le temps et les hommes - Ministère de la Justice

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PROPOS L IMINAIRES
Les exigences européennes
et leur application
Rob Allen,
directeur du Centre international des études
pénitentiaires (ICPS), King’s College, Londres - Royaume-Uni
Merci de votre invitation à cette importante conférence. C’est un grand honneur pour
moi et pour le King’s College de Londres, qui accueille le Centre international des
études pénitentiaires (ICPS).
Nous sommes très heureux de l’initiative du gouvernement français, qui a fait de la
réforme pénitentiaire une priorité durant la présidence française de l’Union européenne, non seulement en France mais dans le monde entier. J’ai eu la chance d’être
invité par l’ambassade française en Équateur pour intervenir lors d’une conférence
sur les droits de l’homme et la prison, en septembre dernier. Les réformes qui sont en
cours dans ce petit pays d’Amérique du Sud (la création d’un ministère de la justice, la
limitation de la durée des détentions préventives, la possibilité de liberté conditionnelle
pour les petits délinquants, la création d’institutions réservées aux mineurs hors du
système pénitentiaire et le développement d’un système de libération anticipée pour
bonne conduite) sont des réformes que nous pouvons soutenir et dont nous pouvons
aussi nous inspirer.
L’ICPS a été créé en 1997 par mon prédécesseur, le professeur Andrew Coyle, qui en
fut le directeur. Notre mission est double. Premièrement, accroître les connaissances
sur l’utilisation et la pratique de l’emprisonnement dans le monde. Deuxièmement,
mettre en œuvre des projets concrets en partenariat avec les systèmes pénitentiaires des
différents pays, pour les aider à améliorer la façon dont ils respectent les instruments
internationaux des droits de l’homme. Bien que notre centre soit situé à Londres, nous
n’avons pas pour objectif d’exporter un modèle pénitentiaire britannique. D’ailleurs,
certains aspects récents de la politique pénale en Angleterre vont à l’encontre des
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exigences internationales. À titre d’exemple, les performances culturelles de détenus
auxquelles nous avons eu le privilège d’assister lors de ce colloque ne risquent pas
d’exister en Angleterre, où le ministère de la Justice considère que ce genre d’activité
ne peut avoir lieu que si elle est acceptable pour le public, évaluant souvent l’opinion
publique selon les attitudes reflétées par les journaux populaires. Le ministère de la
Justice a également décidé que les délinquants condamnés à des travaux d’intérêt
général devaient porter des vêtements permettant de les distinguer des autres, pour
que le public ait, une fois encore, plus confiance dans le système pénal. J’espère que le
Comité du Conseil de l’Europe qui rédige actuellement les règles sur les services de
probation s’exprimera sur la pertinence de ce type de stigmatisation.
Tout ce que nous faisons est basé sur les lois et les normes internationales. Nos textes
fondamentaux, qui sont utilisés pour former le personnel et guider les réformes, tentent
de rendre ces normes adaptées et pratiques pour tous ceux qui s’attèlent à une tâche
exigeante : travailler dans le système pénitentiaire et pénal.
Je voudrais aborder le sujet des normes qui régissent l’administration des prisons en
Europe. Certaines d’entre elles proviennent de l’Union européenne : la décision récente
demandant aux États membres de travailler sur la reconnaissance mutuelle des mesures
sur la détention préventive et la surveillance communautaire, les propositions concernant le transfert des prisonniers de nationalité étrangère et la réflexion limitée sur
l’harmonisation des peines. Mais comme l’a déclaré la Commission en réponse à une
résolution du Parlement européen en début d’année, au sujet des femmes incarcérées,
ce qui concerne les conditions d’incarcération est principalement de la responsabilité
des États membres.
Cela ne signifie pas que les États membres peuvent faire ce qu’ils veulent dans ce
domaine. La famille élargie du Conseil de l’Europe a développé un ensemble d’instruments que les administrations pénitentiaires doivent prendre en compte : la Convention
et la Cour européennes des droits de l’homme, les règles pénitentiaires européennes,
le Comité pour la prévention de la torture et 20 recommandations ainsi que 14 résolutions dans le secteur pénitentiaire prises par les ministres au cours des 30 dernières
années. Par ailleurs, d’autres organismes européens ont émis des déclarations normatives. Le mois dernier, à Kiev, le projet Santé en prison de l’Organisation mondiale
de la santé (OMS) a fait une déclaration sur la santé des femmes en prison, après la
déclaration de l’année précédente sur la santé mentale, qui indiquait que « à défaut
d’une action urgente et complète, les prisons deviendront bientôt les asiles du XIXe siècle,
remplis de ceux qui ont le plus besoin de traitements et de soins, mais qui sont détenus dans
des lieux inadaptés ». L’OMS a fait des propositions concrètes importantes afin que les
pays introduisent des programmes de déjudiciarisation, des procédures d’accueil dans
les prisons visant à évaluer la vulnérabilité, des systèmes de planification des soins et
le nombre approprié d’agents correctement formés pour mettre en place ces mesures.
Même si l’on peut être tenté de penser que ces avertissements sont destinés à certaines
des démocraties les plus récentes du continent européen, ils sont tout aussi pertinents
dans certains des pays membres plus établis du Conseil, entre autres au RoyaumeUni.
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Cette intervention ne peut pas présenter le large éventail des règles existantes, alors je
vais simplement aborder deux sujets. Premièrement, l’utilisation de l’emprisonnement
et deuxièmement, la pratique de l’emprisonnement. Sur l’utilisation de la prison, nous
savons tous qu’il existe des variations importantes en Europe et qu’elles ne sont pas
systématiquement liées au taux de criminalité. À l’Est, la Russie, avec 900 000 prisonniers (629 pour 100 000 habitants), incarcère 14 fois plus ses citoyens que ne le
fait l’Islande.
Le Conseil de l’Europe a son mot à dire sur l’utilisation de la prison. Sa Recommandation R(99)22 de 1999 concerne le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale.
Elle indique que, sur le plan de l’offre, l’extension du parc pénitentiaire doit être
exceptionnelle. Nous devrions plutôt envisager de distribuer les capacités de manière
plus rationnelle : les institutions permettant une semi-liberté, les prisons ouvertes, les
permissions et les activités à l’extérieur.
Sur le plan de la demande, la Recommandation invite à décriminaliser les comportements, à développer des alternatives aux poursuites judiciaires et à la détention préventive, à prononcer plus de condamnations à des travaux d’intérêt général, à éviter les
longues peines de prison, à utiliser plus souvent la liberté conditionnelle et la libération
anticipée, en résumé, un ensemble de politiques qui tient compte de la capacité.
D’autres recommandations récentes, du même type que la Recommandation
Rec(2006)13 de 2006 sur la détention provisoire, soulignent que les détentions provisoires devraient être utilisées uniquement lorsque cela s’avère strictement nécessaire,
et les règles de 2008 pour les mineurs soulignent que la privation de liberté d’un
mineur doit être une mesure de dernier recours, imposée pendant la plus courte
période possible.
Avons-nous respecté ces exigences ? Au Royaume-Uni, depuis 1997, nous avons créé
plus d’un millier de nouvelles infractions passibles d’emprisonnement. En termes de
population carcérale, de nombreux pays d’Europe occidentale ont vu augmenter de
manière souvent très importante leur population carcérale. Il existe néanmoins une
divergence dans les toutes dernières années. Les Pays-Bas et l’Allemagne présentent
une diminution de leur population pénale. Le Royaume-Uni et l’Espagne sont eux en
augmentation, ainsi que la France. Nombre de nos pays connaissent une compétition
politique visant à paraître le plus répressif. Ceci a des conséquences évidentes sur la
surpopulation carcérale. Certains choisissent à présent une voie différente – comme le
Portugal et la Roumanie – et je suggérerais que nous tentions d’imposer cette solution
alternative à nos dirigeants européens.
Cette solution ne signifie pas l’absence totale de mesures concernant les dizaines de
milliers de personnes qui entrent et sortent de prison pendant de courtes périodes
chaque année. En plus des diverses sanctions communautaires, nous avons besoin que
les systèmes de santé, d’éducation et d’aide sociale jouent leur rôle. En Angleterre, nous
avons 83 000 prisonniers : environ la moitié des hommes et deux tiers des femmes
ont consommé des drogues dures pendant la période précédant leur emprisonnement.
Pourtant, nous n’avons qu’un peu plus de 2 000 lits de désintoxication dans tout le
pays. Développer une infrastructure alternative à l’extérieur de la prison doit être
une priorité pour ces groupes et les autres groupes vulnérables que nous rencontrons
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dans nos prisons. En Scandinavie, par exemple, il y a généralement beaucoup plus
d’offres en matière de désintoxication et de santé mentale dans la communauté qu’au
Royaume-Uni.
Il est également étrange, je trouve, que dans toute l’Europe, nous ayons une telle
variation de l’âge auquel les enfants peuvent être poursuivis, reconnus coupables et
condamnés à une peine, et des possibilités pour les jeunes adultes d’être traités de
manière à prendre en compte leurs besoins en matière de développement. L’Angleterre
et le Pays de Galles sont de particulièrement mauvais élèves, et leur système judiciaire
pour les jeunes a récemment été ouvertement condamné par le Commissaire européen
aux droits de l’homme ainsi que par le Comité des Nations unies sur les droits de
l’enfant. Les nouvelles institutions hybrides que vous avez développées en France, qui
visent à combiner l’expertise et les ressources de l’environnement carcéral à l’approche
de protection sociale, éveillent un fort intérêt. À l’inverse, les propositions faites ici
en France d’abaisser l’âge de la responsabilité pénale ne vont pas dans le sens des lois
internationales.
Concernant la pratique de l’emprisonnement, les variations sont énormes. Au
Royaume-Uni, le parc pénitentiaire actuel compte entre autres une prison construite
en 1809 pour la détention des prisonniers français des guerres napoléoniennes ; la
prison de Pentonville construite en 1842 et qui est devenue un modèle dans le monde
entier ; un établissement ressemblant à un grand manoir – c’est l’une de nos prisons
ouvertes pour les femmes – qui contraste avec l’aspect de forteresse de la prison de
Leicester et l’efficacité moderne de celle de Belmarsh. Développer des exigences qui
s’appliquent dans tous ces types d’établissements est à l’évidence un énorme défi.
Je ne peux pas résumer les règles pénitentiaires européennes qui tentent justement
de le faire, mais je souhaite mentionner quatre principes clés qui les sous-tendent. Le
premier est la normalisation, l’idée selon laquelle les détenus devraient, autant que
faire se peut, pouvoir mener une vie aussi normale que possible, et perdre uniquement les droits qui font nécessairement partie de l’emprisonnement. De nombreux
pays ont mis en place des initiatives bien intentionnées pour créer des régimes plus
positifs en prison, en proposant de plus en plus de programmes psychologiques, de
formation ou d’éducation. Mais comme le dit le gouverneur de la prison de Ringe, au
Danemark : « Nous n’avons pas de cours de cuisine, ils la font tous les jours. » La normalisation devrait être l’objectif, autant que possible, pour que les détenus apprennent à
être responsables.
Le deuxième principe concerne les cas dans lesquels des interventions d’experts sont
nécessaires pour régler les nombreux problèmes personnels et sociaux des détenus,
interventions qui, pour être adaptées, doivent être fournies non pas par le système
pénitentiaire lui-même, mais par les services de santé, d’éducation et de protection
sociale de la communauté. Il peut y avoir un réel danger à ce que les prisons cherchent
à créer un système parallèle de désintoxication, de soins aux malades mentaux et
d’éducation. Pourquoi ? Parce que cela peut mettre en jeu la position de la prison en
tant que mesure de dernier recours, et encourager les juges et la population à penser
que l’expérience carcérale fait du bien aux prisonniers. Cela peut également encourager
les ministères et directions principalement concernés à penser, dans un sens, que les
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personnes qui ont été en conflit avec la loi ne les concernent pas. Le projet de l’OMS
sur la santé en prison a publié sa première déclaration sous le titre La santé en prison
est la santé publique.
Troisièmement, le principe fondamental des régimes en prison devrait être de préparer
à la libération, avec des possibilités de travailler et d’être rémunéré pour ce travail d’une
manière semblable aux conditions en vigueur dans la communauté, et de doter les
détenus de nouvelles compétences. Des initiatives qui ne se contentent pas de former
les prisonniers mais qui garantissent à ceux qui terminent la formation un emploi après
leur libération sont particulièrement prometteuses. Citons, par exemple, le programme
TRANSCO au Royaume-Uni dans lequel les prisonniers sont formés à des emplois de
poseurs de canalisations de gaz ou le programme Tegel en Allemagne, où les détenus
ont chaque année une permission pour travailler. La crise économique va à l’évidence
exercer une pression sur ce genre d’initiative.
Enfin, la nécessité d’avoir un nombre suffisant de personnels pénitentiaires correctement formés est essentielle au développement de la sécurité dynamique et à une
approche des détenus plus orientée vers la réinsertion. La difficulté est d’obtenir et
d’utiliser les ressources nécessaires pour payer, former, déployer et soutenir des équipes
équilibrées et pluridisciplinaires essentielles aux prisons. Au Royaume-Uni, la formation de base dure environ 8 semaines, ce qui est une période très courte pour préparer
le personnel à la gestion des personnes les plus difficiles du pays.
Je vais maintenant évoquer deux futurs très différents.
Le premier est l’installation d’une piscine dans une nouvelle prison, près de Barcelone.
Je ne sous-entends pas que toutes les prisons devraient avoir ce type d’équipement
de loisir. Politiquement, dans de nombreux pays, ce serait difficile. Mais cela reflète
que l’administration s’engage à proposer aux détenus une véritable réinsertion, ce
qui est intégré à la constitution de la Catalogne, et un équipement assez proche d’un
environnement normal dans lequel les prisonniers, tout comme les personnes libres,
peuvent apprendre à nager.
Le second concerne le projet, au Royaume-Uni, d’une nouvelle prison « Titan », pouvant accueillir 2 500 prisonniers. Si l’on regarde le plan dessiné par une entreprise
privée, on y découvre un terrain de foot. L’idée est peut-être d’organiser des matchs
avec 1 250 joueurs dans chaque équipe. Le débat est très vif au sujet de ces prisons
géantes, et les journalistes et experts affluent pour visiter Fleury-Mérogis, pour voir
qu’elle est votre expérience, ici, en France. J’ai cru comprendre que vous ne souhaitiez
pas renouveler l’expérience d’un établissement aussi grand.
Lequel de ces futurs devrait caractériser les prisons en Europe ? Cela dépend de ce
que nous attendons des prisons et de ce que nous pensons de ceux qui y vivent. Les
prisonniers ne sont évidemment pas tirés au hasard dans la société. Ils viennent des
zones les plus défavorisées. Nous avons cartographié les lieux d’où viennent les personnes incarcérées dans le Nord-Est de l’Angleterre. Cela montre la forte corrélation avec
les communautés défavorisées. Nombreux sont ceux qui se demandent si dépenser de
l’argent pour sortir les gens de ces communautés pour quelques mois avant de les y
renvoyer est la meilleure façon d’investir dans la sécurité de la population. Ou s’il y a
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de la place pour ce que l’on qualifie de « réinvestissement de la justice ». Si cette idée
se répand, nous pourrons peut-être explorer le véritable rôle de la prison.
Aujourd’hui un hôtel de luxe a été installé dans une ancienne prison. Vous pouvez y
passer la nuit pour 200 €. Peut-être est-ce l’avenir de la prison, et développerons-nous
ainsi de meilleures façons de gérer un grand nombre de ceux qui y vont aujourd’hui.
♦ ♦ ♦
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PROPOS L IMINAIRES
Les exigences de l’opinion publique
en matière pénale
Denis Salas,
magistrat, directeur scientifique
des Cahiers de la Justice (ENM)
Merci aux organisateurs de ce colloque et notamment à Jean-Pierre Dintilhac d’avoir
convié le magistrat, le chercheur à leurs travaux. Ils ont eu raison de mentionner au
pluriel les exigences de l’opinion en matière pénale car c’est bien de cette pluralité
dont je vais parler, des exigences toujours souvent multiples et déstabilisantes, souvent
contradictoires, trop rarement constructives. L’opinion, il faut le rappeler, est une
représentation construite de ce que pense une population d’un certain nombre de
sujets qu’on lui propose. Aujourd’hui, tous les segments de l’activité pénale sont – au
moins potentiellement – exposés au regard de l’opinion publique. Le classement d’un
dossier, le comportement d’un fonctionnaire de police en garde à vue, d’un juge à
l’audience ou dans un cabinet d’instruction. Cela peut être aussi un évènement propre
au monde carcéral ou encore – on l’a vu récemment – l’exécution d’un mandat d’amener ou d’une peine privative de liberté qui a donné lieu au suicide d’un mineur.
