8 PAGES Dossier magazine de Valenton l a p i c i n u m n o i t d’informa • 214 2 6 9 1 4 5 9 1 E I R É G L A ’ D E LA GUERR 1954-1962 : 2 800 JOURS VERS L’INDÉPENDANCE CHRONOLOGIE D’UNE INDÉPENDANCE LA FRANCE TORTURÉE PAR SA MÉMOIRE DOSSIER magazine municipal d’informations de Valenton • 214 1954-1962 : 2 800 jours vers l’ind Le budget de fonctionIl y a cinquante ans, la signature des accords d’Évian mettait un terme à la guerre d’Algérie. Une guerre d’indépendance dont la durée, le bilan humain et économique sont de la responsabilité des gouvernements français successifs de l’époque. Ceux de René Coty, du général De Gaulle en passant par celui de Guy Mollet, tous se sont obstinés à vouloir garder l’illusion d’un empire colonial où le pétrole valait plus cher que les vies humaines. Retour sur les origines de ce sanglant conflit. Le Cessez-le-feu a été proclamé le 19 mars 1962, mettant un terme à 8 années de guerre et 132 années de colonisation. u nom du Gouvernement provisoire de la République algérienne, mandaté par le Conseil national de la révolution algérienne, je proclame le Cessez-le-feu, sur tout le territoire algérien à partir du 19 mars 1962 à douze heures. J’ordonne, au nom du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GRPA), à toutes les forces combattantes de l’Armée de libération nationale l’arrêt des opérations militaires et des actions armées sur l’ensemble du territoire algérien.» Cette déclaration de Benyoucef Ben Khedda, président du GPRA émise sur les antennes de Radio Tunis, met officiellement fin à huit années de guerre et à 132 années de colonisation. Le 5 juillet 1962, l’Algérie est officiellement indépendante. Durant 132 ans, l’Algérie fut en effet une terre coloniale : l’Algérie française. L’écrasante majorité de ses habitants, de religion musulmane, plus de 8,5 millions, était face à 950 000 Français, dans une situation criante d’infériorité économique, sociale et culturelle. Certains, encore aujourd’hui, prétendent pourtant que la France a fait œuvre positive en terre algérienne. «A Durant 132 ans, l’Algérie fut une terre colonisée. En 1952, elle comptait 8,5 millions d’Algériens et 950 000 Européens. En 2005, des députés UMP ont ainsi tenté de faire voter une loi qui devait préciser que «les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord (…)». Cette loi inique a soulevé à juste titre l’opposition d’historiens, d’enseignants, mais aussi de tous ceux et toutes celles que révolte le silence fait sur les massacres qui ont jalonné l’histoire de la conquête et de la domination coloniales. La majorité de la population algérienne était loin en effet de bénéficier des «bienfaits de la colonisation» et du niveau de vie des colons. La question scolaire, par exemple, le montre bien. Outre le fait que les enfants algériens devaient apprendre que leurs ancêtres étaient les Gaulois, sur une population de 1 250 000 enfants de six à quatorze ans, moins de 100 000 étaient scolarisés. Dans le même temps, 96 % des enfants d’origine européenne vont à l’école. Les Algériens sont employés «bon marché» à la construction des infrastructures routières et ferroviaires et dans les coopératives agricoles, propriétés des colons. Ces derniers ne sont toutefois pas tous de riches propriétaires. Nombreux sont ceux aussi qui occupent des postes d’artisans, de commerçants ou d’ouvriers. Les différences de salaires sont criantes entre les «indigènes» et les Européens. De très nombreuses professions leur sont interdites d’accès, dont toutes celles de la fonction publique ainsi que la reconnaissance du sta- DOSSIER magazine municipal d’informations de Valenton • 214 dépendance tut de citoyen. Le droit de vote n’est accordé qu’à quelques milliers de musulmans fortunés et…conciliants ! Les campagnes sont dans un état