G Y N É C O L O G I E E T S O C I É T É Impact du “phénomène DHEA” en médecine générale ● M.C. Rojnic*, E. Marine-Barjoan*, A. Bongain* L a DHEA (déhydroépiandrostérone) est un stéroïde essentiellement produit par les glandes surrénales (1, 2). Un très grand nombre d’études ont été réalisées chez l’animal et chez l’homme, à la recherche de son rôle physiologique, d’éventuelles conséquences d’un déficit et d’éventuels bénéfices d’un apport. La décroissance des taux sériques de SDHEA (sulfate de déhydroépiandrostérone), avec l’avancée en âge, a fait suspecter l’implication de ce stéroïde dans le vieillissement physiologique et dans la survenue de pathologies dont l’incidence est fortement liée à l’âge. L’étude “DHEâge” a été mise en place sur l’initiative des Prs Baulieu et Forette. L’hypothèse de recherche était : l’apport de DHEA pendant un an à des sujets âgés, à une dose qui permet de restaurer des taux de SDHEA de l’ordre de ceux observés chez l’adulte jeune et qui est bien tolérée, prévient certaines altérations observées au cours du vieillissement. Cette étude a été diffusée auprès de la population française par les médias de vulgarisation de l’information, entraînant un engouement pour la DHEA. Objectif : Le but de notre travail a été d’évaluer l’impact du “phénomène DHEA” en médecine générale. Matériel et méthode : Une étude comportementale, prospective a été réalisée par une enquête de pratique auprès de 400 médecins généralistes des Alpes-Maritimes afin de connaître le taux de prescription de la DHEA, la demande des patients, les effets observés et l’attente des médecins généralistes. Résultats : 89 % des médecins généralistes ont été confrontés au “phénomène DHEA” ; 56 % ont prescrit la DHEA, dont 92,4 % du fait d’une demande pressante des patients. C’est essentiellement une population féminine sexagénaire en bonne santé, sans traitement chronique, ayant conservé une activité socioculturelle mais n’acceptant pas son vieillissement qui a demandé une prescription de DHEA. Les conséquences cliniques et biologiques ont été minimes : le seul effet notable ayant été une amélioration du bien-être, analysée de façon subjective. Il n’y a pas eu d’effet indésirable majeur. Depuis la réalisation de ce travail, la prescription de DHEA s’est peu à peu arrêtée du fait des recommandations des autorités et de l’absence de réponse notable aux attentes des patients en matière de lutte antivieillissement. Cette étude suggère d’autres entreprises : déterminer le type de communication à donner aux patients en matière de progrès scientifiques et de médicaments, et le travail à réaliser au jour le jour avec son patient dans la lutte antivieillissement * Service de gynécologie obstétrique, de reproduction et de médecine fœtale, CHU de Nice, hôpital l’Archet 2, BP 3079, 06202 Nice Cedex 3. 4 ÉTAT DES LIEUX “Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie”, cette lamentation pathétique de Don Diègue dans Le Cid illustre bien l’impuissance de l’homme confronté à son propre destin. La perspective de la décrépitude physique et intellectuelle qui frappe le grand âge n’est guère réjouissante. Aussi espérons-nous, plus ou moins consciemment, que les progrès de la médecine et de la biologie moléculaire apporteront un jour le remède tant attendu, capable d’effacer ou d’alléger le fardeau du déclin. DHEA : ces quatre lettres résonnent comme une formule magique. Elles désignent un composé hormonal, la déhydroépiandrostérone, qui serait une clé du ralentissement du vieillissement. D’où la fascination qu’elle exerce et l’importance des recherches menées aujourd’hui sur ce stéroïde. Car nous sommes de plus en plus nombreux à être âgés. Trente-cinq pour cent des Françaises et des Français auront, en 2050, plus de 60 ans, contre 20 % aujourd’hui. Comme dans les autres pays occidentaux, l’espérance de vie ne cesse d’augmenter en France. En 2000, elle était, pour les hommes de 75,2 ans et de 82,7 ans pour les femmes. Elle dépassait à peine 63 ans en 1950. Ainsi le XXe siècle a vu la découverte de la DHEA, mais également le fait que sa concentration plasmatique diminue avec l’âge. Cela a été le point de départ de nombreuses études