Faut-il déplorer cette visibilité ? La réponse est nuancée. L’opinion a toujours eu une
face nocturne et une face diurne selon qu’elle est éclairée par l’intelligence ou hantée
par les démons du populisme. D’un côté, elle est destructrice et négative. L’opinion,
saisie par les médias de masse au moment d’un fait divers criminel ou en période électorale, sera portée à être punitive. C’est la part sauvage de la démocratie. Mais, d’un
autre côté, quand elle est saisie « à froid » par enquête et sondage, elle offre un tout
autre visage. Elle peut contribuer au respect des droits et devenir un réel contrepouvoir
dans la démocratie. La dénonciation violente se transforme en une critique positive.
C’est tout l’enjeu d’une « contre démocratie », au sens où l’entend Pierre Rosanvallon,
d’être à la fois vertu et problème, c’est-à-dire placée entre une défiance nécessaire et
un populisme ruineux. Si cette visibilité des institutions pénales doit être critiquée
pour ses excès, si elle insécurise le geste professionnel, elle est en même temps le signe
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d’une appartenance à la démocratie, et à ce titre, nous devons en relever les défis et
nous outiller pour y faire face.
1. Un processus pénal sous le regard de l’opinion pour le meilleur
et pour le pire
Cette exposition de l’activité judiciaire et pénitentiaire n’est pas nouvelle. Au XVIIIe
siècle, elle permet d’opposer la raison des Lumières face à l’arbitraire de la monarchie
absolue. Au XIXe siècle, la presse s’est nourrie du fait divers, du crime et du monde
carcéral. Elle y a puisé une légitimité démocratique si l’on songe, par exemple, à la
dénonciation du bagne par Albert Londres. La chronique policière, judiciaire, pénitentiaire était plus présente qu’aujourd’hui dans la presse – ne serait-ce que quantitativement – même si on observe une certaine rareté du débat politique et parlementaire
sur l’état des prisons.
Trois paramètres ont profondément changé ce paysage : d’abord, le public (et ses
porte-parole) est devenu de nos jours un acteur à part entière du monde pénal : c’est
à partir de ses réactions qu’on définit les politiques publiques ; c’est lui qui véhicule
notre représentation de la criminalité ; c’est son degré d’indignation qui en détermine
souvent les seuils de tolérance. Bref, l’opinion publique s’affirme dans la définition
du droit de punir. Ensuite, l’effet de masse des médias et des images place les gestes
professionnels sous le prisme d’un « jugement » formulé par le tribunal de l’opinion
lui-même placé dans l’hyperfluidité de la communication ce qui permet à des collectifs
(associations, avocats, comités de lutte…) de mobiliser la scène publique pour une
brève durée. Enfin, tout cela se passe dans un monde placé à l’horizon européen et
international où notre système pénal est un parmi d’autres, évalué comme les autres
par des instances européennes qui font ressortir son caractère contestable, relatif,
imparfait. Il suffit de songer, parmi d’autres, aux rapports de la CEPEJ, du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, aux Recommandations européennes qui nous réunissent aujourd’hui.
Cette sensibilité de l’appareil répressif aux secousses de l’opinion donne lieu à des
phénomènes de populisme pénal. C’est une attitude politique qui utilise la réaction
de l’opinion présumée indignée par des faits criminels pour accroître la sévérité de la
législation. Il ne résulte pas seulement de la sensibilité de nos sociétés aux faits divers.
Tel qu’il est apparu aux États-Unis, il désigne un discours propre à la droite néoconservatrice, apparu dans les années 1980, généralisé ensuite, qui se spécialise dans
les promesses punitives capables de séduire l’électorat. Il s’appuie sur une opinion
présumée en demande de sécurité et sur l’effet d’annonce de lois dédiées à la défense
d’honnêtes gens. Bref, le fait d’être tough on crime, dur au crime, est la posture « utile »,
la formule gagnante pour tout candidat qui brigue les suffrages populaires.
Le virage est opéré aux États-Unis dans les années 1980 : à ce moment là, la couverture médiatique des évènements criminels devient sans commune mesure avec le
niveau de la criminalité. À une nette baisse des homicides de 20 % entre 1990 et 1998
correspond une envolée de leur expression dans les médias de masse. En sorte qu’on
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peut faire coïncider la sévérité pénale avec les paniques morales. En 1986, l’affaire Len
Bias sous la présidence Reagan (un champion de basket mort par overdose) est le point
de départ des peines automatiques en matière de trafic de stupéfiants à la suite d’une
véritable croisade morale ; en 1993, même scénario avec l’affaire Polly Klaas (peine
automatique en cas de récidive), etc.
Une affaire – l’affaire Horton – sera décisive de ce point de vue : en 1988, en pleine
campagne pour les élections présidentielles, Horton – un condamné noir – bénéficie
d’une permission de sortie de 3 jours à l’occasion de laquelle il disparaît. On le retrouve
dans le Maryland où il commet un viol. Quelle va être l’attitude des deux candidats,
le républicain Georges Bush (père) et le démocrate Dukakis ? Bush va s’engager à
suspendre tous les programme sociaux d’aide à la réinsertion. Dukakis (partisan de
l’abolition et gouverneur dans l’État du Massachusetts auteur de ce programme)
voudra les maintenir en considérant que le cas de Horton est une exception. Très vite
on assiste à l’effondrement de Dukakis (dénoncé dans son propre camp comme soft
on crime par Al Gore) prélude à l’élection de G. Bush. Depuis lors, il y a consensus
politique entre républicains et démocrates sur la question pénale aux États-Unis.
Simplement les démocrates doivent, sinon en faire la preuve du moins émettre des
signes non équivoques de leur adhésion à ce consensus. Clinton n’oubliera pas pendant
sa campagne électorale d’assister à une exécution capitale. Et Barack Obama – très
proche de McCain sur ce point – affirmera son attachement à la peine de mort,
dénoncera la position de la Cour suprême américaine qui voulait écarter la peine
capitale pour le viol d’un enfant.
En France, le populisme pénal modifie notre représentation de la criminalité. Alors
que la législation pénale depuis 1945 avait pour objet d’adapter la sanction à un délinquant, voilà que la protection de la société et de la victime longtemps oubliée devient
son souci prioritaire. Les deux phénomènes sont liés : d’un côté, le délinquant n’existe
plus que comme menace, comme figure d’une criminalité menaçante ; de l’autre, la
victime se présente comme sujet d’un traumatisme et demandeur de justice. L’homme
criminel sort de l’enveloppe d’une pénalité compréhensive tel que nous en avons hérité
après 1945. Et bien souvent, la peine (quand elle punit une atteinte aux personnes)
n’est plus comprise comme la sanction d’une faute mais comme la réparation d’un
traumatisme.
Ce renversement se passe – en France comme aux États-Unis – sous le regard de
l’opinion publique. Au-dessus des institutions, l’opinion juge de tout souverainement.
Prompte à la compassion, elle favorise une solidarité éphémère autour du malheur
individuel. Ce récit appelle à punir au nom des victimes bafouées dans leur dignité
tout en dénonçant les institutions incapables d’y répondre. Les grandes figures du
traitement psychiatrique issues de cette culture pénale sont devenues des emblèmes de
« l’autre » dangereux qu’il s’agisse des mineurs délinquants ou des malades mentaux.
Les professionnels sont crédités d’attentes conformes aux craintes que leur objet inspire. Et il est demandé aux juges de prononcer des condamnations proportionnelles
au degré de risque encouru.
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Le populisme pénal n’a pas dans notre pays les facteurs qui le portent aux États-Unis
où le juge – qu’il soit élu ou nommé – est un personnage politique. Le statut non électif des magistrat français les rend moins vulnérables aux secousses de l’opinion. Par
ailleurs, notre culture du service public (pénitentiaire notamment) ne permet guère
d’envisager un marché de la punition analogue à ce que l’on voit outre-Atlantique. Les
conditions d’une transaction entre les producteurs de menace et les consommateurs
de sécurité y semblent moins déterminantes.
La différence majeure est ailleurs : le juge français est un enquêteur aux pouvoirs
incomparablement plus grands que son homologue anglo-saxon qui, s’il est plus prestigieux, reste avant tout un arbitre. Une grande part du pouvoir d’enquête est en common
law dévolue aux avocats et le pouvoir décisionnel appartient au jury. En France (et dans
les pays de tradition inquisitoire où le juge est un « ministre de vérité »), les critiques
ou des attaques contre le juge sont à la mesure de ses pouvoirs.
Cette pression modifie profondément le geste professionnel. Celui-ci est placé dans
une injonction paradoxale entre un « trop » (comportant un risque d’erreur par excès)
et un « pas assez » (erreur par défaut, erreur d’impunité). Car l’opinion, prise dans
l’urgence de l’émotion, fonctionne à la faute. Paralysé par la peur de la faute signifiée
par voie de presse, le professionnel tend à se replier dans les protocoles plus rassurants
(« ouverture du parapluie »). La seule défense possible est de renvoyer la faute sur l’autre
et ainsi de suite. Comment sortir de ce piège ?
Il faut ne pas assimiler hâtivement sévérité et opinion publique. L’opinion publique
est infiniment plus volatile et plus malléable, beaucoup moins unitaire qu’on pourrait
le croire. Elle peut être à la fois portée par un sentiment punitif (quand la colère du
public est alimentée par les médias de masse) tout en soutenant la réhabilitation et des
mesures de compensations pour les victimes. C’est la conjonction, à la faveur d’un fait
divers criminel, d’un discours politique, des médias de masse et du silence des autres
points de vue qui produit les lois les plus sévères. Ce qui domine est la désinformation
et la propagation des idées reçues, par exemple que la peine de mort peut faire reculer
la criminalité ou que les taux d’homicide sont en hausse. Difficile dans ces conditions
de faire la part des choses. Ainsi, la confusion dans l’opinion entre maladie mentale
et crime, entre schizophrénie et criminalité, est indéniable. Une enquête réalisée par
l’OMS-Lille portant sur 40 000 Français montre que les Français associent nettement
meurtre, inceste et folie. On sait pourtant qu’un homicide est commis par un malade
mental dans 1 cas sur 20 à 50 selon les pays (soit 2 à 5 %) et chez les auteurs de violence
sexuelle une pathologie psychiatrique n’est retrouvée que dans 3 à 5 % des cas.
Les travaux d’André Kuhn pour la Suisse – actualisés en 2008 – portent sur le point
de savoir si les sanctions prononcées par les tribunaux correspondent aux attentes de
la population. Ils montrent que la punitivité subjective (celle de l’opinion) est certes
dans l’ensemble plus sévère que la punitivité objective (celle des tribunaux) sauf pour
la délinquance en col blanc. Mais en même temps les deux se rapprochent en fonction
du degré d’information et de connaissance du public. Plus la population est informée
sur le système criminel moins elle est punitive. Et surtout plus on connaît des détails
d’une affaire, plus la punitivité subjective tend à rejoindre la punitivité objective.
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Et même, dans une dernière enquête, que la majorité du public se contenterait de
peines moins sévères que celle des tribunaux.
Une étude récente d’Annie Kensey et Ana Maria Falconi confirme le fait que les Français ne sont pas spécialement punitifs. Leur attente de la justice pénale et de la prison
est bien plus ambivalente. Ils attendent principalement de la prison qu’elle sanctionne
certes et semblent peu favorables à la réinsertion mais en même temps ils sont favorables aux sanctions alternatives et la majorité des personnes interrogées (81 %) croit que
la libération conditionnelle est un moyen efficace de réinsertion alors qu’elle, comme
on le sait, n’est guère pratiquée par les juges.
Trois éléments jouent un rôle crucial. L’opinion dépend du moment où on la saisit,
de l’ instrument de mesure qui l’identifie et du climat politique qui la façonne. Un fait
divers criminel en période électorale immédiatement répercuté par les médias de masse
donnera une opinion terriblement punitive. Mais l’opinion consultée par enquête ou
sondage, hors du moment émotionnel et dans un contexte scientifique, sera beaucoup
raisonnable. Prenons le cas – opposé aux États-Unis – de la Finlande qui est le pays
européen qui a réduit spectaculairement son taux d’incarcération ces dernières années :
elle est passée d’un taux moyen de 120 détenus/100 000 habitants pour arriver à un
taux de 73/100 000 en 2005 après être descendue encore plus bas. Les trois facteurs
ont joué pour modifier la culture : le contexte politique a basculé (volonté de réduire
l’incarcération et de développer les alternatives), la mesure scientifique de la criminalité
remplace la mesure médiatique, enfin, le temps long des politiques publiques neutralise
les lois réactionnelles.
2. Les institutions pénales à l’âge de la défiance
Une fois démontrée la plasticité de l’opinion, il nous faut réfléchir sur la place de la justice pénale et de l’administration pénitentiaire dans ce contexte. Ce sont deux autorités
chargées de la contrainte légitime de l’État qui doivent pouvoir être critiquées dans
une société démocratique. Prenons acte du fait que, en quelque sorte face à l’opinion,
l’activité pénale dans son ensemble est désormais à découvert. Elle s’expose à une
critique publique directe, parfois justifiée et souvent violente. Le regard de l’opinion
met à nu les carences de fonctionnement, l’illisibilité de ses motivations, la fragilité
de ses circuits décisionnels. On a vu lors des auditions parlementaires dans l’affaire
d’Outreau que l’échelle des pouvoirs, des compétences et des responsabilités a changé.
Des institutions conçues pour fonctionner sans public se retrouvent confrontées sans y
être préparées, brutalement, aux médias de masse. Le malentendu vient du hiatus entre
la singularité d’une décision (conçue pour un justiciable ou un usager) et sa perception
fluctuante. Tantôt, les uns lui reprochent de favoriser l’impunité et la voici coupable
d’indifférence à l’égard de la sécurité. Tantôt, les autres dénoncent ses choix liberticides. Après le procès d’Outreau, par exemple, nul ne comprend que des personnes
emprisonnées fassent chaque année l’objet d’un non lieu. Aujourd’hui, après le suicide
d’un mineur en détention, c’est le défaut de surveillance qui est incriminé.
Nous avons besoin d’une autorité capable de peser les risques, tous les risques : ceux
que nous acceptons tous en libérant un homme ; ceux que nous évitons à la société en
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le détenant. Un imaginaire de la menace occulte cette recherche d’équilibre et propose
des solutions simples de type binaire : cet homme doit être « dedans » (risque zéro)
ou « dehors » (risque majeur). Une stratégie alternative consisterait à hiérarchiser des
valeurs contradictoires selon qu’on se place à court ou à long terme. Agir avec prudence
implique de peser ses justifications en amont et, en aval, les conséquences prévisibles de
l’acte de justice. On imagine combien cette éthique de la prudence suppose de résister
à la pression du nombre d’affaires et des secousses émotionnelles venues du dehors.
Du côté de l’administration pénitentiaire à qui on ne cesse de reprocher sa culture
du secret et son arbitraire, il me semble important de rappeler que l’entrée du droit
dans les prisons est une première réponse à mettre au crédit de la « détotalisation »
du monde carcéral. On connaît la politique de décloisonnement et d’ouverture sur
l’extérieur de l’administration pénitentiaire à partir des années 1975. Elle conduit
à mettre fin à une certaine conception de l’institution totale qui apportait tout au
détenu (nourriture, emploi, culture, santé, éducation, etc.) en refusant, de surcroît,
tout regard extérieur. Or, le détenu reste un citoyen (il conserve notamment le droit
de vote tant qu’il n’est pas condamné) et, plus précisément, usager de la santé, de
l’éducation, voire de la culture, et surtout justiciable. Il y a désormais une « condition
juridique du détenu ». Il continue d’être protégé par les lois de la République dedans
comme dehors : comment lui inspirer le respect des lois si l’institution elle-même ne
s’y soumet pas ? Cette continuité de l’espace public suppose également une continuité
du regard public : par le biais d’initiatives qui permettent aux détenus de s’exprimer,
d’exercer des recours et qui incitent des artistes à habiter la prison.
Mais du point de vue de la démocratie, c’est la question du contrôle extérieur qui est
cruciale. C’est là que se situe le point de rencontre entre les exigences de l’État pénal
et celles de la démocratie libérale. L’ouverture croissante des établissements pénitentiaires vers l’extérieur impose un nouveau type d’autorité. Les décideurs doivent être
en mesure de rendre des comptes. Les contrôles extérieurs sont peut-être ces espaces
publics alternatifs entre les institutions et l’opinion au point de jonction de l’État et de la
démocratie. On sait qu’il y a un grand nombre de contrôles utiles au décloisonnement
et à la transparence mais en même temps effectués « a minima », celui, par exemple,
des juges à la fois débordés ou absents. Peut-être s’agit-il d’un contrôle en retrait de
ceux qui sont effectués dans d’autres administrations comme si les prisons étaient un
autre monde largement soustrait à la norme ?
