Août 1941 11 – Diplomatie et Economie La Charte de l’Atlantique 5 août Un Soviétique aux USA Washington – Arrivée du nouvel Ambassadeur d’Union Soviétique, M. Maxim Litvinov. En tant que Commissaire aux Affaires étrangères (NKID), Litvinov avait soutenu une ligne prooccidentale au sommet du régime soviétique. Sa nomination est interprétée par les gouvernements occidentaux comme une réaction de Staline à l’attaque par Hitler de la Yougoslavie et une preuve des préoccupations soviétiques vis-à-vis de l’accentuation de la pénétration allemande dans les Balkans. 7 août Alger – En fin de matinée, le Président du Conseil Paul Reynaud, accompagné du ministre des Affaires Etrangères Léon Blum, décolle pour Argentia (Terre-Neuve). Ils doivent y rencontrer le Président Roosevelt et le Premier ministre britannique, Winston Churchill. 9 août La conférence d’Argentia Terre-Neuve – La conférence anglo-franco-américaine commence dans la soirée. Cette réunion va permettre la signature de la Charte de l’Atlantique, déjà largement rédigée. « C’était une bonne chose, racontera Churchill dans ses Mémoires, parce que l’un des trois principaux participants, épuisé, n’était qu’une sorte d’ombre… » De fait, Anthony Eden, inquiet, a chuchoté à son Premier Ministre, en voyant entrer dans la salle de conférence un Paul Reynaud très fatigué par le voyage : « Ne trouvez-vous pas que “Mr Paul” n’est plus que l’ombre de lui-même ? » A quoi Winston a rétorqué : « Vous n’y êtes pas. Il n’est plus que l’ombre de quelqu’un de plus grand que lui, si vous voyez à qui je pense… » 12 août Conférence d’Argentia Terre-Neuve – Les trois délégations publient la déclaration suivante, dont plusieurs points ont été très chaudement discutés. La délégation française (bombardée de télégrammes par De Gaulle, rentré à Alger et anxieux d’être tenu au courant) a ainsi obtenu l’inclusion de certains éléments, soulignés dans le texte ci-dessous. « M. Franklin D. Roosevelt, président des Etats-Unis d’Amérique, M. Winston S. Churchill, Premier ministre, représentant le gouvernement de Sa Majesté britannique, et M. Paul Reynaud, Président du Conseil, représentant le gouvernement de la République française, jugent bon de faire connaître certains principes sur lesquels ils fondent leurs espoirs en un avenir meilleur pour le monde et qui sont communs à la politique nationale de leurs pays respectifs. 1. Leurs pays n’ont pour objectif aucune extension de territoire. 2. Ils ne désirent voir aucune modification territoriale, qu’elle les concerne ou concerne d’autres pays, qui ne soit en accord avec les vœux librement exprimés des peuples intéressés. 3. Ils respectent le droit qu’a chaque peuple de choisir la forme de gouvernement sous laquelle il doit vivre ; ils désirent que soient rendus les droits souverains et le libre exercice du gouvernement à ceux qui en ont été privés par la force. Ils reconnaissent le devoir qui incombe aux nations civilisées de protéger les pays moins avancés et de favoriser leur développement. 4. Ils s’efforcent, tout en tenant compte des obligations qu’ils ont déjà assumées, d’ouvrir également à tous les Etats, grands ou petits, vainqueurs ou vaincus, l’accès aux matières premières du monde et aux transactions commerciales qui sont nécessaires à leur prospérité économique. Il sera cependant dans un premier temps donné priorité aux pays qui auront le plus souffert de l’occupation nazie et fasciste. 5. Ils désirent réaliser entre toutes les Nations la collaboration la plus complète dans le domaine de l’économie, afin de garantir à toutes l’amélioration de la condition ouvrière, le progrès économique et la sécurité sociale. 