pôles de compétitivité Damien BO David HURON Jacques SPINDLER Docteur en Sciences de gestion, Université de Nice-Sophia Antipolis, CRIFP EA 1195 Docteur en Sciences de gestion, Université de Nice-Sophia Antipolis, CRIFP EA 1195 Professeur Université de Nice-Sophia Antipolis, Directeur de l’IAE et du CRIFP EA 1195 Les pôles de compétitivité français : référentiel théorique et grilles d’analyse « C’est (...) la relation informelle qui suscite la créativité en mettant en relation les domaines scientifiques et économiques, le concret et l’abstrait, d’où l’importance cruciale de la richesse des réseaux du territoire pour la créativité, et de son organisation pour l’économie de la connaissance. » Christian Blanc (2004, p. 12). Même si « l’idée que la mise en synergie de l’industrie, de la recherche et de la formation est source de compétitivité n’est qu’une question de bon sens (Jacquet, Darmon, 2005), la France est restée longtemps à l’écart de cette démarche, qu’elle prenne le nom de clusters dans les pays anglosaxons ou de districts en Italie ». Ce n’est que plus de vingt ans après les premiers succès des districts italiens (1) que la France crée – en 1997-1998 – ses Systèmes productifs locaux (SPL), « ressources stratégiques organisées pour constituer des foyers d’innovation en interrelation avec le tissu d’entreprises » (Pommier, 2002). Face à la concurrence mondiale, leur objectif est d’accroître la performance des entreprises par la mise en commun de ressources, le développement d’actions commerciales communes... En 2003, 96 SPL sont financés, totalisant 520 000 emplois pour 18 000 entreprises... Poursuivant la démarche, le gouvernement français lance en 2004 les pôles de compétitivité. Le CIADT (2) du 14 septembre, de cette même année (3), donne un contenu à ce nouveau concept : « un pôle de compétitivité est une combinaison, sur un espace géographique donné, d’entreprises, de centres de formation et d’unités de recherche publiques ou privées engagés dans une synergie autour de projets communs au caractère innovant. Ce partenariat s’organise autour d’un marché et d’un domaine technologique et scientifique qui lui est attaché, et doit rechercher une masse critique pour atteindre une compétitivité et une visibilité internationale ». Six mois plus tard, à l’issue d’un appel d’offres, 105 pôles se sont portés candidats autant dans les domaines technologiques en émergence (nanotechnologies, biotechnologies, microélectronique...) que dans les domaines plus matures (automobile, aéronautique...). Le CIADT du 12 juillet 2005 a retenu 67 pôles, contre une quinzaine prévue initialement... Après la réception de nouvelles candidatures et la fusion de pôles déjà labellisés, les pôles de compétitivité sont 71 depuis le CIACT du 5 juillet 2007. Comme tous les choix, ceux-ci ne sont pas à l’abri des critiques. Le nombre des pôles est problématique et fait craindre à certains un saupoudrage des aides publiques et à d’autres sa trop grande concentration ! Car à eux seuls, les 7 pôles mondiaux et les 10 pôles à vocation mondiale semblent devoir obtenir plus de la moitié du total des subventions et dépenses fiscales. Par ailleurs, comme l’a fait remarquer Gilles Duranton (2005), très peu de pôles de compétitivité dans le monde doivent leur succès à une intervention étatique (4). Quelles sont les perspectives d’avenir des pôles français ? Afin de contribuer au débat sur l’évaluation de leurs apports, il apparaît indispensable, dans une optique de comparaison internationale, d’établir une typologie des clusters. Cet article a donc pour objectif d’esquisser les grilles d’analyse pertinente des expériences internationales en la matière, pour en découvrir les éléments communs et les spécificités. La méthode retenue est la méta-étude de ressources bibliographiques, elle s’inspire de la méta-analyse qui s’est rapidement développée en recherche médicale (Van der Linde, 2003). Elle s’en distingue par le faible recours aux méthodes statistiques. Le matériau de base étant le plus souvent des études de cas différentes dans leur méthode et dans leur cadre théorique, il s’agit ici non pas de rechercher des relations causales à travers des retraitements statistiques, mais plutôt de codifier des données qualitatives hétérogènes pour en tirer une vision globale de ce qui se fait internationalement et permettre de mieux identifier les causes des succès et des échecs (5). Afin de nourrir ces grilles d’analyse, il est nécessaire dans un premier