complexes et variées afin de connaître le rôle de cette molécule et son implication par rapport au vieillissement. Sachant aussi que la prise en charge médicale des risques et des pathologies liés au vieillissement est une spécialité nouvelle du fait de l’allongement récent de l’espérance de vie. On ne demande plus seulement au médecin de guérir, mais autant de prévenir les méfaits du vieillissement. Ainsi toute information concernant une molécule ayant un potentiel “antivieillissement” acquiert du jour au lendemain une importance capitale. Cela a été le cas pour la DHEA qui a été surmédiatisée en France alors que son statut, sur les plans pharmacologique et médical, est singulier. La France connaît actuellement un vieillissement notable de sa population. Par ailleurs, le vieillissement est actuellement perçu comme un phénomène hétérogène incluant la notion de vieillissement réussi à côté du vieillissement pathologique et du vieillissement sans maladie et sans handicap, mais avec régression des capacités fonctionnelles. Plusieurs études se sont attachées à caractériser le vieillissement. Parmi les éléments paracliniques entrant en jeu dans l’étude du vieillissement, on trouve, entre autre, le taux de SDHEA dans le sang. De plus, cette hormone naturelle, dont le taux diminue avec La Lettre du Gynécologue - n° 290 - mars 2004 G Y N É C O L O G I E l’âge et à la fonction encore mystérieuse, peut être administrée à l’homme à visée substitutive de façon à restaurer les taux observés chez l’adulte jeune. Cette possibilité n’a pas été sans susciter un important engouement, en particulier aux États-Unis où la DHEA est en vente libre, et ce malgré les zones d’ombre entourant la participation possible de cette hormone dans le vieillissement réussi. Pour le Français âgé, être en bonne santé, c’est avoir plaisir à vivre avec des logiques d’amélioration dans les habitudes de vie, dans son environnement, dans le maintien d’activités, dans une croyance de la médecine et surtout dans sa recherche. La DHEA est une hormone identifiée dans les années 1930. Un très grand nombre d’études ont été réalisées chez l’animal et chez l’homme, à la recherche de son rôle physiologique, d’éventuelles conséquences d’un déficit et d’éventuels bénéfices d’une supplémentation. Chez l’animal, il s’agit surtout d’études des effets de la DHEA à des doses pharmacologiques. Chez l’homme, il s’agit soit d’études d’observation ayant mesuré les concentrations plasmatiques de DHEA dans diverses populations, soit d’études cliniques utilisant des doses qualifiées de “substitutives” de DHEA. La DHEA, forme libre de l’hormone, est produite en faible quantité, de l’ordre d’environ 4 mg par jour chez l’adulte jeune. Elle a une demi-vie d’élimination plasmatique estimée à environ 15 à 30 minutes. Le SDHEA est sécrété à environ 20 à 25 mg par jour chez l’adulte jeune, sa demi-vie est estimée à 7 à 10 heures. La transformation de la DHEA en SDHEA est facilement réalisée, de façon réversible, avec interconversion entre les deux produits (2). Chez l’adulte jeune, la concentration de SDHEA plasmatique est importante. Elle est environ vingt fois plus élevée que celle du cortisol (1, 2, 3). On ne lui connaît pas, pourtant, de rôle physiologique en lui-même. Aucun récepteur spécifique de la DHEA n’a été mis en évidence. La DHEA est une étape dans la synthèse d’hormones androgéniques et estrogéniques dans divers tissus et organes (4, 5). Il n’existe pas non plus de transporteur spécifique de la DHEA. Celle-ci est liée principalement à l’albumine plasmatique (6) ; la DHEA peut donc entrer en compétition avec les autres stéroïdes sur ce site de liaison. Les concentrations moyennes chez l’homme varient avec l’âge. La concentration plasmatique de DHEA et de son métabolite, le SDHEA, est maximale entre 20 et 35 ans, puis elle diminue ensuite avec l’âge, pour atteindre environ 20% de sa valeur maximale dans la neuvième décennie (7-10). Il faut préciser que la ménopause ne constitue pas un événement dans le déclin progressif de la DHEA et de son sulfate ( 1 1 ), le mécanisme de cette diminution est inconnu. Chez des sujets en bonne santé, dans une même tranche d’âge, il