6. Après la destruction finale de la tyrannie nazie, qui a repris de façon plus monstrueuse et plus brutale le rêve de domination mondiale de l’Empire de Guillaume II, ils espèrent voir s’établir une paix qui permettra à toutes les Nations de demeurer en sécurité à l’intérieur de leurs propres frontières et garantira à tous les hommes de tous les pays une existence affranchie de la crainte et du besoin. 7. Une telle paix permettra à tous les hommes de naviguer sans entraves sur les mers1. 8. Ils ont la conviction que toutes les Nations du monde, tant pour des raisons d’ordre pratique que d’ordre spirituel, devront renoncer finalement à l’usage de la force. Et du moment qu’il est impossible de sauvegarder la paix future tant que certaines Nations qui la menacent – ou pourraient la menacer – possèdent des armes sur mer, sur terre et dans les airs, ils considèrent qu’en attendant de pouvoir établir un système étendu et permanent de sécurité générale, le désarmement de ces Nations s’impose. De même, ils aideront et encourageront toutes les autres mesures pratiques susceptibles d’alléger le fardeau écrasant des armements qui accable les peuples pacifiques. […] » Au lendemain de cette déclaration, De Gaulle comme Churchill commenteront « qu’il [serait] vain de soulever à ce moment des questions d’interprétation dont le caractère et la portée [seraient] difficiles à déterminer. » (Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, t. 2, L’Union). Tous deux songent, bien sûr, au sort qui sera fait après la guerre aux colonies de leurs pays respectifs. La Charte de l’Atlantique, dûment signée, va être présentée aux gouvernements des autres pays alliés, de la Pologne à la Grèce en passant par la Norvège, la Belgique, la Hollande, le Luxembourg, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie. L’ambassadeur soviétique à Washington, M. Litvinov, demandera communication de cet « intéressant document ». 15 août Gardez-moi de mes amis… Washington – Lord Halifax, peut-être mal remis de la philippique lancée par Franklin Roosevelt lors de l’entretien du 26 juillet, s’inquiète subitement du sort du Canada dans une lettre personnelle en date du 14 adressée à Winston Churchill. Il rappelle que le président lui a fait alors part de son souci des « véritables intérêts de l’Amérique… oui, de l’Amérique, et pas uniquement des États-Unis ». Selon l’ambassadeur, le Royaume-Uni doit prendre garde à une résurgence moderne de la doctrine de Monroe. Elle pourrait pousser l’administration américaine à tenter de mettre 1 Au moment de la rédaction de la Charte, le transport aérien est encore balbutiant. C’est pourquoi il n’est pas mentionné. Ottawa sous tutelle, ce qu’il faudrait alors considérer comme une première étape vers l’annexion. Il n’y aurait guère besoin de prétexte : la Maison Blanche pourrait flatter son opinion publique, toujours en grande partie isolationniste, en affirmant qu’il s’agit seulement de faire pression sur la Grande-Bretagne pour obtenir le remboursement des dettes britanniques. Sur un ton alarmiste, Lord Halifax souligne qu’au Département d’État, on persiste à considérer que les traités anglo-américains de 1818 et de 1846, qui fixaient la frontière du Canada et des États-Unis et portaient règlement de nombreux contentieux, sont et demeurent, en réalité, aussi “inégaux” que ceux conclus par les puissances européennes avec la Chine. « Je crains qu’on n’exige très bientôt une révision de ces conventions » écrit Lord Halifax, sans pour autant détailler les éléments qui le poussent à le penser. Il indique par ailleurs qu’à en croire « une source financière forcément bien placée » – ce qui désigne sans doute Henry Morgenthau, que Halifax supporte mal, pour toutes sortes de raisons, comme chacun le sait tant à Washington qu’à Londres – les États-Unis sont décidés à mettre à profit les circonstances pour pousser la Grande-Bretagne à liquider l’essentiel de ses avoirs en Amérique latine, au profit, il va de soi, des entreprises américaines. « Je remarque déjà, note-t-il, une réduction des possibilités de maintien de nos actifs ou d’allègement de nos déficits. Par exemple, une baisse des commandes de sucre à la Jamaïque, compensée par une augmentation équivalente des achats à Cuba. » D’aucuns prétendront que Halifax a voulu, par ce courrier alarmiste, se faire valoir après la conférence d’Argentia, à laquelle il n’avait pas participé ! 