de très grande misère. Entre 1946 et 1954, le taux de mortalité enfantine n’y chute d’ailleurs que de 10 %. Et l’Algérie c’est aussi des milliers d’hommes qui viendront se battre et mourir sur le sol français durant les deux guerres mondiales. Mais si certains historiens considèrent, à juste titre, que la guerre d’Algérie a commencé à partir de 1830, au moment où la France conquiert par la force le territoire algérien, d’autres avancent que les massacres de Sétif et Guelma, en mai et juin 1945, marquent le véritable début de l’engagement du peuple algérien pour la conquête de son indépendance. Le massacre de Sétif Le 8 mai 1945, en France, on fête la fin de Seconde Guerre mondiale. Ce jour-là, les Algériens, eux aussi, fêtent la chute du nazisme. Mais dans le même temps, ils affirment leur opposition à la présence coloniale française. Sur certaines de leurs banderoles on peut lire : «À bas le fascisme et le colonialisme». Dans la ville de Sétif, la police tire alors sur les manifestants et en tue des centaines. Le soulèvement gagne d’autres villes. Les autorités politiques et militaires françaises se lancent alors dans une véritable guerre de représailles provoquant la mort de 10 000 à 15 000 personnes en quelques semaines. À Guelma, ce sont les civils européens qui conduisent le massacre de 2 000 Algériens. Le nationalisme algérien, qui était alors encore très faible, chemine parmi la population algérienne. L’aspiration à l’indépendance marque des points. D’autant que dans le même temps, d’autres nations ont acquis leur indépendance (la Syrie et le Liban en 1946). Dans d’autres pays, c’est la guerre, comme en Indochine, à qui la France s’obstine à refuser aussi l’indépendance. Cette guerre dure de 1946 à 1954 et s’achève par une défaite cuisante de la France à Diên Biên Phu. En Algérie, ceux qui militent pour l’indépendance ne peuvent ignorer cette défaite, qui prouve qu’ils ont une chance de vaincre la puissance coloniale. Ces derniers appartiennent à une organisation, alors inconnue, le FLN, le Front de Libération Nationale. Six hommes, dont les noms sont encore aujourd’hui très peu connus en France, dirigent cette organisation : Krim Belkacem, Mostefa Boulaïd, Larbi Ben M’Hidi, Rabah Bitat, Mohamed Boudiaf et Didouche Mourad. Le chef est alors Mostefa Boulaïd, meunier de profession. Arrêté en 1955, jugé et condamné à mort, il s’échappera de sa prison, avant d’être tué au combat en mars 1956. La Toussaint rouge La population algérienne était loin de bénéficier du niveau de vie des colons. Sur une population de 1 250 000 enfants de six à quatorze ans, moins de 100 000 étaient scolarisés. férentes villes des Aurès et de Kabylie contre des postes de polices et des casernes, symboles de la présence coloniale française. Cette première insurrection cause la mort de sept personnes. Les actions commises cette nuit-là, baptisée «Toussaint rouge», indiquent clairement qu’il s’agit d’une action concertée, organisée par un même groupe d’hommes. En France, c’est Pierre Mendès France qui dirige le gouvernement et le problème algérien n’est nullement à l’ordre du jour. La flambée de violence du 1er novembre est perçue comme un léger incendie. «L’Algérie, c’est la France. L’Algérie restera la France», déclare précisément François Mitterrand, qui sera ministre de l’Intérieur puis ministre de la Justice et veut néanmoins abattre la rébellion. Il croit alors à l’exemplarité de la peine capitale. La «veuve» (la guillotine) entre en scène en Algérie. Quand il quitte le gouvernement en mai 1957, 45 militants algériens ont été condamnés à mort et guillotinés, au terme de procédures de «pouvoirs spéciaux», décidées par le gouvernement socialiste dirigé par Guy Mollet. Mais, même si le gouvernement continue de prétendre que ces actes de