existe de grandes variations interindividuelles des concentrations plasmatiques de DHEA dans un rapport de 1 à 20 (7-10, 12, 13). Chez les femmes, les concentrations sont en moyenne inférieures de 10 à 20 % à celles des hommes (14). Chez un même sujet, l’évolution au cours du temps ne va pas toujours dans le sens d’une diminution. Ainsi de nombreuses études ont mesuré les concentrations La Lettre du Gynécologue - n° 290 - mars 2004 E T S O C I É T É plasmatiques de DHEA et de SDHEA dans diverses populations de malades. L’association d’une concentration plasmatique élevée en SDHEA et de sa diminution avec l’âge a laissé penser que la DHEA aurait une action propre et jouerait un rôle dans la longévité. Afin d’étayer cette hypothèse, plusieurs auteurs se sont attachés à rechercher un lien entre le taux de SDHEA et les phénomènes pathologiques observés au cours du vieillissement. De nombreux domaines ont donné lieu à des études d’observation sans résultat tangible : diabète, obésité, hypertension artérielle et autres facteurs de risque cardiovasculaire, sensation de bonne santé, neuropsychiatrie (humeur, dépression, démence dont la maladie d’Alzheimer, schizophrénie), densité osseuse, pathologies rhumatismales, diverses atteintes du système immunitaire dont l’infection par le VIH, durée de vie, mortalité, etc. (1, 13, 15). En somme, aucune association n’est établie entre une concentration plasmatique basse de DHEA et une pathologie particulière. L’ensemble des données de la littérature et les limites inhérentes au modèle animal ont conduit plusieurs chercheurs à réaliser des essais thérapeutiques chez l’homme pour mesurer l’efficacité de la DHEA, notamment celle d’une dose substitutive venant compenser la perte liée à l’âge. Ainsi, un essai randomisé en double aveugle a inclus 280 hommes et femmes, âgés de 60 à 79 ans, qui ont été traités soit par 50 mg par jour de DHEA par voie orale, soit par un placebo pendant un an, de mars 1998 à octobre 1999 (l’attribution a été faite au hasard par tirage au sort). C’est l’étude “DHEâge”, mise en place sur l’initiative du Pr. Baulieu (responsable du laboratoire “hormone et génétique” de l’INSERM), et du Pr. Forette (consultante au service de gériatrie-gérontologie de l’hôpital Broca-La-Rochefoucault, présidente de l’International Longevity Center France et directeur à la Fondation nationale de gérontologie) dont l’hypothèse de recherche était : l’apport de DHEA sur un an à des sujets âgés, à une dose qui permet de restaurer des taux de SDHEA de l’ordre de ceux observés chez l’adulte jeune et qui est bien tolérée, prévient certaines altérations observées au cours du vieillissement. L’efficacité de cette prise de DHEA était évaluée sur différents paramètres : cognitif, psychologique, immunologique, osseux, métabolique, hormonal, cutané, cardiovasculaire et musculaire. Les bénéfices attendus de la prise quotidienne de DHEA à 50 mg sur un an étaient les suivants : – de meilleures performances intellectuelles et une amélioration de l’état de bien-être ; – une stimulation du système immunitaire avec son impact sur le plan infectieux, vaccinal et peut-être carcinologique ; – une augmentation de la force musculaire et une préservation de la masse osseuse ; – un moindre vieillissement vasculaire ; – un moindre vieillissement cutané. Les résultats de cette étude ont montré un rétablissement des taux circulants de SDHEA de l’adulte jeune, une petite augmentation de testostérone et d’estradiol chez les femmes, une amélioration du métabolisme osseux (mesuré par ostéodensitométrie), de la peau (en termes d’hydratation, d’épaisseur épidermique, de production de sébum et de pigmentation) et une 5 G Y N É C O L O G I E E T S O C I É T É augmentation significative de la plupart des paramètres caractérisant la libido chez les femmes de plus de 70 ans. Enfin, l’administration de 50 mg par jour de DHEA n’a pas entraîné d’effets indésirables biologiques (16). D’autres essais cliniques, ayant inclus un nombre de patients moins importants que l’étude “DHEâge”, ont été effectués mais n’ont pas démontré d’effets bénéfiques notables de la DHEA. Seule l’étude “DHEâge”, essai français, a été relatée