À l’opposé de cette résignation, deux institutions incarnent une sorte de vigilance
libérale. Tout d’abord, le Comité de prévention de la torture qui est depuis 1989 un
contrôle supra national en tant qu’organe statutaire du Conseil de l’Europe. Doté
d’une compétence étendue (ensemble des questions liées à la détention), il a des pouvoirs réels (visites, rapports, déclarations publiques) dans un but avant tout préventif.
Il ne cherche pas à sanctionner, à déterminer des responsabilités mais à contrôler la
détention en prévention des mauvais traitements. Il tient son autorité de cette dimension réflexive et extérieure. C’est le type même d’une institution de défiance positive
qui lie le regard critique sur la prison à une perspective d’amélioration des pratiques et
d’exigence éthique. S’il a un pouvoir de qualification en actes de torture, cela ne l’empêche pas de maintenir son approche préventive par le dialogue. Son objectif est atteint
quand il lance le débat sur les dangers du surpeuplement carcéral ou le traitement des
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étrangers « retenus » qui se multiplient avec l’afflux des réfugiés et demandeurs d’asile
en Europe. Son action stimule un examen critique des pratiques existantes. Elle est la
promesse d’une évolution positive.
Le récent Contrôleur général des lieux de privation de liberté devrait se situer dans cette
lignée. Pour trois raisons : d’abord, il s’agit d’une autorité indépendante dotée de
moyens non négligeables (12 contrôleurs à temps plein) ; d’une certaine manière, il est
un porte-parole compétent des interrogations du public sur le fonctionnement de nos
prisons puisque sa saisine est large, non filtrée (à l’inverse de celle de la commission
nationale de déontologie et de la sécurité). Ensuite, il incarne lui aussi une « institution
de défiance positive » c’est-à-dire l’inverse d’un mode de surveillance éphémère et
émotionnel ; il installe la prison dans l’espace public sous une surveillance instituée.
Enfin parce qu’il a le temps pour lui (il est nommé pour six ans) ce qui donne à son
activité de surveillance une structure pérenne au-delà des indignations du moment. Il
incarne une autorité à la fois réflexive et indépendante – profondément libérale au sens
d’un contre-pouvoir capable de stabiliser le contrôle informel de l’opinion. Au total
c’est, au-delà du citoyen électeur, un porte-parole du « citoyen vigilant ». Les pratiques
de la vigilance constituent de plus en plus le levier de l’intervention des citoyens là où
ils ne forment pas – ou pas encore – un véritable corps politique.
Conclusion
Le monde carcéral est tributaire des sociétés du risque, c’est-à-dire des sociétés où
l’activité humaine peut être en elle-même potentiellement dangereuse. Celle de l’État
par l’ampleur de ses pouvoirs – dans les domaines sanitaire, scientifique, technologique, pénal – n’y échappe plus. Ne parle-t-on pas aujourd’hui à propos de la violence
légitime de l’État de « risque pénal » ? Ce vocabulaire, s’il est discutable, signifie que
ces institutions doivent être contrôlées avec un certain réalisme. Certains pays en
Europe vont assez loin dans cette direction, en se dotant d’un dispositif de contrôle
citoyen dans les établissements pénitentiaires. Aux Pays-Bas, ce sont les commissions
de surveillance et de réclamation (émanation de la société civile) au sein des établissements ; en Angleterre, à côté de l’Ombudsman des prisons créé en 1994, il y a un
comité de visiteurs ; au Canada, à côté de l’Enquêteur correctionnel, il y a des comités
consultatifs de citoyens (CCC) dans chaque pénitencier fédéral.
Il faut opposer le principe de responsabilité à un principe de précaution dans le champ
pénal qui conduirait à généraliser l’incarcération pour anticiper les risques graves
pour la société. Sollicitée sur le versant de la peur, l’opinion cherche à se prémunir.
Face à l’incertitude dans l’ordre du savoir, la précaution serait de protéger les victimes potentielles par une sorte d’incarcération de précaution. L’exemple le plus net
en est « l’internement à vie des délinquants sexuel ou violents » « sauf si de nouvelles connaissances scientifiques permettent de penser que le délinquant ne présente plus
de danger pour la collectivité » (loi helvétique du 8 février 2004). C’est l’absence de
connaissance scientifique qui justifie la précaution. C’est la levée de cette incertitude qui seule permettrait de l’écarter. Telle est l’équation du principe de précaution
appliqué à l’incarcération.
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La peur est aveuglante et univoque. Face à elle, contre elle, il faut rester lucide. Il y
a au moins trois catégories de risques à mettre en débat si l’on place les institutions
pénales dans la continuité de la démocratie. Il y a des risques pour la société et la sécurité à laquelle elle peut prétendre légitimement (encore faut-il que cette demande soit
raisonnable) ; il y a les risques pour la démocratie quand un excès pénal menace les
libertés ; il y a les risques pour les décideurs toujours accusés d’être en faute et dont il
faut respecter l’intégrité et la réputation.
De ce dernier point de vue, la création d’un Contrôleur général des lieux de privation
de liberté et d’un CSM rénové pour les juges représente une avancée. La protection
des décideurs (judiciaires et pénitentiaires) suppose qu’on explore les pistes déontologiques et une meilleure compréhension des décisions. Reste, dans cette éthique de la
responsabilité, à trouver le point d’équilibre entre des valeurs aussi contradictoires que
sont la liberté, la sécurité et l’intégrité.
Merci pour votre attention.
♦ ♦ ♦
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Europe :
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TA B L E RON D E
L’émergence d’une professionnalisation
de l’exécution des peines
Intervention de Leo Tigges,
secrétaire général de l’Organisation européenne
de la probation (CEP)
Je voudrais mettre à profit cette introduction à l’atelier pour présenter quelques tendances récentes du développement de la probation en Europe. Je vous propose un rapide
tour d’horizon. Pour des informations plus détaillées et complètes, je vous renvoie à
la dernière édition de Probation en Europe.
1. Les informations disponibles sur l’évaluation des risques et
les besoins des délinquants avant et après leur peine
De plus en plus de pays européens intègrent les activités des services de probation à
leur politique générale d’évaluation des risques et de sécurité publique. Cela a favorisé l’apparition d’un nouveau type de rapports focalisés sur la récidive et l’utilisation
des techniques d’évaluation des risques. Les services de probation évoluent vers le
correctionnel, et « surveiller et contrôler » remplace graduellement l’ancienne devise :
« conseiller, assister et prendre en charge ».
2. Une réflexion importante sur l’opportunité des peines de prison ou
d’intérêt général
Les condamnations avec sursis, les suspensions de procès, les peines d’intérêt général
et la médiation se sont implantées durablement dans les pratiques de condamnation.
La justice pénale des pays d’Europe semble vouloir confier un rôle explicite à la société
dans l’application des sanctions pénales, en mettant l’accent sur la réintégration des
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condamnés. Le processus de condamnation prend donc de plus en plus en compte les
possibilités de peines alternatives à l’incarcération.
3. Le développement du rôle des services de probation (émergence de
peines alternatives plus diversifiées)
L’introduction de nouveaux types de sanctions (par exemple les peines d’intérêt général ou les peines de substitution) ont entraîné le développement des moyens d’actions
des services de probation et l’amélioration de leur image dans la société. Ils jouent
maintenant un rôle important dans le domaine de la justice pénale.
4. Les partenaires judiciaires doivent travailler avec les autorités
locales/municipales
Dans la majorité des pays européens, on reconnaît désormais que le système judiciaire
ne peut fonctionner que si ses membres se considèrent comme des maillons d’une
même chaîne, et travaillent ensemble pour être efficaces. Les uns rendent service aux
autres, pour atteindre les objectifs du système judiciaire : des procès équitables, des
peines justes, protéger la population et améliorer la sécurité publique. La probation a
un rôle à jouer dans ce système :
◆◆
fournir aux autorités judiciaires des informations et des évaluations de qualité, qui
seront utiles pour le choix des peines et d’autres décisions ;
◆◆
faire appliquer les peines et superviser les condamnés ;
◆◆
développer, organiser et encadrer les peines et les mesures d’intérêt général, et
s’assurer qu’elles sont implantées efficacement ;
◆◆
apporter une aide pratique, financière et psychologique aux condamnés, ainsi que
des soins et un suivi médical, pendant toute la durée de leur prise en charge par
le système judiciaire pénal.
Dans ce système en chaîne, les services de probation sont le maillon relié aux autorités
locales et municipales ; leur rôle est de parvenir à réinsérer socialement le condamné à
l’issue de sa peine. Les municipalités ont leur propre responsabilité dans la réinsertion
du condamné : en tant qu’ancien délinquant, il a droit aux mêmes services que tout
citoyen dans les domaines du logement, du travail, de l’éducation et des prestations
sociales. Mais il a été prouvé que les services de probation devaient nécessairement être
impliqués pour combler le fossé séparant le système judiciaire pénal de la société.
5. La focalisation sur la réinsertion
Ces dernières années, nous avons vu croître l’intérêt porté à « ce qui fonctionne en
matière de probation ». L’un des éléments clés est la continuité des soins pendant la
période au cours de laquelle le condamné purge sa peine, mais également après. La
réinsertion désigne le processus de réintégration dans la société, de manière positive et
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contrôlée 1. Afin d’éviter les phénomènes d’exclusion sociale, il faut prêter attention à
sept domaines : logement et soutien ; éducation, formation et emploi ; santé ; drogue ;
argent, allocations et dettes ; enfants et familles ; attitude, pensée et comportement.
Les services de probation peuvent prendre en charge certaines de ces tâches, mais dans
la majorité des activités, les municipalités et les réseaux de solidarité locaux doivent
jouer un rôle dominant.
6. La réglementation européenne
La probation reçoit plus d’attention dans chaque pays, mais aussi au niveau
européen.
6.1. Le Conseil de l’Europe
Le Conseil de l’Europe conduit actuellement une enquête sur la probation, dont il
ressortira des recommandations et des principes destinés aux gouvernements, concernant les conditions minimales nécessaires aux systèmes et aux activités de probation.
Cela contribuera à une meilleure harmonisation des systèmes et des procédures de
probation. Ces recommandations seront finalisées en 2010. Elles relèvent du droit
non obligatoire («soft law»).
6.2. L’Union européenne
En décembre 2008 est entrée en vigueur la décision-cadre relative aux peines et mesures non privatives de liberté. Cette Décision-cadre stipule qu’au 6 décembre 2011 au
plus tard, les personnes condamnées à une peine non privative de liberté dans un
pays membre de l’Union européenne différent de leur pays de résidence pourront
purger leur peine dans leur pays d’origine. Et tous les pays européens doivent prendre
les mesures nécessaires à la mise en place de cette mesure avant le délai fixé. Cette
Décision-cadre a pour objectif d’encourager la réinsertion sociale du condamné dans
sa propre communauté.
♦ ♦ ♦
1.Voir à ce sujet : Rob Canton & David Hancock, Dictionary of Probation and Offender Management,
2008, Willan Publising, p. 269.
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Intervention de Pascale Bruston,
juge de l’application des peines, tribunal de grande
instance de Melun, vice-présidente de l’ANJAP
Afin de lancer le débat sur l’exécution des peines dans une perspective européenne,
il nous a été demandé de décrire dans chacun de nos pays, trois « bonnes » et deux
« mauvaises pratiques », selon le vocabulaire anglo-saxon good ou bad practices usuellement utilisé aujourd’hui en Europe.
En qualité de juge de l’application des peines en exercice dans un tribunal de grande
instance de taille moyenne en région parisienne, malgré la connaissance du terrain que
me donnent aussi mes fonctions de vice-présidente de l’Association nationale des juges
de l’application des peines (ANJAP), je n’ai pas de légitimité à porter un jugement sur
le système français de l’exécution des peines. Néanmoins, je vais tenter, modestement,
d’indiquer ce qui, me semble-t-il, fonctionne bien ou moins bien, ce qui peut être
qualifié de points forts ou de points faibles de notre système, tout en ne perdant pas
de vue la problématique de la professionnalisation.
Tout ne peut être évoqué dans les 10 minutes qui nous sont imparties, outre le fait que
plusieurs points de vue peuvent être choisis ; le choix proposé, qui a vocation à être
discuté, est forcément subjectif.
Il ne s’agit pas, enfin, de défendre en soi un système, car de nombreuses organisations
sont envisageables, fondées sur des cultures et des organisations différentes, recherchant à répondre aux mêmes difficultés selon des cohérences différentes.
1. Les points forts du système français
1.1. Un modèle unifié, anciennement professionnalisé et reconnu
1.1.1. Un système complètement unifié et cohérent
La quasi-totalité des peines comportant une intervention de la « communauté » au sens
anglo-saxon du terme, ainsi que les peines d’emprisonnement, relèvent de l’intervention de deux acteurs : le juge de l’application des peines (JAP) et le service pénitentiaire
d’insertion et de probation (SPIP).
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Aujourd’hui, toutes les décisions d’aménagements et de transformations des peines
après jugement ainsi que les libérations de prison anticipées sont de la compétence du
juge de l’application des peines.
Le juge suit tous les condamnés, détenus et libres, et révoque lui-même les mesures en
cas d’irrespect des obligations ou de réitération d’infraction.
Pour sa part, le service pénitentiaire d’insertion et de probation, service du ministère
de la Justice, met en œuvre toutes les mesures sous le contrôle du juge de l’application
des peines.
1.1.2. Une organisation qui vise à garantir la continuité, l’adaptation, la cohérence des interventions
Incarcérés puis libérés ou libres au moment du jugement, les condamnés sont suivis en
fonction de leur domiciliation ou de l’établissement pénitentiaire où ils sont incarcérés,
par les mêmes types de juges, qui interviennent souvent à la fois en milieu pénitentiaire
et en milieu dit « ouvert », et par les mêmes services pénitentiaires d’insertion et de
probation et parfois les mêmes référents.
L’existence d’un « dossier individuel du condamné au tribunal de grande instance »,
transféré en fonction de ses déplacements, auxquels correspondent les doubles dossiers
du SPIP facilitent la connaissance du condamné et la cohérence des décisions et des
interventions ; ces dernières ne sont pas fondées sur les mesures auxquelles sont soumis
les condamnés, souvent multiples, mais sur sa personnalité.
Continuité « dedans-dehors », géographique, adaptation dans le temps aux évolutions
personnelles du condamné doivent ainsi être facilitées.
1.1.3. Une organisation maintenant ancienne et relativement reconnue
Le modèle français s’est construit progressivement notamment à partir de 1945 puis
1958, avec la création du juge de l’application des peines et des services de probation
(comité de probation et d’assistance aux libérés) puis du sursis avec mise à l’épreuve
et de l’obligation de soins en 1959 ; il a trouvé son aboutissement avec le décret du
13 avril 1999 sur les SPIP et la loi du 9 mars 2004 sur l’application des peines.
Nés de la réunification de plusieurs types de service et de la quasi-unification de divers
métiers (assistants de service social, éducateurs) aux missions distinctes (insertion/lien
avec la famille/contrôle…) dans celui de « conseiller d’insertion et de probation », organisés sous l’autorité d’un directeur départemental, les services pénitentiaires d’insertion
et de probation sont aujourd’hui relativement bien identifiés par les professionnels de
terrain et les médias, sinon par l’opinion publique.
Les JAP sont devenus en 1986 des juges spécialisés (nommés par décret spécifique) ;
la loi du 9 mars 2004 a prévu que chaque tribunal de grande instance devait avoir
un juge de l’application des peines ; elle a favorisé la revalorisation de la fonction, le
développement des compétences et de la formation.
L’identification des acteurs et de leur mission est un enjeu important pour les condamnés eux-mêmes, mais aussi pour l’opinion publique, de plus en plus sensibilisée à
l’application des peines au travers de la question de récidive.
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1.2. Un modèle fondé sur l’individualisation, la judiciarisation et l’intervention du droit commun
Les principes directeurs de l’application des peines sont fixés par l’article 707 du Code
de procédure pénale, issu de la loi du 9 mars 2004 ; le législateur a consacré les logiques
d’amendement et d’évolution personnelle du condamné, mises en avant en 1945, et a
donné une place beaucoup plus importante aux victimes.
Cet article dispose que : « Sur décision ou sous le contrôle des autorités judiciaires, les
peines prononcées par les juridictions pénales sont, sauf circonstances insurmontables, mises
à exécution de façon effective et dans les meilleurs délais.
L’exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’ insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive.
