Economie de l`information et des médias

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Décembre
10
Économie de l'Information
et des Médias
Cours de MM. Bassoni et Fleury,
enseignants à l'EJCM
Pris en note par Romain Fonsegrives, pour toute correction ou question :
[email protected]
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Introduction
Définition du mot média
On désigne par le terme média tout moyen de communication, naturel ou
technique, qui permet la transmission d'un message. Dérivant du latin medium, le mot a
été francisé pour devenir media, terme reconnu par l'Académie Française en 1973. En
Français, la notion de média est polysémique et recouvre trois réalités complémentaires et
distinctes :
Un moyen dʼexpression : un outil – journal –, une technique – numérique.
Un intermédiaire : lʼorganisation socio-économique que le média incarne – une
entreprise, une organisation, une association, etc.
Un usage ou une finalité : le média se définit par rapport à une production de sens.
Le mot média est nécessairement enraciné dans une société humaine qui partage
des référents culturels.
Les médias comme organisation
Un média est une entreprise qui a une fonction de production qui se caractérise par
une technologie, ainsi qu'une contrainte de coûts et de ressources. La problématique
de ce cours reposera sur les caractéristiques économiques des médias : en quoi peuventelle interférer avec le message diffusé ?
Théorie des médias
Francis BALLE esquisse une typologie des médias. Pour lui, les médias se
classent en trois grandes familles :
Les médias autonomes : ils ne sont rattachés à aucun réseau et se suffisent à eux
mêmes – journal papier, cd, vinyle.
Les médias de diffusion : ils fonctionnent avec un émetteur pour une infinité de
récepteurs ; la relation de communication est à sens unique de lʼémetteur au récepteur –
la télévision hertzienne.
Les médias de communication : ils établissent une relation en boucle entre émetteur
et récepteur – téléphone, Internet.
Dans ce cours, nous considérerons de façon indifférenciée ces trois familles de
médias.
Par ailleurs, il existe trois niveaux selon lesquels un économiste peut envisager une
situation :
Échelle micro-économique : réflexion économique appliquée à ce quʼon appelle les
agents économiques individuels comme les très petites entreprises – TPE –, les
citoyens, etc.
Échelle méso-économique : réflexion qui porte sur les agents économiques
influents. Ceux-ci pèsent sur leur environnement immédiat, à lʼinstar des entreprises qui
ont un pouvoir de marché comme Microsoft, Google, etc.
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Échelle macro-économique : réflexion globale, analyse du système que forme les
agents individuels. Économie vue comme un circuit.
Notre cadrage sera micro et méso-économique. Autrement dit, on cherchera à
comprendre les médias en s'intéressant aux actions chaque entreprise elle-même, perdue
dans un océan d'acteurs – approche micro-économique – ; mais on envisagera également
les médias en les situant dans leur branche ou secteur d'activité, en définissant leur
marché et leurs concurrents – approche méso-économique, qui constitue un intermédiaire
entre l'infiniment petit et l'infiniment grand.
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Chapitre 1: Structures de marché et stratégies des
acteurs
I - La matrice de STACKELBERG : application aux marchés médiatiques
STACKELBERG est un économiste allemand du milieu du XXème siècle qui
analysait les configurations de marché. À partir du concept de marché, il cherche à
définir des grandes familles de marché. Pour cela, il a besoin dʼoutils pour les classer,
dʼoù cette matrice appliquée aux médias.
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Petit nombre
Infinité
1
Monopole bilatéral
Monopsone
contrarié
Monopsone pur
Petit Nombre
Monopole contrarié
Oligopole bilatéral
Oligopsone pur
Infinité
Monopole pur
Oligopole pur
Concurrence
atomistique
Chaque case sera révélatrice dʼune configuration de marché particulière. Chaque case
sera implique une stratégie particulière. Chaque marché dissimule des modèles.
a / La concurrence atomistique
Elle existe lorsque les marchés sur lesquels un grand nombre dʼoffreurs font face
à un grand nombre de demandeurs. Sur ce genre de marchés, la loi de lʼoffre et la
demande s'applique au sens strict – cf Adam SMITH et sa main invisible – : aucun acteur
nʼa de pouvoir de marché, il n'existe pas dʼinfluence individuelle, cʼest le marché qui fixe
le prix de manière exogène. Les agents sont donc tous, sans exception, price-takers.
Quelques exemples de marchés atomistiques :
Marché des devises et des changes : le plus gros marché atomistique au monde, avec
une circulation de 3000 milliards de dollars/jour.
Marché boursier.
Marché des annonces publicitaires : un grand nombre dʼannonceurs confrontés à un
grand nombre de récepteurs ; une situation qui s'est encore accentuée depuis l'avènement
d'Internet. Lʼe-publicité accroît lʼatomicité du marché des annonces publicitaires.
b / Le monopole pur
Un seul offreur fait face à un grand nombre de demandeurs. Cet offreur fait
office de price-maker sur le marché : son offre est sans alternative car les demandeurs
sont captifs. Lʼoffreur est ici en capacité dʼabuser de son pouvoir de faire le prix.
Historiquement, le monopole pur a été prohibé à lʼexception des monopoles
légaux. En France, la distribution des médicaments est attribuée aux pharmaciens par les
autorités sanitaires. De même, la distribution de tabac, est le monopole des buralistes.
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Ces monopoles sont encadrés par la puissance publique et lʼoffreur est dans ce cas sous
tutelle de l'État. Cf monopole de radiodiffusion sur les ondes hertziennes par l'ORTF
jusqu'à son éclatement en 1974.
c / Le monopsone pur
Un demandeur unique fait face à un grand nombre dʼoffreurs. Sur ce marché, le
demandeur est le price-maker, puisqu'il est seul. Ex : à l'époque de l'ORTF, le marché du
documentaire était un monopsone pur car l'organisme était le seul demandeur de
productions télévisuelles.
Aujourdʼhui, il existe des situations de quasi monopsones purs : cf Google – hors
Chine – et ses 85% de parts de marché.
d / Le monopole bilatéral
Il s'agit d'un marché très spécial dit "de gré à gré" : deux acteurs se font face et
fixent le prix au terme d'une négociation. Il n'y a donc ni price-maker, ni price-taker sur ce
genre de marché.
Exemple concret : en matière d'art, le marché des dations. Sur le plan juridique, la
dation en paiement, c'est le fait de se libérer d'une dette par une prestation ou un bien
différent de celui initialement dû. Cf le cas de la dation Picasso : lorsque le peintre meurt
dans les années 1970, les héritiers sont à la tête d'une énorme fortune en termes
d'oeuvres d'art mais font face à un problème de liquidités pour payer leurs droits de
succession. LʼÉtat leur demande alors de se constituer en association afin de négocier sur
cette question de la dette fiscale. Cette négociation se fait pour deux raisons : lʼassociation
veut rétrocéder certaines des oeuvres dʼart pour sʼacquitter de la dette fiscale mais le
marché de lʼart a des prix très volatils. LʼÉtat et lʼassociation doivent alors se mettre
dʼaccord pour évaluer les oeuvres dʼart. Il sʼagit bien là dʼune négociation pure.
Parenthèse sur la loi de l'offre et de la demande et les marchés de luxe.
Sur un marché classique – atomistique –, si lʼoffre est supérieure à la demande, le
prix va baisser pour répondre à lʼécart offre-demande. Cette baisse de prix est sensée
avoir un effet régulateur. Le prix conçu comme un révélateur de déséquilibre mais aussi un
correcteur de déséquilibre. Lʼoffre est positivement liée au prix. Plus le prix augmente, plus
la demande est découragée.
Cependant, il existe des marchés sur lesquels la demande est atypique et où la loi
de lʼoffre et la demande ne fonctionne pas. Les biens de luxe par exemple, sont des biens
dont la demande est positivement liée au prix : la hausse du prix est alors un argument de
consommation. On équilibre en créant de la rareté qui entretient le désir dʼacquisition. Le
marché de l'art est donc un pseudo-marché où règne la négociation pure.
e / L'oligopole pur
Un petit nombre d'offreurs fait face à un grand nombre de demandeurs. Cette
configuration de marché est pour nous la plus importante à étudier car la plupart des
marchés des médias sont des oligopoles purs : téléphonie mobile, jeux vidéo, production
musicale, grands labels, etc. L'oligopole pur fera l'objet du grand II.
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f / L'oligopsone pur
Un petit nombre de demandeurs fait face à un grand nombre d'offreurs.