temps de rappeler les différentes théories qui sont à l’origine des pôles de compétitivité. Il faut avoir en tête les prérequis sur lesquels elles mettent l’accent et les recommandations qu’elles formulent. LE RÉFÉRENTIEL THÉORIQUE DES PÔLES DE COMPÉTITIVITÉ Les pôles de compétitivité, traduction française des clusters, sont légitimés par le recours à trois courants théoriques, symbolisés par trois noms : Alfred Marshall, Michael Porter et Paul Romer. (1) Constitués dès les années 1970 sur la base d’un regroupement de PME-PMI autour d’une spécialité, d’un métier ou d’un produit sur un territoire de proximité, afin de mutualiser leurs moyens et développer des complémentarités. Cf. Becattini (1991). (2) Comité interministériel pour l’aménagement et le développement du territoire, devenu depuis octobre 2005 Comité interministériel d’aménagement et de compétitivité des territoires (CIACT). (3) A la suite des rapports de la DATAR (2004) [Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale devenue depuis janvier 2006 DIACT - Délégation à l’aménagement et à la compétitivité des territoires] et du député Christian Blanc (2004). (4) L’auteur cite une enquête, conduite à l’université Havard, qui n’a trouvé qu’un seul cas de pôle de compétitivité (Hi-shu, à Taiwan) parmi 773 examinés dans le monde entier dont la réussite repose principalement sur une action gouvernementale. Et l’auteur d’ajouter que « les grands pôles de compétitivité sont souvent le produit d’une série de hasards et de coïncidences ». L’exemple le plus connu, c’est celui de William Shockley qui est à l’origine de la Silicon Valley, au sud de San Francisco. Il en a eu l’idée alors qu’il était venu en Californie pour se reposer chez sa tante à la suite d’une pneumonie !... La même chose aurait peut-être pu se produire dans le New Jersey dans les années 1950. Avec l’université de Princeton, les Bell Labs (etc.), ce territoire avait alors potentiellement, dans le domaine informatique, des atouts et des compétences égales, voire supérieures, à celles de la Californie... (5) Cette méthode d’analyse est en train d’être développée par les auteurs du présent article dans le cadre de la Commission thématique « Développement économique, innovation et développement durable » du Groupement de recherches sur l’administration locale en Europe (GRALE-CNRS). 859 pôles de compétitivité Alfred Marshall : l’émergence des districts industriels La contribution de Marshall est la plus ancienne (1890). Cet auteur met en lumière le concept de district industriel en soulignant les déterminants fondamentaux expliquant l’efficacité économique. Pour Marshall, l’agglomération dans une région d’un nombre important d’entreprises d’une même industrie engendre d’abord la formation d’un marché local du travail de compétences spécialisées. En outre, elle permet la constitution de complémentarités technologiques, tant verticales qu’horizontales, c’est-à-dire d’un marché des inputs spécifiques à l’industrie offrant une grande variété à bas prix. Enfin, parce que les flux d’information circulent plus facilement localement que sur des grandes distances, la proximité permet la création d’interdépendances technologiques fortes (Longhi, Spindler, 2000). C’est autour de ces concepts marshalliens que s’est articulée l’analyse moderne des districts notamment en Italie. Ainsi, Becattini (1991) défini le district comme « une entité socio-territoriale caractérisée par la présence active d’une communauté de personnes et d’une population d’entreprises dans un espace géographique et historique donné, [où existe] une osmose parfaite entre communauté locale et entreprises... Le terme localisation ne signifie pas ici la concentration accidentelle de plusieurs processus productifs attirés au même endroit par des facteurs propres à la région. Les entreprises s’enracinent au contraire dans le territoire et il n’est pas possible de conceptualiser ce phénomène sans tenir compte de son évolution historique ». Les entreprises des districts appartiennent généralement à la même branche industrielle définie au sens large et sont spécialisées dans une étape spécifique du processus de production. L’organisation territoriale et la division du travail renforcent la circulation des compétences et engendrent des effets d’apprentissages collectifs spontanés, facilités par les complémentarités technologiques et l’existence de liens étroits entre les hommes et les entreprises. Structurés comme des réseaux de