soulèvement sont sans conséquences, il envoie néanmoins des renforts militaires en Algérie. Toutefois, personne ne comprend qu’une nouvelle guerre vient de commencer. Et personne ne peut imaginer alors que l’Algérie sera indépendante 2 800 jours plus tard. ■ Le 1er novembre 1954, 30 attentats sont commis dans dif21 Le 1er novembre 1954, des attentats sont commis dans différentes villes. La guerre d’Algérie vient de commencer ! DOSSIER magazine municipal d’informations de Valenton • 214 Chronologie d’une indépendance 1954 1er novembre : proclamation du Front de libération nationale (FLN). Une vague d'attentats contre les Français en Algérie marque le début de la guerre. Décembre : création du Mouvement nationaliste algérien (MNA) de Messali Hadj. Les membres du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) sont arrêtés. 1955 31 mars : l'état d'urgence est proclamé dans les Aurès et la Grande Kabylie et la censure est instaurée. 16 mai : les effectifs de l'armée française en Algérie sont portés de 50 000 à 100 000 hommes. 20 août : le soulèvement d’Algériens dans le Philippevillois est sévèrement réprimé, faisant une centaine de morts. 30 août : en raison de l'extension de la rébellion armée, l'état d'urgence est proclamé dans l'ensemble de l'Algérie. 11 septembre : à Paris, première manifestation des appelés du contingent qui refusent de partir en Algérie. 1956 6 février : Guy Mollet, président du Conseil, est accueilli à Alger par les manifestations d'hostilité des Européens. Il déclare que «la France doit rester en Algérie et elle y restera». 11 mars : l'Assemblée nationale vote les pouvoirs spéciaux au gouvernement Guy Mollet. 11 avril : le service militaire est porté de 18 à 27 mois, 70 000 «disponibles» du contingent de 1953 sont rappelés. 19 mai : l'Union générale des étudiants musulmans d'Algérie invite les étudiants et les intellectuels à rejoindre le FLN et l'Armée de libération nationale (ALN). 5 juillet : grève générale des Algériens, en France et dans le département d'Alger. Septembre : les effectifs militaires sont portés à 600 000 hommes en Algérie. 22 octobre : détournement par les autorités françaises d'un DC-3 de Royal Air Maroc qui transporte plusieurs dirigeants du FLN, dont Ben Bella, de Rabat à Tunis. 1er-14 décembre : le général Raoul Salan est nommé commandant en chef en Algérie. 5 décembre : le gouvernement français dissout les conseils généraux et les municipalités en Algérie. Alger. Plus de 30 morts et une centaine de blessés. Fin février : de nombreux dirigeants du FLN sont arrêtés. 26 février : le quotidien L'Humanité publie la lettre d'un soldat français qui dénonce l'utilisation de la torture par l'armée française en Algérie. Un mois plus tard, le général Jacques de La Bollandière demandera à être relevé de son commandement en Algérie pour protester contre la torture. Mars : Larbi Ben M’Hidi, à l'origine de la création du FLN, est assassiné par les parachutistes du colonel Bigeard, après avoir été torturé. 1958 Janvier-mai : bataille du barrage de l'estConstantinois. 7 janvier : début de l'exploitation du pétrole saharien. 8 février : le groupement aérien de Constantine 1957 décide, avec l'accord du 7 janvier : la 10e division général Salan, le de parachutistes du bombardement de général Massu est Sakhiet-Sidi-Youssef. chargée du maintien de L'opération fait 70 morts, l'ordre à Alger. Début de dont 21 enfants d'une la bataille d’Alger. école. Janvier/février : 13 mai : prise du recrudescence d'attentats gouvernement général par les Européens d’Alger. à la bombe contre des Un Comité de salut public civils et des militaires à est créé sous la présidence du général Massu, et on fait appel au général de Gaulle. 14 mai : Salan crie «Vive de Gaulle» à Alger. De Gaulle se déclare prêt à assumer les pouvoirs de la République. 