Exemple concret : le marché des documentaires TV à destination des chaînes non
thématiques, i.e. les chaînes généralistes hertziennes. Sur ce marché, un très grand
nombre de boites de productions réalisent des documentaires – atomicité de lʼoffre – pour
un petit nombre dʼacheteurs/diffuseurs. Lʼoffre est très éclatée/dispersée et la demande
est très concentrée. Ce sont donc les demandeurs qui font office de price-makers, à la
condition expresse qu'ils adoptent un comportement collusif. En dʼautres termes, il sʼagit
dʼune entente des acteurs de la demande au sein de cet oligopsone. En revanche si les
demandeurs entrent en concurrence, la situation est alors très proche de la concurrence
atomistique. Lʼimportant nʼest donc pas le nombre des offreurs/demandeurs mais leur
comportement sur le marché.
g / L'oligopole bilatéral
Un petit nombre de demandeurs fait face à un petit nombre dʼoffreurs. Exemple
conret : le marché européen du retraitement des déchets nucléaires. Cʼest un
oligopole bilatéral car certains électriciens européens comme EDF et trois à quatre autres
groupes ont des besoins en matière de recyclage, alors que peu de compagnies ont la
capacité d'effectuer ce recyclage. Les offreurs comme le groupe Areva se livrent dʼailleurs
une vraie concurrence, ce qui en fait bien un oligopole bilatéral.
Le comportement des acteurs détermine donc le marché. Il nʼy a pas de relation
biunivoque/bijective entre le nombre dʼacteurs sur un marché et les stratégies de ceux-ci.
Lʼanalyse des marchés doit se faire au cas par cas. Au sein de ce marché précis, si les
acteurs ont un comportement collusif, on est en situation de monopole bilatéral, sʼils ont un
comportement concurrentiel il sʼagit là dʼun oligopole bilatéral, qui est une situation plus
proche de la concurrence atomistique.
h / Le monopole contrarié
Un offreur unique fait face à un petit nombre de demandeurs, mais lʼoffreur peut
ne pas être le price-maker à condition que les demandeurs sʼorganisent pour
contrebalancer le rapport de force avec lʼoffre. Si les demandeurs adoptent un
comportement collusif, on glisse alors vers un monopole bilatéral. Exemple concret :
marché de la distribution de presse, contrôlée longtemps par la NMPP ou Nouvelles
Messageries de la Presse Parisienne – rebaptisé Prestalis depuis janvier 2010,
anciennement dirigé par Rémi Pflimlin –, offreur unique pour un petit nombre dʼéditeurs de
presse qui s'entendent pour faire face à la situation monopolistique.
i / Le monopsone contrarié
Un demandeur unique face à un petit nombre dʼoffreurs. Si les offreurs
adoptent un comportement collusif, la capacité de price-maker du demandeur est ici
contrarié. Exemple concret : marché de la cession des droits télévisés de la Ligue 1.
La Ligue de Football Professionnel se finance en cédant ces droits. En 2006 elle lance un
appel dʼoffre auxquels répondent TPS – Bouygues, TF1 – dʼun côté et Canalsat –Vivendi,
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Canal + – de lʼautre. La LFP met alors ces droits aux enchères – cachées – et lʼescalade
est montée jusquʼà la somme de 600 millions dʼeuros. Lʼannée suivante, les deux
bouquets fusionnent. En 2009, lorsquʼelle relance son appel dʼoffre elle est en situation de
monopole bilatéral. Pour réintroduire de la concurrence sur lʼacquisition de ces droits, elle
propose alors des lots de matches à des opérateurs téléphoniques comme Orange, qui
cherche à drainer des abonnés. Cet exemple illustre le fait que les configurations ne
sont jamais figées au sein de la matrice. Les statuts des marchés peuvent évoluer.
j / La loi de l'offre et de la demande et ses faiblesses
Selon Adam SMITH, il existe une main invisible qui se met en place sur un
marché atomistique grâce à la loi de lʼoffre et de la demande, représentée par le
graphique suivant.
Cette loi suppose une certaine normalité entre lʼoffre et la demande. Dans cette
configuration, O = f(p), fʼ > 0. Autrement dit, lʼoffre croît positivement avec le prix. Quant
à la demande, elle est est exprimée par la fonction D = g(p), gʼ < 0. Autrement dit, la
demande baisse quand le prix augmente. Le delta est alors le point dʼéquilibre du
marché. Delta est alors unique, il existe donc un seul prix Pdelta compatible avec cet
équilibre.
Rappel : Il existe des marchés sur lesquels la demande est atypique. Elle est une
fonction positive du prix, fait exprimé grâce à la fonction Dʼ = h(p), h' > 0. C'est
notamment le cas du marché du luxe, et plus généralement du marché des biens et
services Akerlof.
Les biens et services Akerlof.
George AKERLOF sʼintéresse aux marchés où il existe une incertitude sur la
qualité du produit née dʼune asymétrie dʼinformation. Sur ce genre de marché, plus le
prix sera bas, plus le consommateur va se méfier car il considère le prix comme un
indicateur intrinsèque de qualité. On parle dans ce cas de biens et services Akerlof,
comme par exemple sur certains segments luxueux du marché du vin.
Exemples de biens et services Akerlof :
Marché des voitures d'occasion ou Market for Lemons à partir duquel AKERLOF
développe sa théorie en 1970.
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Marché de la viande bovine à l'épreuve de la crise de la vache folle : l'épidémie
d'ESB se déclenche en mars 1996 en Europe de l'Ouest. Le ministre britannique déclare
officiellement que lʼagent pathogène traverse les frontières et contamine les humains. La
panique s'installe sur le marché de la viande de boeuf, entraînant une dépression de la
demande. Lʼoffre devient excédentaire et le prix sʼeffondre comme sur tout marché normal.
Les producteurs cassent alors les prix et voient que la demande sʼeffondre toujours plus
avec le prix. Ceci pour une raison simple : acheter de la viande est un investissement de
qualité ; on veut manger sain donc si le prix nʼarrête pas de baisser, on a lʼimpression
dʼacheter un produit de mauvaise qualité. La crise du marché sʼauto-aggrave donc, et la
solution est trouvée en instaurant ce quʼAKERLOF appelle des éléments de confiance
exogènes, c'est-à-dire des garde-fous ou des processus de labellisation. À la fin de
lʼannée 1996, on met donc en place le processus de traçabilité de la viande. On a donc
relevé le prix, qui est alors un marqueur de qualité croissante dans lʼesprit du
consommateur.
Marché des médicaments : marques identifiées contre génériques. Les premiers
génériques à arriver sur le marché ne marchaient pas, non seulement parce que les
médecins prescripteurs ne suivaient pas toujours, mais surtout parce que les assurés
sociaux ne voulaient pas du médicament moins cher car ils pensaient que la qualité serait
moindre, bien quʼil sʼagisse de la même molécule.
Lʼélasticité-prix de la demande.
Qd2
La pente des courbes nʼest pas neutre sur lʼajustement des prix. Ici la pente noire
reflète une demande normale à 45 degrés ; si le prix passe de Pα à P1, la quantité passe
de Qα à Qd1 de manière proportionnelle – si le prix augmente de 2%, la quantité vendue
baisse de 2%. Sur la courbe rouge, la pente est plus forte et on voit bien qu'avec une
même augmentation de prix, lʼeffondrement de la quantité demandée sera beaucoup plus
importante. Les consommateurs sont plus sensibles à la hausse de prix sur ce marché :
lʼélasticité-prix – E – de la demande est plus importante. Pour calculer l'élasticité-prix, on
utilise : E = delta Q / delta P.
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Lorsque l'élasticité-prix est importante, on joue donc sur les éléments hors-prix
pour attirer le consommateur. Cette notion d'élasticité-prix est également très importante
pour déterminer le prix dʼun produit nouveau quʼon cherche à lancer sur le marché – cf
Marianne à son lancement qui proposait un prix attractif par rapport à ses concurrents.
Les biens de grande consommation ont une élasticité-prix quasi verticale, car
ils sont dʼune part très concurrencée, dʼautre part éminemment substituables. On pense
notamment ici aux produits alimentaires basiques, un marché où les entreprises doivent
mener des politiques de benchmarking constantes. Les biens qui ont une élasticité-prix
très écrasée sont des biens indispensables. Le consommateur en est quasiment captif,
il ne peut pas sʼen passer. Exemples : le prix du baril de pétrole en 1973, le prix dʼun litre
dʼeau en Afrique sub-saharienne.
Conclusion sur le marché atomistique.
Cette configuration est une situation de marché peu fréquente dans la réalité. De
plus, quand elle existe, elle très rarement compatible avec la représentation du diagramme
à 45 degrés en raison de lʼélasticité-prix de lʼoffre et de la demande.
