SÉCURITÉ & STRATÉGIE / REVUE DES DIRECTEURS SÉCURITÉ D’ENTREPRISE / N°10 / SEPTEMBRE 2012 26
décrit comme des événements à cinétique rapide
provoquant de graves conséquences et de fortes
perturbations sur au moins deux continents. Il
s’agit là d’une représentation de ce que les tra-
vaux de Casti2laissaient pressentir depuis les an-
nées 1970, à savoir que nous serions confrontés
tôt ou tard à des risques inconnus pour lesquels
nous ne disposerions pas ou peu de données.
Les catastrophes de type Fukushima permettent
de tracer une ligne entre risques mondiaux et
risques locaux du fait de l’existence de plates-
formes d’interconnexion qui favorisent l’accumu-
lation et la propagation des risques. Toute
faiblesse dans la connaissance des intercon-
nexions provoque une sous-estimation du poten-
tiel réel des risques et de mauvaises réponses à
une crise qui surviendrait. L’International Country
Risk Guide (ICRG)3qualifie ces interconnexions de
« conducteurs sous-jacents » nécessitant un trai-
tement et des stratégies de long terme. Fukus-
hima a confirmé la pertinence de cette approche
en montrant que ces « conducteurs » étaient des
amplificateurs de catastrophes. La démonstration
a été faite qu'une société très préparée aux dan-
gers et aux vulnérabilités reste exposée à des
risques systématiques, leur management étant
une affaire bien plus complexe qu’il n’y paraît4.
Un système peut s’effondrer du fait de la défail-
lance d’une seule entité. Cet effet domino est
bien connu. Il a été longuement décrit dans les
travaux du Programme de l’OCDE sur l’avenir qui
s’appuyaient notamment sur les recherches de
Kaufman, Scott et Schwarcz (2008)5.
Un tel constat montre tout l’intérêt de prendre en
compte dans une approche globale l’ensemble des
facteurs associés aux chaînes de valeur qui irri-
guent l’économie d’un pays et, bien au-delà, l’éco-
nomie mondiale.
Particularité des risques
liés aux chaînes de
valeur mondiales
L’importance des chaînes de valeur ou d’approvi-
sionnement a été démontrée dans une étude pu-
bliée pour la première fois en 20096. Elle a établi
que, pour les 300 entreprises mondiales réalisant
un chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard USD,
51 % de la fabrication des composants, 47 % de
l’assemblage final, 46 % du stockage, 43 % des ser-
vices à la clientèle et 39 % de la mise au point des
produits sont réalisés hors du pays d’origine.
L’ampleur de ces chiffres explique sans besoin de
démonstration complémentaire que toute défail-
lance sur la chaîne aura des répercussions sé-
rieuses sur les échanges internationaux, mais
aussi dans les économies des pays concernés à un
titre ou un autre au bon fonctionnement de la
chaîne. D’autre part, les risques sont immenses
parce que leurs origines sont multiples : ils peu-
vent provenir de défaillances internes à l’entre-
1Future global schoks, OCDE, juin 2011. L’organisation a ciblé quatre grandes catégories : les pandémies, les crises financières, les cyber-risques et les tempêtes
électromagnétiques. Ils sont mis en perspective en fonction de leurs impacts sur trois systèmes essentiels pour la sécurité et la prospérité de l’État : la santé publique,
le secteur financier et le secteur des infrastructures critiques incluant télécommunications et énergie.
2John Casti; Complexification. Explaining a Paradoxical World through the Science of Surprise, New-York: HarperCollins, 1994 et Patterns of Social Unrest, Complexity, Conflict
and Catastrophe; Album, Der Standard; 2011.
3Travaux de l’ICRG (International Country Risk Guide). Les points de basculement identifiés permettent de traiter les situations à risques. Ces points sont des conducteurs,
ou « drivers », identifiés comme une caractéristique de la société, de l’économie ou de l’environnement. Leurs effets provoquent des changements sur d’autres caractéristiques
d’un système.
4Il est intéressant de remarquer que ce sont des économistes et des banquiers qui se sont les premiers intéressés aux risques systémiques. L’approche retenue par l’OCDE a
élargi la réflexion aux risques sociétaux et a listé toute une série de risques liés aux infrastructures et aux chaînes d’approvisionnement mondiales en montrant l’importance
des nœuds de réseaux, hubs et plates-formes multimodales en tout genre. Si l’on ajoute à cela que les infrastructures critiques sont dépendantes des réseaux d’énergie et de
télécommunications, il est facile d’imaginer que la défaillance de plusieurs systèmes est possible et peut entrainer des vulnérabilités allant jusqu’à un effondrement sociétal.
5Travaux sur les « Futurs chocs mondiaux », op cit, OCDE, 2011. George Kaufman, Kenneth E. Scott (2003),“What is Systemic Risk, and Do Bank Regulators Retard or Contribute
to It?, Independent Review, Winter. Schwarcz, (2008), “Systemic Risk”, 97 Georgetown Law Review, n° 193. Tous ces travaux montrent qu’un choc originel va entraîner de fortes
défaillances en chaîne dans la plus grande partie ou la totalité du système par voie de contagion avec des effets amplificateurs puis des chocs de second niveau dits
“consécutifs” qui vont à leur tour générer des effets secondaires.
6In Indicateurs de la mondialisation économique, publication annuelle OCDE.
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