nature informelle, les relations interentreprises et le marché du travail sous-tendent la flexibilité et l’efficacité dynamique du district. Le territoire apparaît comme une unité effective, au développement de laquelle concourent aussi les banques locales et les différents systèmes institutionnels, politiques, professionnels, associatifs. D’autres travaux s’inspirent du concept de district marshallien. Les chercheurs du GREMI (Groupe de recherche européen sur les milieux innovateurs), par exemple, s’intéressent au processus du développement territorial et local, ainsi qu’aux mécanismes d’apprentissage collectif et de mise en réseau des savoir-faire et des connaissances locales nécessaires à l’émergence de l’innovation (Camagni, Maillat, 2006). Les systèmes régionaux d’innovation (Lundvall, 1992) ou les régions apprenantes (Florida, 1995) trouvent également leur origine dans les travaux de Marshall. Michael Porter : un « diamant » pour expliquer la compétitivité La publication de L’avantage concurrentiel des Nations, en 1990, par Michael Porter, a consacré les clusters comme clés du développement économique. La notion d’avantage concurrentiel résulte d’une analyse du développement des secteurs industriels. Pour Porter, la compétitivité des nations se fonde sur l’interaction de quatre dimensions, qu’il représente par les quatre faces d’un « diamant ». Les facteurs de production constituent le premier élément de base pouvant prendre la forme d’un vivier de travail spécialisé, d’infrastructures spécialisées, ou de certains éléments critiques forçant à l’innovation. La nature de la demande domestique joue également un rôle, notamment en poussant les firmes à innover, particulièrement si les goûts de la demande locale anticipent ceux de la demande globale. Le troisième déterminant de l’avantage national est constitué par l’existence de fournisseurs de niveau international, formant une infrastructure de qualité et un environnement motivant pour les entreprises en place et favorisant la création de nouvelles firmes innovantes. Enfin, la stratégie, la structure et la nature de la concurrence des entreprises joue un rôle fondamental dans l’acquisition d’un avantage national. L’interaction de ces quatre éléments définit un système qui s’autorenforce et où sont créées ressources et compétences indispensables à l’obtention d’un avantage concurrentiel. Porter souligne que 860 l’avantage concurrentiel et le potentiel économique sont le résultat de l’activité des régions, villes, complexes industriels, qui sont les lieux effectifs de la production ou de l’échange. Le « diamant » possède donc une dimension territoriale dont les clusters en constituent l’application directe. Porter (1998) définit les clusters comme des masses critiques localisées en un lieu donné à l’origine d’une réussite compétitive originale dans des champs particuliers (6). L’auteur souligne plusieurs caractéristiques. Ils constituent d’abord une concentration géographique de firmes en compétition, complémentaires ou interdépendantes. Ils nécessitent aussi un besoin commun de talents, de technologies et d’infrastructures. Les clusters possèdent en outre des capacités d’évolution en réponse aux mutations des industries ou de l’environnement. Enfin, ils représentent un système centré sur les firmes qui commercialisent en dehors du territoire (local, régional, voire national) et constituent un système moteur de l’économie locale, régionale ou nationale. Porter met en évidence un certain nombre d’éléments favorables et de recommandations pour la constitution de clusters. D’abord, la prise de conscience, c’est-à-dire la compréhension partagée du rôle et de l’efficacité des clusters pour la compétitivité du territoire, est une condition indispensable. L’auteur insiste également sur le réalisme à adopter. Il convient en effet de concentrer l’attention sur les obstacles à écarter pour favoriser le développement du cluster. Au niveau politique, Porter met l’accent sur la nécessité de gouverner nationalement les clusters. Cela évite de multiplier des doublons ou de créer une concurrence destructrice. Méthodologiquement, il est souhaitable de définir de manière pertinente les limites territoriales des clusters. Dans cette optique, une attention particulière doit être portée aux relations interpersonnelles. Si le leadership doit être donné au secteur privé, il convient également de faire participer tous les acteurs et institutions impliqués dans les clusters. Pour