28 mai : grande manifestation pour la défense de la République à Paris, de la place de la Nation à la place de la République. 1er juin : l'Assemblée nationale investit De Gaulle par 339 voix contre 224. 4 juin : dans un discours à Alger, De Gaulle déclare aux Européens «Je vous ai compris». 19 septembre : formation du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Ferhat Abbas est le premier président du GPR. 28 septembre : la nouvelle Constitution est approuvée par référendum (79% de oui en métropole, 95% en Algérie). Naissance de la Ve République le 5 octobre. 3 octobre : De Gaulle annonce à Constantine un plan de développement en 5 ans pour l’Algérie. 23 octobre : dans une conférence de presse, De Gaulle propose au FLN la paix des braves. 21 décembre : De Gaulle est élu président de la République. 1959 Fin juillet : début des opérations «Jumelles» en Grande Kabylie. De très nombreux villages sont bombardés. 27-31 août : première tournée des «popotes» de De Gaulle en Algérie. «Moi vivant, jamais le drapeau du FLN ne flottera sur l'Algérie». Début septembre : début des opérations «Pierres précieuses» en Petite Kabylie. 28 septembre : le GPRA refuse la proposition de De Gaulle. Il exige l'indépendance totale avant toute discussion. 28 novembre : Ben Bella et les dirigeants arrêtés en 1956 sont désignés comme négociateurs par le FLN. 1960 19 janvier : le général Massu est muté en métropole pour avoir critiqué la politique du général De Gaulle. 24 janvier : début de la semaine des barricades à Alger. 22 morts et 150 blessés le premier jour. 13 février : explosion de DOSSIER magazine municipal d’informations de Valenton • 214 Première image à l’arrivée en Algérie pour les appelés : la baie d’Alger. la première bombe atomique française dans le Sahara algérien. 3-5 mars : De Gaulle en Algérie insiste sur la nécessité d'une victoire complète et sur le droit de la France à rester en Algérie, mais parle d'une «Algérie algérienne liée à la France». Il renouvelle l'offre de négociations. 25-29 juin : entretiens de Melun avec les émissaires du GPRA. Les négociations échouent quand le GPRA se rend compte qu'il s'agit de discuter d'un cessez-lefeu. 6 septembre : publication du «Manifeste des 121» sur le droit à l'insoumission en Algérie. Octobre : rafles et bastonnades d'Algériens à Paris et en banlieue. 9 - 12 décembre : dernier voyage de De Gaulle en Algérie. Manifestations populaires violentes à Alger, pour le soutien au FLN, au GPRA et à l'indépendance de l'Algérie. 20 décembre : les Nations Unies reconnaissent à l'Algérie le droit à l'autodétermination. 1961 8 janvier : par référendum, les Français se prononcent à 75% pour le droit à l'autodétermination du peuple algérien. Fin janvier : création de l'Organisation armée secrète (OAS) rassemblant des activistes d’extrême droite européens contre l'indépendance de l'Algérie. 20 février : rencontre entre Georges Pompidou et le FLN en Suisse. 26 avril : échec du putsch tenté par les généraux : Challe, Jouhaud, Zeller et Salan. 20 mai-13 juin : premiers entretiens d'Evian. 14 juillet : recrudescence des attentats de l'OAS. 20 juillet : nouveaux entretiens entre la France et le FLN au château de Lugrin. Les discussions achoppent sur la question du Sahara. 5 août : nombreux attentats du FLN et de l'OAS en Algérie. 6 octobre : instauration d'un couvre-feu à Paris et en région parisienne pour les seuls Algériens, de 20 h 30 à 5 h 30 du matin. 17 octobre : manifestations pacifiques plusieurs dizaines de milliers d'Algériens dans les rues de Paris. La répression policière fait des dizaines de morts, des centaines de blessés et plus de 10 000 arrestations. Des corps sont jetés dans la Seine. 