec les autres philosophes de son temps Le contexte historique de sa vie ÉLÉMENTS 1 2 3 4 DE BIOGRAPHIQUES (1647-1706) Sa naissance au Carla-le-Comte en 1647, un fils de Pasteur Ses études, notamment à l’académie protestante de Puylaurens En 1669, il entre au collège jésuite de Toulouse après s’être converti En 1670, il quitte Toulouse comme relaps et s’exile à Genève où il commence des études de théologie en 1671 5 - Il revient incognito en France, travaillant comme précepteur à Rouen en 1674 et à Paris 6 - En 1675, il est nommé professeur de philosophie et d'histoire à l’Académie de Sedan 7 - En 1680, le passage de la Grande comète, dite comète de Kirch ou comète de Newton 8 - En 1681, cette académie est fermée dans le processus de révocation de l’édit de Nantes 9 - Pierre Bayle s’exile au pays-bas et est nommé professeur de philosophie et d’histoire à Rotterdam 10 - C’est là qu’il va publier ses plus célèbres écrits à partir de 1682 11 - En 1684, il crée les Nouvelles de la République des Lettres, qui rencontre un succès européen 12 - En 1685, son frère Jacob meurt en prison après la révocation de l’édit de Nantes 13 - En 1687, il doit laisser Les Nouvelles pour raison de santé 14 - En 1690 éclate une polémique avec Pierre Jurieu 15 - En 1693, ils parviennent à le faire révoquer de sa chaire 16 - En 1701, suite à la publication de son Dictionnaire, Jurieu le dénonce comme impie au consistoire de Rotterdam 17 - Il consacre les dernières années de sa vie au développement de son dictionnaire 18 - Sa mort à Rotterdam le 28 décembre 1706 III - LES ŒUVRES 1 - Son oeuvre intellectuelle : un esprit plus qu’une doctrine 2 - Ses principaux ouvrages classés par genre A - Livres historiques - Critique de l’histoire du calvinisme du Père Maimbourg,1683 B - Livres philosophiques - Lettre sur la comète, 1682 Pensées diverses sur la comète, 1683 Ce que c'est que la France toute catholique sous le règne de Louis Le Grand, 1685 De la tolérance, 1686 Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ : «Contrains-les d’entrer», 1686 - Addition aux Pensées diverses, 1694 Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 75 - Le Dictionnaire historique et critique, 1697 - Réponse aux questions d’un provincial, 6 volumes, 1704-1706 - Entretiens de Maxime et de Thémiste, 1706 C - Posthume - Correspondance - Œuvres diverses, à La Haye, en 1727 3 - Ses livres majeurs A - Pensées diverses sur la comète, 1683 B - Le Dictionnaire historique et critique, 1697 IV LA PENSÉE DE PIERRE BAYLE 1 - Ses positions religieuses : un calvinisme proche de l’arminianisme, ni sceptique, ni dogmatique A - Un calvinisme classique, proche de l’arminianisme B - Un protestantisme non-dogmatique C - Il ne remet pas en cause la supériorité doctrinale de la religion chrétienne D - La recherche d’une foi rationalisée E - La contestation des interventions divines et des prodiges F - La séparation de la religion et de la morale, la religion n’est pas moralisatrice G - Un moralisme à l’encontre de ces coreligionnaires H - Le refus d’une théodicée rationnelle 2 - Le principe de tolérance, “le droit de la conscience errante” A - Un principe de tolérance civile étendue à toutes les confessions, y compris le judaïsme B - La dénonciation des contraintes par force, contraire à la bible C - Une tolérance en relation avec la question des croyances, l’impossibilité de savoir quelle est la vérité D - Le droit à l’erreur, corollaire obligé de la recherche de la vérité E - Le croyant n’est pas jugé par Dieu sur l’erreur de sa foi, mais sur son erreur morale F - A cela s’ajoute l’impossibilité d’imposer la foi par la force G - Une tolérance pour garantir la paix civile H - Une tolérance fondée sur la liberté de conscience, qui évolue vers la notion de respect I - Plus qu’une tolérance, une invitation à la séparation du politique et du religieux J - Il n’oppose plus croyance et religion, la religion dogmatique est