autant dans les écrits de Porter, les clusters ne permettent d’obtenir un réel avantage que dans une vision globale (2000). Les effets attendus et obtenus sont issus de l’interaction entre les différents acteurs du cluster et non de la contribution de l’un ou de plusieurs d’entre eux. Enfin plus récemment (Porter, 2003), la dimension locale dans l’analyse des performances territoriales est privilégiée au détriment du national. L’auteur constate en effet que les pays caractérisés par une très grande décentralisation effective, où les clusters jouent un rôle important, sont les pays les plus compétitifs et/ou bénéficient d’une croissance plus importante. Paul Romer : l’introduction de la croissance fondée sur la connaissance Les concepts de districts, puis de clusters, ont été associés au mouvement de l’économie fondée sur la connaissance. De manière générale, les articles de Romer (1986, 1990) apportent une contribution importante concernant les relations entre la croissance économique et l’émergence de l’économie de la connaissance. Ainsi, les fondements de la croissance économique ne sont plus principalement le travail brut et l’accumulation du capital physique, mais les rendements croissants tirés en particulier par l’accumulation de connaissance (1986). D’où la notion de croissance endogène, c’est-à-dire d’une croissance auto-entretenue par des externalités, qui ne passent pas par le marché. Ces travaux ont fortement influencé les chercheurs travaillant sur le local. En intégrant les théories fondées sur la connaissance au niveau local, certaines conclusions montrent qu’il existe des formes spécifiques d’organisation de la connaissance au sein des clusters, qui utilisent la capacité d’apprentissage des entreprises localement proches pour améliorer la performance globale du cluster (Pinch et al., 2003). Certains auteurs concluent même que la spécificité des clusters, fondés sur l’économie de la connaissance, implique une forme d’organisation particulière entre marché et hiérarchie (Maskell, Lorenzen, 2004). Le concept de connaissance a une place très importante dans les grilles d’analyse des pôles de compétitivité. (6) « Critical masses – in one place – of unusual competitive success in particular fields » (Porter, 1998). pôles de compétitivité LES GRILLES D’ANALYSE DES PÔLES DE COMPÉTITIVITÉ Le cadre d’analyse des expériences internationales en matière de clusters que nous avons retenu pour présenter sommairement les principes d’une méta-étude est issu de la synthèse offerte par Iammarino et McCann (2006). Ces auteurs développent deux grilles. La première explicite les hypothèses en termes de coûts de transaction, sous-jacentes aux écrits sur les clusters. La seconde enrichit la première des considérations sur la dynamique des technologies et des connaissances développées dans les différents types de clusters. La perspective des coûts de transaction Une approche par les coûts de transaction permet d’obtenir trois « idéauxtypes » de relations géographie-firme-industrie qui apparaissent exister dans les publications. Ces classifications ne sont pas des théories, mais sont basées sur les hypothèses souvent implicites des phénomènes d’agglomération dans la littérature. Ces trois « idéaux-types » sont l’agglomération pure, le complexe industriel et le réseau social (Iammarino, McCann, 2006) [cf. tableau 1]. L’agglomération pure Dans le modèle d’agglomération pure, les relations interfirmes sont transitoires. Les firmes sont essentiellement atomistiques et n’ont donc aucun pouvoir de marché. Les économies externes bénéficient à toutes les firmes du seul fait de leur localisation. Le coût d’accès au cluster est donné par le marché immobilier. La nouvelle économie géographique (New Economic Geography) a largement renouvelé la problématique de la nature et de l’évolution des disparités spatiales sous l’impulsion du très influent économiste américain Paul Krugman (1991). S’appuyant sur des modélisations très stylisées, croisant les apports récents de l’économie industrielle, de l’économie internationale et de la croissance endogène, ce courant a relancé l’intérêt des économistes pour ces questions (Catin, 2000). Concernant notre propos, l’article le plus intéressant est dû à Krugman lui-même (1995). Il développe en effet un modèle explicatif de la taille des agglomérations urbaines à partir d’un système autorégulé. Il part du constat que le rang des villes classées par nombre d’habitants et leur population suit