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Mais il s’en démarque par quelques aspects. Si les caractéristiques citées proviennent d’une
grammaire simplifiée « intralinguistique », on remarque d ans ces discours des interférences
interlinguistiques (influence de la langue source sur la langue cible) et des réalisations
linguistiques correctes, indices d’un besoin langagier satisfait.
Dans le cadre de la colonisation, s'est développé un système réduit particulier, un xénolecte
plus ou moins systématique, censé permettre une communication entre colonisateurs et
colonisés. Mais aussi, chez les Africains, un « broken language », pour partie réduction de la
langue cible dans un processus d’acquisition en milieu naturel et pour autre reproduction du
modèle proposé, appelé en langage populaire « petit nègre ». Les avis divergent quant à
l’origine de ce broken language. Imitation du xénolecte du colonisateur ou réduction de la
langue étrangère ? Le débat ne date pas d’aujourd’hui. L’ethnologue et linguiste Maurice
Delafosse écrit en 1904 : « On dit souvent que c’est nous qui avons inventé le petit-nègre et
que, si nous parlions aux Noirs un français correct, ils parleraient de même. Ce raisonnement
est puéril »5. Pour lui, il s’agit d’une « simplification rationnelle et naturelle » du français
langue étrangère 6, « langue si compliquée », par des locuteurs de langue(s) maternelle(s)
« logique(s) ». Pour d’autres, il s’agit d’un apprentissage sur le tas en contexte militaire,
apprentissage limité à des ordres et des explications formulés en xénolecte et qui se sera plus
tard répandu à toute une population.
S’agit-il d’un pidgin ? Le terme est parfois employé, particulièrement en anglais (French
pidgin), ou encore pidgin avec le français comme langue de base, français tirailleur (français
approximatif parlé par les Africains recrutés par l’armée française à l’époque coloniale). Les
avis ne sont pas unanimes, tout comme ne le sont pas ceux, dans le cadre du GAD dans les
années 70, sur la notion de pidgin allemand (Pidgin-Deutsch). Cependant, dans la suite de cet
article, le terme « pidgin » sera utilisé, faute de mieux. Le « petit nègre » survit dans des
romans, des illustrations, des bandes dessinées de l'époque coloniale. Ce sont ces « parlers »
qui sont étudiés ici, parlers dus à la plume d’auteurs francophones (français et belge) et qui,
voulant reproduire un broken language (Afrique du nord et Afrique noire) plus ou moins
imaginaire, utilisent leur propre xénolecte.
5 DELAFOSSE, M. : Vocabulaires comparatifs de plus de soixante langues ou dialectes parlés à la
Côte d’Ivoire et dans les régions limitrophes. Paris, Ernest Leroux, 1904, p. 263.
6 Delafosse classe le « petit-nègre » parmi les langues étrangères de Côte-d’Ivoire, à côté du pidgin-
English et de l’arabe (particulièrement sous la forme écrite) pour les musulmans.