de l’ordre de la croyance 3 - Bayle et l’athéisme A - Un des premiers penseurs positifs de l’athéisme, l’inversion du regard classique sur l’athéisme B - Un contresens sur ses réflexions sur l’athéisme : il n’est nullement athée C - Des réflexions sur l’athéisme qui doivent être comprises à la lumière de ces positions religieuses D - Des réflexions sur l’athéisme en raison de la croyance et non de la question de l’inexistence de dieu E - L’athéisme selon Bayle est spéculatif, il commence lorsqu’on doute et non lorsqu’on nie dieu F - Un athéisme spéculatif positif - l’athée comme sage et libre penseur G - Une réflexion sur l’athéisme à mettre en relation avec l’apologétique chrétienne classique H - Il remet en cause les principes de cette apologétique I - Il inverse l'ordre hiérarchique selon lequel l'athéisme serait une erreur plus grave que l'idolâtrie J - Sa société d’athées vertueux sert d’illustration à la dissociation entre religion et morale et de leçon morale pour les chrétiens Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 76 4 - La raison critique, le primat de la raison A - Bayle n’est pas sceptique mais tenant d’une rationalité cartésienne critique B - Un combat contre le dogmatisme, les croyances et les superstitions C - Un doute critique systématique d’opposition des opinions pour mieux les dénoncer D - La contestation de l’autorité de la tradition E - Un doute critique qui s’applique aux discours humains, notamment historiques F - Mais son doute n’est pas un doute métaphysique G - La réfutation du scepticisme historique pour réfuter le scepticisme métaphysique 5 - Des positions politiques proches d’Hobbes, un défenseur de la monarchie absolutiste A - Il conteste la politique de Louis XIV, mais pas le principe de la monarchie absolutiste B - La nécessité d’un pouvoir fort pour contrer l’emprise du clergé et garantir la paix civile C - Il reste fidèle à la France, même en exil D - Des positions qui donneront naissance à la polémique avec Jurieu 6 - Les différences avec les Lumières ultérieures V CONCLUSION 1 2 3 4 5 - Un auteur qui aura un grand rayonnement philosophique au 18ème siècle - Une influence décisive sur les Lumières classiques - Son Dictionnaire , “l’Arsenal des Lumières”, inspirateur de l’Encyclopédie ? - Un des pères spirituels des Lumières - L’actualité de la pensée de Pierre Bayle, trait commun des Lumières ORA ET LABORA Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 77 Document 1 : Portrait de Pierre Bayle par Louis Ferdinand Elle (1612-1689), dit Elle le Père. Ce peintre membre de l'Académie royale de peinture et de sculpture, y fut professeur jusqu'en 1681, date de son exclusion comme protestant ; il sera réintégré après son abjuration cinq ans plus tard. Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 78 Document 2 : Portraits de Jacques Basnages et Pierre Jurieu. À gauche, portrait de Jacques Basnages (1653-1723), pasteur, historien et diplomate calviniste mort le 22 décembre 1723 à La Haye. C’est lors de ses études à genève qu’il se lia d'amitié avec Pierre Bayle. Suite de la révocation de l'édit de Nantes, il émigre aux Pays-Bas en 1685 et devient pasteur à Rotterdam, puis à La Haye en 1709. Il était devenu membre de la Royal Society le 30 novembre 1697. À droite, portrait de Pierre Jurieu (1637-1713) par Étienne Desrochers (1668-1741). Ce pasteur et théologien français enseigna à Sedan avant de s’exiler en hollande où il devient pasteur et professeur de théologie à Rotterdam. Coutumier des polémiques, il mena de violentes polémiques contre Pierre Bayle, ainsi qu’avec d’autres pasteurs français exilés en Hollande (Henri Basnage de Beauval, Élie Saurin ou encore Pierre Méherenc de La Conseillère). Il s’y érigea même en prophète et prédit dans son Commentaire sur l’Apocalypse , qu’en 1689 le calvinisme serait rétabli en France ! D’un point de vue politique, il s’opposera à Bayle sur le fait que dans ces Lettres pastorales , il soutient avant Jean-Jacques Rousseau la thèse d'un contrat entre le souverain et ses sujets, contrat évidemment rompu par Louis XIV lors de la révocation de l’édit de Nantes. Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 79 Document 3 : L’astronome allemand Gottfried Kirch (1639-1710) fut le découvreur de la Grande comète de 1680 le 14 novembre 1680. La Grande comète de 1680 au-dessus de Rotterdam, par Lieve Verschuier. Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 80 Document 4 : Portrait de Louis de Maimbourg (1610-1686) avec lequel Pierre Bayle polémiqua sur l’histoire chrétienne et les méthodes historiographiques. En 1683, Pierre Bayle fit paraître à Amsterdam " La critique générale de l'Histoire du Calvinisme du Père Maimbourg ". Document 5 : Présentation des Nouvelles de la République des Lettres par Pierre Bayle lui-même. Mais au reste l'on se croit obligé d'avertir de bonne heure le public [...] qu'on ne prétend point établir un Bureau d'adresse de médisance. C'est une licence indigne d'un honnête homme. [...] On se contentera d'un juste milieu entre la servitude des flatteries et la hardiesse des censures. Si l'on juge quelquefois d'un ouvrage, ce sera sans prévention, et sans aucune malignité, et de telle sorte que l'on espère que ceux qui seront intéressés à ce jugement ne s'en irriteront point. Car nous déclarons premièrement que nous ne prétendons pas établir aucun préjugé ou pour, ou contre les auteurs: il faudrait avoir une vanité ridicule pour prétendre à une autorité si sublime. Si nous approuvons, ou si nous réfutons quelque chose, ce sera sans conséquence, nous n'aurons pour but que de fournir aux savants de nouvelles occasions de perfectionner l'instruction publique. Nous déclarons en second lieu que nous soumettons, ou plutôt que nous abandonnons nos sentiments à la censure de tout le monde. En appellera qui voudra, et nous dirons ici avec un des premiers esprits de l'Antiquité, que n'étant point esclaves de nos opinions, nous les verrons maltraiter sans nous mettre en colère. [...] Les goûts sont si différents, même parmi les grands esprits, même parmi ceux qui passent pour les meilleurs connaisseurs, qu'on ne doit ni s'étonner, ni se fâcher, de n'avoir pas l'approbation de tous les bons juges. Cela ne doit nullement troubler la satisfaction que les auteurs ont d'eux-mêmes et de leurs ouvrages. Il nous reste un autre avis à donner qui n'est pas moins important; c'est que comme nous n'affecterons pas de parler des livres qui concernent notre religion, nous n'affecterons pas aussi de n'en point parler. Mais quand nous en parlerons, ce sera d'une manière qui ne témoignera pas d'une partialité déraisonnable. Nous ferons plutôt alors le métier de rapporteur que celui de juge, et nous ferons des extraits aussi fidèles des livres qui seront contre nous, que de ceux qui seront pour nous. Il est bon qu'on sache cela, afin que Messieurs de l'Église romaine ne s'alarment point de ce journal. On ménagera leur délicatesse, qui est assurément fort grande, car ou ils ne parlent jamais de nos livres, ou s'il leur arrive quelquefois d'en dire un mot, c'est toujours avec une clause, qui prévient et qui effarouche les esprits. Il faut qu'ils aient ou moins de confiance dans les lumières du lecteur que nous, ou plus de défiance de leur cause, que nous de la nôtre, ou enfin meilleure opinion de nos livres, Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 81 que nous n'en avons des leurs. Quoi qu'il en soit, nous faisons savoir au public que cet ouvrage ne s'arrêtera pas sur les livres de controverse, qu'autant qu'il le faudra pour montrer qu'on se veut étendre indifféremment sur toutes sortes de choses. [...] On n'expliquera pas plus en détail la manière qu'on a résolu de suivre, parce qu'elle est assez conforme au plan des journaux qui se font dans les autres parties du monde, et que tous les curieux connaissent déjà. Pierre Bayle (1647-1706) Nouvelles de la République des Lettres, Tome 1, Préface, 1684 Document 6 : A gauche, gravure de Gérard Edelinck représentant Louis Moréri (1643-1680), l’auteur du Grand dictionnaire historique, ou le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane, publié pour la première fois en 1674. A droite, exemplaire de son Grand Dictionaire Historique, frontispice du Tome VIII de la 18ème édition de 1740. Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 82 Document 7 : Page manuscrite du Dictionnaire historique et critique, article “Horace”. Document 8 : Exemplaire du Dictionnaire en 4 tomes. Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 83 Document 9 : Exemplaire du Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle (Musée de Pierre Bayle, au Carla Bayle). Document 10 : Dictionnaire, page de garde de la seconde partie du volume de la premiere édition. Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 84 Document 11 : Exemple d’article du Dictionnaire , article “Pyrrhon”. Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 85 Document 12 : Illustration du Dictionnaire de 1720, avec dédicace au Duc d'Orléans, surmontée de la célèbre vignette de B. Picart. Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 86 Document 13 : Le premier thème des Pensées diverses est une attaque en règle des croyances magicoreligieuses autour des comètes. Que ne pouvons-nous voir ce qui se passe dans l’esprit des hommes lorsqu’ils choisissent une opinion ! Je suis sûr que si cela était nous réduirions le suffrage d’une infinité de gens à l’autorité de deux ou trois personnes qui, ayant débité une doctrine que l’on supposait qu’ils avaient examinée à fond, l’ont persuadée à plusieurs autres par le préjugé de leur mérite, et ceux-ci à plusieurs autres qui ont trouvé mieux leur compte, pour leur paresse naturelle, à croire tout d’un coup ce qu’on leur disait qu’à l’examiner soigneusement. De sorte que le nombre des sectateurs crédules et paresseux s’augmentant de jour en jour a été un nouvel engagement aux autres hommes de se délivrer de la peine d’examiner une opinion qu’ils voyaient si générale et qu’ils se persuadaient bonnement n’être devenue telle que par la solidité des raisons desquelles on s’était servi d’abord pour l’établir; et enfin on s’est vu réduit à la nécessité de croire ce que tout le monde croyait, de peur de passer pour un factieux qui veut lui seul en savoir plus que tous les autres et contredire la vénérable Antiquité; si bien qu’il y a eu du mérite à n’examiner plus rien et à s’en rapporter à la Tradition. Pierre Bayle Pensées diverses écrites à un Docteur de Sorbonne à l’occasion de la Comète de 1680 Plus on étudie l’homme, plus on la grandeur jusque dans la plus pu se persuader qu’il ne saurait se mettre à nouveau en frais, vanité ! connaît que l’orgueil est sa passion dominante, et qu’il affecte triste misère. Chétive et caduque créature qu’il est, il a bien mourir, sans troubler toute la nature, et sans obliger le Ciel à pour éclairer la pompe de ses funérailles. Sotte et ridicule Pensées diverses Document 14 : Passage des Pensées consacrée à la question de la possibilité d’une société sans religion. CONJECTURES SUR LES MOEURS D’UNE SOCIÉTÉ QUI SERAIT SANS RELIGION Après toutes ces remarques, je ne ferai pas difficulté de dire, si l'on veut savoir ma conjecture touchant une société d'athées, qu'il me semble qu'à l'égard des moeurs et des actions civiles elle serait toute semblable à une société de païens. Il y faudrait à la vérité des lois fort sévères et fort bien exécutées pour la punition des criminels. Mais n'en faut-il pas partout? Et oserions-nous sortir de nos maisons si le vol, le meurtre et les autres voies de fait étaient permises par les lois du prince ? N'est-ce pas uniquement la nouvelle vigueur que le roi a donnée aux lois pour réprimer la hardiesse des filous qui nous met à couvert