une relation log-linéaire de degré – 1. C’est-à-dire que la deuxième ville en termes d’habitants abrite moitié moins de population que la première : c’est la loi de Zipf (7). Krugman note que cette régularité statistique défie les modélisations économiques qui ont plus l’habitude de confronter la perfection mathématique à l’imperfection empirique. Ici c’est l’inverse. Notons tout de même que pour obtenir cette perfection empirique, il faut retirer Los Angeles aux Etats-Unis, Paris en France et Londres au Royaume-Uni. Cette loi a aussi les caractéristiques d’une power law, c’est-à-dire une relation polynomiale indépendante de l’échelle (8). Ce qu’il faut retenir ici c’est que pour les agglomérations pures le raisonnement se fait à partir des centres urbains et de modèles auto-régulés par le marché. Cette autorégulation fonctionne sous deux conditions : – il doit y avoir une tension entre des forces centrifuges et des forces centripètes. La force centrifuge, qui pousse les entités économiques vers le cluster, est due, par exemple, au fait que les entrepreneurs souhaitent bénéficier d’entités proches offrant une grande variété de services et attirant des consommateurs. La force centripète, à l’inverse, est due au fait que les entrepreneurs n’aiment pas avoir à concourir trop pour l’espace, les clients ou les travailleurs ; – l’échelle des forces centripètes doit être plus courte que celle des forces centrifuges. Le complexe industriel Le complexe industriel est avant tout défini par des relations de long terme et stables entre les firmes du cluster. Ce type est communément observé dans des industries comme la chimie lourde ou la métallurgie et décrit par les travaux pionniers d’Alfred Weber (1909) qui fusionnent l’analyse intrantextrant et celle de la localisation. Pour intégrer le complexe industriel, les firmes doivent réaliser des investissements importants et de long terme en équipements et en immobilier. Ainsi, l’accès est sévèrement régulé par des coûts d’entrée et de sortie très élevés. La force organisatrice de ce type de cluster est la recherche de réduction des coûts de transport interfirmes. Il n’y a pas ici d’inflation des loyers car le marché de l’immobilier est verrouillé par les firmes déjà présentes dans le cluster. Après la Seconde Guerre mondiale, la théorie webérienne de la localisation fut considérablement élargie par les chercheurs dans le champ nouvellement émergé de la science régionale (Moses, 1958 ; Seymour, 1968 ; Sheih, 1999). Les scientifiques régionalistes ajoutèrent une série de données qui complexifièrent le modèle de base, par exemple en y incorporant des fonctions de production ou en autorisant des substitutions entre les intrants de transport et d’autres intrants. (7) George Kingsley Zipf (1902-1950) était un linguiste américain de l’université d’Harvard. Il a démontré que dans l’Odyssée d’Homère le rang des mots classés par occurrence était lié par une relation log-linéaire de degré – 1 à leur nombre d’occurrence. (8) Ici la taille des villes, ce qui fait que la loi s’applique aussi bien à la France qu’aux Etats-Unis. Tableau 1 Clusters industriels : une typologie à partir des coûts de transaction Caractéristiques Agglomération pure Taille des entreprises .............. Atomistique. Relations .................................. Non-identifiables. Fragmentées. Échanges fréquents mais instables. Adhésion .................................. Ouverte. Accès au cluster ..................... Paiement de loyers. Localisation nécessaire. Impacts spatiaux .................... Inflation des loyers. Exemples de clusters ............. Economie urbaine compétitive. Approches théoriques ........... Modèles d’agglomération pure. Espace pertinent .................... Urbain. Complexe industriel Réseau social Quelques entreprises de taille importante. Identifiables. Échanges fréquents et stables. Variable. Confiance. Loyauté. Lobbying joint. Joint-ventures. Non-opportunistes. Fermée. Partiellement ouverte. Localisation nécessaire. Histoire. Expérience. Localisation nécessaire mais non suffisante. Pas d’effet sur les loyers. Capitalisation des loyers partielle. Complexes de production métallurgique ou Nouvelles aires industrielles. chimique. Théorie Lieu-production. Théorie des réseaux sociaux (Granovetter). Analyse Intrant-extrant. Local ou régional (pas urbain). Local ou régional (pas urbain). Source : adapté de Iammarino et McCann, 2006, p. 1022. 