II - Les oligopoles au défi de la coopération
Exemple dʼoligopole: parts du marché mondial des fabricants de smartphones
(2009, La Tribune)
Nokia
Samsung
(Finlande)
(Corée du Sud)
36,8 %
19,3 %
LG
Motorola
(Corée du Sud)
(Etats-Unis)
10,7 %
5,6 %
Sony Ericsson
Autres
(Japon ~ Suède)
4,7 %
22,9 %
a / La coopération
William FELLNER a étudié les oligopoles et a mis en évidence la coexistence de
deux tensions contradictoires au sein de ces systèmes : la coopération et la noncoopération. Les offreurs peuvent d'abord avoir envie de coopérer entre eux, ils
peuvent essayer de s'entendre pour avoir une situation de marché confortable. Cette
incitation débouche sur des pratiques : un cartel, la collusion et l'entente. Dès lors la
coopération peut porter sur :
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Les prix : les membres de lʼoligopole décident de figer les prix et les parts de marché
sont stables.
Les répartitions de marché. Ex : le BTP, particulièrement les grandes entreprises
publiques.
Les services et la technologie : sur un marché qui progresse grâce à l'innovation
technologique, ralentir le rythme des innovations permet de faire en sorte qu'un standard
à l'instant T devienne un standard commun, partagé.
La non-agression commerciale.
Lʼentente en tant que pratique est prohibée par la loi et le droit de la concurrence.
Pour autant, elle sʼaccomplit souvent dans les faits.
b / La non-coopération
La non-coopération peut se traduire par une guerre des prix. Les membres de
l'oligopole se livrent une réelle concurrence sur les tarifs. Dans ce cas, l'oligopole
fonctionne quasiment comme un marché atomistique. Ex : le transport aérien dans les
années 80 sur les destinations lucratives comme l'Europe ou l'Amérique du Nord.
Si les offreurs refusent de coopérer, ils peuvent également opter pour une
concurrence hors-prix. Elle porte sur les éléments qualitatifs qui découlent de l'acte
d'achat : qualité du produit ou du service, service après-vente, notoriété, image de
marque, réputation, etc. Ex : les fabricants de smartphones jouent sur la qualité de leurs
produits pour séduire les consommateurs.
Mais y-a-t-il dans la structure même de lʼoligopole un processus qui peut amener à
un comportement stéréotypé ? En d'autres termes, lʼoligopole est-il de nature à
conditionner la coopération ou non-coopération ? Le comportement des acteurs dépend
en réalité de nombreux facteurs :
La profitabilité observée : si elle est importante, les acteurs ont tout intérêt à acheter
leur sécurité et à figer leurs parts de marché assez conséquentes. Ils profitent alors de la
paix instaurée pour se concentrer sur les innovations.
Le risque juridique : le droit de la concurrence interdit les faits d'entente et les
amendes peuvent aller jusqu'à 10% du chiffre d'affaires.
La crédibilité des acteurs et leur degré de loyauté : certains membres de l'oligopole
peuvent se repentir d'une entente en espérant s'affranchir des pénalités encourues.
La théorie des jeux : mise au point par John Von NEUMANN et Oskar
MORGENSTERN en 1944, elle aborde la représentation que peut avoir chaque acteur du
comportement de ses partenaires. Pour ces économistes, le comportement des acteurs
repose sur la nature de leurs interactions sociales, qui se rapprochent d'un jeu
d'échecs : les décisions sont prises en fonction de la capacité à anticiper les réactions
d'autrui aux actions que l'on effectue.
c / Le dilemme du prisonnier
Il s'agit d'un modèle théorique qui date des années 1950, forgé par Albert W.
TUCKER et adapté aux modèles économiques dans les années 1970 par John NASH. Le
scénario de base est toujours le même :
A et B, soupçonnés dʼavoir commis ensemble un même délit, sont arrêtés et interrogés
séparément.
Ils ne peuvent pas communiquer entre eux.
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La reconnaissance de leur culpabilité dépend de leurs aveux.
Ils peuvent bénéficier du statut pénal de repenti s'ils passent aveux.
Dès lors, il n'y a que trois issues possibles:
La coopération implicite : A et B nient.
La défection généralisée : A et B avouent simultanément.
Le cavalier seul : A nie, B avoue, ou lʼinverse.
En fonction de celui qui avoue, les peines de prisons vont varier :
A passe aux aveux
A nie
B passe aux aveux
8/8
0/10
B nie
10/0
1/1
Si A ou B fait cavalier seul, on aboutit aux cases 10/0 et 0/10 : celui qui se tait prend
dix ans de prison, lʼautre est relaxé. Si les deux avouent, on a là une défection généralisée
et chacun prend 8 ans de prison. La menace repose sur deux mécanismes : on incite à
parler et on sanctionne le mutisme. Le scénario qui va sʼimposer le plus souvent, cʼest
celui de la défection généralisée, alors même que le meilleur cas de figure demeure
celui de la coopération implicite dans lequel A et B se protègent et sont condamnés à
une peine courte d'un an. Lʼunique moteur de la défection généralisée est lʼabsence de confiance
absolue. Il suffit dʼun minime doute sur la défection dʼautrui pour modifier la stratégie de
lʼacteur. Si la confiance est totale, lʼacteur maximise la fonction dʼautorité. En cas de doute
doute, la stratégie consiste à minimiser sa perte et non optimiser son gain.
TUCKER prolonge le raisonnement en disant que les acteurs ont conscience du fait
quʼil subissent une perte et que ce nʼest pas le meilleur des cas pour eux. La stratégie
induite par le doute a un coût. Mais ce surcoût est accepté car l'acteur pense ne rien
pouvoir changer à la situation.
Pour NASH, ce modèle montre quʼun "équilibre non coopératif peut sʼavérer
durable." Selon lui, le paramètre-clé de ce modèle est le degré de loyauté des acteurs.
NASH met ainsi au point la notion de freerider ou passager clandestin, qui est un acteur
qui souhaite profiter de la dynamique de marché sans en assumer le coût. Ainsi,
lʼoligopole sera non coopératif sʼil existe ou si lʼon croit quʼil existe en son sein un
passager clandestin. Il s'agit là d'une prophétie auto-réalisatrice qui se vérifie dans de
nombreux domaines :
Exemple de l'OPEP dans les relations internationales : l'OPEP est un cartel qui avait
la capacité de contrôler le marché pétrolier et représente encore aujourd'hui 40% de la
production mondiale de pétrole. Par deux fois en 1973 et 1979, les pays du cartel ont
réduit l'offre de pétrole de façon concertée. Après 1979, les prix flambent démontrant que
la cartellisation peut réussir pendant un temps. Mais en février 1986, l'entente est
touchée par contre-choc pétrolier, suivi par un effondrement du prix du pétrole. Dès qu'un
des pays a commencé à ouvrir un peu les vannes, les autres ont suivi... Le cartel s'est
rapidement délité à cause du conflit Iran/Irak qui opposait deux membres majeurs de
l'OPEP. Cette guerre a obligé les pays membres à dépasser les quotas.
La politique de lʼEurope bleue sur la pêche. Dès le début des années 80, les
premiers rapports dʼexperts sʼalarment d'une disparition de morue en Mer du Nord. L'UE
répond en mettant en place des principes de gestion durable, grâce à l'adoption de
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règles techniques sur la taille des filets et sur la définition des quotas de prélèvements.
La tendance peut-encore s'inverser, à condition que tous les acteurs jouent le jeu. Dix
ans plus tard, la morue a disparu. Les pêcheurs nʼont pas joué le jeu car il y avait au
moins un acteur qui se méfiait dʼau moins un autre acteur.
Le traité de Kyoto : En 1997, les Etats-Unis et la Chine sont les deux grands absents
de l'accord international. La raison est simple : chacun demande à l'autre de faire des
efforts, sans faire preuve de bonne volonté de son côté, ce qui mène droit vers une
impasse politique et environnementale.
Le dilemme du prisonnier repose sur une vision extrêmement pessimiste des
interactions : tout le monde se méfie de tout le monde. En réalité, on peut insuffler de la
confiance dans les relations stratégiques. Elle se crée dans le temps grâce aux
initiatives des acteurs qui se donnent des gages de bonne volonté.
La stabilité d'un oligopole repose sur le concept de crédibilité. Un acteur donne
des preuves du respect de ses engagements passés, il construit dans le temps sa bonne
réputation. Pour être crédible, lʼacteur doit mettre en parallèle les engagements quʼil a pris
avec les moyens quʼil a. La crédibilité est la raison pour laquelle les oligopoles se
constituent en cartels, même si NASH et son dilemme du prisonnier laissent penser que
cʼest impossible.
Cependant, le modèle de NASH nous montre que même des acteurs rationnels
n'atteignent pas forcément le scénario le plus avantageux pour eux. Quelle est cette ruse
de la raison qui les pousse à ne pas rechercher une situation optimale ?
III - La politique de concurrence dans le secteur des médias: regard sur
le cas américain
A partir de la fin du XIXème siècle, la loi se structure pour contre-balancer les
stratégies micro-économiques. Les États-Unis mettent au point une politique de
concurrence assortie d'un contrôle législatif.
