Cédric Ducrocq, Dia-Mart
“LE GRAND RETOUR DU PRIX” !
L’année 2004 a été marquée
par un retournement sensible
de conjoncture pour les hypers
et supers avec des chiffres
d’affaires anémiques, voire
négatifs. Comment l’expliquer ?
2004 n’est que le révélateur d’une
crise plus structurelle. Depuis plu-
sieurs années, nous assistons à
une hausse continue des prix et
des marges des enseignes. En
parallèle, ces mêmes enseignes
ont de plus en plus de difficultés à
argumenter sur la valeur ajoutée
de leur offre. Le résultat est
logique. A trop tirer sur l’élastique,
il finit par casser. C’est ce qui s’est
passé cette année.
Pourtant, on n’a jamais autant
parlé du prix qu’en 2004...
C’est vrai ! A l’évidence, le sujet
de l’année a été le discount. C’est
le grand retour du prix ! Et à tous
les niveaux... Dans la communica-
tion des enseignes, dans l’environ-
nement politique du commerce,
dans l’opinion, dans les stratégies
des enseignes elles-mêmes ou
encore dans les quelques maga-
sins laboratoires testés ici ou là.
Reste que ce “retour du prix”
n’a pas suffit...
Cette prise de conscience dans les
enseignes ou ces 2 points de baisse
des PVC négociés sous l’égide de
Nicolas Sarkozy sont encore trop
modestes par rapport à l’ampleur du
problème. Voilà dix ans que les
distributeurs font du gras. Les
consommateurs ne sont pas dupes.
Si 2004 a certes marqué une
inflexion, elle ne compense pas
des années de dérive. La tendance
à moyen terme n’a pas fonda-
mentalement changé : les marques
et les enseignes ont perdu de leur
légitimité économique.
Ce qui profite essentiellement
au hard-discount ?
Absolument, mais ce n’est pas la
seule explication au développe-
ment du hard-discount. Il y a
d’une part l’effet de parc, avec des
créations encore importantes.
D’autre part, les dérives des
grandes marques et des enseignes
qui, ne parvenant pas à justifier
leur écart de prix, conduisent tout
droit les consommateurs chez Aldi
ou Lidl. Et, enfin, il y a une attente
plus globale des consommateurs
pour le prix bas, ce qui favorisent
tous les circuits discount, alimen-
taires ou non... Prenez des en-
seignes comme Gifi ou Foir’Fouille
qui se développent à un rythme
incroyable actuellement.
L’année a aussi été marquée par
le repositionnement des MDD.
Qu’il s’agisse de création de
nouvelles gammes plus discount,
ou de baisse des prix des gammes
existantes. Comment l’analyser ?
Je veux y voir une démarche salu-
taire pour les enseignes. Pendant
dix ans, les distributeurs ont vécu
sur un schéma selon lequel pour
créer de la valeur pour l’actionnaire,
il fallait à tout prix suivre la voie de
la valeur ajoutée, donc proposer
des produits toujours plus élabo-
rés, toujours plus chers pour le
consommateur. Ce qui, au passage,
est plus une logique d’industriel
que de distributeur. Désormais, on
sent une prise de conscience. Le
repositionnement des MDD en est
un symbole.
A vos yeux, c’est donc
une bonne stratégie ?
Faute de pouvoir jouer sur le prix
des grandes marques, oui cela me
paraît une bonne stratégie. Mais
n’oublions pas que pour améliorer
le plus efficacement possible
l’image-prix d’une enseigne, il est
plus pertinent de jouer sur des
produits comparables d’un maga-
sin à l’autre, donc sur les grandes
marques. Mais ce n’est actuelle-
ment pas possible, du fait de la
réglementation.
Donc une réforme de la loi
Galland qui aurait pour
conséquence une baisse des
prix serait une bonne voie
pour le commerce ?
Pour le commerce et pour les
marques ! D’ailleurs, ce n’est pas
juste une “bonne” voie. C’est
“la” voie pour redynamiser toute
la filière.
Les plus sceptiques, notamment
le Ministre du Commerce,
mettent en exergue le spectre
d’un scénario à la néerlandaise,
avec une “casse sociale” qui
accompagnerait la baisse des
prix. Faut-il y croire ?
Je lis effectivement ces “alertes”
sur les menaces d’un scénario à la
néerlandaise. De mon point de
vue, cela traduit une mauvaise
compréhension de ce qui s’est
réellement passé aux Pays-Bas.
Numéro 3
3 janvier 2005
Bilan 2004
Tribune Grande Conso entame
avec Cédric Ducrocq, p-dg de
Dia-Mart, une série d’entretiens-
bilans de l’année 2004 avec les
meilleurs experts de la distribu-
tion.
Observateur avisé et reconnu de la
distribution, Cédric Ducrocq est p-dg
de Dia-Mart, société de conseil en
stratégie, marketing et organisation.
Depuis 15 ans, il conseille
de nombreuses
entreprises de distribution.
Cédric Ducrocq est par ailleurs
membre de la Commission des
Comptes commerciaux de la Nation.
Il est l’auteur de
nombreux ouvrages sur le
commerce dont “La nouvelle
distribution” (Editions Dunod).
Pourquoi ?
Parce que les situations ne sont en
rien comparables ! Aux Pays-Bas,
les premiers plans sociaux sont
intervenus avant la baisse des prix.
