BIOFUTUR 266 • MAI 2006 23
La diversité trouve sa source dans l’ADN
N
ous disposons d'autres moyens d'appréhender cette
diversité. Au niveau des plantes entières, les différences
visibles se rapportent bien sûr à l’existence de varia-
tions génétiques codées dans l’ADN des individus,
appelées polymorphismes. Ces variations sont créées
par différents types de mutation, et certaines sont sou-
mises à une sélection en rapport avec leur effet sur un
comportement phénotypique.
T
outefois, au niveau de l’ADN, la plupart des varia-
tions observées sont sélectivement neutres et ne confè-
rent a priori aucun avantage sélectif. La génomique
fournit un grand nombre de marqueurs moléculaires,
de différents types, permettant de révéler des poly-
morphismes sur l'ensemble du génome, de façon quasi-
aléatoire aussi bien ciblée sur des gènes « candidats »
ayant des fonctions présumées
(encadré 1)
. Elle produit
donc des outils très puissants pour étudier la diversité
génétique des populations de nombreuses espèces
sauvages et cultivées, en particulier pour en retracer
l’histoire (phylogéographie) et en comprendre la dyna-
mique (colonisation, isolement reproducteur, adap-
tation, déclin et disparition).
P
ar exemple, les phylogénies entre espèces sont éta-
blies par comparaison de séquences de gènes. Elles per-
mettent de vérifier si les taxonomies mises en place par
les botanistes sur des critères floristiques se retrouvent
au niveau du génome. Ce travail donne des indications
sur les proximités génétiques entre espèces, permettant
notamment d’identifier les ancêtres les plus probables
des espèces cultivées, comme la téosinte (Zea diplo-
perennis), espèce allogame
*1
et ancêtre du maïs.
Mieux comprendre l’histoire
et le fonctionnement des populations
E
n premier lieu, la diversité peut être comparée entre
espèces. Ainsi, la téosinte possède une diversité bien
supérieure à celle de l’orge sauvage (Hordeum spon-
taneum), elle-même supérieure à celle d’Arabidopsis
thaliana (un polymorphisme toutes les 30 paires de
bases) et celle du blé sauvage (Triticum dicoccoides),
ces trois dernières espèces étant autogames.
Allogamie et diversité génétique
E
n général, les espèces allogames présentent une plus
grande diversité génétique que les espèces autogames,
résultat prédit par la théorie neutre de l’évolution sur
la base du fait qu’un individu allogame (et diploïde)
peut stocker à chaque locus deux allèles de deux parents
différents, tandis qu’un individu issu d’une auto-
fécondation hérite le plus souvent de deux copies du
même allèle, du même parent. En d’autres termes, c’est
la taille du réservoir utilisé pour stocker l’information
allélique qui apparaît déterminante pour expliquer
le niveau de diversité d’une espèce. On parle de taille
génétique efficace.
L
es polymorphismes neutres sont donc de bons outils
pour comprendre comment la diversité s’accumule dans
une espèce ou dans ses populations et pour faire des
prédictions sur le niveau global de diversité que l’on
peut s’attendre à trouver à un locus quelconque. Les
variants neutres issus des mutations (allèles) appa-
raissent constamment dans les populations. Leur fré-
quence évolue selon des processus aléatoires au sein
des populations sous l’effet de l’échantillonnage de
gamètes pour passer d’une génération à l’autre (dérive
génétique). Ils peuvent ainsi se fixer ou bien disparaître ;
en raison de leur très faible fréquence, la plupart des
mutants apparus à une génération n’ont que peu de
chances d’être retrouvés dans la génération suivante.
Plus le taux de mutation est élevé à un locus, plus le
nombre d’allèles à ce locus va être important.
Le rôle de la démographie
L
a démographie est l’autre processus important qui
module le niveau de diversité. Plus l’espèce compte
d’individus, plus sa taille génétique efficace est grande
et plus elle peut stocker d’allèles sans risquer de les
perdre par la dérive génétique. Ainsi, les espèces dis-
tribuées sur une large aire depuis une longue période
ont en général un niveau de diversité plus élevé que des
espèces peu répandues.
Encadré 1 - Les marqueurs moléculaires
Pour révéler les variations, appelées polymorphismes, au
niveau du génome, différents types de marqueurs molécu-
laires sont utilisés. Les premiers ont été les isozymes : cer-
taines enzymes existent sous différentes formes alléliques
distinguables par électrophorèse. Les marqueurs ADN ont
pris le relais et de nombreuses techniques de révélation ont
vu le jour. Les polymorphismes révélés sont de plus en plus
nombreux dans le génome, de plus en plus faciles à utiliser.
Aujourd'hui on utilise principalement les microsatellites, les
SNP, les AFLP et les DArT.
•Les microsatellites sont de courtes séquences (en géné-
ral deux à quatre bases) répétées en tandem dans de nom-
breux sites au sein d'un génome. Leur spécificité d'empla-
cement est utilisée grâce à des amorces spécifiques. Leur
polymorphisme repose sur le nombre de répétitions d’un
motif répété. Selon les espèces, les microsatellites sont
suffisamment nombreux pour permettre une bonne couver-
ture du génome. Leur taux de mutation élevé les rend très
polymorphes. Ils sont utilisés pour analyser la structure
fine et la dynamique des populations (étude de parenté,
évolution récente).
•Les AFLP (
amplified fragment length polymorphisms
),
révélés par électrophorèse, ou les DArT (
diversity array tech-
nology
), révélés par hybridation sur puce à ADN, sont issus
de la comparaison de représentations réduites du génome
des individus analysés. Il s'agit de marqueurs anonymes
(non ciblés) et généralement dominants, se prêtant moins
facilement à la génétique des populations, mais ils ont
l’avantage d’être nombreux, peu onéreux et de pouvoir s'ap-
pliquer à toute espèce sans investissement de séquençage
préalable. Simples et rapides d'application, leur bonne cou-
verture du génome les rend propices aux travaux de carto-
graphie génétique.
•Les SNP (
single nucleotide polymorphisms
) sont la forme
la plus simple et la plus fréquente de polymorphisme. Ils
correspondent à des variations de nucléotides au sein d’une
séquence connue et localisée sur le génome, en général un
gène d’intérêt. Pour l’instant, ils sont restreints à quelques
espèces bénéficiant d’importants efforts de génomique :
maïs,
Arabidopsis
, riz, blé, notamment. Chers à révéler, ils
devraient cependant bénéficier rapidement de nouvelles
technologies. Pour ces espèces, on disposera de SNP par
dizaines de milliers pour des analyses nécessitant une cou-
verture du génome très complète. Une application impor-
tante sera de déterminer la diversité allélique des gènes que
l’on pense impliqués dans des caractères adaptatifs, et de
repérer les formes les plus favorables.
*1Dans une plante allogame,
l'ovule d’une plante est
fécondé par du pollen produit
par une autre plante,
par opposition à « autogame »
(le pollen provient de la même
plante que l’ovule).