À l'époque de grands cartels américains sont constitués dans de nombreux
domaines : transport ferroviaire, distribution de lʼélectricité, industrie du tabac, industrie
pétrolière – Rockefeller. Des lobbies de la société civile demandent lʼabolition de ces
cartels au motif qu'ils représentent une entorse à la démocratie. Leur cheval de bataille,
c'est la lutte contre la ploutocratie. Ce combat débouche sur le vote du Sherman Act
par le Congrès en 1890 – et toujours en vigueur aujourd'hui. Il instaure une double
prohibition :
Interdiction des cartels.
Interdiction des abus de position dominante : ils relèvent de pratiques qui se
rapprochent d'une situation de monopole.
Dès le début du XXème se crée une jurisprudence qui va favoriser le
fonctionnement concurrentiel sur les marchés grâce à des lois antitrust, appliquées à
de nombreux marchés, dont :
Le marché de la radio : la Radio Corporation of America – RCA – est créée en 1919.
Elle bénéficie du monopole de la diffusion radiophonique et lance la National Broadcasting
Company qui gère deux réseaux différents, le réseau Red et le réseau Blue. Mais ces
deux réseaux sont en réalité faussement concurrents. En 1941, sanction de la Federal
Communications Commission – FCC – mise en place après lʼarrivée de Roosevelt en
1933 pour tenter dʼétablir des règles dans le secteur de la communication. Les
démocrates portent le marché de la radio en disant quʼil ne respecte pas le Sherman Act
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et qu'il est en situation de monopole abusif. La FCC oblige la RCA à éclater et à vendre
lʼun de ses deux réseaux à un concurrent. En 1943, le réseau Blue est vendu devient
lʼAmerican Broadcasting Company.
Le marché pétrolier : l'évolution de ce marché est analogue à celui de la radio. À la fin
des années 1890, Rockfeller, en position de quasi-monopole, est obligé de vendre des
actifs. Cette cession forcée est à la source de la création des sept soeurs, les sept
compagnies pétrolières des Etats-Unis.
L'industrie du cinéma : la décision date de la Cour Suprême sur ce domaine date de
1948. Elle sʼattaque au monopole hollywoodien. La Cour affirme que "désormais, il sera
impossible pour une même compagnie de détenir à la fois des studios de cinéma, des
réseaux de distribution et des chaînes de salles dans lesquelles sont projetées les
oeuvres." Ce que la Cour Suprême appelle le monopole hollywodien est un processus de
concentration verticale – cf chapitre 2. En vertu de cette disposition de 1948, lʼindustrie
du cinéma a du être éclatée en trois familles dʼacteurs différents : les studios, la
distribution, les salles. On reviendra sur cette disposition dans les années 1970.
Les contenus médiatiques : la politique de concurrence en matière de médias peut
avoir une dimension qualitative, lorsque la loi essaie de réglementer les contenus
médiatiques. En 1949, le Congrès vote une disposition : la "Fairness Doctrine." Cette loi
dispose que les stations de télévision doivent inclure dans leurs programmes "diverses
positions contradictoires sur les questions publiques majeures pour la collectivité."
L'approche de la politique de concurrence aux États-Unis est donc à la fois
pessimiste et volontariste.
Ce cadre réglementaire va voler en éclat à la fin des années 1970, qui inaugurent
la politique de déréglementation aux États-Unis. En 1977, télécommunications et
transports aériens sont déréglementés. Ronald REAGAN va amplifier le mouvement mais
il ne faut pas oublier qu'il est initié par Jimmy CARTER. Cette déréglementation repose
sur plusieurs facteurs :
Un facteur idéologique: à la fin des années 1970, la société américaine est devenue
beaucoup plus individualiste. La confiance dans le marché et ses capacités à s'autoréguler sʼaccroît. Le marché est alors perçu comme porteur de vertus. REAGAN nomme
Mark FOWLER à la FCC qui affirme qu'une "télévision est un grille-pain avec des
images." Le secteur médiatique devient un secteur comme les autres, soumis à la
concurrence naturelle de marché.
Un facteur scientifique/économique: les années 1970 voient apparaître le modèle du
marché contestable, théorisé par William BAUMOL en 1982. Cʼest un marché
oligopolistique qui va se passer de réglementation car les acteurs du marché sont sous
la pression de concurrents potentiels. Sur ce marché, lʼentrée est libre, il n'y a pas de
barrière. Cʼest au nom de cette théorie que le marché du transport aérien est ouvert
dans les années 1980.
Un facteur technologique: l'émergence de la révolution numérique engendre une
nouvelle vision à long terme des marchés médiatiques. La divergence qui les
caractérisent est appelée à disparaître à long terme, pour laisser place à une
globalisation des marchés médiatiques. Sur ce marché globalisé, la concurrence va
devenir mondiale et on va accoucher dʼacteurs planétaires. En conséquence, la
Fairness Doctrine est abrogée en 1987 afin que le marché se régule de lui même.
Puis en 1993, on abolit les frontières en matière de télévision et cinéma entre les
producteurs de contenus et les diffuseurs. Dès lors, on accepte la concentration
verticale en revenant à une situation dʼavant 1948.
13
Chapitre 2: Concentration économique, économies d’échelle et
économies d’envergure
I - Les trois modalités de la concentration économique
La concentration est un processus par lequel la dynamique dʼun marché est contrôlé
par un nombre de plus en plus réduit dʼacteurs. Autrement dit, la taille moyenne des
entreprises présentes sur le marché augmente.
a / La concentration verticale
Il y a concentration verticale quand un centre de décision unique contrôle un
nombre croissant dʼentreprises qui exercent des activités complémentaires depuis
lʼamont jusque vers lʼaval dʼune filière dʼactivité – organisation du processus de
production qui met en avant les activités complémentaires dʼun même domaine, lʼINSEE
en recense 19, à ne pas confondre avec filiale qui est une entreprise obéissante à une
maison mère.
Ex : les entreprises qui contrôlent la production et la diffusion cinématographique,
comme Time Warner Bros.
b / La concentration horizontale
Processus par lequel un centre de décision unique contrôle un nombre
croissant dʼentreprises qui fabriquent les mêmes biens ou services. Ces entreprises
appartiennent à la même branche dʼactivité – à ne pas confondre avec secteur
dʼactivité ; Peugeot appartient au secteur automobile car il fait plus de 50% de son chiffre
d'affaires dans la branche automobile, cʼest une entreprise multi-branche qui travaille dans
les cycles, lʼoutillage, les robots industriels et les transports logistiques avec GEFCO ; le
secteur est donc plus large de la branche selon lʼINSEE.
c / La concentration conglomérale
Processus par lequel un centre de décision unique contrôle un nombre
croissant dʼentreprises qui exercent des métiers disjoints, appartenant à différentes
branches dʼactivités, et répond ainsi à lʼimpératif de diversification de risque de
marché.
De nombreux conglomérats existent dans le monde des médias, comme les
groupes Dassault, Bouygues, LVMH ou encore la holding FININVEST – groupe de
Berlusconi. Autre exemple : Unilever qui exerce dans lʼalimentaire, les produits
cosmétiques et dʼhygiène, les produits dʼentretien ; Nestlé.
14
d / La justification économique de la concentration
Elle répond à un objectif de maîtrise des coûts. La concentration peut déboucher
sur un abus de position dominante, qui constitue une limite juridique à ce phénomène.
Dans le domaine des médias comme ailleurs, des limites sont posées contre la
concentration. La loi dʼaoût 1986 fixe un seuil de 30% : toute personne physique ou
morale ne peut posséder plus de 30% des titres de même nature publiés sur le territoire
national – PQR, PQN, etc.
Ex : affaire Le Parisien/Aujourdʼhui en France. Il appartient au groupe de presse
Amaury qui possède aussi LʼÉquipe. Lʼhéritière veut aujourdʼhui céder le titre qui a la
particularité dʼêtre un hybride entre un quotidien régional et un quotidien national. Le
groupe Dassault se porte acquéreur mais possède déjà le groupe presse Le Figaro qui
possède de nombreux titres nationaux. Le Parisien pouvant être considéré comme un titre
de PQN, il aurait pu dépasser le seuil des 30% – il arguait bien sûr que le titre appartenait
à la PQR.
La loi effectue un compromis entre la maîtrise des coûts nécessaire à la bonne
santé des entreprises mais pose des limites à la concentration afin dʼempêcher une
menace sur la diversité informationnelle. Dès lors, quelle est le seuil acceptable ? En
2004, Matignon met sur pied la commission Lancelot pour examiner la concentration des
médias. La commission travaille sur deux questions :
Y a-t-il en France une concentration trop importante des médias ?
Compte tenu du degré de concentration, y a-t-il un risque dʼuniformisation des
contenus dʼinformation ?
La commission utilise lʼindicateur C3 : lʼindicateur des parts de marchés cumulées
des trois principaux opérateurs sur un marché donné, exprimé en pourcentage du marché
global. Il sʼagit dʼun indicateur de concentration horizontale.