Ensuite, la conjoncture était très
différente, avec une baisse du PIB,
donc une récession. Le cadre
réglementaire, qui est très libéral,
n’entrave pas la revente à perte.
C’est aussi une différence fonda-
mentale. Plus spécifiquement sur
Ahold, qui est l’instigateur de
cette guerre des prix, sa situation
n’était absolument pas compa-
rable avec celle de nos enseignes.
Non, très sérieusement, la menace
d’un scénario à la néerlandaise
n’est objectivement pas crédible.
Autre scénario : le statu-quo.
Autrement dit un cadre
réglementaire qui n’évoluerait
pas ou peu. Quelles en seraient
les conséquences ?
C’est peut-être paradoxal, mais à
très court terme, il ne faut rien en
craindre. Les distributeurs conti-
nueraient à engranger des marges
arrières, les prix des marques res-
teraient élevés. A plus long terme,
en revanche, ca serait la confirma-
tion d’un diagnostic inquiétant sur
l’état des distributeurs français qui
se transformeraient en rentiers,
assis sur leurs mètres carrés, mais
ayant perdu tout dynamisme.
Regardez le jugement des mar-
chés boursiers. Depuis quelques
années, Carrefour et Casino ne
sont plus considérés comme des
valeurs de croissance. C’est un
signe !
Soit, mais y a-t-il un risque ?
Encore fois, pas à court terme.
Mais ne nous leurrons pas : nous
sommes dans une spirale... à
pente douce. En France, les hypers
et les supermarchés perdent régu-
lièrement des parts de marché au
profit du hard-discount. Et à l’in-
ternational, il y a manifestement
une érosion de la compétitivité
des groupes français. Pour un dis-
tributeur, la bagarre sur les prix (ce
qui est sa raison d’être), c’est sur-
tout une manière d’être bon...
Tesco l’a démontré
en Grande-Bretagne avec une
impressionnante croissance
dans les années 1990...
Oui, et le cas de Tesco est exem-
plaire. C’est aujourd’hui le groupe
que l’on désigne dès que l’on
cherche des exemples de bonnes
pratiques, de réussites, etc. Alors
que depuis des dizaines d’années
on montrait plutôt des groupes
français.
Le contre-exemple à cette théorie
du “tout pour le prix” est bien
français... C’est Super U qui,
sans être la moins chère, est
l’enseigne qui gagne le plus de
parts de marché...
Entendons-nous bien... L’objectif
n’est pas le prix pour le prix ! Ce
qui importe, c’est la capacité des
enseignes à argumenter, à légiti-
mer, à justifier leur positionne-
ment. En d’autres termes, à faire
comprendre aux consommateurs
en quoi le prix qu’on leur deman-
de de payer est justifié par la
valeur ajoutée réelle que propose
le magasin. Si aujourd’hui des
consommateurs quittent les
hypers ou les supers pour le hard-
discount, c’est parce qu’ils adhè-
rent moins au mix de l’enseigne.
Et force est de constater qu’à leur
niveau de prix, les hypers et les
supers ont perdu de leur attractivi-
té... Dans le cas de Super U, son
gain de part de marché signifie
que c’est l’enseigne qui justifie le
mieux son positionnement.
De quelle manière ?
Super U profite encore aujour-
d’hui d’importants efforts menés
à la fin des années 1990, notam-
ment au niveau de l’outil. De plus,
je pense que l’enseigne a trouvé le
bon dosage entre le national, le
régional et le local. Chez Super U,
on ne fait pas du “marketing de
siège”. Le bon sens commercial
est palpable. C’est ce qui a donné
du contenu au slogan “Nouveaux
Commerçants” qui, à l’origine,
n’était que publicité. C’est désor-
mais des valeurs que les clients ont
perçues.
Plus globalement, quelles voies
les enseignes doivent-elles suivre
pour reprendre l’initiative ?
A défaut de pouvoir sensiblement
jouer sur le prix en raison de la
réglementation, les enseignes doi-
vent s’interroger sur la prestation
qu’elles offrent au consommateur
pour le niveau de prix qu’elles lui
demande. C’est de l’analyse de la
valeur appliquée à la distribution :
“dans tout ce que je propose au
client, qu’est-ce qui a vraiment de
la valeur ? Pour quoi est-il prêt à
payer?”. Par exemple, une offre
trop profonde, donc incompré-
hensible, c’est un non sens com-
mercial. De même, les accords de
gamme sont mortels. Première
étape donc : resserer les assorti-
ments pour les rendre lisibles.
Ensuite, dans un contexte de prix
relativement harmonisés entre
enseignes, le merchandising a un
rôle crucial à jouer pour aider le
consommateur. Voilà une valeur
ajoutée sur laquelle les enseignes
doivent se positionner.
Quel regard portez-vous sur les
tests de magasins discount
menés entre autres par
Champion ou Casino ?
Le fait que plusieurs enseignes
réfléchissent dans cette direction
est intéressant. C’est la preuve
qu’elles ont pris la mesure du pro-
blème. En revanche, je reste dubi-
tatif sur la capacité de gérer deux
modèles de distribution aussi dif-
férent (par exemple un Champion
“classique” et un Champion
“ultra-discount”) sous une même
enseigne et dans une même struc-
ture. Ca revient à faire du low-
price sans être nécessairement
low-cost !
Propos recueillis par
Olivier Dauvers
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racontée telle une saga.
[par Frédéric Carluer-Lossouarn et Olivier
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