À cette fin, les peines peuvent être aménagées en cours d’exécution pour tenir compte de
l’ évolution de la personnalité et de la situation du condamné. L’ individualisation des
peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à
la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire.»
Dans la logique de cet exposé, nous énumèrerons brièvement les avantages – et quelques inconvénients – de ces principes de fond.
1.2.1. Les intérêts du principe d’individualisation
Le principal intérêt est la possibilité d’adaptation très fine des peines à la situation de
chaque condamné.
Fondée sur la situation mais aussi sur les efforts personnels du condamné, non automatique, l’individualisation se situe dans une logique éducative au sens large et incite
à la mobilisation des personnes placées sous main de justice.
Dans cette perspective, le législateur a multiplié depuis 1958 les possibilités d’alternatives à l’emprisonnement, de modifications des peines avant mise à exécution, et de
libérations anticipées : sursis avec mise à l’épreuve, ajournement avec mise à l’épreuve,
travail d’intérêt général, sursis avec travail d’intérêt général, jours-amendes, libération
conditionnelle, semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous bracelet électronique, placement sous bracelet électronique mobile…
Complexité, moindres visibilité et prévisibilité pour les acteurs sont les corollaires en
terme d’inconvénients.
1.2.2. Les intérêts de la judiciarisation
Depuis 2000 et 2004, la judiciarisation est assortie de la juridictionnalisation fondée sur le débat contradictoire (présence du condamné, de son avocat et du ministère public) et le droit de recours des parties devant les juridictions supérieures dans
une organisation calquée sur le droit commun (première instance, seconde instance,
cassation).
Chargé à la fois du suivi, du prononcé, de la révocation, le juge de l’application des
peines facilite la cohérence de la prise en charge en terme de suivi et de mesures
prononcées.
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Magistrat du tribunal de grande instance, il favorise une responsabilité et une connaissance partagée de l’exécution des peines au sein du tribunal.
Juge du siège, indépendant, il possède une capacité d’assumer les contraintes dues au
judiciaire et des décisions parfois impopulaires ; il peut sans doute plus que d’autres
assumer une responsabilité en cas de récidive.
Cette procédure renforce de façon évidente les droits des condamnés.
Un des intérêts est d’éviter les logiques de « tri préalable » des dossiers, considérés
comme « aptes » ou non par les travailleurs sociaux ou la direction des établissements pénitentiaires à prétendre à un aménagement de peine. Toute demande peut
être formée par le condamné et doit être examinée sans qu’il en réfère auparavant à
quiconque.
La motivation systématique des décisions, y compris les permissions de sortir et les
réductions de peine dites « supplémentaires », fondées sur les « efforts spéciaux de
réadaptation sociale », favorisent le droit de recours et l’appropriation de leur situation
propre par les condamnés.
De façon générale, la prise de décision par un tiers, le juge, dégage les autres acteurs,
notamment pénitentiaires, direction et service pénitentiaire d’insertion et de probation, du poids des décisions et leur apporte un espace de travail avec le condamné.
Enfin, dans un système français où toutes les peines d’emprisonnement de moins d’un
an (bientôt deux selon le projet de loi pénitentiaire bientôt en discussion au Parlement),
et un certain nombre d’autres peines décidées par le tribunal correctionnel, peuvent
être modifiées avant même leur exécution dans le cadre de l’application des peines, il
apparaît cohérent que cette transformation soit de la compétence d’un juge du siège.
1.2.3. Les intérêts d’une réinsertion fondée sur le droit commun
Sauf exception, ce sont en France les dispositifs dits de « droit commun » qui prennent
en charge les condamnés, par opposition à des dispositifs spécifiques : concrètement,
ces organismes chargés habituellement de missions de service public mettent en œuvre
les soins, les hébergements, aides à formation et recherche d’emploi, etc.
Cette règle est mise en œuvre aussi bien en milieu ouvert qu’en milieu fermé, bien que
de façon plus tardive (peut ainsi être citée la loi de 1994 sur les soins en détention, qui,
tant somatiques que sur le plan de la santé mentale, relèvent désormais de l’hôpital
de secteur).
Elle est fondée sur le principe d’égalité : les personnes placées sous main de justice
doivent avoir accès à tous les dispositifs de la même façon que les personnes non
condamnées, et bénéficier de la même qualité.
Elle est également fondée sur une logique d’efficacité, le principe selon lequel la lutte
contre la récidive et la réinsertion sont favorisées par l’insertion la plus complète
possible dans la « communauté ».
De façon réciproque, l’intervention du droit commun a pour conséquence l’intervention de la « société civile » (organismes publics, collectivités locales, citoyens) qui,
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agissant en faveur de la réinsertion des condamnés, les côtoyant, les « banalise » et les
intègre au sein de la communauté.
Cette logique du « droit commun » a également obligé à développer des modes d’intervention subtils, autour de la notion du secret ; il faut en effet tout à la fois protéger le
secret, lié à la vie privée des personnes placées sous main de justice, considéré comme
garantie de leur bonne insertion, et dans certains cas, transmettre les informations
nécessaires à l’efficacité de l’action du dispositif de droit commun.
1.3. La volonté de réformer et d’adapter
Sur le champ pénal, plusieurs évolutions de fond ont déjà été citées lors de ce colloque, notamment l’importance croissante apportée aux victimes, phénomène amplifié
par un certain nombre de crimes d’une particulière gravité commis en réitération,
ou encore la massification de l’intervention en milieu ouvert et la surpopulation des
établissements pénitentiaires.
En réaction ou de façon concomitante depuis une dizaine d’années, les différents
gouvernements et le législateur ont marqué un intérêt croissant pour la phase de l’exécution des peines. Parmi toutes les réformes et orientations nouvelles, peuvent ainsi
être citées les suivantes (de façon non chronologique) :
◆◆ Sur le plan doctrinal, la reconnaissance du caractère socialement improductif des
courtes peines d’emprisonnement et de l’intérêt de l’aménagement des peines
notamment pour les personnes incarcérées.
Du rapport sur l’exécution des peines du député Jean-Luc Warsmann remis en
2003 est notamment issue la loi du 9 mars 2004, qui a achevé la juridictionnalisation de l’application des peines et favorisé l’aménagement des courtes peines.
Sur le plan doctrinal, encore, la reconnaissance au-delà de ses acteurs traditionnels, juges de l’application des peines et services pénitentiaires d’insertion et de
probation, de la nécessité de travailler plus spécifiquement sur la prévention de la
récidive.
D’une part, par l’amélioration du « droit commun » : à titre d’exemple, la loi du
17 juin 1998 sur le suivi socio-judiciaire a fait le choix de soutenir et de professionnaliser le « droit commun » en matière de prise en charge des auteurs de violences
sexuelles.
D’autre part, orientation récente, en favorisant plus systématiquement la mise en
œuvre de programmes ou interventions spécifiques à l’intention des personnes
placées sous main de justice, en milieu ouvert ou en détention, tels les groupes de
parole par exemple.
Le temps de la détention doit être mieux utilisé pour prévenir la récidive.
◆◆ Sur le plan technique, des dispositions ayant pour objet l’amélioration des pratiques,
les organisations, les articulations entre acteurs
À titre d’exemple, on peut citer : le logiciel de suivi « APPI », à la fois fichier et
interface nationale entre juges de l’application des peines et services pénitentiaires
d’insertion et de probation ; la création des bureaux de l’exécution des peines
(BEX) qui vise à recevoir immédiatement les personnes condamnées pour mettre
en œuvre les mesures prononcées.
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Surtout, un travail important sur les référentiels métiers des services pénitentiaires
d’insertion et de probation est engagé.
◆◆
Sur le plan politique, dans un contexte de volonté de stabilisation du budget de
l’État, le choix du renforcement des services pénitentiaires d’insertion et de probation, des juges de l’application des peines et la création d’établissements pénitentiaires.
De façon générale et encore plus récente, ces orientations fondent en partie le projet
de loi pénitentiaire, qui a aussi pour objet fondamental le renforcement des droits
des détenus et la mise en œuvre des règles pénitentiaires européennes.
2. Les points faibles du système français
2.1. Un manque d’évaluation et de travail collectif sur les pratiques
2.1.1. Un manque de données fiables et d’évaluation
Tous les rapports parlementaires ainsi que celui du premier président de la Cour de
cassation relatifs à l’exécution des peines, la dangerosité et la récidive, insistent sur le
retard français en matière d’évaluation.
Compte tenu notamment des difficultés de fonctionnement du logiciel spécialement
dédié, APPI, les tribunaux de grande instance disposent de très peu de statistiques
informatisées en matière d’exécution et d’application des peines, la majorité résultant
encore de comptages manuels. Juges de l’application des peines, services pénitentiaires d’insertion et de probation, directions des établissements pénitentiaires calculent
séparément des objets comparables, selon des méthodes différentes, et peu de chiffres
se recoupent.
Certains agrégats publiés restent discutés, comme les chiffres globaux du nombre
d’aménagements de peines prononcés.
Même si – sous l’impulsion de la réforme des finances publiques – des indicateurs ont
été construits, ils restent encore très quantitatifs et constituent une première étape.
Peu d’organismes scientifiques interviennent sur le champ pénal, les études relatives à
la récidive sont rares, et les chiffres ne font pas l’objet de consensus minimal.
Au-delà, il n’existe quasiment pas d’évaluations scientifiques relatives aux méthodes
d’intervention et aux devenirs des publics sous main de justice.
Quels sont les mérites respectifs de la libération conditionnelle et de la semi-liberté ?
En détention, les groupes de parole ou les soins individuels sont-ils les plus pertinents
et à quelles conditions ? Quels sont les devenirs de cohortes de condamnés ? Quelles
sont les durées optimums de mise en œuvre de telle ou telle mesure ?
Les professionnels ne disposent ainsi pas ou peu d’outils pour prendre de la distance
sur leur propre action et l’améliorer.
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2.1.2. Un manque de travail collectif et inter-partenarial sur les pratiques
Le manque de données est aggravé par la quasi-absence de constats et de réflexions
partagés entre acteurs sur les pratiques.
Concernant les juges de l’application des peines, une culture judiciaire plus fondée sur
une logique législative et réglementaire que sur les savoir-faire concrets, le manque de
soutien doctrinal à un niveau national n’incitent pas à un travail sur les pratiques qui
n’est ni organisé ni ancré dans leur professionnalisme ; en outre, une nouvelle génération de juges de l’application des peines a été recrutée dans les années 2000-2005,
suite à la juridictionnalisation, qui a dû adapter les pratiques à 20 réformes successives
de la procédure pénale entrées en vigueur depuis 2000. Hormis le soutien de l’École
nationale de la magistrature, les juges de l’application des peines ont été très isolés
dans ce travail.
Ces difficultés ont renforcé l’aléa naturel du fonctionnement judiciaire, et ont pu
donner le sentiment d’une très grande hétérogénéité des pratiques, préjudiciable en
terme de lisibilité et d’égalité, tant pour le justiciable que ses partenaires, en premier
lieu les services pénitentiaires d’insertion et de probation.
De récents rapports d’inspection ont également déploré un certain « décrochage »
entre les deux institutions complémentaires et interdépendantes que sont les juges
de l’application des peines et les services pénitentiaires d’insertion et de probation.
La pression médiatique et hiérarchique dans un contexte de manque de moyens, une
certaine dévalorisation du travail social, « l’éloignement » technique lié à la suppression
des comités de probation et géographique (lié au déménagement des services pénitentiaires d’insertion et de probation hors des tribunaux de grande instance) ont entraîné
un certain repli sur soi de chaque institution.
On peut regretter l’absence de formation théorique commune entre services pénitentiaires d’insertion et de probation et juges de l’application des peines, mais aussi et
surtout de retours sur expériences, d’évaluations collectives des pratiques. La loi du
10 août 2007 a créé des conférences régionales semestrielles de l’aménagement des
peines regroupant tous les acteurs, mais à un niveau régional.
2.2. Insécurité juridique et incertitudes sur les orientations
à moyen et long terme
En contradiction avec la règle pénitentiaire européenne 72.2 qui dispose que les acteurs
doivent bénéficier d’orientations claires et partagées, ainsi que de la stabilité du système
légal, doivent être citées plusieurs difficultés :
2.2.1. Instabilité et complexité du système légal
À la succession des réformes à un rythme soutenu (parmi plus d’une vingtaine de textes de loi sans parler des décrets et des arrêtés, les lois du 9 mars 2004, du 12 décembre
2005, du 10 août 2007 et 25 février 2008 apportent des modifications substantielles à
la matière), il faut rappeler l’extrême complexité des textes. Outre les difficultés concrètes d’articulation et de mise en cohérence, ces textes posent de redoutables problèmes
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d’application de la loi dans le temps, et de hiérarchie des normes ; les juges attendent
actuellement la jurisprudence de la Cour de cassation sur de nombreux points.
2.2.2. Injonctions contradictoires aux acteurs
L’accroissement des courtes peines d’emprisonnement, conséquences de la réforme sur
les peines plancher, a provoqué une hausse de la population carcérale que ne peut que
difficilement compenser une hausse des aménagements de peine : les services concernés
ne disposent pas des moyens suffisants sur les plans qualitatif et quantitatif ni du temps
nécessaire pour compenser l’effet désinsérant de l’emprisonnement, majeur pour les
courtes peines.
Les circulaires prônant l’aménagement des peines ne peuvent complètement contrebalancer la médiatisation d’un certain nombre de récidives et la mise en cause au plus
haut niveau de l’État des juges ayant pris les décisions d’aménagement. De façon plus
prégnante encore, les parquets sont soumis à des contraintes contradictoires et ont du
mal à évaluer le niveau de risque acceptable en matière d’aménagement de peine.
Cette difficulté d’évaluation est retrouvée dans la prise en compte des victimes : comment trancher des intérêts parfois inconciliables ? À titre d’exemple : faut il interdire
au condamné de paraître sur la commune, le département ou la région où réside la
victime ?
2.2.3. Un cadre et des principes d’intervention renouvelés à moyen terme ?
À ce jour, le projet de loi pénitentiaire reste dans la lignée des principes progressivement mis en œuvre depuis 1958, fondée sur l’unité des procédures autour du juge de
l’application des peines et du service pénitentiaire d’insertion et de probation.
Pour autant, l’hypothèse d’une intervention des juges de l’application des peines en
« milieu ouvert » limitée à la révocation réduit-il, en matière d’aménagement des
courtes peines, à l’hypothèse d’un « conflit » le développement de compétences administratives (permissions de sortir confiées aux directeurs d’établissement) ? Les aménagements de peine de principes validés par les directeurs départementaux de service
pénitentiaire d’insertion et de probation (sauf recours devant le juge) ne sont pas
forcément abandonnés. Le rapport « Blanc-Warsmann » déposé le 12 décembre 2007,
la conférence des procureurs de la République, par exemple, ont préconisé des réformes
en ce sens.
Sur le fond, l’objectif de prévention de la récidive est aujourd’hui considéré comme
le principe directeur des réformes en cours ; pour autant, il ne peut suffire à définir
l’ensemble des orientations : notamment, il ne dit rien des moyens. Autant l’objectif
de réinsertion sociale définissait une fin – incluant d’ailleurs la prévention de la récidive – mais comprenait en lui-même les moyens d’y parvenir, autant la prévention de
la récidive peut reposer sur les logiques opposées de réinsertion ou de « relégation ».
Aujourd’hui, les repères sur le sens de la peine et la logique de réinsertion issus des
théories de la Défense sociale nouvelle sont de moins en moins opératoires.
Les textes induisent des glissements de la peine (la sanction d’un acte socialement
réprouvé, tendant à l’amendement de l’auteur) vers la mesure de sûreté (la protection de
la société, éventuellement même en l’absence d’infraction), des logiques « éducatives »
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vers les logiques de contrôle, une judiciarisation de la psychiatrie et une psychiatrisation du judiciaire.
La loi du 25 février 2008 et les décrets d’application du 4 novembre 2008 relatifs
notamment aux centres socio-médico-judiciaires de sûreté sont ainsi particulièrement
novateurs au regard des principes suivis jusqu’à présent.
Enfin, la surpopulation carcérale peut avoir pour conséquence d’accroître les logiques
de pure gestion, incitant au développement de dispositifs destinés à simplement réduire
le nombre des personnes incarcérées, au détriment d’un travail de réinsertion.
En conclusion, un magistrat de terrain peut avoir le sentiment que le système français
d’application des peines est au milieu du gué. Les différents acteurs professionnalisés
qui ont développé des savoir-faire depuis de nombreuses années sont majoritairement
conscients de la nécessité de renouveler et d’améliorer leurs pratiques. La confrontation
et la réflexion dans une perspective européenne ne peuvent que nous aider à définir
des objectifs et y travailler de façon partagée.