19 décembre : la CGT, la CFDT, l'UNEF, le PSU et le PCF organisent en France des manifestations en faveur de la négociation avec l'Algérie et contre l'OAS. 1962 Janvier : attentats à Alger et en métropole commis par l'OAS et les anti-OAS. 8 février : manifestation, à l'appel des syndicats et de partis politiques, contre les exactions de l'OAS et pour la paix en Algérie. Violente réaction policière : 8 morts et plus de cent blessés au métro Charonne. 7 mars : ouvertures des négociations d'Evian. 16 mars : signature des accords d'Evian. Il ne s'agit pas d'un traité entre deux États, mais d'un programme commun proposé à la ratification par référendum (le 8 avril 1962 en France et le 1er juillet 1962 en Algérie). 19 mars : annonce officielle du Cessez-le-feu en Algérie. 23 mars : insurrection et siège de Bab-el-Oued. 26 mars : à Alger, les troupes françaises ouvrent le feu sur une foule d'Européens qui manifestent contre les accords d'Evian et font 46 morts et 200 blessés. 8 avril : référendum en métropole. 90,7% des votants approuvent les accords d'Evian. 1er juillet : référendum d'autodétermination en Algérie. L'indépendance est approuvée par 99,72 % des votants. 3 juillet : De Gaulle reconnaît l'indépendance de l'Algérie. 5 juillet : proclamation de l'indépendance nationale de l’Algérie. ■ CAMPS DE REGROUPEMENT ET CAMPS D’INTERNEMENT Les camps de regroupements sont des lieux où les populations algériennes de certaines régions sont déplacées pour les soustraire à l’influence du FLN et laisser place nette à l’armée. Plus d’un million de personnes ont ainsi été éloignées à des centaines de kilomètres de leur village d’origine. Ces villages furent d’ailleurs pour la plupart bombardés par l’aviation française. Compte tenu des conditions de vies pitoyables (faim, soif, exiguïté, conditions d’hygiène…) dans ces camps, des révoltes eurent lieu. Elles furent violemment réprimées et causèrent la mort de centaines d’Algériens. Les camps d’internement sont créés, quant à eux, pour enfermer les Algériens jugés dangereux. Des dizaines de milliers de Musulmans se trouvent ainsi placés dans des camps sans jugement où ils sont parfois torturés. Certains de ces camps étaient même installés en France, dans l’Ain, l’Aveyron, le Gard et dans la Marne. Enfin, une loi votée en 1956 permet de condamner à mort les membres du FLN pris les armes à la main, sans enquête judiciaire préalable. 23 DOSSIER magazine municipal d’informations de Valenton • 214 Ils racontent… Sylvaine Galéa, conseillère municipale «Le Cessez-le-feu: un grand moment de joie!» Au moment de la guerre d’Algérie, la maison était très agitée. Mes parents étaient militants pacifistes et je me souviens très bien du début de la guerre, en 1956 : j’avais 9 ans. Mes parents manifestaient pour empêcher que les trains où se trouvaient les «rappelés» ne partent: ils se couchaient sur les rails! Mais cette ambiance militante m’a toujours paru naturelle. Un matin je suis arrivée à l’école sans avoir fait mes devoirs, parce que j’avais appris la veille que mon oncle partait pour faire la guerre en Algérie. Il avait 20 ans et ne voulait pas y aller. Lorsque je l’ai expliqué à l’institutrice, elle m’a répliqué «il n’y a pas de guerre !». J’ai protesté : ce fut mon premier acte de rébellion. Le 17 octobre 1961, je faisais de l’aviron du côté du pont de Neuilly quand je Claude Routier, président du comité local de la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie «Cette guerre, une idiotie… » L’unité dans laquelle se trouvait Claude Routier. J’avais accompli mes 18 mois de service militaire quand j’ai été rappelé pour l’Algérie. C’était en 1956, je venais juste d’obtenir un travail, un appartement. J’en ai eu gros sur le cœur. Je ne savais pas pour combien de temps je partais. Là-bas, j’étais caporal-chef, chargé de la liaison radio. J’étais détaché avec