auprès du public par la presse non spécialisée (ni scientifique ni médicale) et la télévision. Le traitement de l’information via les médias de vulgarisation a entraîné un engouement pour cette molécule, largement étayé par les sites Internet, majoritairement à but lucratif. En 2001, la DHEA faisait l’objet de très nombreuses communications dans la presse française pour des propriétés alléguées dans la lutte contre les effets du vieillissement, alors que sa sécurité d’emploi n’avait pas été définie. Aussi, à la demande de Bernard Kouchner, alors, ministre délégué à la Santé, l’AFSSAPS a conduit, en collaboration avec de nombreux experts, une évaluation des données disponibles sur les bénéfices et les risques éventuellement liés à l’utilisation de la DHEA. Les conclusions des experts ont été consignées dans un rapport établi par l’AFSSAPS. Le groupe d’experts a conclu que : – la DHEA n’a pas d’effet pharmacologique direct démontré. Elle a, en tant que précurseur hormonal, un effet pharmacologique lié à sa transformation dans l’organisme en hormones sexuelles (testostérone et, à un moindre degré, estrogènes) ; – la DHEA existe dans le plasma sous deux formes : la forme libre DHEA et la forme sulfoconjuguée SDHEA, qui sont en interconversion métabolique permanente. Leur concentration plasmatique varie considérablement au cours de la vie d’un même sujet et même au cours d’une journée. Cette variation est également constatée d’un individu à l’autre sur une même tranche d’âge (d’un facteur de 1 à 20). Compte tenu de cette grande variabilité, la diminution des concentrations de DHEA circulante avec l’âge n’est pas constamment observée. Tout dosage plasmatique pour évaluer une possible carence en DHEA est donc inutile. Parmi les études cliniques disponibles, l’étude “DHEâge” est la seule de plus grande envergure par rapport aux autres études déjà menées dont le protocole était conçu pour étudier et mettre en évidence des effets globaux de la DHEA sur le bienêtre du sujet âgé et sur d’autres critères liés au vieillissement. Concernant le critère principal de jugement, échelle de sensation de bien-être, aucun effet positif n’a été mis en évidence, ni dans la population globale, ni dans aucun des sous-groupes étudiés. Des effets positifs ont été mis en évidence pour des critères secondaires, dans des sous-groupes particuliers, avec des résultats parfois discordants (densité osseuse, peau, libido). On ne peut éliminer le fait que ces effets bénéfiques soient liés au hasard, compte tenu de la multiplicité des paramètres étudiés et comparaisons effectuées (environ 30 critères, 4 strates soit 120 comparaisons). Il en est de même pour les effets cutanés qui sont modestes et discordants selon les groupes, donc de pertinence discutable. 6 Concernant les fonctions cognitives, il n’existe pas de données publiées actuellement dans l’étude “DHEâge”. Une revue récente des études publiées conclut à l’absence de données établissant une amélioration de la mémoire ou d’autres aspects des fonctions cognitives lors d’une supplémentation en DHEA. Au total, aucune preuve formelle d’efficacité dans les pathologies associées au vieillissement n’a été établie, même si des pistes peuvent mériter des études ultérieures. Sur le plan de la sécurité, aux doses inférieures ou égales à 50 mg par jour, et avec un suivi d’un an en double aveugle, il n’a pas été mis en évidence d’effets secondaires préoccupants. Cependant, une baisse significative du HDL-cholestérol, observée dans l’étude “DHEâge”, pourrait traduire une augmentation du risque cardiovasculaire. Un effet similaire de diminution du HDL-cholestérol est mis en évidence dans plusieurs autres études cliniques, et peut être expliqué par l’effet androgénique de la DHEA. Le risque de stimulation de la croissance de cancers hormonodépendants, comme le cancer de la prostate, ne peut pas être exclu, notamment dans des situations d’utilisation à long terme. Ce risque nécessite, en cas d’exposition au produit, un dépistage et une surveillance systématiques. De plus, l’association de la DHEA à un traitement hormonal substitutif chez les femmes ménopausées pourrait renforcer ce risque. Les apports