♦ ♦ ♦
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Intervention de Marc Dizier,
directeur de la prison d’Arlon - Belgique
Leo Tigges, modérateur de cette table ronde consacrée à l’émergence d’une professionnalisation de l’exécution des peines, a souhaité que nous échangions à propos de
nos bonnes et moins bonnes pratiques. C’est ce que je vous propose donc dans les
15 minutes qui me sont imparties.
1. Trois bonnes pratiques
1.1. La loi pénitentiaire du 1er février 2005
Je débute volontairement par un texte légal alors que les pratiques sont aujourd’hui
le centre de nos préoccupations. Je pense en effet qu’une pratique ne peut être qualifiée de « bonne » qu’à la condition d’être étayée sur un texte fondateur ou, à tout le
moins, sur un cadre théorique qui lui confère sa légitimité et/ou son sens. En dehors
de la référence théorique, les pratiques s’assimilent le plus souvent à des projets locaux
progressant par essais et erreurs, dont la pérennité est incertaine, dont les résultats
(quels qu’ils soient) relèvent plus du hasard que de la rationalité, d’une part, et sont
peu significatifs en termes d’extension à d’autres établissements, d’autre part.
C’est la loi pénitentiaire du 1er février 2005 (dite également loi de principes) qui
définit le statut en droit interne du détenu et détermine les principes d’organisation et
de fonctionnement des établissements pénitentiaires : par son caractère contraignant,
la loi sort la prison de l’état de non-droit dans lequel elle fonctionnait depuis près de
200 ans et constitue le fondement du développement des « bonnes pratiques » dont il
est question dans cet atelier.
Ce texte de loi doit être mis en relation avec deux autres textes récents, l’un relatif
au statut externe des détenus et l’autre concernant la mise en œuvre du tribunal de
l’application des peines, l’ensemble devant constituer un cadre légal complet et cohérent (ce que les faits ne confirment pas toujours, nous y reviendrons).
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1.2. La justice réparatrice (JR)
Le concept de « réparation » est consacré au titre de pilier de la loi pénitentiaire. Il
constitue en effet la référence à partir de laquelle toutes les pratiques carcérales doivent
aujourd’hui se développer.
Pour le cerner rapidement, disons que nous venons d’un système de justice pénale
centré sur l’infraction, où les parties adverses argumentent devant le juge avec pour
objectif de l’accusation d’obtenir une condamnation et pour la défense de l’éviter.
Dans la chaîne, le maillon pénitentiaire est synonyme de rupture, d’isolement voire
même d’entassement (surpopulation).
La justice réparatrice considère plutôt la criminalité comme une atteinte aux hommes,
aux relations et à la société. Elle vise une réparation de la relation perturbée entre
l’auteur, la victime et la société. Ce terme de « relation » est essentiel dès lors que le
management des pratiques centrées sur la relation diffère d’un management centré
sur les résultats.
En tant que paradigme, la JR dépasse le cadre strictement pénitentiaire pour déterminer, idéalement, le fonctionnement de toutes les institutions, de tous les services
constitutifs du système d’administration de la justice pénale.
Pour illustrer cette assertion je vous cite un certain nombre de pratiques parmi lesquelles la création des maisons de justice ou encore la participation de la victime au
processus d’élargissement anticipé. Mais j’attire plus particulièrement votre attention
sur une expérience relativement récente qui consiste en la mise en place des conditions
de la rencontre entre l’auteur et sa victime, au sein de la prison durant l’exécution de
la peine.
1.3. La surveillance électronique (SE)
Il semble bien, en Belgique du moins, que le discours sur l’exception que devrait
constituer la mise en détention provisoire (par rapport à la liberté qui devrait être la
norme) est méconnu par bon nombre de magistrats instructeurs ; de même les sanctions pénales prononcées par les cours et tribunaux, présentées en termes d’alternatives
à la détention, se révèlent être des alternatives au classement sans suite plutôt qu’à
l’incarcération.
Dans l’état actuel de l’exécution des peines privatives de liberté, la surveillance électronique constitue vraisemblablement la seule véritable modalité d’exécution de la peine
alternative à la détention.
La SE concerne actuellement 600 condamnés en Belgique. Et quelque 1 500 autres,
actuellement en interruption de peine, attendent leur placement sous ce régime. Je crois
pouvoir dire que, sur une population détenue globale de 10 000 personnes (dont 60 %
de condamnés), plus de 2 000 SE sont significatives d’une véritable alternative.
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2. Deux pratiques moins bonnes
2.1. La surpopulation et les critères de classification
Selon ses concepteurs, les principes définis dans la loi pénitentiaire ne peuvent être
mis en œuvre que dans un environnement pénitentiaire débarrassé du fléau de la
surpopulation.
En particulier, la mise en œuvre du plan de détention (voir l’article 38 de la loi) ne peut
se réaliser que dans un environnement tel que chaque établissement se voit assigner
une destination spécifique.
Ces deux éléments ne sont actuellement pas réunis en Belgique, ce qui a notamment
pour conséquences que, 4 ans après la promulgation de la loi, plus de 80 % de ses
arrêtés d’exécution manquent encore.
2.2. Le manque de cohérence dans la chaîne de décision(s),
à deux niveaux au moins
2.2.1. Alors que la loi de 2006 relative au tribunal de l’application des peines (TAP)
confie au JAP la décision en matière d’élargissement de tous les condamnés, la conjonction du manque de moyens humains et financiers a conduit à un système à deux
vitesses dans lequel l’administration conserve la décision en matière de libération des
condamnés à des peines maximales de 3 ans tandis que le TAP n’intervient que dans
les dossiers de condamnés à plus de 3 ans.
En tant que gestionnaire de l’outil pénitentiaire, soucieuse de juguler la surpopulation,
l’administration « fait du chiffre » en libérant de manière automatique (quasiment sans
condition et sans contrôle) cette catégorie de condamnés dont les criminologues savent
qu’ils sont les plus récidivistes.
À l’opposé, en tant que gestionnaire de la détention et de la libération des longues
peines (les moins récidivistes), le TAP accorde la libération sous conditions et sous
contrôle sur la base d’un plan de réinsertion solidement construit.
2.2.2. Par ailleurs, quand bien même le TAP décide de la libération des plus de 3 ans,
l’administration conserve la décision en matière d’octroi des permissions de sortie (PS,
maximum 16 heures) et de congés pénitentiaires (CP, 36 heures), ces mesures devant
permettre aux condamnés de préparer leur plan de réinsertion.
Dans ce processus caractérisé par la progressivité (permissions puis congés et, enfin,
libération), administration et TAP ne partagent pas la même vision.
Obéissant à un ministre de tutelle sensible à l’opinion publique, l’administration
n’accorde PS et CP aux longues peines qu’avec parcimonie.
Le TAP, animé par une vision plus progressiste, est gêné dans sa volonté de libération
anticipée par des dossiers de détenus qui, n’ayant bénéficié d’aucune mesure préalable,
ne sont pas en mesure de proposer un plan de réinsertion.
La cohérence exige qu’un seul décideur, le JAP, intervienne dans tous les aspects de la
gestion des mesures relatives à l’élargissement.
♦ ♦ ♦
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Intervention d’Alexandra Wälzholz-Junius,
responsable de probation de la juridiction du tribunal de
grande instance de Sarrebruck - Allemagne
L’Allemagne est une République fédérale. Chaque État fédéral (Land) est responsable de
l’organisation des services des prisons et de la probation. Il n’existe pas de législation
nationale. Parler de chaque État fédéral allemand et des spécificités de sa législation
prendrait des heures. Je parlerai donc des tendances et des développements communs
à tous les États.
Je citerai des exemples d’amélioration de la professionnalisation des services des prisons
et de probation, à l’image de la réorganisation des services sociaux de la justice, de la
nouvelle législation sur l’application des peines pour les jeunes prisonniers, et des rapports pré-sentenciels. Je parlerai également des pratiques qui doivent être améliorées,
notamment la trop faible utilisation des rapports pré-sentenciels et l’incarcération
dissuasive.
1. Les services sociaux de la justice (Sozialdienste der Justiz)
En Allemagne, les services de la probation connaissent actuellement une évolution.
Les différents États fédéraux allemands réorganisent leurs services de la probation. Des
services sociaux de la justice ont été créés. Il s’agit d’un regroupement de différents
services sociaux tels que le service de la probation, la surveillance des condamnés à
haut risque (Führungsaufsicht), l’aide pré-sentencielle (Gerichtshilfe), le suivi des délinquants, la médiation victime-délinquant (Täter-Opfer-Ausgleich) et l’aide aux victimes
(Zeugenbegleitung). Ces services ont été regroupés dans un lieu unique et sous une
même structure. L’objectif est d’améliorer la surveillance, la supervision et le soutien
des condamnés, ainsi que de soutenir les victimes en utilisant toutes les ressources
professionnelles disponibles.
Des efforts sont également faits pour développer de nouvelles structures, permettant
de regrouper les services des prisons et les services de la probation sur un même organigramme, sous le contrôle direct des ministères de la Justice.
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Ces mesures doivent aboutir à une professionnalisation de ces deux services, en améliorant leur collaboration, et en implantant des outils communs d’intervention et
d’évaluation des risques et des besoins, afin de parvenir à une gestion intégrée et
efficace de l’aide sociale.
2. Nouvelle législation sur l’application des peines
des jeunes prisonniers (Jugenstrafvollzugsgesetze)
De nouvelles législations sur l’application des peines sont entrées en vigueur en
Allemagne, en particulier pour les jeunes prisonniers. L’objectif affiché est de réussir à
resocialiser grâce à des mesures éducatives, tout en protégeant la société. Auparavant,
la législation sur l’application des peines ne tenait pas compte des besoins spécifiques
des adolescents (par exemple leur attachement à leur famille, leur besoin d’éducation,
la prise en compte du niveau de développement de l’adolescent).
Cette nouvelle législation, ainsi que le constat du taux de récidive extrêmement élevé
des jeunes délinquants ont conduit au développement de programmes de formation
psychosociale, d’éducation et de formation professionnelle. Ces formations et interventions sont assurées par les services des prisons. Des centres de suivi (Nachsorgzentren)
ont également été conçus.
L’approche adoptée par ces centres de suivi consiste à fournir une assistance sociale
intensive aux jeunes délinquants au sein de leur communauté, au cours des premiers
mois suivant leur libération, afin de réduire les risques de récidive. Pendant cette
période, l’environnement social positif (konstruktive soziale Bezugssyteme) doit être renforcé, l’autoformation positive doit être encouragée, et le retour à des schémas négatifs
doit être évité grâce à l’encadrement, et d’autres mesures de formation professionnelle
(Maßnahmen der Berufsbildung) doivent être prises.
Pour y parvenir, les travailleurs sociaux des centres de suivi essaient de créer une
collaboration étroite entre les services sociaux municipaux, les services sociaux de
la justice et les services sociaux des prisons. Ils tentent de mettre à profit toutes les
ressources disponibles, tant individuelles que sociales, pour réussir la réinsertion des
jeunes prisonniers.
La communauté locale et ses services doivent s’impliquer efficacement dans le
suivi des jeunes délinquants, tout comme il est nécessaire de reconnaître les capacités
individuelles.
3. Rapports pré-sentenciels
La législation allemande offre plusieurs possibilités de rapports pré-sentenciels. Dans
le cas d’une première condamnation, le juge peut faire appel à l’aide pré-sentencielle
(Gerichtshilfe).
En cas de récidive d’une personne en liberté conditionnelle, il peut être demandé au
responsable de la probation de rédiger un rapport pré-sentenciel.
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Si le délinquant est un adolescent, le juge doit obligatoirement demander un rapport
dans les deux cas, à l’assistant chargé des jeunes délinquants et au responsable de la
probation.
Les connaissances du travailleur social quant aux risques, aux besoins et aux ressources de chaque délinquant, ainsi que ses prévisions légales constituent une approche
efficace, qui permet d’assister le juge dans le choix de la peine, et qui bénéficie tant à la
protection du public qu’à la réinsertion du délinquant. L’expertise des services sociaux
de la justice doit être un outil utilisé dans chaque procès, afin de décider si une peine
de prison ou des mesures non privatives de liberté sont les plus appropriées.
◆◆ Par exemple, dans le cas d’un délinquant drogué, une désintoxication et la supervision d’un responsable de probation seront plus efficaces que la prison.
◆◆ Pour un adolescent jugé pour la première fois pour agression avec violence, une
formation à la maîtrise de soi afin de réduire la volonté de recourir à la violence
sera moins coûteuse et plus efficace sur le long terme.
Cela me conduit à aborder mon premier exemple de ce qui reste à améliorer :
Bien que les juges des tribunaux pour jeunes délinquants doivent avoir recours aux
rapports pré-sentenciels, dans le cas d’un adulte, le juge peut décider d’utiliser ou
non cet outil. Malheureusement, les juges n’utilisent souvent pas cette possibilité,
parce que ce n’est pas une pratique habituelle dans leur cour.
Autre exemple de pratique ayant besoin d’améliorations :
l’incarcération dissuasive pour les jeunes délinquants
Le taux de récidive des jeunes délinquants est très élevé. C’est pourquoi certains juges
tendent à les incarcérer assez rapidement. Ils estiment que l’expérience de la prison les
conduira à modifier leur comportement et empêchera la récidive.
Mais les recherches montrent que cette dissuasion ne fonctionne pas. Les jeunes
délinquants ont besoin de programmes d’éducation.
Ils ont besoin d’un soutien professionnel pour apprendre et se former à diverses techniques de maîtrise de soi. Ils doivent intégrer des schémas de comportement positifs,
et ils doivent faire l’expérience de l’inclusion sociale, au lieu de l’exclusion.
Malheureusement, l’idée que l’incarcération dissuade de récidiver est une approche
soutenue par l’opinion publique et la presse.
Conclusion
Des développements structurels tels que les services sociaux de la justice, qui sont bien
conçus, la coopération entre juges et services de la probation, ainsi que les développements méthodologiques tels que les programmes basés sur des preuves et l’implication
des communautés sont le fondement de l’émergence d’une professionnalisation des
services des prisons et de la probation.
De plus, il est essentiel que des recherches actives soient menées sur les services
d’intervention, et que leurs résultats soient communiqués au public.
♦ ♦ ♦
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Intervention de Steve Pitts,
responsable international, National Offender Management
Service, ministère de la Justice - Royaume-Uni
La gestion efficace des peines,
ou « What works », et la réinsertion :
l’expérience de l’Angleterre et du Pays de Galles
Cette contribution aborde trois domaines de pratique en Angleterre et au Pays de
Galles, afin de fournir des exemples des méthodes mises en œuvre par le NOMS
(National Offender Management Service, Service national de gestion des délinquants,
appartenant au ministère de la Justice et regroupant les services des prisons et de la
probation) pour améliorer le professionnalisme de ses services.
Les trois domaines, ou cadres, qui seront abordés sont : l’attribution des peines ; les
pratiques efficaces et la gestion des peines ou « What works » ; et la réinsertion.
Bien que ces trois domaines soient présentés séparément, ils sont naturellement liés
dans leur conception et leur implantation. Ces trois domaines appartiennent à une
stratégie globale de justice pénale, au cœur de laquelle se trouve un ensemble d’objectifs clés destinés à protéger la société et à réduire la récidive.
Cette intervention commencera par remettre les trois cadres d’action dans le contexte
plus large du système judiciaire pénal de l’Angleterre et du Pays de Galles. Nous espérons que cette contextualisation permettra deux choses : d’abord, qu’elle mettra en
lumière les différents facteurs déterminants de notre stratégie, de notre politique et de
nos pratiques ; ensuite qu’elle illustrera les problèmes et inquiétudes que connaissent
actuellement l’Angleterre et le Pays de Galles, et qui peuvent avoir des résonnances
dans d’autres juridictions. Cela permettra de fournir un socle commun d’exploration
et de coopération.
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Introduction
Le contexte judiciaire pénal en Angleterre et au Pays de Galles
Structure, exécution et rentabilité
Le NOMS, comme le ministère de la Justice dont il dépend, fait actuellement l’objet
d’un programme majeur de changement structurel. Ces changements sont notamment destinés à améliorer la transparence et à mieux définir les responsabilités dans
la stratégie judiciaire pénale, et à établir les obligations de résultat du NOMS. Pour
y parvenir, les structures régionales et leur directeur ont reçu des objectifs chiffrés et
de rentabilité, nécessitant de faire appel à des acteurs et des partenaires des secteurs
public, privé ou associatif.