Résultats de la commission Lancelot :
PQN
PQR
TV
Radio
France
70
46,7
80,7
59,1
Allemagne
87,4
27,9
90,9
56,8
Italie
44,8
-
88,7
58,7
Pays-Bas
98,2
88,1
84,6
69,0
Royaume-Uni
70,6
51,6
69,9
72,3
➔ À l'aune de ces résultats, on peut esquisser quelques remarques :
La France est dans la moyenne.
Les Pays-Bas est ont un taux de concentration très fort sur le marché de la PQN car
lʼindustrie est soumise à des coûts fixes importants qui ne peuvent être assumés par une
multiplicité dʼopérateurs.
Le marché télévisuel le plus concentré est celui de lʼAllemagne.
Le marché le moins concentré en France est celui de la PQR.
15
La France nʼest pas surconcentrée. Mais existe-t-il un lien entre degré de
concentration horizontale et degré de diversité des contenus ? Le lieu commun consiste à
dire que plus la concentration est forte, plus la diversité est faible, justifiant les lois antitrust
dans le monde des médias.
Pourtant, la loi de Steiner montre de façon contre-intuitive que certains marchés
médiatiques très concurrentiels sʼavèrent fortement réducteurs de diversité alors que
certains marchés quasi-monopolistiques peuvent sʼavérer compatible avec la diversité en
matière dʼoffre informationnelle :
Lorsquʼun marché est concurrentiel, la stratégie de chaque opérateur est de se
concentrer sur la majorité, le ventre mou du marché, en négligeant ses marges. Mais
la même cible amène à produire la même offre de produit. Ex : la télévision
commerciale hertzienne qui, depuis 20 ans, met le paquet sur les mêmes concepts
télévisuels, comme les jeux télévisés. La concurrence sécrète curieusement de
lʼhomogénéité qualitative – dʼoù lʼéchec de la privatisation de TF1 en 1987.
En situation de monopole, celui-ci peut promouvoir la diversité car il doit répondre
à la totalité de la demande exprimée sur le marché. Dès lors, il a une obligation de
diversifier lʼoffre. Ex : Gaston Deferre dirigeait un groupe possédant Le Provençal et Le
Méridional dans les années 1980. Le premier était proche du PS, le second était marqué
très à droite. Lagardère en rachetant les titres, les refond dans La Provence et perd
ensuite des parts de marché globales car il ne ratisse plus aussi large.
La loi de Steiner nʼest pas systématique en situation de monopole, mais elle a le
mérite de pouvoir sʼappliquer à différents secteurs culturels.
II - La révolution numérique et l’intégration «contenants-contenu»
La révolution numérique impacte les stratégies de concentration et les
stratégies de diversification de lʼoffre informationnelle. Chris ANDERSON définit lʼeffet de
"longue traîne" sur le Web : il permet de révolutionner le stockage et la distribution afin
de proposer un catalogue beaucoup plus large – les oeuvres sont accessibles en
permanence. Ainsi, Amazon bénéficie de lʼeffet de longue traîne pour augmenter son
catalogue afin de couvrir la totalité du marché du livre.
La révolution numérique provoque une convergence des secteurs informatique,
téléphonique et télévisuel. Cette convergence a donné naissance au secteur de
Technologies de l'Information et de la Communication – TIC –, secteur protéiforme
composé de six branches dʼactivités liées entre elles :
La fabrication dʼéquipements de télécommunications. Ex : Alcatel Lucent.
Lʼexploitation de réseaux et de services de télécommunication. Ex : Orange.
La fabrication de matériels informatiques, dʼélectronique professionnelle. Ex : Siemens.
La conception et lʼédition de logiciels et les services informatiques. Ex : Microsoft.
La fabrication de matériels dʼélectronique grand public. Ex : Sony.
La fabrique de composants. Ex : Atmel.
LʼINSEE nʼinclut pas dans ce classement la production des contenus numériques,
quʼil préfère rattacher au secteur strictement audiovisuel.
La concentration multimédia ou intégration contenant-contenu est un
phénomène rendu possible par la révolution numérique et qui permet dʼarticuler les trois
formes de concentration : horizontale, verticale et conglomérale. Il sʼagit là de la
préfiguration dʼune concentration totale avec la croissance de firmes travaillant sur des
périmètres totalement nouveaux.
16
Le secteur des TIC a une caractéristique macro-économique propre : il exerce des
effets massifs sur la croissance économique ; sa bonne santé exerce un effet de
traction économique. Cʼest ce que montre les travaux de lʼOCDE – Organisation pour la
Coopération et le Développement Économique créé en 1960, ayant son siège à Paris et
regroupant les pays les plus industrialisés ; née de la refonte de lʼOECE, Organisation
Européenne pour la Coopération Économique mise en place pour gérer le Plan Marshall –
depuis 2004.
D'après ces travaux, le secteur des TIC agit sur la croissance par trois canaux
dʼinfluence :
Le canal des nouveaux marchés : sécrétion de nouveaux biens et services qui créent
de nouvelles sources dʼactivités. Ex : Apple qui prend 40% de capitalisation boursière
depuis janvier en se positionnant sur les marchés de lʼiPhone et de lʼiPad.
Le canal de la productivité : les entreprises de TIC modifient les façons de travailler
et élèvent la productivité dʼautres secteurs – systèmes informatiques, etc. On parle
dʼeffet SOLOW.
Le canal évolutionniste ou Recherche et Développement : les entreprises leaders
dans le secteur des TIC ont un taux de R&D très important, couvrant à la fois la
recherche fondamentale et la recherche appliquée. Elles investissent massivement dans
les activités de recherche. Ex : une entreprise qui a un taux de R&D de 15% consacre
15% de son chiffre d'affaires à la recherche. Or la recherche a un impact multi-sectoriel,
voire macro-économique, car la production de connaissances diffuse des externalités
positives – cf métaphore de lʼhorticulteur et de lʼapiculteur par J. MEADE – car celles-ci
ne restent pas confinées à un seul secteur dʼactivité : on parle de spill over effect. Cf
SCHUMPETER et le processus de destruction créatrice.
➔ À voir également, le rapport mondial sur les TIC, publié par le World Economic Forum
en avril 2008, qui démontre que plus un pays est ouvert au développement et lʼusage
des TIC, plus son PIB par tête est élevé. Le forum sʼappuie
sur un indicateur
synthétique de 68 variables – comme la densité du réseau de télécommunications,
lʼincitation à lʼinnovation , les dépenses éducatives, la qualité de lʼenvironnement juridique
relatif à la propriété intellectuelle – reflétant lʼusage des TIC et corrélé au PIB par tête.
Avec cet indicateur, lʼInde est au 50ème rang mondial , la Chine au 58ème, et la Corée du
Nord 9ème – plus forte progression dans un classement dominé par les pays
scandinaves.
III - La recherche des économies d’échelle et d’envergure : les cas de la
PQR et de la presse magazine
Économies dʼéchelle : il sʼagit de la baisse du coût moyen résultant dʼune
augmentation du volume de la production. Les économies dʼéchelle sont dʼabord
recherchées dans les industries à coûts fixes élevés comme le secteur automobile ou
celui des médias – importance des coûts dʼimprimerie.
a / La PQR : une presse en voie de concentration
En France, le secteur se partage en quatre grands groupes qui dominent le marché
de la presse quotidienne régionale :
Le groupe EBRA, Est Bourgogne Rhône-Alpes : possède Le Progrès, Le Dauphiné
Libéré, Le Bien Public, Le Courrier de Saône-et-Loire, Le Républicain Lorrain, LʼAlsace,
17
LʼEst Républicain, Les Dernières Nouvelles d'Alsace – avec la famille Lignac et GMH. La
banque coopérative Crédit Mutuel est l'actionnaire majoritaire du groupe. Quelle
motivations pour cette banque ? LʼEst est le creuset historique du Crédit Mutuel, qui
soigne donc son image et son ancrage territorial via un investissement immatériel. De
plus, ces titres sont demandeurs de liquidités de trésorerie et sont donc des clients
réguliers de la banque. Le Crédit Mutuel assure donc un meilleur contrôle du risque de
défaut de ses clients, ce qui est loin dʼêtre idiot. Enfin, la banque fait le pari de la
mutation de cette presse sur les supports électroniques et ne veut pas rater le coche lors
du futur boom de cette presse. En résumé, l'actionnariat du Crédit Mutuel constitue un
investissement à long terme.
Le groupe SIPA Ouest-France : Ouest-France demeure le premier quotidien français
en termes de diffusion avec 750 000 exemplaires écoulés chaque jour entre les
différentes éditions. Le groupe rassemble également d'autres titres : La Presse de la
Manche, Le Courrier de l'Ouest, Presse-Océan, Le Maine Libre, SPIR – gratuit
d'annonces –, 20 minutes – détient 50% de l'édition française. À l'origine, le groupe est
une association loi 1901 créée entre autres par Grançois Régis HUTIN afin d'aborder
l'actualité sous un regard chrétien.