établis du traitement estroprogestatif substitutif ne justifient en aucun cas son abandon en faveur de la DHEA. Enfin, ces risques potentiels sont susceptibles d’être plus importants en cas d’augmentation des doses et de la durée d’exposition. Au vu des données actuellement disponibles, le groupe d’experts conclut que les effets potentiels défavorables d’une baisse du cholestérol-HDL ainsi que les risques potentiels de cancers hormono-dépendants ne sont pas contrebalancés par un effet clinique bénéfique actuellement démontré. Dans l’attente d’une telle démonstration, il n’est pas possible de recommander l’utilisation proposée aujourd’hui de la DHEA dans la lutte contre le vieillissement. Enfin, la qualité pharmaceutique de la DHEA ne pourra être pleinement assurée qu’après la mise en place d’une monographie fixant des spécifications de qualité (17). La DHEA n’était pas inscrite à la pharmacopée française, ni à la pharmacopée européenne ; elle n’était pas inscrite, en France, sur une liste de substances vénéneuses ; elle n’était pas autorisée comme “complément alimentaire” ; sa vente n’était pas interdite (18). Un bilan des ventes de DHEA sous forme de matière première par les laboratoires importateurs montre qu’elles ne dépassaient pas 2 à 3 kg par mois, délivrés pour des centres d’études et, qu’en mars 2001, ces ventes atteignaient 30 kg par mois pour les pharmacies. Ces quantités correspondent à 600 000 gélules à 50 mg et 1 200 000 gélules à 25 mg, mais ces estimations ne correspondent à aucune réalité en matière de consommation par les patients. L’originalité de ce travail tenait au caractère peu ordinaire de la mise en circulation de cette molécule non inscrite à la pharmacopée française, ni européenne. La Lettre du Gynécologue - n° 290 - mars 2004 G Y N É C O L O G I E ÉTUDE PERSONNELLE ET DISCUSSION Objectif L’objectif de notre travail était d’évaluer l’impact du “phénomène DHEA“ dans la pratique quotidienne de médecins généralistes, dans le contexte de la vulgarisation des travaux menés sur cette molécule par les médias français. Méthode Il s’agit d’une étude comportementale, prospective, réalisée par une enquête de pratique, au moyen d’un questionnaire postal, auprès de médecins généralistes des Alpes-Maritimes, omnipraticiens, pendant les mois de juin et juillet 2002 avec comme interrogations : • Nombre de médecins confrontés au “phénomène DHEA“ ? • Comment les médecins généralistes ont-ils réagi ? • Ont-ils prescrit la DHEA ? • Qu’en pensent-ils ? • Quelle a été la demande des patients ? • Quels effets a eu cette prise de DHEA ? • Que révèle cette enquête de façon sous-jacente ? La populatio cible des médecins généralistes a été déterminée grâce au service d’un épidémiologiste, en réalisant un échantillonage à partir de la base de données de l’annuaire de France Télécom. Un tiers des médecins généralistes a été choisi au hasard, soit une liste de 400 médecins dans le but d’obtenir au moins 150 réponses. Les médecins à exercice particulier (acupuncture et/ou homéopathie) ont été exclus. Le questionnaire anonyme regroupait 18 questions à choix simples ou multiples, accompagné d’une enveloppe T afin d’améliorer le taux de réponses. La base de données a été exploitée grâce au logiciel “Stateview”. Résultats et discussion Nous ne reprendrons que les résultats qui nous permettent de discuter le comportement médical face à ce phénomène. Ainsi, 237 réponses ont été reçues, soit un taux de participation de 5 9 % ; 56 % des médecins généralistes ayant participé à l’enquête ont prescrit la DHEA. Avec les autres médecins non prescripteurs, qui avaient des patients sous DHEA dans leur clientèle, il s’agit de 89 % des médecins qui se sont retrouvés confrontés au “phénomène DHEA”. La prescription a été motivée pour 92,4 % des médecins par la demande pressante des patients. On peut s’interroger sur le taux des médecins généralistes confrontés au “phénomène DHEA”, mais il faut se rappeler les circonstances qui ont précédé cette enquête. La DHEA a d’abord été révélée aux médecins généralistes par leurs patients qui avaient entendu parler de cette molécule “miracle” dans la lutte antivieillissement par une information