sept hommes sous ma responsabilité. À 24 ans, ce n’était pas évident. Nous devions surveiller des fermes, de jour ou de nuit. Puis, je donnais un rapport par radio. Je suis resté ainsi huit mois dans la région de Constantine. Le plus dur, c’était la censure : par exemple, notre courrier était ouvert, contrôlé. Et puis, il était difficile de communiquer avec les habitants même si parfois ils nous invitaient à prendre le thé. Je me souviens d’un très beau pays où les gens vivaient une grande misère. À mon retour, je suis allé rendre mon paquetage à la gendarmerie de VilleneuveSaint-Georges. Je n’avais plus rien. Alors, comme beaucoup de compagnons de troupe, je me suis jeté dans la vie, dans le boulot… On avait l’impression de revenir dans l’indifférence générale. Alors que ça nous avait retiré plusieurs années de notre vie. Cette guerre, c’était vraiment une idiotie. me suis aperçue que des gens tombaient du pont : en réalité, il s’agissait de manifestants qui étaient jetés par-dessus bord. Le moniteur nous a immédiatement fait rentrer chez nous. Il m’a ramenée en voiture en passant par le bois de Boulogne. Je me souviens avoir vu des corps pendus aux arbres, j’avais alors 14 ans et cela m’a beaucoup marquée. Le 19 mars 1962, à l’annonce du Cessez-le-feu, ce fut un grand moment de joie à la maison : nous avons fêté l’événement ! UNE GUERRE SANS NOM Il aura fallu attendre la loi du 18 octobre 1999 pour que le terme «guerre d’Algérie» remplace officiellement celui «d’opérations de maintien de l’ordre». Ce fut une grande satisfaction pour le front uni des associations d’anciens combattants, qui avaient depuis longtemps revendiqué la reconnaissance a posteriori de cette guerre et la qualité de «combattant» pour ceux qui l’avaient faite. Ainsi, la guerre d’Algérie rejoignait les deux guerres mondiales parmi les guerres françaises du 20e siècle, et ses anciens combattants étaient reconnus comme étant la «troisième génération du feu», qui est aujourd’hui la plus nombreuse. Cette guerre d’Algérie se distingue aussi par le fait qu’il n’y a pas eu de mobilisation générale, mais utilisation de la conscription et de l’allongement de la durée du service pour compléter les effectifs de l’armée de métier. La durée du service militaire fut en effet portée de 18 à 24 mois, puis… 27. Certains appelés ont même effectué un service de 30 mois. DOSSIER magazine municipal d’informations de Valenton • 214 Ceux qui LE PRIX DE LA DÉCOLONISATION Les statistiques officielles des autorités militaires françaises et celles des autorités algériennes divergent sur le bilan humain de cette tragédie. Les historiens s’accordent sur la violence de cette guerre qui, d’après eux, fit : Plus de 143 000 victimes dans les rangs du FLN. 350 000 à 400 000 tués parmi la population civile algérienne. 4 500 morts parmi les populations de souche européenne. Dans les rangs de l’armée française, les pertes ont été soigneusement comptabilisées de 1954 à 1962 : 24 000 morts et 65 000 blessés. Le plus grand facteur d’incertitude pour le bilan d’ensemble est le nombre des «harkis», supplétifs, soldats ou civils «français musulmans» victimes de représailles après le Cessez-le-feu. L’estimation citée dans des documents officiels fait état de plus de 10 000 harkis qui auraient été exécutés ou assassinés entre mars et novembre 1962. Gérard Rauline, ancien combattant «J’avais 20 ans… » J’avais 20 ans quand j’ai été appelé en Algérie. J’ai été incorporé le 1er mai 1960. Après mes classes à Melun, je suis parti à Beni-Ounif dans la zone saharienne où j’ai été placé au poste de chef cuisinier dans le régiment d’artillerie de marine. Avec ce travail et les patrouilles, les gardes de nuit, les alertes… j'étais quasiment mobilisé 24 heures sur 24. Je me souviens que peu de temps après mon