de leurs insultes la nuit et le jour dans les rues de Paris ? Sans cela, ne serions-nous pas exposés aux mêmes violences que sous les autres règnes, quoique les prédicateurs et les confesseurs fassent encore mieux leur devoir qu'ils ne faisaient autrefois ? Malgré les roues, et le zèle des magistrats, et la diligence des prévôts, combien se fait-il de meurtres et de brigandages jusque dans les lieux et dans le temps où l'on exécute les criminels ? On peut dire sans faire le déclamateur que la justice humaine fait la vertu de la plus grande partie du monde, car dès qu'elle lâche la bride à quelque péché, peu de personnes s'en garantissent. Pensées diverses Lettres 161 Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 87 Document 15 : Pierre Bayle va effectuer une dissociation entre l’adhésion religieuse doctrinale et la moralité des personnes. Cela permettra d’expliquer l’immoralité des croyants (car sinon, la responsabilité en retomberait sur la religion elle-même) autant que la moralité des païens que des athées. Ce thème apparaît régulièrement sous sa plume comme l’indique ces divers extraits : Plus on étudie l'homme, plus on la grandeur jusque dans la plus pu se persuader qu'il ne saurait se mettre à nouveau en frais, vanité ! connaît que l'orgueil est sa passion dominante, et qu'il affecte triste misère. Chétive et caduque créature qu'il est, il a bien mourir, sans troubler toute la nature, et sans obliger le Ciel à pour éclairer la pompe de ses funérailles. Sotte et ridicule Pensées diverses Croire que la religion dans laquelle on a été élevé est fort bonne et pratiquer tous les vices qu'elle défend sont des choses extrêmement compatibles, aussi bien dans le grand monde que par le peuple." Pensées diverses ... la raison ne peut tenir contre le tempérament : elle se laisse mener en triomphe, ou en qualité de captive, ou en qualité de flatteuse. Elle contredit les passions pendant quelque temps, et puis elle ne dit mot, et se chagrine en secret, et enfin elle leur donne son approbation… Réponses aux questions d’un provincial, 1704 à 1707 Il n'est pas plus étrange qu'un athée vive vertueusement qu'il n'est étrange qu'un chrétien se porte à toutes sortes de crimes. Pensées diverses L’idée générale veut qu’un homme qui croit en Dieu, un Paradis et un Enfer, fasse tout ce qu’il connaît être agréable à Dieu, et ne fasse rien de ce qu’il sait lui être désagréable. Mais la vie de cet homme nous montre qu’il fait tout le contraire. Pensées diverses … la raison sans la connaissance de Dieu, peut quelquefois persuader l’homme qu’il y a des choses honnêtes, qu’il est beau et louable de faire, non pas à cause de l’utilité qui en revient, mais parce que cela est conforme à la raison. Pensées diverses Document 16 : La liberté de conscience est un idée maîtresse de la philosophie de Pierre Bayle. Le texte suivant est une réaction du philosophe protestant à la révocation en 1685 de l'édit de Nantes par Louis XIV et à la répression contre les protestants qui en découle, dont son frère sera victime en mourant en prison. Dans ce livre, il dénonce le soutien des théologiens à la politique du pouvoir royal qui se fondait sur une expression extraite d'une parabole évangélique : « Contrains-les d'entrer afin que ma maison se remplisse » (Luc XIV, 23). Voilà sa réponse, qui forme un plaidoyer pour la privatisation de la question religieuse : ... Qu'on m'accorde donc que la raison pour laquelle il a pu traiter, sans faire aucune injustice, ses sujets de la religion réformée, comme il les a traités, est qu'il a fait tout cela pour l'avantage de l'Église romaine qui, est selon lui, la seule bonne Église qu'il y ait au monde. [...] Il n'y a que les maux qu'on fait aux fidèles, qui soient persécution. Ceux qu'on fait aux hérétiques ne sont qu'actes de bonté, d'équité, de justice et de raison. Voilà qui est bien. Convenons donc, qu'une chose, qui serait injuste, si elle n'était