non spécialisée. Devant l’ampleur du phénomène, les autorités (AFSSAPS, conseil national de l’ordre des médecins) se sont penchées sur les études réalisées sur cette molécule. M. Jean-Hugues Trouvin, directeur de l’évaluation du médicament et des produits biologiques de l’AFSSAPS concluait, en juillet 2001, que la DHEA n’était pas inscrite sur la liste des substances interdites ; il n’y avait pas de raison de dire qu’elle était active, La Lettre du Gynécologue - n° 290 - mars 2004 E T S O C I É T É mais il n’y avait pas de raison non plus de dire qu’elle était dangereuse. La médiatisation a été importante peut-être parce que la presse s’est faite l’écho de propos d’experts comme le Pr. Baulieu mais, peut-on être à la fois le promoteur d’une idée, du développement d’un produit et rester critique vis-à-vis de ce produit ? Cependant, le Pr. Baulieu est le promoteur de la recherche sur la DHEA et non pas de la DHEA. Par ailleurs, prolonger la vie, retarder la vieillesse et rajeunir sont les aspirations de la culture moderne à propos du corps. L’inconscient collectif contemporain vit dans l’attente de progrès scientifiques qui fixeront les nouvelles frontières de la vie. D’où l’impact de toute nouvelle découverte dans ce domaine. Ces résultats sont intéressants dans la mesure où ils montrent la pression des patients qui s’est exercée sur les médecins, qui, de ce fait, pouvaient ne plus être libres de leur prescription. Cette pression est due à l’interprétation individuelle et inadéquate de l’information de vulgarisation scientifique. On retrouve des résultats comparables dans un travail de thèse de doctorat en épidémiologie et santé publique, soutenue début 2002 à l’université de Vancouver, au Canada, qui s’est intéressée aux effets de la publicité directe au public pour les médicaments de prescription sur le système de santé, citée par la revue Prescrire (19). L’article explique que ce travail a permis de recenser des données quantitatives sur la publicité directe aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, où cette publicité a été autorisée récemment, et au Canada, où la réglementation de la publicité a été assouplie en faveur de la publicité directe sans l’autoriser autant qu’aux États-Unis. Les auteurs de la thèse ont réalisé des enquêtes auprès des médecins généralistes, à Vancouver (40 cabinets) et à Sacramento (Californie) (38 cabinets), ainsi qu’auprès de patients de ces mêmes villes (748 à Vancouver et 683 à Sacramento). Au moment de l’enquête, 61% de l’ensemble des patients interrogés consultaient un des médecins participant à l’étude. À Sacramento, 7,3 % des patients ont demandé des médicaments de prescription au cours de leur consultation (versus 3,2 % des patients de Vancouver). Les médecins de Sacramento ont prescrit le médicament demandé dans 79,6% des cas (versus 62,6 % à Vancouver). On retrouve le même phénomène singulier qui consiste à commencer par le médicament “vu à la télé” ou, dont on aura eu vent par un autre moyen d’information, pour remonter à la prise en charge d’un ou plusieurs symptômes et finalement, envisager de traiter une éventuelle maladie. Ainsi a été le “phénomène DHEA”. Seulement, cette molécule n’était pas un médicament ordinaire puisqu’elle n’avait pas d’AMM et n’était inscrite ni à la pharmacopée française, ni européenne. De plus, dans l’état actuel des connaissances, elle n’a pas d’indication dans la lutte antivieillissement. On est passé trop rapidement, semble-t-il, de la recherche à l’application thérapeutique. Patients concernés dans notre étude Dans notre enquête, la population souhaitant une prescription de DHEA était constituée de femmes à 80 % avec un niveau socioculturel moyen à élevé, qui avait gardé une activité socio7 G Y N É C O L O G I E E T S O C I É T É culturelle mais n’acceptaient pas leur vieillissement, ce qui a motivé probablement la demande de prescription de DHEA. Ce résultat rejoint la remarque du Dr Fauconnau, responsable du recrutement pour l’étude DHEâge, qui déclarait au Monde, en avril 2001, que les patients étaient des centaines à avoir répondu à l’appel, venus pour la plupart des affaires, de l’enseignement, de l’administration, des