arrivée, un obus de mortier est tombé dans la cour du poste de commandement. Ça nous avait impressionnés mais on n’avait pas peur, on ne se rendait pas bien compte. On pouvait rester plusieurs semaines sans qu’il ne se passe rien : on faisait des parties de poker, on mettait en jeu nos cigarettes… Lorsqu’il y avait une attaque importante, la légion prenait le relais. J’ai vécu des moments durs : mon copain de chambrée s’est fait tuer une nuit. Parler de la guerre d’Algérie, c’est encore remuer ces mauvais souvenirs. L’important pour moi, c’est de continuer à honorer la mémoire de ceux qui sont allés là-bas, et qui y ont laissé leur vie. Un convoi à Beni-Ounif dans la zone saharienne. 25 dirent NON! Les rappelés de 1955 et 1956, se croyant libérés de leurs obligations militaires, provoquèrent immédiatement de nombreuses manifestations, soutenues par une partie de la population. Les plus spectaculaires furent, d’abord, le 11 septembre 1955, le refus d’embarquement de 600 rappelés de l’armée de l’air à la gare de Lyon à Paris, et le 8 octobre 1955, celui de soldats du 406e régiment d’artillerie antiaérienne, à la caserne Richepanse de Rouen. Une deuxième vague se développa pendant trois mois à la suite des rappels d’avril et mai 1956. La manifestation du 18 mai 1956 à Grenoble fut l’une des plus violentes (une cinquantaine de blessés, autant d’arrestations), De plus importantes en réunirent plusieurs milliers, avec la participation d’ouvriers en grève de solidarité, par exemple à Saint-Nazaire à Firminy et à Marseille. Il y eut au total près de 12 000 actes d’insoumissions parmi les appelés : refus de se présenter le jour de l’appel, refus de porter l’uniforme, refus d’obéissance, du port des armes, et désertions. Tous ces soldats ont été jugés et condamnés à des peines allant du versement dans un bataillon disciplinaire, à un mois ou plusieurs mois de prison, voire même pour quelques-uns la peine de mort. Certains sont restés incarcérés jusqu’en décembre 1963 et n’ont été amnistiés qu’à la fin de l’année 1966. Ils étaient dans leur grande majorité issus de famille de communistes ou de chrétiens. L'historique de l'emblème national algérien En 1934, la première conception de l'emblème national portait les trois couleurs actuelles «rouge, vert et blanc». Le blanc symbolisait l'Algérie, le vert la Tunisie et le rouge Marrakech (Maroc). Cet emblème est apparu à Paris en 1935 à l'occasion de la célébration de la fête nationale française. Sa conception actuelle a été élaborée en avril 1945 par un comité tripartite installé par le comité directeur du Parti du Peuple Algérien (PPA). Le drapeau fut adopté en février 1947 par le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) et le Front de libération nationale (FLN) qui en firent, à partir du 1er Novembre 1954, un symbole de la lutte pour la libération de l'Algérie. Il fut adopté comme emblème national par le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) au lendemain du Cessez-le-feu, en mars 1962. DOSSIER magazine municipal d’informations de Valenton • 214 La France torturée par sa mémoire Près de cinquante ans après la signature des accords d'Évian et la fin de la guerre d'Algérie, la question de la torture «généralisée et institutionnalisée» - selon les propres termes du général Massu - pratiquée par l'armée coloniale, huit ans durant, divise toujours l'opinion publique et la classe politique française. Cinquante ans après la signature des accords d’Evian, la question de la torture pratiquée en Algérie divise encore la classe politique. Une commémoration façon UMP Commémorer cette date historique du 19 mars 1962 n'est pas seulement un devoir de mémoire. Ce devoir s'impose, mais il doit surtout être un point d'appui essentiel pour comprendre l'histoire de l'Algérie