Le groupe Sud-Ouest : Sud-Ouest, La Charente Libre, La République des Pyrénées,
L'Éclair, La Dordogne Libre, Midi-Libre, L'Indépendant, H3S – gratuit d'annonces.
Le groupe Hersant Média : 27 titres en Suisse romande, en Champagne-Ardennes –
L'Union, L'Ardennais –, en Normandie – Le Havre Presse –, dans le Sud-Est – La
Provence, Var-Matin, Nice Matin – et dans les Dom-Tom.
Cette presse est confrontée à un lectorat vieillissant, et qui malgré le plus grand
nombre de lecteurs âgés, devient de moins en moins fidèle. Elle demeure en coupure
avec le marché du jeune lectorat.
À partir du moment où le marché se restreint, les coûts fixes deviennent de plus en
plus lourds et nécessitent souvent une plus grande concentration du marché – cf PaysBas dans le tableau p.15. En matière de presse, les coûts fixes se partagent sur trois
postes :
Lʼimpression.
La distribution : le réseau est aujourd'hui archaïque.
Lʼéquipement informatique et multimédias.
Ces postes de coûts fixes expliquent la recherche d'une mutualisation, d'un
partage. Cette recherche accouche dʼun processus de concentration horizontale : les
groupes acquièrent alors de nombreux titres, souvent géographiquement proches.
La mutualisation conduit à une rationalisation des ressources au sein de la
PQR, du fait de sa concentration horizontale. Les groupes vont alors chercher à
mutualiser et à rationaliser :
Les moyens dʼimpression : si le groupe est propriétaire de ses moyens dʼimpression,
il va rationaliser le nombre de journaux imprimés par rotative. Si le groupe externalise
son impression, lʼeffet de masse lui permet de négocier un prix dʼimpression allégé et lui
permet de retrouver ses économies dʼéchelle. Avantage de lʼinternalisation : sortir du
carcan du syndicat du livre – le premier groupe à essayer dʼen sortir est le groupe
Amaury dans les années 1970 – et avoir plus de flexibilité. Inconvénient : perte de la
maîtrise du cahier des charges, on confie à un tiers la gestion de priorité et ce tiers
travaille à flux tendu pour plusieurs donneurs dʼordre ; il peut arguer de cas de force
majeure et ne pas engager sa responsabilité sur le retard des délais.
Les réseaux de distribution : organiser un éventuel système par portage comme lʼa
déjà tenté La Provence.
18
Le parc informatique : mutualisation des serveurs qui permettent de stocker les
données.
La régie publicitaire : obtenir un pouvoir de négociation plus important auprès des
annonceurs en leur proposant un bouquet de plusieurs titres pour communiquer.
Les pages nationales et internationales : ce sont les mêmes pour toutes les versions
des quotidiens régionaux du même groupe.
Le service des dépêches : La Provence a stoppé son abonnement au fil AFP et
mutualise le traitement des dépêches avec les titres de son groupe qui lʼont conservé.
Les activités de webmastering : les mêmes personnels sont en charge des sites de
plusieurs titres.
Parenthèse sur la structure dʼun bilan comptable
Un bilan comptable est composé de ce quʼune entreprise possède en propre,
autrement dit d'un actif, et de ses dettes dues à des tiers, regroupées dans le passif. Si
l'on décompose un peu plus, actif et passif regroupe plusieurs éléments :
Les actifs corporels sont soumis à obsolescence et susceptibles dʼamortissement.
Les actifs incorporels : brevets – droits exclusifs sur une invention, obligation de
publier le brevet à lʼInstitut National de la Production Industrielle, le brevet tombe dans le
domaine public au bout de 20 ans –, secrets de fabrication – permet de ne pas fournir un
marche-pied aux concurrents en publiant à lʼINPI –, exclusivités commerciales, droits à
lʼimage, actifs financiers, etc.
Les dettes à court terme : crédits de trésorerie.
Les dettes à long terme : crédits à lʼéquipement.
Le bilan comptable est toujours équilibré grâce à la ligne dʼajustement. Il est
donc impropre de parler de bilan déséquilibré, excédentaire ou déficitaire. Cʼest la ligne
dʼajustement qui permet de traduire une perte ou un bénéfice dʼexploitation. Le vrai
document qui peut être déséquilibré est le compte dʼexploitation ou de résultat, qui est
une comptabilité de flux : entrées et sorties au jour le jour de lʼentreprise. Pour plus
d'informations, cf La comptabilité en perspective par Michel CAPRON dans la collection
Repères.
En dehors des économies d'échelle, un groupe peut aussi chercher à réaliser des
économies dʼenvergure, aussi dites économies de variété ou de gamme. Il s'agit de la
recherche dʼune baisse du coût de production moyen grâce à la production de
plusieurs biens ou services par la même entreprise. Ce processus est possible car il
existe des facteurs de production partageables, sollicités pour des productions
complémentaires qui participent à la baisse du coût moyen.
➔ Dans lʼéconomie immatérielle, les facteurs de production sont :
Le capital tangible, matériel ou corporel : il sʼagit du capital physique de Ricardo ou du
capital machine de Marx.
Le capital immatériel, intangible ou incorporel.
Le travail non qualifié : la main d'oeuvre de base.
Le travail qualifié : la matière grise est un actif incorporel. Ex : les flux de formation
des ingénieurs sont considérés comme incorporels.
Tout ce qui est partageable, y compris la matière grise, occasionne des
économies dʼenvergure. Les groupes conçoivent des bouquets de produits qui se
19
basent sur des biens et services partageables, ce qui réduit mécaniquement le coût
moyen de production de ces produits. Voici quelques exemples :
Le documentaire Apocalypse à lʼautomne 2009 qui met en oeuvre 80% dʼarchives
numérisées et restaurées. Les producteurs ont mis en oeuvre des économies dʼenvergure.
À partir de la même matière grise, ils ont décliné des services et produits
complémentaires : documentaire TV vendu à un service hertzien, DVD commercialisé fin
2009, livre, site internet offrant des servies marchands comme des ventes dʼimages. Il
sʼagit là dʼun bouquet de produits qui gravite autour de biens ou services partageables :
mêmes images et même matière grise mises en oeuvre.
Le Monde a la possibilité de partager une information et de la décliner sur différents
supports comme le papier gratuit – Direct Matin –, le quotidien payant, le site internet –
déclinaison enrichie via son et image –, les applications iPhone et iPad.
La production Titanic en 1997. Bouquet de services : exploitation en salles,
exploitation TV, exploitation DVD, livre et produits dérivés, exploitation commerciale de la
bande son en partenariat avec Sony.
Lancement du magazine féminin Be au printemps 2010, lancé simultanément sous
forme dʼun magazine papier, dʼun site communautaire Be.com, dʼune application iPhone et
dʼun ensemble de produits vidéo diffusés sur les chaînes thématiques du groupe
Lagardère.
b / Le segment de la presse magazine : un oligopole à frange concurrentielle
Il sʼagit du secteur le plus lucratif de la presse française. Ces titres, véritables
vaches à lait, peuvent parfois irriguer les autres titres dʼun groupe. La presse magazine
recherche à la fois des économies dʼéchelles et des économies dʼenvergure.
La presse magazine génère des économies dʼéchelles sur deux postes :
Lʼimpression : elle bénéficie des tarifs propres à l'imprimerie de labeur, moins chère
que ceux de l'imprimerie de presse.
La publicité : le coût d'un espace publicitaire dans un magazine est élevé, ce qui
permet de baisser le coût de production moyen.
Les économies dʼenvergure proviennent du fait que le marché est très
segmenté. Lʼoffre est éclatée pour atteindre simultanément n cibles. La notion de
segmentation de marché est associée au concept de différenciation du produit.
Il existe dʼabord une segmentation sexuelle du marché : presse magazine
masculine et féminine. Lʼâge est également un facteur de segmentation important : on va
de la presse pré-ado, ado, jeunes femmes active, femmes actives, femmes mûres,
femmes inactives. Le lieu de résidence est aussi un facteur de segmentation : public rural
ou urbain.
Cette segmentation entraîne lʼexistence de niches de lectorat. Il existe même des
micro-niches : titres qui sʼadressent à quelques centaines de lecteurs sur un thème très
spécifique. La stratégie de lʼéditeur est alors de faire jouer la concurrence monopolistique :
chaque titre doit être en quasi-monopole sur chaque niche, et non pas sur le marché
global de la presse magazine.
En France, le marché de la presse magazine est un oligopole à frange
concurrentielle : quelques grands groupes de presse magazine détiennent lʼessentiel
des titres, et de petits acteurs déclinent des produits pour des micro-niches très
20
spécifiques. Ces petits acteurs ont des structures très légères, sont donc très rentables et
forment la frange concurrentielle.
