l'équipe du club — extérieure aux décisions thérapeutiques —, a pris l'habitude de voir les
patients s'inscrire dans une activité puis disparaître et de trouver la chose normale, comment
peut-on éviter à F.S. de retomber sans cesse dans le piège de sa maladie ?
Un tel club se présente donc comme une super-ergothérapie, vitrine pour les visiteurs, les
étudiants venant aux séminaires analytiques qui ont lieu dans l'amphithéâtre de l'étage
inférieur, symbole des progrès du désaliénisme.
Mais coincé et figé entre différents pavillons qui insistent pour garder leur "liberté"
individuelle, il ne peut en aucun cas tenir le rôle que les théoriciens institutionnels voulaient
lui donner : créer des lieux d'échanges et de parole et traiter l'aliénation institutionnelle.
A la limite, ce club, par son isolement, peut devenir une structure dangereuse pour certains
patients car il crée des lieux d'inscription symbolique, alors que les thérapeutes ne sont pas
dans la possibilité de gérer l'angoisse psychotique que cette inscription peut déclencher.
Brigitte part tenir sa permanence au bar de neuf heures à dix heures trente. Souvent elle quitte
le pavillon détendue et revient dans un état d'agitation et d'agressivité extrême. Parfois, seul
l'enfermement arrive à la maintenir et l'améliore sur le plan clinique. Les tentations sont alors
grandes de considérer que le club la déstabilise. De même, dans ses périodes
d'oppositionnisme, elle crie ses grands dieux que jamais plus il ne sera question pour elle de
se faire exploiter à travailler bénévolement au bar. Si à ces moments là, elle sent ses
thérapeutes indifférents ou même soulagés (« le club ne lui réussit pas »), rien ne la poussera à
y retourner. C'est ainsi que certains patients restent hospitalisés pendant des mois sans mettre
une fois le pied dans ce lieu communautaire.
Chez certains, l'interdiction de sortir, même au club, peut être une prescription qui dépasse
largement les mesures prises contre les évasions : diversifier les lieux de parole serait
dangereux pour nombreux psychotiques ; leur vie serait en danger s'ils se perdaient dans trop
d'activités et les rencontres non maîtrisées qu’on peut y faire. D’autres, par contre, les
névrosés, ne doivent en aucun cas s’y rendre parce que leur pathologie y trouverait un théâtre
trop complaisant. Une phrase telle que « ce patient ne doit pas rester en institution, il ne faut
donc pas qu'il commence à s'incruster au club », peut être juste dans certains cas où
l’hospitalisme devient, par exemple, symptôme phobique, procurant trop de bénéfices
secondaires. Mais lorsqu'elle est répétée, pour des dizaines de patients qui pour la plupart
rechutent plusieurs fois dans l'année, elle dépasse de loin le cas individuel au sujet duquel elle
émerge. Elle entre tout simplement dans un énoncé stéréotypé qui veut ignorer et nier
l'importance de la vie quotidienne en institution.
D'un côté une décision arbitraire : « L'institutionnel ne m'intéresse pas », de l'autre un effet
pratique de ce désintérêt : de nombreux patients n'ont pas à s'investir dans cette circulation. Et
en conséquence de tout cela un fait : le désir de leur thérapeute se situant ailleurs, les patients
végètent sans autre inscription que leurs séances de thérapie et le service se remplit de
"chroniques" âgés et sédimentés.
Un tel club est relégué dans la rubrique socio-occupationnelle, on s'y adresse comme ailleurs
on s'adresse à l'ergothérapie. Mais une salle d'ergothérapie est intégrée aux pavillons, alors
que ce lieu ne fait que coexister sans véritable osmose avec le reste du service, ce qui en
exclut ceux des patients qui en auraient le plus besoin pour lutter contre leur apragmatisme.