861 pôles de compétitivité Le réseau social Le troisième type de clusters est celui du réseau social. Cette notion a été popularisée par Mark Granovetter (1985) en réaction au modèle dichotomique hiérarchie-marché de Williamson (1975). Le modèle du réseau social soutient que la confiance mutuelle dans les relations inter-organisationnelles est au moins aussi importante que les relations hiérarchiques intra-organisationnelles pour la prise de décision stratégique. Ce modèle est a-spatial, mais il est facile de comprendre que la proximité géographique permet l’émergence à long terme d’un environnement de confiance qui permet une prise de risque calculée et la coopération. Les relations de confiance se traduisent par une variété de phénomènes, la création de joint-ventures, des alliances informelles ou encore des arrangements réciproques entre fournisseurs et acheteurs. Dans la réalité, tout cluster présentera une partie des caractéristiques de chaque « idéal-type » même s’il y a une prédominance d’un type sur les autres. Mais une description des clusters à partir d’un modèle de coûts de transaction n’est qu’une partie de la solution à notre projet de classification des expériences internationales. Il est important de considérer, aussi, les questions de processus d’innovation et de nature de la connaissance mobilisée afin de saisir la dynamique d’évolution de ces clusters. Une perspective dynamique à partir des technologies et des connaissances La prise en compte de la dynamique d’apprentissage et de création de nouvelles connaissances conduit à des trajectoires d’agglomération différentes et demande donc à dépasser le cadre issu de la matrice des coûts de transaction pour l’enrichir d’une analyse de ces dynamiques. Si le cadre présenté précédemment s’intéresse avant tout à l’appropriation de la valeur, ici la question est plutôt celle de sa création. La distinction entre information et connaissance, ou entre connaissance « codifiée » et connaissance « tacite » est cruciale dans cette perspective (Polanyi, 1962 ; Nonaka, Takeuchi, 1997). Dès lors que cette distinction est faite, on peut s’intéresser aux différents aspects de la création de connaissance : absorption, interprétation, adoption et implémentation et les impacts technologiques de ces différents processus en relation avec les caractéristiques en termes de coûts de transaction des clusters. Cette prise en compte des aspects technologiques, en plus d’approfondir la connaissance des idéaux-types déjà présentés, amène à concevoir une dichotomie des réseaux sociaux (tableau 2). Il faut en effet, concernant la création de connaissance, bien distinguer entre les formes établies (anciens réseaux sociaux) et les formes émergentes s’appuyant sur la notion de réseaux cognitifs (nouveaux réseaux sociaux). Dans le modèle émergent, les opportunités technologiques trouvent leur source à l’extérieur des firmes et même du secteur, par exemple dans les recherches menées par les laboratoires publics. Cohen et Levinthal (1990) ont plus particulièrement étudié la capacité des firmes à développer de nouvelles connaissances en interaction avec leur environnement. Dans cet univers, le type de connaissance est à la fois générique et non systémique, les entrées et les sorties du marché sont très nombreuses, les parts de marché sont très volatiles et le marché est peu concentré. À l’inverse dans les réseaux sociaux anciens, la connaissance est très largement codifiée et mature. Abecassis-Moedas et al. (2004), en étudiant des filières de construction et d’habillement, montrent que malgré des recompositions et des mutations dans les pratiques et les compétences des acteurs, ces filières restent relativement stables dans le temps. Dans ces réseaux anciens, la connaissance se transmet essentiellement par les contacts personnels, la socialisation et les groupes de pression politiques. Les trajectoires technologiques ne laissent la place qu’à de l’innovation de processus. Enfin, les vieux réseaux sociaux sont généralement ancrés dans une longue histoire d’expériences croisées tandis que les nouveaux réseaux sociaux s’appuient plutôt sur des communautés de pratiques qui ne nécessitent pas forcément une dimension spatiale commune (Rouby, Thomas, 2004). Tableau 2 Clusters industriels : connaissance, technologie et dynamique du cluster Réseau social Caractéristiques Agglomération pure Complexe industriel Nouveau RS Nature du savoir technique .... Codifié, explicite et transfé- Mixte, systémique, routinier, rable. intensif en R&D. Véhiculé par l’information. Spécifique, basé sur de l’expérience non-transférable. Ancien RS Tacite, nouveau, générique, Mixte, mature, incrémental. non-systémique. Véhiculé à travers des réseaux Véhiculé à travers des réseaux localisés. cognitifs. Trajectoire technologique ....... Orientée vers des processus. Résolution de problèmes. Orientée vers des produits Orientée vers des produits radi- Orientée vers des processus. complexes. calement nouveaux. Adaptation aux attentes du Baisse des coûts. Innovation. consommateur. Dynamique ................................ Stochastique. Stratégique. Mixte. Mixte. Sources de l’innovation ........... Externe à l’entreprise. Interne à l’entreprise. Mixte. Externe à l’entreprise. Appropriation des retours Concurrence variable. d’innovation .............................. Haute, création privée de nou- Mixte, création publique- Basse, collaboration et comvelles connaissances, compé- privée de connaissance nou- pétition simultanées. tition oligopolistique. velle. Opportunités technologiques . Moyennes. Basses. Très élevées et incertaines. Basses. « Cumulativité » ......................... Basse. Élevée. Basse. Élevée. Base de la connaissance ....... Diversifiée. Spécialisée. Recherche. Spécialisée par filière. Modes de gouvernance ......... Marché. Hiérarchies. Réseaux cognitifs et relation- Réseaux historiques et sociaux. nels. Source : adapté de Iammarino et McCann, 2006, p. 1029. CONCLUSION dégager une première typologie susceptible de mieux caractériser les différents exemples de clusters et, au-delà, souligner les bonnes pratiques sur lesquelles les acteurs doivent se concentrer. Cette ébauche d’analyse des pôles de compétitivité permet de mieux cerner le pourquoi de leur existence. Trois paradigmes semblent dominer : celui de la transaction (baisse des coûts de transaction), celui de la technologie (partage des coûts d’investissement) et celui de la connaissance (création de valeur à travers la coopération). On peut sur ces bases Ainsi, on ne peut pas apprécier de la même façon un pôle qui, de fait, a déjà une longue histoire, on pense ici à la Cosmetic Valley, créée sous une forme associative dans région de Chartes dès 1994, et un pôle totalement émergent, comme celui des Solutions communicantes sécurisées (SCS). Il est certain que, dans le premier cas, l’atout du pôle, du moins 862 pôles de compétitivité pour les PME, est le rapprochement entre fournisseurs et clients, dans le second cas, l’avantage est essentiellement du côté de la relation établie entre industriels et chercheurs. Aussi, il n’est pas rigoureux sur un plan scientifique de traiter les pôles de manière indifférenciée. Interroger les acteurs de plusieurs de ces entités, comme l’a fait récemment le Cabinet de conseil et d’audit KPMG (9), en dehors de toute catégorisation, ne permet pas d’établir un bilan incontestable, fût-il provisoire. Déplorer que les entreprises sont généralement réticentes à coopérer dans le domaine de l’innovation est un constat qui n’a pas beaucoup de sens dans le cas, par exemple, du pôle Parfums, arômes, senteurs, saveurs (PASS), lorsqu’on connaît la forte compétition qui existe depuis toujours entre les parfumeurs grassois. Dans ce cas de figure, il faut peut-être, plutôt que d’inciter à un hypothétique partenariat en matière de recherche, trouver des sujets consensuels et fédérateurs pour mutualiser des moyens sur des projets transversaux à long terme (10). Mais, en l’espèce, on peut s’interroger sur le fait de savoir si cette solidarité stratégique ne devrait pas être hissée au niveau national. Vu des Etats-Unis ou de la Chine, la distinction entre Cosmetic Valley et PASS ne doit pas apparaître distinctement... A terme, les deux pôles auraient certainement intérêt de s’allier pour n’en faire plus qu’un, identifié au niveau de la France. Les « nouveaux réseaux sociaux » sont justement en rupture avec l’un des fondamentaux des clusters traditionnels, à savoir l’unité géographique. Certains pôles de compétitivité français devront peut-être miser sur l’ensemble du pays. Ces pôles seraient alors géographiquement dispersés, mais stratégiquement concentrés... Un défi à relever par les acteurs des pôles, qui est sous-jacent à la dynamique décrite par Christian Blanc dans la citation que nous avons mise en exergue au début de cet article... dynamique qui ne pourra se développer qu’au prix d’un profond changement culturel. 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