répond-il. Beaucoup d’acteurs disent qu’ils s’approprient un personnage. Moi, je
cherche chaque personnage en moi-même. Tous sont en moi, tous parlent de moi,
et, parlant de moi, ils parlent aux spectateurs, qui me voient et que je vois. C’est un
dialogue, pour moi, le théâtre, et c’est pour cela que je m’adresse directement à la
salle, parfois. »
« Je me considère comme un marionnettiste qui manipule ses personnages, poursuit
Lars Eidinger. Quand je joue, j’ai une conscience assez complexe des choses : je
peux penser à la fois au personnage, à mes partenaires, à ma femme, à ma fille.
Cette concentration profonde me donne une sorte de surconscience.
Dans une situation tragique, je peux très bien pleurer, vraiment, et en même temps,
à un autre niveau, me réjouir d’y parvenir en tant qu’acteur. Cela peut paraître
contradictoire, mais ça ne l’est pas.
Brecht dit que nos contradictions sont notre espoir. » Cette façon de jouer, Lars
Eidinger l’a acquise avec le temps. A ses débuts, il était tout autre, mais déjà à part.
Une autre scène que celle d’Hamlet en témoigne : celle qui a valu à l’acteur d’entrer
à la Schaubühne de Berlin.
C’était à la fin des années 1990, quand il était étudiant à l’Académie d’art dramatique
Ernst- Busch de Berlin, la plus prestigieuse école de théâtre d’Allemagne. Un jour, au
cours d’un exercice, Lars Eidinger doit réciter le monologue de Franz Moor, dans Les
Brigands, de Schiller. Il s’assied sur une chaise, et, pendant une minute, il suce un
bonbon, sans dire un mot. C’est long, une minute de silence. Quand elle s’achève,
Lars Eidinger dit la première phrase : « Das dauert mir zu lange » (« Il me prend trop
de temps »). Tobias Veit et Jens Hillje, deux proches collaborateurs
de Thomas Ostermeier, qui vient d’être nommé directeur de la Schaubühne, sont
enthousiasmés. Ils veulent que Lars Eidinger intègre la troupe. Mais Thomas
Ostermeier, devant qui Lars Eidinger répète l’exercice, n’est pas convaincu. Il
engage quand même l’acteur, qui, pendant deux ans, passe beaucoup de temps à la
cantine du théâtre, piaffant que son directeur s’intéresse à lui et lui donne autre
chose que de tout petits rôles.
Ainsi en fut-il, au début. C’était Lars Eidinger qui voulait Thomas Ostermeier. Et
quand il veut quelque chose, il ne lâche pas. Il était déjà comme ça enfant. Quand il
courait, pendant les cours de sport, on lui avait appris qu’il fallait réserver ses efforts
pour le dernier tour de piste. Lui commençait bien avant à courir à fond. Et il gagnait.
Il ne dérogeait pas de l’objectif qui est toujours le sien : être le premier, le meilleur.
Aujourd’hui, il n’hésite pas à affirmer, dans les interviews, son ambition de devenir le
plus grand acteur de sa génération. Voire de l’être. Evidemment, il se fait traiter de
vaniteux, narcissique, orgueilleux. Il s’en défend très tranquillement : « J’aime bien
mon image, elle ne me pose pas de problème. Je préfère être vu comme ça que
comme le petit gentil que tout le monde aime. Le malentendu vient du fait que je suis
très sincère, direct, et que la plupart des gens ne le sont pas. Cet orgueil, cette
vanité, c’est ce qui fait avancer dans la vie. Sinon, on pourrait tous se mettre dans un
sac, et ne plus bouger. Tout le monde veut être le meilleur. Simplement, il y a des
gens qui remarquent assez vite qu’ils ne sont pas doués, et ils laissent de côté leur
vanité. Moi, j’ai senti tôt que j’avais un grand potentiel, et j’ai déployé beaucoup de
force pour arriver à ce que je voulais. »
Lars Eidinger est né le 21 janvier 1976 à Berlin, où il a grandi, dans le quartier de