pas faite en faveur de la bonne Religion, devient juste, lorsqu'elle est faite pour la bonne Religion Cette maxime est très clairement contenue dans ces paroles, Contrains-les d'entrer, supposé que Jésus-Christ Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 88 les ait entendues littéralement : car elles signifient battez, fouettez, emprisonnez, tuez, ceux qui seront opiniâtres, enlevez-leur leurs femmes, et leurs enfants; tout cela est bon, quand on le pratique pour ma cause, en d'autres circonstances, ce serait des crimes énormes ; mais le bien qui en arrive à mon église, purge et nettoie ces actions parfaitement. Or, c'est ce que je dis être la plus abominable doctrine qui ait été jamais imaginée; et je doute qu'il y ait dans les enfers des Diables assez méchants pour souhaiter tout de bon que le genre humain se conduise par cet esprit. De sorte qu'attribuer cela au Fils éternel de Dieu, qui n'est venu au monde que pour y apporter le salut, et pour y enseigner aux hommes les vérités les plus saintes et les plus charitables, c'est lui faire la plus sanglante de toutes les injures. Car considérez, je vous prie, les horreurs et les abominations qui viennent à la suite de cette Morale détestable : c'est que toutes les barrières qui séparent la vertu d'avec le vice, étant levées, il n'y aura plus d'action si infâme qui ne devienne un acte de piété et de Religion, dès qu'on la fera pour l'affaiblissement de l'hérésie. Ainsi dès qu'un hérétique, par son esprit, par son éloquence, par les bonnes mœurs, confirmera les autres dans leur Hérésie et persuadera même aux Fidèles qu'ils se trompent, il sera permis de le faire assassiner ou empoisonner, ou de divulguer contre sa réputation mille calomnies infâmes et gagner de faux témoins pour les appuyer. Car on. aura beau dire que cela est injuste, la réponse est toute prête: cela serait injuste, à la vérité, en d'autres cas, mais, s'agissant, de l'intérêt de l'Église, il n'y a rien de plus juste. On voit, sans que j'entre dans un détail odieux, qu'il n'y aurait point de crime qui ne devint un acte de religion. [...] Pierre Bayle Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ : « Contrains-les d’entrer », 1686 Document 17 : Exemples de la condamnation de l’utilisation de la violence en matière religieuse par Pierre Bayle. Vous [les catholiques de France] avez été, pendant plusieurs siècles, la partie la plus visible du christianisme ; ainsi, c’est par vous qu’on a pu juger de tout. Or quel jugement peut-on faire du christianisme, si on se règle sur votre conduite ? Ne doit-on pas croire, que c’est une religion qui aime le sang, et le carnage ; qui veut violenter le corps et l’âme ; qui, pour établir sa tyrannie sur les consciences, et faire des fourbes et des hypocrites, en cas qu’elle n’ait pas l’adresse de persuader ce qu’elle veut, met tout en usage, mensonges, faux serments, dragons, juges iniques, chicaneurs et solliciteurs de méchants procès, faux témoins, bourreaux, inquisitions ; et tout cela, ou en faisant semblant de croire qu’il est permis et légitime, parce qu’il est utile à la propagation de la foi, ou en le croyant effectivement ; qui sont deux dispositions honteuses au nom chrétien ? Pierre Bayle La France toute catholique sous le règne de Louis-Le-Grand, 1685 La violence est incapable, d’un côté, de persuader l’esprit, et d’imprimer dans le coeur l’amour et la crainte de Dieu, et est très capable, de l’autre, de produire dans nos corps des actes externes qui ne soient accompagnés d’aucune réalité intérieure, ou qui soient des signes d’une disposition intérieure très différente de celle qu’on a véritablement; c’est-à-dire que ces actes externes sont ou hypocrisie et mauvaise foi, ou révolte contre la conscience. C’est donc une chose manifestement opposée au bon sens, à la lumière naturelle, aux principes généraux de la raison, en un mot, à la règle primitive et originale du discernement