16 août Des cadeaux pour les Turcs Ankara – Une mission diplomatique franco-britannique entame d’importants entretiens avec le gouvernement turc. Ces discussions tournent autour de la définition des notions de “neutralité” et de “non-belligérance”. Le gouvernement turc cherche à se procurer des armes avant la fin de l’année ; le Royaume-Uni promet de vendre à la Turquie quarante Hurricane I avant la fin de novembre et les Français de transformer en MS-410 les 39 MS-406 que possède encore l’armée turque. Les Turcs acceptent d’autant plus volontiers qu’ils savent pouvoir obtenir en Suisse des moteurs Hispano-Saurer 12Y-51 ce qui, compte tenu des modifications aérodynamiques caractérisant le MS-410 (radiateur fixe, pipes d’échappement propulsives…), devrait donner un avion capable de plus de 570 km/h à 5 800 m et atteignant les 6 000 m en 7 minutes, même s’il sera limité en vitesse pure par son aérodynamique datant de 1935. Transformés de février à juillet 1942 et baptisés officieusement MS-420, ces appareils seront de fort bons avions de supériorité aérienne. Ils constitueront jusqu’aux livraisons américaines d’après-guerre la crème des forces aériennes turques. 19 août Le séjour d’un roi Médéa (Algérie) – A l’expérience, Pierre II de Yougoslavie et son gouvernement se sont rendu compte que Jérusalem était un lieu très incommode pour coordonner leurs actions et celles de leurs alliés. Avec la reprise de l’activité diplomatique, ils se sont laissé convaincre d’accepter l’invitation de leurs amis français. La modeste sous-préfecture de Médéa, résidence de montagne au-dessus d’Alger et ancienne capitale d’Abd-el-Kader, leur offre le séjour de l’hôtel d’Orient : heureux rappel des gloires de l’Armée d’Orient. Le gouvernement polonais s’est installé non loin de là, à Cherchell, tandis que les autres gouvernements en exil (Norvège, Grèce, Belgique, Hollande et Luxembourg) se sont établis à Londres. L’Eglise catholique d’Algérie a accepté, pour la durée de la guerre, de partager avec les orthodoxes serbes l’église Saint-Cyprien, où une messe est célébrée pour marquer l’installation du jeune monarque. Les cérémonies ont cependant été très simplifiées, car les Serbes orthodoxes, qui suivent le calendrier julien et non grégorien, sont encore dans le carême de l’Assomption. Mais ce jour de la Transfiguration (calendrier julien), il est une autre raison de se réjouir : la radio a annoncé quelques heures plus tôt que Dieu avait châtié les perfides Bulgares, alliés d’Hitler, par l’intermédiaire des bombes de la RAF. L’ex-régent Paul, cousin de Pierre II, ne partagera pas son séjour en Algérie : les Français, soucieux de le mettre hors d’atteinte d’un éventuel coup de main de l’Axe, ont décidé de l’envoyer en Martinique, où il passera le reste de la guerre sur les hauteurs de Fort-de-France, dans une agréable résidence baptisée Le Vieux Moulin (plus tard transformée en hôtel de luxe) – histoire peut-être de consoler le prince de la perte de ses tableaux… 21 août L’Union fait la Force Londres – Percevant la montée des périls en Extrême-Orient, le gouvernement belge décide que la Belgique rompra les relations diplomatiques avec le Japon si ce dernier devait attaquer un de ses alliés. En l’absence de forces militaires dans la région, le gouvernement ne souhaite pas aller jusqu’à une déclaration de guerre qui ne pourrait avoir d’implications pratiques. Informés de cette décision, les gouvernements britannique, français et néerlandais s’en montrent satisfaits.