professions libérales, tous préoccupés par les mêmes tracas apparemment plus bourgeois que populaires, avoir la peau moins beige, la mémoire moins décatie, la libido plus vaillante. L’âge de début de la prescription était de 60,3 ans ± 8,9 ans avec un âge supérieur ou égal à 60 ans dans 66,2 % des cas. La population sous DHEA des médecins généralistes interrogés rejoint, en ce qui concerne l’âge, celle de l’étude DHEâge, également, où l’administration de DHEA a été faite pour des personnes de 60 à 79 ans. Nous pouvons nous étonner, cependant, de voir une prescription chez une femme de 40 ans dans notre étude. Il s’agissait en général de patients en bonne santé. En effet, l’essentiel des pathologies chroniques était constitué par les maladies cardiovasculaires seulement dans 38,5 % des cas ; ce qui explique également la prise de traitements chroniques avec moins de six médicaments par jour dans 48,6 % des cas. L’adjonction d’une gélule de DHEA n’était donc pas considérée comme gênante, sachant que dans 10,1% des cas, elle était prise à la place du traitement hormonal substitutif, ce qui est surprenant. Le dosage plasmatique avant toute prise de DHEA a été réalisé par 51,3% des médecins aussi bien prescripteurs que non prescripteurs. Ce dosage était motivé par le besoin de faire un état des lieux, et pouvoir refuser par la suite la prescription de DHEA du fait d’un résultat normal. Dans les autres cas, il s’agissait d’obtenir une valeur de base avant la prise de DHEA. Mais que penser de l’utilité d’un tel dosage quand on sait que la concentration plasmatique de la forme libre de DHEA et du SDHEA varie considérablement au cours d’une journée (17) ? D’ailleurs, ce dosage plasmatique n’a plus été systématiquement réalisé après la prise de DHEA. Les indications de prescription de DHEA étaient essentiellement un manque de vitalité, des problèmes de libido et des problèmes cutanés, des symptômes principalement subjectifs, difficilement quantifiables de prime abord. Effets constatés Les effets positifs obtenus ont été très modestes, et concernent surtout la sensation de bien-être (65,2 %), moins la libido (34 %), critères subjectifs fondés uniquement sur les dires du patient et non sur une échelle d’évaluation précise et reproductible ; 45% des médecins n’ont noté aucun effet positif objectif. Ces résultats rejoignent ceux de l’étude DHEâge qui notaient que la prescription de la DHEA avait un effet positif sur la libido en période postménopausique (16). Par ailleurs, deux études indiquaient que l’adjonction de DHEA au traitement habituel par corticoïdes augmentait la libido et le bien-être de personnes ayant une insuffisance surrénalienne, responsable de taux effondrés de cette hormone (20, 21). Mais d’autres études infirment ces résultats, notamment un essai qui a comparé, selon une méthodologie croisée, 50 mg par jour de DHEA à un placebo pendant trois mois chez 8 13 hommes et 17 femmes, âgés de 40 à 70 ans. Cet essai n’a pas montré de modification du bien-être, ni de la libido (22). Les effets indésirables ont été rares et ne concernaient pas le pronostic vital des patients. Il s’agissait d’acné et d’hirsutisme remarqués par 12 % des médecins interrogés. La DHEA n’a pas d’activité androgénique propre, mais elle est un précurseur des androgènes (4, 5). Acné, alopécie, hirsutisme, modifications de la voix ont été rapportés chez des femmes utilisant de la DHEA (17). Des médecins (1,8 %) ont noté une dyslipidémie, effet indésirable précisé aussi dans le rapport de l’AFSSAPS après analyse des résultats de l’étude DHEâge qui a montré une diminution significative des concentrations plasmatiques de HDL-cholestérol dans le groupe traité par la DHEA (16, 17). Les raisons de non-prescription de la DHEA ont été pour 82,7 % et 86,5 % des médecins, respectivement, une absence d’AMM et le peu de recul sur cette molécule. Et 65,5 % de l’ensemble des médecins souhaiteraient une AMM pour la DHEA. On peut en conclure que les médecins généralistes interrogés souhaiteraient un cadre plus réglementaire et des données plus formelles concernant la DHEA pour la prescrire à bon escient. Biais de sélection et d’intervention Ce travail