du vrai et du faux, du bon et du mauvais, que d’employer la violence à inspirer une religion à ceux qui ne la professent pas. Pierre Bayle (1647-1706) Pierre Bayle Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ : « Contrains-les d’entrer », 1686 Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 89 Document 18 : Exemples des raisons de la tolérance dans la pensée de Pierre Bayle. En premier, ce sont des positions sceptiques sur la certitude des dogmes religieux (et non pas sceptique quant aux affirmations de la raison comme il le dit lui-même dans le début du texte). Ce scepticisme est un autre élément en faveur de la tolérance religieuse, puisqu’il constate que nous sommes dans l’impossibilité de pouvoir trancher le vrai et le faux entre les différents dogmes religieux (puisque non-fondés par la raison). Ensuite, cette situation se traduit par une considération théologique, Dieu ne jugera l’homme que ce sur quoi l’homme est capable, donc sur la cohérence morale de l’homme vis à vis de ces convictions doctrinales et non pas sur son adhésion à la vérité doctrinale, puisqu’il n’est pas en ses moyens de l’établir avec certitude. Il est impossible, dans l’état où nous nous trouvons, de connaître certainement que la vérité qui nous paraît (je parle des vérités particulières de la Religion, et non pas des propriétés des nombres ou des premiers principes de métaphysique, ou des démonstrations de géométrie) est la vérité absolue; car tout ce que nous pouvons faire est d’être pleinement convaincus que nous tenons la vérité absolue, que nous ne nous trompons point, que ce sont les autres qui se trompent, toutes marques équivoques de vérité, puisqu’elles se trouvent dans les païens et dans les hérétiques le plus perdus. (...) un Papiste est aussi satisfait de sa religion, un turc de la sienne, un Juif de la sienne, que nous de la nôtre. (...) Les plus fausses religions ont leurs martyrs, leurs austérités incroyables, un esprit de faire des prosélytes qui surpasse bien souvent la charité des orthodoxes et un attachement extrême pour leurs cérémonies superstitieuses. (...) Dans la condition où se trouve l’homme, Dieu se contente d’exiger qu’il cherche la vérité le plus soigneusement qu’il pourra et que, croyant l’avoir trouvée, il l’aime et y règle sa vie. (...) Le principal est ensuite d’agir vertueusement; et ainsi chacun doit employer toutes ses forces à honorer Dieu par une prompte obéissance à la morale. À cet égard, c’est-à-dire à l’égard de la connaissance de nos devoirs pour les moeurs, la lumière révélée est si claire que peu de gens s’y trompent, quand de bonne foi ils cherchent ce qui en est. Pierre Bayle Commentaire philosophique, 1686 Dans la condition où se trouve l'homme, Dieu se contente d'exiger de lui qu'il cherche la vérité le plus soigneusement qu'il pourra et que, croyant l'avoir trouvée, il l'aime et y règle sa vie. Commentaire philosophique Document 19 : Ce n’est pas parce que Pierre Bayle a soutenu un principe de tolérance à l’égard des athées qu’il fut athée lui-même comme en atteste ce passage du Dictionnaire. Il n'y a personne qui, en se servant de la raison, n'ait besoin de l'assistance de Dieu; car, sans cela, c'est un guide qui s'égare et l'on peut comparer la philosophie à des poudres si corrosives, qu'après avoir consumé les chairs baveuses d'une plaie, elles rongeraient la chair vive, et carieraient les os, et perceraient jusqu'aux moelles. La philosophie réfute d'abord les erreurs, mais, si on ne l'arrête point là, elle attaque les vérités : et quand on la laisse faire à sa fantaisie, elle va si loin qu'elle ne sait plus où elle est, ni ne trouve plus où s'asseoir. Il faut imputer cela à la faiblesse de l'esprit de l'homme, ou au mauvais usage qu'il fait de ses prétendues forces. Par bonheur, ou plutôt par une sage dispensation de la providence, il y a peu d'hommes qui soient en état de tomber dans cet abus. Pierre Bayle