Dans de nombreuses juridictions, il existe clairement une demande d’amélioration des
performances et de l’efficience. C’est pour y répondre que le NOMS a lancé un programme de développement de spécifications, d’indicateurs et de coûts (le programme
SBC). Le SBC vise à assurer que le travail avec les délinquants est efficace et rentable.
Il peut également avoir des applications transnationales.
De plus, le Gouvernement fait de la protection du public une priorité, notamment
grâce à la réduction des infractions commises par les multirécidivistes, et grâce à des
peines d’intérêt général visibles et bien encadrées. Les prisons ont atteint leur capacité
maximale (83 000 personnes incarcérées – ce chiffre continue d’augmenter, et représente déjà une proportion de la population plus élevée que dans la plupart des autres
pays d’Europe), plus de 200 000 personnes effectuent des peines d’intérêt général, et il
est donc nécessaire de s’assurer que ces peines ont un effet, et qu’elles sont rentables.
1. Le cadre d’attribution des peines
Le cadre d’attribution des peines en Angleterre et au Pays de Galles est apparu assez
récemment, tout comme les cadres de pratiques efficaces et de réinsertion qui seront
traités plus loin.
Le Criminal Justice Act de 2003 définit les cinq objectifs de l’attribution des peines.
Objectifs
punir les délinquants ;
◆◆ réduire la criminalité (notamment par la dissuasion) ;
◆◆ réhabiliter les délinquants ;
◆◆ protéger le public ;
◆◆ et l’indemnisation par les délinquants des personnes affectées par les infractions
commises.
◆◆
Plusieurs principes essentiels sous-tendent l’attribution des peines. Il s’agit notamment
de la nécessité de s’assurer que les peines sont justes et proportionnelles à l’infraction,
et (ce point renvoie directement à la réinsertion) que les peines de prison sont appliquées
de façon homogène, de la prison à la libération, sous forme de « peine complète ».
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Les objectifs de l’attribution des peines doivent être atteints tant pendant l’incarcération que dans les étapes ultérieures de la peine. La mise en place est progressive, et ne
concerne pas encore les peines inférieures à 12 mois. L’application des peines de plus de
12 mois a lieu pour moitié en prison, et pour moitié dans la société : un responsable de
l’affaire planifie le contenu des interventions à ces deux niveaux. Des dispositions différentes s’appliquent dans les affaires graves ou mettant en jeu la sécurité publique.
Gravité
Même si les tribunaux doivent tenir compte de ces principes, d’une manière générale
les peines sont choisies en fonction de la gravité de l’infraction. La gravité est déterminée par :
◆◆ les nuisances causées par l’infraction, et
◆◆ le degré de culpabilité du délinquant qui l’a commise.
De plus, des condamnations récentes et similaires sont considérées comme constituant
des circonstances aggravantes.
Il y a plusieurs seuils de gravité pour les peines :
◆◆ les infractions si graves que seule l’incarcération peut représenter une réponse
appropriée ;
◆◆ les infractions suffisamment graves pour justifier une peine non privative de
liberté.
Dans les cas où aucun de ces seuils n’est atteint, une amende ou une relaxe constitueront des réponses appropriées.
Peines non privatives de liberté
Depuis l’entrée en vigueur du Criminal Justice Act de 2003, il n’existe plus qu’une seule
ordonnance de peine non privative de liberté pour les délinquants âgés de 18 ans et
plus, et qui peut fixer jusqu’à 12 obligations suivant l’infraction commise et le délinquant. Il s’agit de :
◆◆ travail bénévole (appelé auparavant travail/peine d’intérêt général) : obligation
d’effectuer de 40 à 300 heures de travail bénévole ;
◆◆ activité : par exemple assister à des cours de compétences de base ;
◆◆ programme : plusieurs ont été mis en place afin de réduire les risques de
récidive ;
◆◆ interdiction d’activité : obligation de ne pas faire quelque chose qui serait susceptible de conduire à d’autres infractions ou dommages ;
◆◆ couvre-feu : contrôlé électroniquement ;
◆◆ exclusion : peu utilisée, car il n’existe pas encore de solution de surveillance
électronique fiable ;
◆◆ résidence : obligation d’habiter dans un lieu approuvé par le responsable de
probation ;
◆◆ traitement psychiatrique (nécessite l’accord du délinquant) ;
◆◆ désintoxication de drogues (nécessite l’accord du délinquant) ;
◆◆ désintoxication de l’alcool (nécessite l’accord du délinquant) ;
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◆◆
◆◆
supervision : rencontres avec le responsable de probation pour répondre aux
besoins / problèmes de comportement ;
centre d’activités : 3 heures d’activité, généralement le samedi après-midi, pour
une durée totale allant de 12 à 36 heures.
D’une manière générale, plus l’infraction est grave et plus les besoins du délinquant
sont larges, plus les obligations seront nombreuses. La plupart des ordonnances ne
contiennent que deux ou trois obligations, mais il existe également des packages
regroupant plusieurs obligations, si nécessaire. Le tribunal adapte l’ordonnance selon
les nécessités, en s’appuyant sur un rapport pré-sentenciel produit par les services de
la probation.
2. Les pratiques efficaces ou « What works »
Le NOMS a lancé quatre systèmes de lutte contre la récidive :
OASys (Offender Assessment System, système d’évaluation du délinquant), conçu
pour évaluer les risques et les besoins, et pour informer les services de gestion des
affaires ;
◆◆ le modèle national de gestion des délinquants (National Offender Management
Model), dont l’objectif est de gérer sûrement et efficacement les délinquants,
notamment la transition entre prison et liberté surveillée pour les détenus ;
◆◆ les Interventions, qui comprennent le travail bénévole, les programmes de formation et des programmes accrédités destinés à répondre à un large éventail de
besoins liés à la délinquance et « criminogènes », notamment les « compétences
de réflexion », la violence domestique, les infractions à caractère sexuel et l’abus
d’alcool ou de drogues ;
◆◆ les MAPPA (Multi-Agency Public Protection Arrangements, accords inter-agences
sur la sécurité publique), destinés à gérer les délinquants considérés comme présentant un niveau de risque plus élevé.
◆◆
Le cadre des pratiques efficaces découle naturellement du cadre d’attribution des peines. Trois de ces systèmes seront présentés l’un après l’autre. Le quatrième, MAPPA,
sera brièvement évoqué dans la dernière partie de cette intervention.
2.1. OASys
OASys a été développé conjointement par les services des prisons et de la probation.
Il s’agit d’un système informatique qui évalue les besoins liés aux infractions et les
risques de nouvelle condamnation et de dommages sérieux. Les nouvelles condamnations effectivement prononcées permettent une validation continue de la justesse
des résultats. En tant qu’outil, OASys sert également de guide pour l’organisation de
l’individualisation des peines, mesure les changements et fournit des informations de
gestion. Les données sont agrégées aux niveaux national, régional et local pour faciliter
l’analyse et la planification du service, pour le NOMS et les autres acteurs.
OASys mesure un large éventail de facteurs ayant une influence statistiquement prouvée sur la délinquance. Il s’agit notamment de l’éducation, de la formation profession73
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nelle et de l’employabilité, du logement, de la gestion financière et des revenus, du style
de vie et des fréquentations, de l’abus d’alcool ou de drogue, du bien-être émotionnel,
des compétences de réflexion et de l’attitude.
L’élément d’évaluation des risques mesure les dommages causés au public, aux enfants,
aux employés, aux prisonniers, aux délinquants eux-mêmes et aux personnes adultes
qu’ils connaissent, afin de déterminer si le risque est faible, moyen, élevé ou très élevé.
Des actions destinées à gérer les risques sont déclenchées en fonction de cette évaluation, notamment grâce aux MAPPA, qui seront décrits plus bas.
Les données d’OASys peuvent être analysées de plusieurs manières : le graphique cidessous montre les besoins liés à la délinquance d’un échantillon national de personnes
placées en probation, classés par type de besoin et par sexe. Ce diagramme montre les
besoins auxquels le NOMS et ses partenaires doivent répondre, et révèle des différences considérables suivant le sexe. Ces données peuvent également, par exemple, être
analysées selon le nombre d’incarcérations ou de personnes placées en probation, ou
par région, ou par ville.
OASys
Hommes
54%
58%
29%
74
41%
26%
22%
Argent
57%
38%
34%
36%
Éducation
formation
emploi
62%
58%
34% 35%
Logement
Femmes
30%
Style de vie
et fréquentations
Relations
Drogue
45%
38%
33%
30%
25%
Alcool Bien-être
émotionnel
Attitude
Mode
de pensée
et comportement
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2.2. Le modèle national de gestion des délinquants
Le modèle national de gestion des délinquants est sous-tendu par plusieurs principes.
Il s’agit notamment de :
◆◆ un responsable de la gestion du délinquant, officier individuel de probation, qui
gère l’affaire pendant l’ensemble de la peine (y compris pendant l’incarcération),
afin d’assurer la continuité ;
◆◆ le responsable de la gestion du délinquant est issu de la communauté, même pour
les détenus ;
◆◆ un plan d’exécution de la peine est développé pour l’ensemble de la peine ;
◆◆ un système de « paliers » permet d’allouer des ressources en fonction des risques
et des besoins ;
◆◆ le concept d’« équipe de gestion du délinquant » signifie que tous les services responsables travaillent à des buts communs et approuvés par tous.
L’application de ce modèle est souvent désignée sous le nom des « quatre C ». Ils
correspondent à :
◆◆ Cohérence (Consistency) : des messages et du comportement, sur la durée, et de la
part des différentes personnes travaillant avec le délinquant.
◆◆ Engagement (Commitment) : les délinquants doivent percevoir le comportement
du personnel comme engagé, et non comme mécanique ou machinal.
◆◆ Consolidation : l’apprentissage doit devenir une habitude, un comportement instinctif grâce à des processus qui le renforcent et le récompensent.
◆◆ Continuité (Continuity) : pour atteindre ces trois premiers objectifs, la continuité
du traitement est nécessaire, et un haut de degré de continuité doit être assuré au
cours de l’ensemble de la relation avec le système judiciaire.
Le modèle de gestion des délinquants fournit au NOMS les moyens de garantir que
des services et des interventions appropriés sont déployés par les services et les partenaires, et mis en œuvre pour chaque délinquant en fonction des risques et des besoins
évalués par OASys.
2.3. Interventions - le « programme de base » de « What works »
Cette partie s’intéressera aux interventions baptisées « programme de base ». Ce programme comprend l’ensemble des interventions les plus proches de « What works » :
des interventions fondées sur des preuves d’efficacité obtenues par des recherches
indépendantes.
Ces interventions « What works » du NOMS sont basées sur un processus d’accréditation. L’accréditation est accordée par un groupe indépendant d’experts internationaux,
la « commission d’accréditation ». Cette commission a développé des critères d’intervention grâce auxquels de nouvelles approches sont évaluées. Les critères clés sont :
◆◆ modèle de changement clair ;
◆◆ spécification des critères de sélection des délinquants ;
◆◆ ciblage des facteurs de risque de la délinquance ;
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◆◆
◆◆
◆◆
◆◆
◆◆
◆◆
◆◆
emploi de méthodes efficaces ;
importance des compétences ;
justesse de la chronologie, de la durée et de l’intensité de l’intervention ;
motivation et implication ;
continuité des services ;
maintien de l’intégrité ;
évaluation et surveillance.
Le programme de base contient plus de 20 programmes et continue à s’étendre. Ces
programmes concernent les compétences cognitives, les abus de drogues, le traitement
des délinquants sexuels, la gestion de la violence et des émotions, les femmes délinquantes, les conducteurs sous l’influence de l’alcool, et la réinsertion. La plupart sont
à destination des groupes. Cependant, il existe également des programmes individuels,
par exemple pour les personnes vivant dans une région isolée, où il serait peu pratique
de lancer un programme de groupe.
Il est important de noter que notre expérience et nos recherches nous apprennent que
les programmes ne sont efficaces que lorsqu’ils sont mis en œuvre par un personnel
bien formé, bien géré et soutenu. La qualité de l’exécution est si importante que le
NOMS a développé des règles détaillées et des fonctions d’audit et de soutien afin de
s’assurer que ces standards sont respectés dans les prisons et dans la société.
Les évaluations qui fonctionnent
Les résultats d’évaluation sont prometteurs. Les résultats de la série d’évaluations de
2006 peuvent être comparés à ceux de l’année 2000. La fréquence de récidive a baissé
en moyenne de 22,9 %, les infractions classées comme les plus graves ont baissé de
11,1 %, et la proportion de délinquants récidivistes a chuté de 10,7 %. Cela a pour
conséquence une baisse du nombre de victimes et des coûts liés à la criminalité.
3. Le cadre de réinsertion
Le dernier cadre abordé sera celui de la réinsertion. La genèse du cadre de réinsertion
a suivi un développement similaire à celui des cadres d’attribution des peines et des
pratiques de référence. En 2001, le service de l’exclusion sociale du Gouvernement a
publié un rapport sur la réinsertion des prisonniers et l’exclusion sociale. Les conclusions étaient saisissantes, et montraient par exemple que les détenus avaient nettement
plus de chances d’être au chômage que le reste de la population (67 % des détenus
– avant leur condamnation – contre 5 % de la population), d’être sans qualification,
d’être SDF, et de souffrir de troubles mentaux.
Parallèlement, plusieurs projets de développement ont été évalués, notamment le
Resettlement Pathfinders (1999-2003), ce qui a permis de déterminer les caractéristiques vitales d’une réinsertion efficace. On a pu déterminer que la réinsertion était la
plus efficace quand :
◆◆ le plan d’exécution de la peine est basé sur une bonne évaluation des risques et
des besoins,
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◆◆
◆◆
◆◆
◆◆
l’intervention commence le plus tôt possible à l’issue de la peine,
les interventions tiennent comptent des attitudes et des modes de pensée...
... et tiennent compte des besoins pratiques, en lien avec les infrastructures normales de la société,
la gestion des affaires se fait « par les portes de la prison », et comprend un travail
sur la motivation.
La parenté avec le cadre de pratiques efficaces évoqué plus haut est manifeste. Le
rapport du service de l’exclusion sociale a été suivi par le lancement de la stratégie
nationale de réduction de la récidive, et par l’introduction de sept « chemins » de
réduction de la récidive. Chaque chemin correspond à un domaine critique du travail
de réinsertion (et du travail avec les délinquants dans la société). Cependant, dans le
domaine de la réinsertion, les chemins nécessitent que les domaines des prisons et de la
probation travaillent en étroite collaboration, afin d’assurer la continuité des chemins
entre l’incarcération et la société. Ces chemins sont :
◆◆ le logement ;
◆◆ l’éducation, la formation et l’emploi ;
◆◆ la santé ;
◆◆ la drogue et l’alcool ;
◆◆ l’argent ;
◆◆ la famille ;
◆◆ l’attitude, le mode de pensée et le comportement.
La mise en œuvre de ces chemins nécessite une coordination nationale, régionale et
locale :
◆◆ Les services du Gouvernement sont responsables du développement de la politique
en matière d’accès des délinquants aux services généraux.
◆◆ Au niveau régional, dix nouveaux directeurs régionaux seront chargés d’assurer que
des services sont disponibles le long de chaque chemin. Ces services doivent être
fournis systématiquement aux détenus, tant avant qu’après leur libération, ainsi
qu’aux délinquants purgeant une peine non privative de liberté.
◆◆ Le responsable de l’affaire ou du délinquant coordonne l’accès et la mise en œuvre
pour chaque personne, y compris le passage de la prison à la société dans le cas
des détenus.
Réflexions finales
Les trois cadres présentés (attribution des peines ; pratiques efficaces, gestion de l’exécution des peines, ou « What works » ; et réinsertion) ne constituent qu’une partie de
la vision politique et pratique du NOMS.
Les accords MAPPA, conçus pour rassembler diverses agences concernées par la sécurité publique et décider d’actions coordonnées sur des cas individuels, sont un autre
chaînon vital de ce travail. Et l’informatique est nécessaire pour répondre aux besoins
croissants d’informations d’une organisation en pleine évolution et d’un grand nombre
d’acteurs.
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Bien entendu, il existe beaucoup d’autres domaines de travail. La mise en œuvre de la
justice pénale est un métier complexe. Nous avons parcouru un long chemin dans les
domaines abordés aujourd’hui, mais il reste encore et toujours des choses à apprendre.
Et de même qu’il reste des choses à apprendre au sein de ces sphères de progrès, il existe
aussi des forces dans d’autres domaines qui doivent être développées.
Nous espérons que les expériences et pratiques décrites pourront intéresser d’autres
personnes souhaitant, comme le NOMS, collaborer et travailler à développer et à
mettre en œuvre une réinsertion et des peines avec ou sans incarcération justes et
efficaces.