Trois grands groupes de presse magazine se partagent le marché en France :
Lagardère Active : Télé 7 Jours, Paris Match, JDD, Psychologie, Elle, TV Magazine,
Marie-Claire, Cosmo, Auto Moto, Première, Photo, Parents, etc.
Prisma Presse, groupe allemand : TV 2 Semaines, VSD, Capital, Prima, Femme
Actuelle, Gala, Voici, Géo, etc.
Mondadori France, filiale du groupe italien Fininvest : Télé Star, Télé Poche, Nous
Deux, Biba, Grazia, FHM, Closer, Auto-Plus, L'Auto Journal, Le Chasseur Français,
Sciences & Vie, etc.
La presse people est un marché grand public très rentable pour des raisons de
diffusion, ce qui en fait un secteur incontournable pour les grands éditeurs de presse. Elle
donc entièrement dominée par lʼoligopole.
Autre acteur : le groupe Bayard avec son quotidien La Croix, le secteur magazine
senior avec Notre Temps et le secteur jeunesse allant de Tchoupi à Phospore.
IV - Les stratégies contemporaines des groupes multimédia
a / La Walt Disney Company
Chiffre d'affaires en 2009 : $36,15 milliards. Le groupe a quatre famille de métiers :
Réseaux de télévision avec Media Networks.
Parcs dʼattractions avec Parks & Resorts.
Films avec Walt Disney Studios, Miramax et Pixar.
Produits dérivés avec Consumers Products.
On a là un exemple type de concentration verticale : lʼinnovation technologique
des studios est commercialisée sous différentes formes, dans des secteurs dʼactivité
différents.
Media Networks regoupe Disney Channel, ABC TV Network – information
généraliste –, Radio Disney, Buena Vista TV et ESPN – Câble TV/Sports/24h. La
stratégie du groupe est celle de la diversification dʼactivités, dʼoù un phénomène de
concentration conglomérale.
Parks & Resorts : 10 parcs à thème, Disney Cruise Line – 2 navires –, 11 parcs en
construction – dans les pays émergents –, 35 hôtels.
b / L’empire de Rupert Murdoch : News Corp
Chiffre d'affaires en 2008 : $30,4 milliards. Familles de métiers :
Cinéma avec Twentieth Century Fox : nombreux films en franchise dont Star Wars, XMen, Titanic, Avatar, etc.
Télévision qui fait 46% du chiffre d'affaires.
Édition, dont Harper Collins.
Médias dʼinformation : 19% du chiffre d'affaires.
Internet et autres.
Lʼactivité majeure est la télévision avec par exemple : Direct TV, Fox Business
Network, Fox News aux USA, B Sky B au UK, Sky en Italie, Star en Chine et en Inde –
21
véritable priorité du groupe –, Channel TV en Australie et Rotana qui est un groupe
saoudien de TV et de production cinéma.
Phénomène nouveau : les chaînes éditorialisées comme Fox et MSNBC voient
leur audience augmenter depuis deux ans, alors que CNN qui essaie de conserver son
objectivité, régresse.
Les magazines, journaux et agences de presse du groupe – concentration
horizontale – : The Times & The Sunday Times, The Sun, The Wall Street Journal,
Barronʼs, The Australian, Australian Associated Press, The New York Post, News of the
World.
Le groupe s'implique de manière croissante dans le monde de lʼInternet :
MySpace, MySpace China, IGN qui est un éditeur de sites, Photobucket et Flektor.
Sans oublier lʼimplication dans le monde du sport : propriétaire de lʼéquipe des
Dodgers aux USA, participations dans le capital de Manchester United, de Leeds et de
Chelsea au UK, implication dans la National Rugby League en Australie.
c / Le groupe Bertelsmann, leader européen
Chiffres d'affaires en 2007 : $18,8 milliards. Stratégie de concentration verticale.
Familles de métiers :
Lʼaudiovisuel avec RTL Group : rassemble RTL, RTL2, Fun Radio, Groupe M6, Five
au UK, RTL TV, Antena 3 et Fremantle – Des chiffres et des lettres :-)
Lʼimprimerie avec Arvato.
La presse magazine avec Grüner & Jahr – dont la filiale française est Prisma Presse.
Internet avec Direct Group : comprend Bertelsmann Online China qui est la filiale qui
monte en puissance, ainsi que France Loisirs en France.
Édition avec Random House : Doubleday et Alfred A. Knopf aux USA par exemple.
Musique, en perte de vitesse avec BMG.
Métier phare : la presse magazine avec notamment Prisma Presse, les titres
Brigitte et Stern en Allemagne, le Financial Times Deutschland, Focus en Italie, Glamour
en Pologne, ainsi que 14 sites Internet.
d / Les deux piliers du groupe Lagardère
Ce groupe congloméral sʼest dʼabord construit autour de lʼindustrie dʼarmement,
dont il lui reste EADS, qui enregistre un chiffre d'affaires de €42,8 milliards, soit 7,5% du
capital. EADS regroupe Airbus, Eurocopter, ATR, EADS Astrium, EADS Space, Dassault
Aviation, Eurofighter.
Mais le deuxième pilier du groupe, c'est l'univers des médias :
Lagardère Publishing, chiffre d'affaires 2009 : €2,27 milliards. Composé de groupes
dʼéditions comme Hachette Ed, Hatier, Didier, Foucher, Calmann-L., Fayard, Stock, Livre
de Poche, Grasset, Pauvert, J-C Lattès, Rageot, Routard, Guides Bleus Marabout,
Larousse, A. Colin, Dalloz, Dunod, Anaya, Hodder, Watts, Orion, Time Warner Book, etc.
On a là un exemple type de concentration horizontale, qui a même empêché
Lagardère dʼacheter plus de 40% du groupe Éditis à cause dʼune accusation dʼun abus
de position dominante.
Lagardère Active, chiffre d'affaires 2009 : €1,73 milliards. Composé de Elle, Be,
Cosmo, Marie-Claire, CVF, Famili, Le Journal de Mickey, Paris-Match, Le JDD, Parents,
Psychologies, Auto Moto, Entrevue, Première, Photo, Télé 7 Jours, TV Magazine, etc. La
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filiale est également actionnaire du Groupe Amaury à 25%, du Monde Interactif à 35%
mais plus du Monde depuis sa recapitalisation en novembre dernier, et de nombreux
sites et activités numériques. Cʼest aussi de lʼaudiovisuel avec Europe 1, Virgin Radio,
etc.
Lagardère Services, chiffre d'affaires 2009 : €3,39 milliards. Composé de Relay, de
Prestaliss – actionnaire à 49% –, sans oublier Virgin, dont il est actionnaire à 20%.
Lagardère Sports, chiffre d'affaires 2009 : €0,51 milliards. Il constitue la priorité des
dix prochaines années pour le groupe. Composé de Sport Five, World Sport Group, IEC,
Sporteam, chaînes qui cherchent à acquérir les droits de retransmission des
compétitions, et les droits marketing ainsi que l'organisation dʼévénements sportifs.
➔ Lagardère, cʼest lʼalliance de stratégies horizontales et verticales, mais aussi une
forme de conglomérat tant quʼil conserve des parts dans EADS.
e / Fininvest : un autre exemple de conglomérat
Cʼest une holding : une entreprise qui ne fait que gérer des participations dans
différentes filiales. Ces participations peuvent être majoritaires ou minoritaires. Chiffre
d'affaires en 2008 : €6,1 milliards. Familles de métiers :
Audiovisuel : Mediaset et R101. Chiffre d'affaires de Mediaset en 2009 : €3,9
milliards. Composé des chaînes Canale 5, Italia 1, Rete 4 et la chaîne espagnole Rete
4, de la régie pub Publitalia et de la société de production Endemol. Concentration
horizontale sur le marché italien en matière de TV grand public.
Cinéma : Médusa.
Presse et édition : Mondadori et Il Giornale. Chiffre d'affaires de Mondadori 2009 :
€1,5 milliard. Composé de Libri, dʼune filiale française Ex-Emap et de magazines car la
presse mag sʼinternationalise – exemples des concepts Elle, Cosmopolitan, Focus, Géo,
qui existent aujourd'hui dans plusieurs pays avec des éditions différentes.
Services financiers : Mediolanum.
Sport : actionnaire du Milan AC à 100%.
Parenthèse sur la coopétition : les éditeurs de la presse magazine sont à la fois
concurrents et alliés, afin dʼassurer au mieux la mission dʼéditorialisation pour le lectorat
régional. C'est ce qui explique l'internationalisation de concepts magazines comme Elle.
f / Le groupe Vivendi
Il s'agit d'un groupe intégré multimédia regroupant plusieurs familles du secteur :
Télécom : SFR, Neuf Cegetel, Maroc Télécom, GVT.