Dictionnaire Historique et Critique, 1697 Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 90 POUR APPROFONDIR CE SUJET, NOUS VOUS CONSEILLONS - Les cours et conférences sans nom d’auteurs sont d’Éric Lowen - Conférence sur le contexte historique de Pierre Bayle - 1598, l’Édit de Nantes - La révocation de l’édit de Nantes, l’édit de Fontainebleau de 1685 - Les révolutions anglaises du 17me siècle Sur le contexte historique de 1000-127 1000-270 1000-100 Pierre Bayle - Conscience et conviction : Études sur le XVIIe siècle, Elisabeth Labrousse, Paris-Oxford : UniversitasVoltaire Foundation, 1996 - Intolérances : Catholiques et protestants en France, 1560-1787, Barbara de Negroni, Hachette, 1996 - Jacques Basnage. Théologien, controversiste, diplomate et historien. Sa vie et ses écrits, André Mailhet, Champion, 1976 Sur Pierre Bayle - Pierre Bayle, Hubert Bost, Fayard, 2006 - Pierre Bayle dans la République des lettres : philosophie, religion, critique, Antony McKenna et Gianni Paganini, Champion, 2004 - Pierre Bayle, citoyen du monde. De l’enfant du Carla à l’auteur du Dictionnaire, sous la direction de Hubert Bost et Philippe de Robert, Champion, 1999 - Pierre Bayle: la foi dans le doute, Olivier Abel et Pierre-François, Labor et Fides, 1995. - Pierre Bayle, Du Pays de Foix à la cité d’Érasme, Elisabeth Labrousse, M. Nijhoff, 1985 - Pierre Bayle : Le philosophe de Rotterdam, sous la direction de Paul Dibon, Vrin, 1959 Sur la pensée de Pierre Bayle - Bayle philosophe, Gianluca Mori, Champion, 2001 - Pierre Bayle ou l’obsession du mal, Jean-Pierre Jossua, Aubier-Montaigne, 1977 - De l’Humanisme aux Lumières, Bayle et le protestantisme, Michelle Magdelaine, Maria-Cristina Pitassi, Ruth Whelan et Antony McKenna, Universitas – Voltaire Foundation, Paris – Oxford, 1996 - Pierre Bayle : La nature et la « nature des choses », Jean-Jacques Bouchardy, Champion, 2001 - Le rayonnement de Bayle, Philippe de Robert (dir.), Voltaire Foundation, 2010 - Pierre Bayle, Elisabeth Labrousse, Seghers, 1965 - Pierre Bayle, heterodoxie et rigorisme, Elisabeth Labrousse, Albin Michel, 1996 Sur la raison et l’esprit critique de Pierre Bayle - Pierre Bayle : la foi dans le doute, sous la direction d’Olivier Abel et Pierre-François Moreau, Labor et Fides, 1995 - La raison corrosive : Études sur la pensée critique de Pierre Bayle, sous la direction d’Isabelle Delpla et Philippe de Robert, Champion, 2003 Sur la tolérance chez Pierre Bayle - Les fondements philosophiques de la tolérance, 3 tomes, sous la direction d’Yves-Charles Zarka, Franck Lessay et John Rogers, PUF, 2002 Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 91 Sur Bayle et l’athéisme - Les Pensées sur l'athéisme de Pierre Bayle, Présenté, établi et annoté par Julie Boch, Desjonquères (2004) Sur les ouvrages de Pierre Bayle - Le Dictionnaire de Bayle et la lutte philosophique au XVIIIe siècle, Pierre Rétat, Les Belles Lettres, 1971 - Un « intellectuel » avant la lettre : le journaliste Pierre Bayle. L’actualité religieuse dans les Nouvelles de la République des Lettres (1684-1687), Hubert Bost, APA/Holland University Press, 1994 - Les « Éclaircissements » du Dictionnaire historique et critique et études, Hubert Bost et Antony McKenna, Champion, 2010 - L’Inventaire critique de la correspondance de Pierre Bayle, Elisabeth Labrousse, Vrin, 2001 Webographie - Pour la correspondance de Bayle, consultable en ligne : - http://bayle-correspondance.univ-st-etienne.fr/ - Pour le Dictionnaire, consultable en ligne : The ARTFL project - The university of chicago - http://artfl.atilf.fr/dictionnaires/index.htm Musée Pierre Bayle au Carla Bayle Rue principale 09130 CARLA BAYLE, Tél : 05 61 68 53 53 | Fax :05 61 68 51 21 www.carla-bayle.com | [email protected] Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 92 Association Aldéran International © - cycle de cours “La philosophie des Lumières” - Code 4312 - 7/1/2013 - page 93