Par Micheline Rousselet
Tout part de travers dans cette leçon.
La table est bancale, soutenue plutôt mal
que bien par des livres qui s’empilent
partout, le désordre règne dans la pièce
et dans les esprits. Le professeur attend
l’élève, elle va préparer un « doctorat
total » en trois jours, la bonne est omniprésente. On échange des politesses, on fait
des additions, on passe aux soustractions - cela se gâte - et quand on en vient à la
philologie, la tempête se déchaîne et le chaos s’installe.
Jean-Pierre Brière a mis en scène La leçon. Il y ajoute quelques courts extraits
de chroniques de Thomas Bernhard qui introduisent la pièce et lui offrent un
contrepoint, soulignant ce que le quotidien peut avoir de grotesque. Comme le
souhaitait Ionesco, il va à fond dans l’exagération qui fait éclater la réalité plate du
quotidien.
On glisse du burlesque, à la façon des Marx Brothers qui accumulent les catastrophes,
au drame. David Stevens est le professeur. Sa pointe d’accent britannique, son
articulation d’une extrême précision font écho à l’ironie du texte de Ionesco sur le
langage et la prononciation, et exacerbent l’impression de vacuité boursouflée du
discours professoral. Ses mimiques, censées participer à sa pédagogie, deviennent
exagérées, violentes, inquiétantes. Il fait admirablement évoluer son
personnage. On passe des échanges de banalités empreintes de politesse à
l’autoritarisme du faux savant qui débite des démonstrations dépourvues de sens
pour finir par ce fou torturant une élève qui va de plus en plus mal. Marie Crouail
est l’élève. Elle apporte aussi beaucoup de nuances à son rôle. Faussement naïve au
début où elle a encore quelques ambitions, elle s’affaisse peu à peu, se soumet à son
bourreau, cherche même s’adapter à ce qu’il attend, avant de perdre pied
définitivement. Karine Huguenin est la bonne, pragmatique, complice de son
maître et finalement aussi perverse que lui.
La mise en scène et l’interprétation des acteurs font de ce spectacle une
réussite. On est dans l’univers de Ionesco. C’est cruel mais loufoque et
déjanté, on rit mais on a l’esprit en éveil et c’est bien ce qu’on attend du
théâtre.
Les interprètes nous régalent d'un beau travail et donnent la mesure voulue par
Ionesco. (…)
Spectacle et trouvailles scéniques méritent qu'on plonge une heure dans les caves
voutées de l'Essaïon.