et de la France depuis un demi-siècle, l'évolution des relations entre nos deux peuples et le rôle qu'ils pourraient jouer dans l'avenir et consolider l’amitié entre les peuples de France et d’Algérie. Pourtant, du côté du gouvernement on semble vouloir mettre de l’huile sur le feu. D’abord, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères dicte aux autorités algériennes «d’envisager la célébration du 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie dans un esprit de modération, en essayant d’éviter les extrémismes de tous bords». Ensuite, le gouvernement UMP cautionne l’inauguration de stèles à la mémoire des assassins de l’OAS et le projet d’un Musée de la France en Algérie à Montpellier. Mais ce n’est pas tout, il annonce le transfert des cendres du général Bigeard aux Invalides et décore d’anciens putschistes comme Denoix de Saint-Marc. Des élus de droite tentent même de remettre en cause la date du 19 mars 1962 et réclament la réhabilitation du colonialisme. Décidément, à droite comme à l’extrême droite, on aime raviver les haines plutôt que d’encourager la Paix entre les peuples. Le tout, pas uniquement sur fond électoraliste mais…par nature ! C’est pourquoi la présence du plus grand nombre de Valentonnais et Valentonnaises au monument aux morts le 19 mars, journée du recueillement et du souvenir, est importante. Elle servira la cause de la Paix. Dossier réalisé par Christian Leduey l y a un peu plus de dix ans, l’appel des douze, signé par des personnalités françaises, demandait au président Jacques Chirac et au premier ministre Lionel Jospin de reconnaître et de condamner la pratique de la torture pendant la guerre d’Algérie. Le fait qu’elle ait été ou pas utilisée ne suscita pas de débat, le nombre de témoignages, tant du côté des victimes que des bourreaux étant suffisamment important. Car la pratique de la torture, de la corvée de bois, des exécutions sommaires, des rafles de «suspects», de viols a, en Algérie, atteint des proportions effrayantes. Selon des estimations sérieuses, plus de 500 000 Algériennes et Algériens, Arabes, Kabyles, Européens, sont passés entre les mains des «bourreaux». L’existence, la connaissance et la non-condamnation de ces pratiques conduiront d’ailleurs à des désertions et des suicides dans l’armée, à des démissions parmi les hauts fonctionnaires. Ce sera le cas de Paul Teitgen, secrétaire général de la préfecture d’Alger, qui constate la «disparition» de 3026 personnes. En 1958, la publication du livre La Question d’Henry Alleg, lui aussi victime de la torture, fait l’effet d’une bombe. François Mauriac, éminent écrivain français l’aborde aussi dans les colonnes du magazine l’Express. Des appelés de retour d’Algérie ou en permission, bouleversés parce qu’ils ont vu, témoignent. Mais alors que l’État s’obstine à refuser d’opter pour le «devoir de mémoire», à reconnaître la «torture d'État» pratiquée en Algérie, et à la condamner par une «déclaration publique», l’actualité nous apprend que cette pratique a débouché sur ce qu’il convient d’appeler «l’école française de la torture». Des «élèves» de diverses juntes militaires d’Amérique du sud mais aussi des États-Unis sont venus à Alger observer les méthodes de la guerre contre-révolutionnaire. Et sûrement que ce mal court encore en Afghanistan… ? ■ I Valenton se souvient… Lundi 19 mars, rendez-vous à 10h30 devant le monument aux morts, rue du Colonel-Fabien pour la commémoration du 50e anniversaire du Cessez-le-feu en Algérie. Dimanche 25 mars, rendez-vous à 15h30, salle Odetteet-Gilbert-Prinçay, pour la projection du film «Ici, on noie les Algériens». Elle sera suivie d’un débat avec Henri Alleg, historien, ainsi que Désirée et Alain Frappier, scénariste et illustrateur de la bande dessinée «Dans l’ombre de Charonne». 27