♦ ♦ ♦
Échanges avec la salle
Leo Tigges
Les différentes interventions nous montrent que dans les pays représentés, nous savons
de mieux en mieux vers où aller et ce que nous devons faire pour être efficaces. Mais
nous rencontrons tous des difficultés pour mettre en œuvre ce que nous savons. En
premier lieu, nous devons parvenir à une évaluation de qualité de la situation du
délinquant, ainsi qu’à une peine proportionnée à la gravité du délit et adaptée à la personnalité du délinquant. Quel que soit le type de peine prononcée, il s’agit ensuite dans
le cadre de son exécution de favoriser le changement du délinquant, ce qui nécessite
une coopération de tous les acteurs. Enfin, nous devons faire preuve de transparence,
afin que le grand public et la classe politique sachent précisément ce qu’ils peuvent
attendre d’une mesure pénale et de son exécution.
Question de Patrick Mounaud, directeur interrégional des services pénitentiaires de
Marseille
Les interventions témoignent également du niveau d’exigence de notre société, du fait
que la professionnalisation de l’exécution des peines semble être entrée dans une course
de vitesse et relever d’une organisation très complexe. M. Dizier a présenté la mise en
place de la surveillance électronique parmi les évolutions positives du système belge.
N’est-ce pas justement parce que le PSE apparaît comme le seul élément simple, comportant une visibilité de la sanction et n’ impliquant pas un suivi très important ?
Marc Dizier
La surveillance électronique représente en Belgique la seule mesure alternative crédible,
réellement utilisable à la place d’un emprisonnement. Nous avons 700 PSE en cours et
1 500 en attente, en raison de difficultés d’application. Notre système de surveillance
électronique suppose l’accord de la personne et de son entourage familial. Il nécessite
une ligne de téléphone fixe qui représente un coût important pour la personne. Une
réflexion est en cours pour passer de la téléphonie fixe à la téléphonie mobile. Nous
n’utilisons pas le système GPS, mais la personne placée doit se trouver dans certains
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lieux à certaines heures. Sa présence est contrôlée à intervalles réguliers et aléatoires. Nous avons un taux relativement important de retour en prison, le respect des
contraintes n’étant pas aisé.
Question de la salle
La nécessité d’un travail plus en commun entre les juridictions et les SPIP a été évoquée. Comment améliorer ces relations ?
Pascale Bruston
C’est l’un des enjeux de la professionnalisation en France. Il faut développer une reconnaissance mutuelle entre professions, alors que nous avons tendance à nous replier
sur nos métiers eu égard aux pressions que nous subissons tous. Les solutions passent
par la définition d’orientations communes, le développement de la formation et de
l’évaluation.
Question de Patrick Madigou, directeur du service pénitentiaire d’ insertion et de
probation de Paris et président de la CEP
La difficulté à développer la professionnalisation de l’exécution des peines ne tient-elle
pas à un décalage entre l’opinion publique et les professionnels ? L’opinion demande
plus de punition tandis que les acteurs cherchent davantage à travailler sur la prévention de la récidive.
Pascale Bruston
En ce sens, il convient de souligner l’importance d’une communication pédagogique
à l’attention du public. Lorsqu’un conseiller d’insertion et de probation ou un juge de
l’application des peines explique à la victime l’intérêt d’une libération conditionnelle,
elle le comprend généralement très bien.
Steve Pitts
L’influence de la presse est très importante au Royaume-Uni. Mais nous parvenons
progressivement à faire comprendre l’importance de la réinsertion des délinquants
pour l’ensemble de la société.
Leo Tigges
Ces vingt dernières années, nous avons beaucoup progressé, nous savons quels instruments doivent être utilisés et développés pour mieux prévenir la récidive. Certains
pays mettent particulièrement l’accent sur l’évaluation et les outils. Dans vingt ans, la
conscience que nous mettons aujourd’hui dans ce que nous devons améliorer aura très
largement contribué à la réinsertion des délinquants et la diminution de la récidive.
♦ ♦ ♦
79
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Europe :
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TA B L E RON D E
Les décisions en matière pénale doivent-elles
être imposées, négociées, acceptées ?
Intervention de François Février,
responsable du département droit, institutions et politiques
pénitentiaires à l’école nationale d’administration
pénitentiaire (éNAP)
Mesdames, Messieurs,
C’est avec un plaisir particulier que j’ouvre cette table ronde consacrée à la question de
savoir si les décisions pénales doivent être imposées, négociées et/ou acceptées.
Un plaisir mêlé de gêne, toutefois, dans la mesure où lorsque j’avais proposé ce thème
lors des travaux du comité scientifique de préparation du colloque, c’était bien dans
l’espoir de recevoir réponse à cette importante question et non dans celui d’animer
cette ambitieuse table ronde. Las, le professeur Jose-Luis de la Cuesta, initialement
contacté pour assurer cette fonction de modérateur ayant dû renoncer puis, à sa suite,
le professeur Jean Pradel ayant à son tour été empêché d’être parmi nous aujourd’hui,
c’est à moi qu’il échoit de vous accueillir non sans vous dire le regret manifesté par ces
deux éminents pénalistes de n’avoir pu assister et contribuer à nos travaux.
Reste que le plaisir l’emporte évidemment et qu’il me revient donc l’avantage
d’accueillir Madame Teresa Almeida, procureur au Portugal, Maître Gaël Candela,
avocat, membre du conseil de l’ordre, président de la commission pénale du barreau
de Lyon, et Monsieur Alain Blanc, conseiller près la cour d’appel de Paris, président
de l’Association française de criminologie (AFC).
La question qui nous rassemble est donc de savoir si les décisions pénales doivent
être négociées, imposées, acceptées. Une question à la fois surprenante et conforme à
l’esprit de ce colloque. Surprenante car, de prime abord, la représentation commune
des décisions pénales exclut toute idée de négociation ou d’acceptation. La notion de
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sanction, au cœur du processus pénal, apparaît immédiatement comme unilatérale et
inscrit a priori les concepts de négociation ou d’acceptation dans le champ du paradoxe, voire de l’incongruité.
Mais, précisément, la question posée s’avère conforme à l’esprit de ce colloque dans la
mesure où, permettant de passer du visible (ou plus exactement du perçu) à l’invisible,
elle offre d’interroger la réalité des choses, le véritable mode de réception de la décision
pénale (imposée, acceptée, négociée ?), de définir ce qui est, d’envisager peut-être ce
qui pourrait ou devrait être en la matière.
Si vous le permettez, avant de prendre mon rôle de modérateur, je voudrais un instant
ne pas modérer ni retenir mon intérêt et, égoïstement, poser quelques questions au
soutien du thème qui nous rassemble, afin peut-être d’en mieux cerner les enjeux.
« Les décisions pénales doivent-elles être imposées, négociées,
acceptées », certes, mais par qui ? quand ? pourquoi ?
Par qui ? Les décisions pénales convoquent de multiples acteurs dont le positionnement est bien sûr différent mais immédiatement impacté par le processus d’émission
et de réception de la décision. Que celle-ci soit imposée, négociée ou acceptée interroge
rétrospectivement la place du juge et du ministère public, celle du justiciable, de la
victime, sans parler de l’opinion publique à propos de laquelle Denis Salas vient de
nous éclairer. Plus loin, on peut supposer que la négociation pour l’un des acteurs
peut équivaloir à une imposition pour un autre. Au total, la place des acteurs de la
décision pénale n’est assurément pas indifférente aux réponses qui seront apportées à
notre question de départ.
Quand ? La décision pénale vaut autant pour son prononcé que pour son exécution.
Or, à ne distinguer que ces deux moments du processus pénal, on aperçoit évidemment
que les termes de la question posée ne sont plus les mêmes. L’imposition, la négociation
ou l’acceptation de la décision ne peuvent sans doute pas être considérées de la même
manière, avec les mêmes enjeux ni le même sens dans « l’instantané » du prononcé de
la décision et dans le courant, parfois lui-même changeant, de son exécution. La place
reconnue à l’aveu, pour ce qui concerne le prononcé de la décision, et celle reconnue
à l’adhésion ou aux « efforts » du condamné dans le courant de l’exécution, revêtent
ici un caractère fondamental.
Pourquoi ? Quels enjeux se profilent derrière notre question ? Quelles évolutions notables justifient même que l’on pose aujourd’hui cette interrogation ? Quelles évolutions
souhaitables ? Quels objectifs poursuivre et quelle efficacité rechercher au travers de
cette mise en perspective de la décision pénale ?
Voici donc au total de multiples questionnements auxquels nous pouvons réfléchir et
pour lesquels nous pouvons rechercher quelques pistes de solutions. à commencer par
celles que les intervenants de cette table ronde vont maintenant nous proposer.
♦ ♦ ♦
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Europe :
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L ES TEMPS ET L ES HOMMES : TA B L E RON D E 2
Intervention de Teresa Almeida,
procureur - Portugal
La décision en matière pénale :
l’approche de la négociation au Portugal
1. Délits de petite et moyenne gravité
L’adoption des instruments juridiques de consensus (négociation) se fonde sur des
raisons de prévention générale et spéciale, mais aussi sur des raisons d’économie.
D’une part, la composition partagée des conflits au sein de la communauté (le voisinage, la famille, l’école…), l’effet sur le prévenu (acceptation, insertion) et les conséquences pour la victime (réparation du dommage causé par le délit, réparation d’un
préjudice moral causé par le prévenu, diminution du délai) et d’autre part, l’épargne
de ressources judiciaires (pas de jugements, moins de temps), la réduction des coûts
pour les intéressés (moins de déplacements, honoraires moins chers) et la diminution
des coûts pour l’économie (moins d’heures de travail consommées).
1.1. Pour les délits de petite et moyenne gravité, le ministère public peut proposer la suspension provisoire, laquelle constitue une des fenêtres d’opportunité dans le domaine du principe de légalité
de la procédure pénale au Portugal
Du point de vue de la politique criminelle, cette procédure apparaît comme une
variante du sursis avec mise à l’épreuve.
Le ministère public recueille la preuve et, une fois l’enquête terminée, vérifie l’existence
des conditions pour appliquer la suspension. Les sanctions se traduisent en des injonctions et règles de conduite. L’accord de la victime et du prévenu sont indispensables.
Le ministère public décide avec la concordance du juge, s’agissant de deux décisions
autonomes.
La décision devient définitive avec l’accomplissement des injonctions ou des règles
de conduite.
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Les conditions pour appliquer la suspension provisoire sont :
le crime ne peut être passible d’une peine de réclusion criminelle supérieure à
5 ans ;
◆◆ l’accord du prévenu et de la victime ;
◆◆ l’absence de condamnation pour un crime de même nature ;
◆◆ l’absence de suspension provisoire pour un crime de même nature ;
◆◆ l’absence d‘une culpabilité grave ;
◆◆ la prévision que les injonctions et règles de conduite seront une réponse suffisante
pour les exigences de prévention.
◆◆
La loi prévoit une liste indicative d’injonctions et de règles de conduite :
réparation du dommage causé par le délit ;
◆◆ réparation d’un préjudice moral causé par le prévenu ;
◆◆ paiement d’une somme d’argent au profit d’une institution d’utilité publique ou
de l’État ;
◆◆ autres prestations d’intérêt public ;
◆◆ habiter à une place déterminée (par exemple, en cas de violence domestique) ;
◆◆ participer à des programmes ou activités (par exemple, en cas de conduite sous
l’effet de l’alcool ou des drogues, violence domestique, etc.) ;
◆◆ ne pas exercer des professions déterminées (par exemple, en cas de délits économiques) ;
◆◆ ne pas fréquenter ou habiter certains lieux (violence domestique) ;
◆◆ ne pas accompagner ou recevoir chez soi certaines personnes ;
◆◆ ne pas fréquenter certaines associations ou réunions ;
◆◆ ne pas posséder des objets facilitant la commission d’autres crimes ;
◆◆ autre conduite spécialement demandée.
◆◆
Avec la réforme pénale de 2007, la suspension provisoire a vu élargir son champ
d’application. En effet, la limite maximum de la peine est passée de 3 à 5 ans de
prison.
Le procureur général a établi l’obligation de privilégier l’application de la suspension
en matière de petite et moyenne criminalité.
1.2. La médiation pénale
La médiation pénale, en exécution de l’article 10 de la Décision cadre nº 2001/220/
JAI du Conseil du 15 mars, a été introduite au Portugal par la loi nº 21/2007 du
12 juin.
Elle est encore en phase d’expérimentation dans des circonscriptions judiciaires
déterminées par le Gouvernement.
La médiation en procédure criminelle peut avoir lieu si la procédure émane d’une
plainte (et s’il s’agit de crime contre les personnes ou de crime contre le patrimoine)
ou d’accusation particulière.
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Indépendamment de la nature du crime, la médiation en processus criminel ne peut
avoir lieu dans les cas suivants :
a. si le type légal de crime prévoit une peine de prison supérieure à 5 ans ;
b. s’il s’agit de processus pour crime contre la liberté ou l’autodétermination sexuelle ;
c. s’il s’agit de processus pour crime de péculat, de corruption ou de trafic d’influence ;
d. si la victime a moins de 16 ans ;
e. si est applicable une procédure sommaire ou une procédure dépouillée de grandes
formalités.
Le ministère public, à tout moment de l’enquête, désigne un médiateur et lui envoie
les informations qu’il considère essentielles sur l’accusé et la victime et une description
sommaire de l’objet de la procédure.
Si la victime et l’accusé exigent la médiation, dans les cas où celle-ci est admise, le
ministère public désigne un médiateur, indépendamment de la vérification des conditions prévues.
La médiation est une procédure informelle et flexible, conduite par un tiers impartial,
le médiateur, qui promeut l’approche entre l’accusé et la victime et les soutient dans
leur tentative de trouver activement un accord qui permette la réparation des dommages causés par le fait illicite et contribue à la restauration de la paix sociale.
L’accusé et la victime peuvent, à tout moment, révoquer leur assentiment pour la
participation dans la médiation.
Quand cela s’avère utile pour la bonne résolution du conflit, peuvent être appelés à
intervenir dans la médiation d’autres intéressés, notamment d’éventuels responsables
civils et victimes.
Si un accord n’est pas trouvé entre accusé et victime ou si la procédure de médiation
n’est pas conclue dans un délai de trois mois, le médiateur en informe le ministère
public qui poursuit la procédure criminelle.
Si, grâce à la médiation, un accord est trouvé, il prend la forme d’un simple écrit, signé
par l’accusé et par la victime, et transmis par le médiateur au ministère public.
La signature de l’accord équivaut à l’abandon de la plainte de la part de la victime et
la non opposition de la part de l’accusé ; au cas où l’accord n’est pas accompli dans
un délai fixé, la victime peut renouveler la plainte dans un délai d’un mois, l’enquête
étant rouverte.
Le contenu de l’accord est librement fixé par les parties concernées. L’accord ne peut prévoir des sanctions privatives de la liberté, ou des devoirs qui
offensent la dignité de l’accusé ou dont l’accomplissement doive se prolonger pour
plus de six mois.
Le ministère public vérifie si l’accord respecte les dispositions légales et, si c’est le cas,
homologue l’abandon de la plainte dans un délai de cinq jours ; il notifie immédiatement l’homologation au médiateur, à l’accusé et à la victime.
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2. La décision négociée et les crimes financiers et contre l’administration publique
Le plea bargaining possible dans un système sans opportunité se limite à l’utilisation
des mesures pénales comme l’atténuation spéciale de la peine (en cas d’aide concrète
au recueil des preuves ou de la contribution décisive à la découverte de la vérité) et
l’exemption de peine (en cas de repentir actif et opportun).
Dans la phase d’enquête, le procureur, surtout lorsque l’investigation porte sur la
corruption et des crimes financiers, peut avoir un rôle actif en offrant la suspension
provisoire de la procédure si le corrupteur donne des éléments de preuve importants
pour l’accusation de l’agent de la corruption passive.
♦ ♦ ♦
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Intervention de Gaël Candela,
avocat, membre du conseil de l’ordre, président de la
commission pénale du barreau de Lyon
Les décisions en matière pénale sont l’expression d’une sanction. De manière classique,
la sanction s’entend de celle qui est imposée au délinquant. La prison, par exemple, est
par nature la manifestation visible d’une sanction imposée.
Le procès pénal qui accompagne le prononcé d’une telle mesure est de la même
manière le type de procès auquel on pense en premier. Le rôle de l’avocat à cette
audience se limitera, au-delà de la question de l’innocence, à éviter que la sanction la
plus sévère ne soit infligée.