Jeux vidéo : Vivendi Games, Activision/Blizzard.
Musique : Universal Music Group.
TV payante : Canal+ France, Canalsat.
Exemple type de concentration verticale contenants/contenu, qui correspond à
lʼancienne vision stratégique de Jean-Marie Messier.
23
g / Le groupe Bouygues
C'est un groupe congloméral qui regroupe 5 familles de métiers :
Construction de routes : Colas.
Construction : Bouygues Constructions.
Médias : TF1, LCI, Métro France, Eurosport France, TMC, Histoire, TV Breizh,
Eurosportbet.com, etc.
Immobilier : Bouygues Immobilier.
Téléphonie Mobile : Bouygues Télécom.
h / Le groupe Bolloré
Il s'agit d'un conglomérat très divers, qui regroupe des familles d'activité sans
logique apparente et peu connues du grand public :
Plastique.
Batteries et véhicules électriques.
Terminaux et systèmes.
Distribution dʼénergie.
Transport et logistique.
Plantations.
Médias et communication : Euro Média Group, Gaumont, Aegis Group, CSA, Havas,
TNT avec Direct 8 et Virgin 17, presse écrite avec Direct Matin, Direct Soir, Direct Sport.
i / Le groupe Louis Vuitton - Moët Hennessy : LVMH
Cet autre conglomérat joue la carte du luxe :
Vins et spiritueux.
Mode et maroquinerie.
Parfums et cosmétiques.
(...)
Communication et autres : Radio Classique, Les Échos, Investir, Le Monde de la
Musique et Arléa. Le portefeuille de participation du groupe est relativement étroit.
L'investissement se fait sur des niches qui ciblent des CSP++. Cela permet d'effectuer
des achats dʼespaces publicitaires à tarif privilégié dans ces supports élitistes pour
communiquer sur des marques élitistes destinées à un public élitiste.
LVMH a récemment utilisé des actions Hermès à terme via nombre de ses filiales.
Ces opérations sur les marchés dʼaction dérivées ont permis à LVMH dʼentrer au capital
dʼHermès à 17,1% sans y être invité.
j / Le groupe Istituto Finanziario Industriale
Il s'agit d'un conglomérat italien dont le coeur principal de métier est les
transports, avec notamment des excroissances dans les médias – La Stampa – et le sport
– la Juventus de Turin.
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k / Le groupe Dassault
Conglomérat français qui a dérivé de l'armement à l'industrie des médias :
Dassault Aviation : aéronautique civile – Falcon – et militaire – Rafales.
Logiciels.
Communication : Dassault Communication dʼun côté – Valmonde qui contrôle
Valeurs Actuelles et Spectacle du Monde – ; Groupe Le Figaro de lʼautre – €0,6 milliard
de chiffre d'affaires en 2008 avec Le Figaro, Madame Figaro, Le Figaro Magazine, Figaro
Patrimoine, Figaro Réussir, TV Magazine, Le Journal des Finances, Publiprint,
Adenclassifieds, Wansquare.
Autres activités : immobilier, vente aux enchères, vin.
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Chapitre 3: Incertitude sur la qualité de l’information et
asymétrie informationnelle
I - Le modèle canonique de G. Akerlof
Lʼinformation est souvent considérée comme un bien public, défini selon deux
critères :
Critère de non-rivalité : personne ne peut se lʼapproprier en particulier.
Critère de non paiement/non exclusivité : le bien est disponible pour tous sans que
personne ne soit exclu de sa consommation par le prix.
Dans la réalité concrète, il peut sʼavérer que lʼinformation ne soit pas un bien
public : elle peut être cachée, donc non disponible pour tous. Elle peut aussi être
stratégique et apporte une valeur ajoutée qui conduit à la faire payer. En fait,
lʼinformation est un bien mixe : tantôt public, tantôt privé.
Que se passe-t-il sur un marché quand lʼinformation nʼest pas également
distribuée ? Quand il existe une asymétrie entre les offreurs et les demandeurs
dʼinformation ? Georges AKERLOF effectue une analyse du market for lemons – des
vieilles bagnoles –, caractérisé par :
Des offreurs parfaitement informés de la qualité des produits.
Des acheteurs sous-informés : ils se méfient des vices cachés de la voiture.
Un prix qui fonctionne comme signal qualitatif : il serait une indication de la qualité
intrinsèque. Un prix faible est un indicateur de qualité médiocre dans l'esprit des
acheteurs.
Une absence de confiance qui crée une anti-sélection ou sélection adverse. Plus le
prix baisse, plus les acheteurs sont réticents. Les offreurs qui vendent des produits de
bonne qualité se retirent et seuls les offreurs de junk products restent sur le marché.
Un marché qui ne sʼauto-régule pas : les bons produits ne sont plus sur le marché et
les acheteurs ne peuvent acheter que des produits pourris.
➔ Conclusion dʼAKERLOF sur son modèle en 1971 : la baisse du prix peut avérer
contre-productive, sur certains marchés exceptionnels.
De ce modèle, on tire deux prolongements :
Quelle est la forme de régulation alternative ? Quel indicateur autre que le prix peuton imaginer comme indice de qualité ? Selon AKERLOF, il faut procéder à un
encadrement du marché via des garde-fous institutionnels qui rétablissent la
confiance. Ces gardes-fous peuvent notamment établir des certificats de garantie – sur
six mois ou plus long par exemple pour les voitures – et des labels de qualité – concept
simplement effleuré par AKERLOF.
Quels sont les autres marchés auxquels peuvent sʼappliquer le modèle
dʼAKERLOF ? Exemples : marché de lʼalimentation sujets aux crises sanitaires – cf
crise de la vache folle –, marché de produits pharmaceutiques sujets aux risques de
mauvais médicaments pour la santé – cf crise du Médiator –, marché de lʼinformation,
en particulier à lʼépoque de la diffusion des nouveaux médias et de lʼauto-production
dʼinformations – cf processus dʼinfobésité ou surabondance d'informations.
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II - Le marché de l’information au défi de la «sélection adverse»
Quʼest-ce qui va permettre à certains acteurs médiatiques de se différencier au
sein dʼun marché atteint par lʼinfobésité ? Lʼheure est à lʼinformation pour tous et par
tous, tant au sein de la presse générale que spécialisé.
III - La labellisation de l’information : les pistes explorées
Il existe deux types de solutions pour se différencier sur un marché de type
AKERLOF :
Marquage exogène : des offreurs dʼinformation sont labellisés par des organes
extérieurs, qui évaluent la façon de faire de lʼinformation et non pas lʼinformation en ellemême. Ce marquage est particulièrement visible sur le marché de la santé grâce à une
fondation suisse, la Health On the Net Foundation. Elle a notamment obtenu
lʼautorisation de la Haute Autorité de Santé Française dʼapposer son logo certificateur qui
permet dʼidentifier les bons sites selon plusieurs critères : afficher la qualification de ses
rédacteurs, source des informations systématiquement transparentes, financement du
site doit être transparent, identification claire du webmestre, mention dʼune adresse
physique de contact pour tout litige, charte séparant la politique publicitaire de la politique
éditoriale. Le leader du marché français Doctissimo nʼa dʼailleurs pas reçu le label HON
à cause de sa politique publicitaire.
Marquage endogène : il vient des offreurs d'information eux-mêmes qui
développent deux mécanismes. Le premier, c'est l'effet de marque, qui joue sur le nom
d'une marque de médias comme vecteur de confiance auprès des lecteurs. Le second,
c'est le système de réputation théorisé par Lucien KARPIK, qui repose sur la capacité à
démonter une fiabilité répétée, à se différencier dans le bon sens, en révélant avant tout
le monde un événement fiable ou en faisant preuve d'indépendance par rapport au
pouvoir. La difficulté aujourd'hui pour les nouveaux médias, c'est qu'il est long et coûteux
de se construire une réputation alors qu'il est extrêmement facile de la perdre – cf
Mediapart, qui va maintenant devoir capitaliser sur la crédibilité que le site a acquise lors
de l'affaire Bettencourt.
➔ Dernière remarque sur la labellisation : dans le domaine des médias, le serpent de
mer dʼune organisation de labellisation de lʼinformation a resurgi lors des États généraux
de la presse en 2008.
En Suisse, il existe une association nommée Media and Society Foundation : www.mediasociety.org. À lʼheure actuelle, aucun média français nʼa demandé sa labellisation alors
que certains médias des pays émergents ont effectué la démarche. Cette thématique est à
lʼheure actuelle en débat aux assises internationales du journalisme à Strasbourg.
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Chapitre 4: Les moteurs de valeur de l’information
I - La proximité de la décision
II - L’accès, l’urgence et le référentiel
III - Le modèle économique des médias
Chapitre 5: La problématique de la gratuité
I - Intérêt à informer et pertinence proche
II - Coût de la réponse ou coût de la question ?
III - Information ou communication?
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