présente des biais de sélection et d’intervention. En effet, la population interrogée se limitait aux médecins généralistes des Alpes-Maritimes ; les résultats ne peuvent pas être extrapolés à la France. La sélection s’est portée sur les médecins et non sur les patients ; nous ne pouvons donc pas évaluer de façon exacte la consommation de DHEA par la prescription médicale et par les autres moyens (achat à l’étranger et Internet). Il s’agit seulement d’une étude comportementale des médecins généralistes. Le biais d’intervention est la méthode et la période choisies pour mener l’enquête ; un démarchage direct au cabinet des médecins généralistes aurait permis d’augmenter le taux de réponses (certains médecins ne prescrivant pas la DHEA ont jeté le questionnaire). Mais la mise en pratique aurait été, sur un plan matériel et logistique, difficile du fait du nombre de médecins à visiter. La période de réalisation de l’enquête, deux ans après l’engouement médiatique, et un an après l’émission du rapport de l’AFSSAPS et des recommandations du conseil de l’ordre des médecins a pu également constituer un biais d’intervention. CONCLUSION Ce travail révèle de façon sous-jacente plusieurs réflexions. La recherche sur la DHEA se poursuit mais ne fait plus l’objet d’articles dans la presse de vulgarisation. Ce “phénomène DHEA” pose le problème de l’information à donner aux patients, notamment à des personnes vulnérables (les personnes âgées). Cette information ne peut pas se faire par les systèmes de communication non spécialisés et si information il y a, elle doit être accompagnée, c’est-à-dire, donnée par des spécialistes (médecins ou scientifiques) en consultation et adaptée à chaque patient. La Lettre du Gynécologue - n° 290 - mars 2004 G Y N É C O L O G I E Des médecins généralistes interrogés (50,6 %) accepteraient de participer à des formations sur la prise en charge du vieillissement. La gériatrie est une jeune spécialité et notre population vieillissante. Gérer des personnes âgées est le quotidien des médecins généralistes en France. M. François Meyer, adjoint au directeur de l’évaluation à l’AFSSAPS et coordinateur du groupe de travail sur la DHEA, répondait à la question de savoir si la DHEA devait continuer à être considérée comme un médicament, que la DHEA, même si elle n’est pas interdite, ne semblait pas en rapport avec la philosophie générale de la prescription magistrale, qui est là pour traiter des gens ayant des maladies et non pas fournir un produit à visée de bien-être. Effectivement, ce n’est pas un seul produit qui peut assurer un bien-être mais les médecins généralistes ne sont pas que des soignants, ils assurent aussi un travail de prévention, notamment dans la lutte antivieillissement qui ne se résume pas à l’administration de traitements. “Bien vieillir”, aujourd’hui est un enjeu de santé publique. Il faut continuer la recherche, assurément, mais aussi développer la communication auprès des acteurs de la santé et des patients. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. 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Il expose clairement les données fondamentales sur la physiologie de la grossesse, les méthodes d’examen de la femme enceinte et du fœtus, la surveillance de la grossesse successivement pendant les trois trimestres, avec l’étude des modifications maternelles normales et l’examen des développements embryonnaire, puis fœtal normaux, les grossesses à risque, les avortements, les malformations de l’enfant, les grossesses multiples, les possibles pathologies maternelles, l’accouchement normal et pathologique, enfin le post-partum. Dans tous les chapitres, la rédaction est claire ; la liaison particulière du texte et de l’image toujours en regard ainsi que la richesse des illustrations couleurs et des tableaux, ajoutent au caractère pratique du livre. Celui-ci se termine par une série d’annexes, dont la traduction a été adaptée au marché francophone. Au total, un ouvrage complet, pratique, moderne, indispensable pour préparer, réviser, réussir l’épreuve d’obstétrique et également support de cours de choix pour l’enseignant. La Lettre du Gynécologue - n° 290 - mars 2004 9