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Cette thèse, réalisée sous la direction de M. le Professeur Yann Le Bohec, est issue
d’un mémoire de DEA soutenu en juin 2003 avec la mention Très Bien.
L’objectif de ce travail consistait, d’une part, à étudier la stratégie de défense d’une
province interne à l’Empire romain et, d’autre part, de comprendre les raisons qui amenèrent à
l’invasion de l’Italie par les Wisigoths et à la prise de l’ancienne capitale, Rome. En effet,
jusqu’à présent, les études modernes se sont presque exclusivement consacrées aux régions
frontalières de l’Empire, notamment le Rhin et le Danube pour la partie occidentale. Il
s’agissait d’envisager la question à travers une nouvelle perspective, celle de la géostratégie
que l’on pourrait résumer en « une stratégie fondée sur l’exploitation systématique des
possibilités offertes par les grands espaces en termes d’étendue, de forme, de topographie, de
ressources de tous ordres ».
Les conceptions ayant trait à la stratégie romaine durant l’époque tardive (IIIe-Ve
siècles) sont largement issues des théories conceptualisées par E. Luttwak. Celui-ci a
développé pour la période ici prise en compte la « défense en profondeur ». Il s’agit d’un
modèle stratégique, qui suppose l’existence d’une « Grande stratégie », prévoyant une
combinaison et une interaction d’éléments fixes et mobiles afin d’intercepter tout envahisseur
en territoire romain et de bloquer l’invasion. Cette conception sous-entend l’établissement, à
titre préventif, d’un plan articulé de défense par le pouvoir romain dans le but explicite de
protéger la péninsule de la menace germanique. Dans ce cas, les Alpes auraient été dotées de
systèmes de défense et la plaine padane pourvues de nombreuses enceintes urbaines en
contrôle des cols alpins et des axes routiers. Suivant ce schéma, les troupes romaines auraient
alors été stationnées en retrait, dans la plaine et en appui de ces points fortifiés. Les théories
de E. Luttwak, déjà contestables en soi en raison de la transposition d’idées modernes sur des
réalités antiques, ont directement été exportées pour l’Italie, ce qui a rendu pleinement
tributaires les conceptions actuelles de la stratégie de défense italienne à l’époque tardive. La
présente analyse a toutefois souligné l’intérêt d’effectuer une différenciation géographique.
En effet, entre 284 et 410, l’Italie a connu treize invasions et pas une seule fois « la
défense en profondeur » n’a fonctionné. Pourtant, la carte de distribution des fortifications et
des enceintes urbaines tend à valider cette conception. À l’aube du Ve siècle, elle a bien existé
de facto, mais elle n’a aucunement été créée d’une seule pièce, ni même dans un but bien
précis. Il s’agit en réalité du résultat de la succession des événements militaires qui se sont
déroulés dans la péninsule à partir de la seconde moitié du IIIe siècle ainsi que des profondes
modifications dont la région fut l’objet dès cette époque.
Après une définition de la géostratégie ainsi que du cadre géographique et temporel
pris en compte, ce travail s’est employé, dans le chapitre II, à retracer en dix-huit points
l’histoire militaire de l’Italie entre 284 et 410 tout en accordant, pour les invasions, une
attention particulière aux axes de pénétration et à la micro-chronologie de ces événements.
Le chapitre suivant s’est consacré à l’analyse du réseau routier (voies transalpines,
voies transapennines, voies en plaine, réseau secondaire, fluvial et navigation endolagunaire)
ainsi que des milliaires datés entre 284 et 410 et provenant du nord de l’Italie. 186 bornes ont
ainsi été recensées, constituant le corpus le plus complet actuellement disponible. La
littérature considère qu’à cette époque ces documents épigraphiques ne témoignaient plus
d’entretiens routiers comme durant la première époque impériale (I
er
-IIIe siècles), mais
uniquement d’actes de « propagande » impériale, essentiellement pour trois raisons. Elles se
résument, dans l’ordre, par la substitution de l’emploi du nominatif de la titulature impériale
par celui du datif, par la disparition de la mention systématique du nombre de milles et par le
phénomène de remploi d’anciens milliaires sur lesquels plusieurs inscriptions ont été
apposées. Toutefois, une étude détaillée a permis de décaler ce changement de la fonction des
bornes vers le milieu du règne de Constantin I
er
.
Deux séries présentaient en outre un intérêt tout particulier pour le sujet de cette thèse.
Il s’agit des milliaires de Julien et de Jovien, empereurs n’ayant jamais mis le pied dans la