Pourtant, aux côtés de cette sanction imposée, relevant cette fois-ci plutôt de l’« invisible »,
existent peut-être des sanctions laissant une place à l’acceptation du prévenu et voire
jusqu’à la négociation de la peine. Ces deux types de sanctions « nouvelle formule »
placent l’avocat dans un rôle qui rompt avec son intervention traditionnelle. Une autre
question paraît découler de cette problématique et elle concerne le délinquant souffrant de trouble mental : doit-on lui imposer des soins, peut-on l’écarter durablement
de la société ?
1. De l’acceptation ou de la négociation de la peine par le délinquant
La sanction, dans son mécanisme, ne nécessite pas l’agrément de celui qui est
condamné. En effet, il s’agit d’une punition.
Cependant, en droit français, certaines peines nécessitent pour leur prononcé
l’accord préalable du prévenu. Il en va ainsi du travail d’intérêt général pour lequel le
condamné effectuera gratuitement, au bénéfice d’une collectivité ou d’une association,
un travail. Ce qui justifie cet agrément préalable relève de la liberté du travail : en
effet, depuis l’abolition des travaux forcés, la Justice ne peut contraindre une personne
à travailler.
Mais au-delà de cet accord préalable à la peine, l’agrément du prévenu est de plus en
plus sollicité en France au stade notamment du choix procédural. Ainsi, pour éviter
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le procès pénal classique, des procédures plus légères d’alternatives aux poursuites ou
des procédures de jugement simplifiées se sont développées.
L’alternative aux poursuites permettra ainsi qu’en maison de justice et du droit on
puisse, en présence de la victime, accepter un dédommagement et reconnaître ses
torts, ce qui évitera un procès.
Le recours à des procédures simplifiées est une piste sérieusement envisagée par le
Gouvernement pour permettre de désengorger les juridictions répressives (cf. rapport
de la Commission Guinchard – 2008).
La procédure dite simplifiée a en effet cet avantage de permettre une célérité de la
Justice.
Ainsi, depuis longtemps en matière de petite contravention le système de l’amende
forfaitaire a-t-il permis de limiter le recours au juge au seul cas où la personne sanctionnée refuserait la sanction forfaitaire. Cette idée, éloignant pourtant le justiciable
de la Justice, est aujourd’hui admise.
Toutefois, la célérité de l’action de la Justice ne doit pas faire perdre de vue les principes
essentiels qui garantissent la procédure et le procès équitable.
En effet, il ne peut y avoir disparition du procès au profit d’une acceptation de la peine
qu’à cette condition que le justiciable sanctionné puisse librement accepter la peine,
c’est-à-dire que la sanction soit consentie sans contrainte ni obstacle. De la même
façon, l’adhésion à la peine doit résulter d’un choix éclairé ; une peine non comprise
dans son principe ou sa portée ne pourrait, à défaut, être valablement acceptée.
Deux procédures simplifiées, sans doute appelées à se développer, invitent à
s’interroger.
En premier lieu, la procédure de l’ordonnance pénale, qui est applicable aux délits
faiblement réprimés et définis par la loi, est un jugement correctionnel rendu par
un magistrat du siège, sans réquisitions du parquet, sans défense exposée et hors la
présence du prévenu.
Ce dernier se voit notifier la décision et peut former opposition s’il n’accepte pas la
peine ; un procès se tient alors.
La peine susceptible d’être prononcée ne peut être qu’une amende et/ou une peine
complémentaire.
S’agissant d’une peine modérée et/ou privative de liberté, le justiciable pourra librement y consentir.
La question qui se pose est celle du choix éclairé. En effet, pour comprendre la portée
de la peine, le prévenu doit pouvoir être conseillé.
Aux côtés de cette première procédure simplifiée d’acceptation de la peine existe la
procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) dite
du plaider coupable. Cette procédure a été introduite en France en 2004. Elle est
sans doute la manifestation la plus intéressante de cette place de l’accord du prévenu.
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En effet, ce dernier, s’il reconnaît les faits, pourra accepter ou non la procédure de
comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Un avocat sera à ses côtés et le procureur proposera une peine que le prévenu sera en
droit ou non d’accepter. C’est, en bout de parcours, un juge du siège qui homologuera
cette peine.
Lors de l’entrée en vigueur de cette loi, le Gouvernement, dans sa circulaire du 2 septembre 2004, a clairement indiqué que la loi « ne prévoit pas en revanche de “négociation” sur la peine entre l’avocat et le procureur ».
Cependant, et contre toute attente, d’abord la CRPC est un mode de jugement efficace, satisfaisant et surtout, la pratique de la CRPC révèle majoritairement qu’existe
une discussion de la peine entre le magistrat du parquet et l’avocat. Ainsi, sans parler
de véritable négociation, la nature et la forme de la peine sont souvent débattues entre
l’accusation et la défense.
Cette possibilité de discussion fait l’efficacité de la procédure de plaider coupable pour
laquelle le prévenu dispose d’un véritable choix éclairé d’adhérer ou non à une peine.
La limite de ce système résulte dans le décalage existant entre la pratique et la lettre
de la loi.
En effet, le texte excluant la phase de discussion de la peine, la pratique efficace reste
contra legem, ce qui génère une insécurité juridique.
Par ailleurs, dans la plupart des tribunaux de grande instance, les parquets suivent les
termes d’une circulaire, déjà ancienne, prescrivant dans un premier temps de ne pas
décerner mandat de dépôt.
Cette condition d’absence de mandat de dépôt est une des conditions du succès de la
procédure de plaider coupable.
En effet, pour être libre d’adhérer à une peine, le prévenu ne doit pas être placé en
situation de contrainte.
À cet égard, on peut envisager l’hypothèse pour laquelle le choix proposé au prévenu
déféré au procureur à l’issue de sa garde à vue serait le suivant : une courte peine
d’emprisonnement exécutée immédiatement ou une peine plus longue requise dans le
cadre d’une procédure de comparution immédiate.
Dans ce cas, le prévenu, retenu sous la contrainte, n’aurait d’autre choix que d’accepter la première peine proposée s’il ne veut pas prendre le risque que le procureur ne
demande une peine plus sévère en audience de comparution immédiate.
Ainsi, le bilan qu’il y a lieu de tirer de cette expérience, c’est qu’une peine peut être
négociée puis acceptée en matière pénale. S’agissant toutefois de procédures éloignant
le justiciable du juge, les garanties du libre choix de la peine doivent être particulièrement marquées.
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2. Le délinquant souffrant d’un trouble mental : le soin imposé
Régulièrement la Justice est confrontée à des auteurs d’infractions qui, sans être
pénalement irresponsables, présentent une altération de leur discernement. D’autres
prévenus, sans qu’une altération psychique ne soit relevée, rencontrent manifestement
des difficultés psychiatriques ou parfois des conduites addictives.
Les juridictions correctionnelles peuvent, dans le cadre d’un sursis avec mise à
l’épreuve, imposer au condamné de suivre des soins et d’en justifier auprès d’un juge de
l’application des peines. Le non-respect de ces règles entraînant une nouvelle sanction :
la révocation du sursis.
Cette mesure ne nécessite donc pas l’agrément du condamné, mais son non-respect
sera ultérieurement sanctionné.
La véritable question qui se pose est de savoir si l’on peut véritablement forcer une
personne à se soigner.
Le législateur a souhaité répondre par l’affirmative en créant une mesure de rétention
de sûreté : une personne condamnée pour une infraction grave peut, à sa sortie de
prison, ne pas retrouver la liberté, mais être placée dans une nouvelle structure de
soins avec les seuls mêmes droits qu’un détenu. Il s’agit d’une véritable contrainte de
soins s’imposant à des personnes pourtant non reconnues irresponsables pénalement
par la Justice.
Des garanties procédurales ont été prévues par le législateur mais les interrogations
restent nombreuses quant à ces mesures de rétention de sûreté. En effet, un individu
déclaré coupable par une juridiction pénale peut-il être privé de sa liberté après avoir
purgé sa peine ? Ne vaudrait-il pas mieux placer dès la condamnation les individus
dangereux dans une structure de soins, plutôt que d’attendre leur libération pour les
soigner ?
Il semble en l’état que le législateur ait encore du mal à faire coexister deux aspects de
la peine : la punition et le soin. Deux notions qui devraient pourtant pouvoir dans le
même temps trouver un seul cadre qui favoriserait les intérêts de la société et préviendraient de la récidive.
♦ ♦ ♦
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Intervention d’Alain Blanc,
conseiller à la cour d’appel de Paris, président de
l’Association française de criminologie (AFC)
1. Le cadre général de la question
Chercher à répondre à cette question – concernant en tout cas la peine, celle de la
culpabilité étant un peu plus complexe – implique de faire appel à la philosophie,
avant de dire ce que la loi dispose dans son dernier état concernant le sens de la peine.
Ensuite, je tenterai d’identifier les dernières étapes de ce qui caractérise les politiques
criminelles en France en rapport avec le sujet, avant de souligner les évolutions récentes
de la politique pénale à travers quelques lois récentes, et de tenter un peu de prospective
à travers les réformes annoncées pour les années à venir.
1.1. La philosophie de la peine Selon la fonction qui est assignée à la peine, la part prise par le condamné à sa définition, voire à son acceptation n’est pas la même. Le repérage effectué par le philosophe
Fréderic Gros1 sur ce qu’il appelle les « foyers de sens de la peine », qu’il a identifiés chez
des auteurs tels que Platon ou Marx en passant par Beccaria, est à ce sujet éclairant.
À partir des systèmes politiques et moraux de chacun des auteurs évoqués, il met au
jour quatre « foyers de sens » de la peine. Punir, c’est :
◆◆ rappeler la loi ;
◆◆ transformer l’individu ;
◆◆ défendre la société ;
◆◆ permettre à la victime de faire son deuil.
On voit bien que, selon le sens ainsi assigné à la peine, la question de savoir s’il convient
de recueillir l’adhésion du condamné ne se pose pas dans les mêmes termes : si la
fonction de rappel à la loi, « éducative » en quelque sorte, y conduit naturellement,
il n’en est plus nécessairement de même, ou en tous cas pas dans les mêmes termes,
dans un système dans lequel la peine aurait pour fonction principale de transformer
1.Et ce sera Justice (Odile Jacob 2001).
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l’individu (avec ou malgré lui ?), de défendre purement et simplement la société, ou
de compenser la douleur de la victime.
1.2. Que nous dit le droit positif aujourd’hui ?
L’article 132-24 du Code pénal, depuis la loi du 12 décembre 2005, stipule dans son
alinéa 2, qui fait suite au principe selon lequel « la juridiction prononce les peines en
fonction des circonstances de l’ infraction et de la personnalité de son auteur », que « la
nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la
protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec
la nécessité de favoriser l’ insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions »2.
Tout est dans « concilier ». Dans la pratique, c’est aux juges qu’il revient de hiérarchiser
ces objectifs dont chacun renvoie bien à un « foyer de sens de la peine ».
Les orientations explicites de politique pénale en vigueur tirent clairement cet article
132-24 vers la priorité à la protection effective de la société et des intérêts de la victime.
Pour autant, le souci de susciter l’adhésion du condamné à sa peine est-il hors sujet ?
Certes, la fonction de rappel à la loi est celle qui semble accorder le plus de place au
condamné et au travail qu’il a à entreprendre lui-même sur son rapport à la loi dans le
cadre d’une démarche éducative. Mais on va le voir, parmi les stratégies pénales issues
de textes récents, coexistent des dispositifs délibérément fondés sur l’acceptation de
sa peine – et de sa culpabilité – par le condamné, et d’autres assimilables à de simples
mesures de sûreté fondées sur la dangerosité considérée comme un état. Il faudra
donc analyser de plus près les processus par lesquels l’adhésion ou la soumission du
condamné sera obtenue, sans développer ici le débat entre peine et mesure de sûreté,
qui nous entraînerait trop loin.
1.3. Qu’en est-il de cette question de la participation du condamné à la définition de sa peine, au regard des évolutions des politiques pénales en France depuis un demi-siècle, telles qu’elles résultent des lois et des dispositifs pénaux qui se sont succédés ?
Très sommairement, il me semble que l’on peut isoler trois grandes orientations entre
les années 1970 et les nouvelles pénalités qui se mettent en place depuis ce début de
millénaire3 :
1. Les années 1970 marquées par le rapport « Réponses à la violence » de 1977,
mis en place par Alain Peyrefitte et qui, qu’on le veuille ou non et malgré la loi
« sécurité - liberté » qui sera votée ensuite, constitue les bases sur lesquelles
Gilbert Bonnemaison a pu mettre en œuvre dans les années 1980 les politiques
de prévention de la délinquance. L’objectif central mis en avant pour justifier les
analyses du rapport sur les réponses à la violence, c’est l’ordre. Il est frappant de
2.À noter que la proposition de loi sur ce sujet du garde des Sceaux Mme Lebranchu, à l’issue des travaux
du Comité d’Orientation Stratégique qu’elle avait mis en place en 2002, proposait une rédaction rigoureusement identique.
3.Je renvoie sur ces sujets à l’ouvrage très éclairant de Jean Danet : Justice pénale : le tournant, Folio,
2006.
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constater avec le recul que la question des victimes est quasi inexistante à cette
époque-là. Mais figure une recommandation 90 qui invite à « poursuivre et accentuer l’effort engagé il y a quelques années en vue de la création de peines nouvelles
propres à remplacer certaines peines privatives de liberté ». Et il est ajouté que « devrait
à cette fin être envisagée l’ institution d’une peine dont l’exécution, acceptée par le
condamné, consisterait à exercer temporairement une activité au profit et au service
de la communauté ».
2. Les années 1980 et la mise en œuvre de cette recommandation avec la création
de la peine de travail d’intérêt général – impossible à prononcer sans le consentement exprès du condamné – par le Parlement unanime, qui répond précisément
à ce souci tout en mettant en place les politiques de prévention de la délinquance
« décloisonnées », auxquelles « la cité » participe et dont la visibilité est assumée.
Les références aux pratiques de peines « communautaires » du Canada sont alors
explicites.
3. Avec les années 1990 et les premières années de ce siècle, malgré la parenthèse de
la loi du 15 juin 2000 dite « présomption d’innocence et droits des victimes »,
les priorités explicites des évolutions législatives en matière pénale sont de deux
ordres : gérer et donc réduire les flux – et par conséquent les coûts – induits par la
répression, et accroître et diversifier l’arsenal des peines à des fins dissuasives. Ce
double mouvement s’est traduit par la mise en place des procédures de médiation
et de composition pénale, de comparution avec reconnaissance de culpabilité qui
ont généré des commentaires contrastés de la doctrine : pour Mme Mireille DelmasMarty, une telle pratique est incompatible avec l’idée d’une juste peine4. Le doyen
Pradel considère quant à lui que la composition pénale, qui « consacre la promotion
de l’aveu (…), accroît des pouvoirs du Parquet et représente une diversification des
réponses à l’ infraction, un gain de temps et une diminution des classements sans suite ».
Dominique Charvet5, ancien premier président de la cour d’appel de Bastia, met
en perspective cette évolution de la gestion des flux de contentieux pénal avec la
remise en question de l’État-providence : la fonction du juge est réduite à celle
d’un arbitre ou de contrôle du respect de la procédure. Il notait également, ce qui
renvoie au sous-titre de ce colloque sur « les peines visibles ou invisibles », que ces
procédures ont un intérêt essentiel pour le délinquant pour qui le regard de l’autre
est vécu comme une sanction : le jugement n’est pas public. Mais alors, soulignet-il, qu’en est-il de l’exemplarité de la Justice, du contrôle de son fonctionnement,
que seul un débat public garantit ? Et, plus en rapport avec notre sujet, de l’effet
attendu de l’audience qui « amène chacun à connaître les éléments de la cause et à
comprendre sinon à accepter6 ce qui a convaincu les juges et les a conduit à un certain
type de sanction » ?
En droit français, ce type de dispositif reste exclu pour les crimes. Il en est de même
semble-t-il dans les autres législations européennes et en tous cas, on vient de le voir,
pour le Portugal avec Mme le procureur Teresa Almeida.
4.Procédures pénales d’Europe, PUF, p. 568.
5.Réflexions autour du plaider-coupable, Recueil Dalloz, 2004, n° 35, p. 2517.
6.C’est nous qui soulignons.
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Cela étant, concernant les perspectives dans le droit français, il faut être prudent : la
commission récemment mise en place par Mme la ministre de la Justice et présidée par
M. Philippe Léger7 a mis à son programme la question d’une procédure simplifiée
de la cour d’assises intégrant, outre l’instauration d’un droit d’appel au pénal de la
partie civile, l’hypothèse d’un procès d’assises « raccourci » en cas de reconnaissance
de culpabilité.
À suivre de près, donc.
2. Gros plan sur la cour d’assises et la procédure criminelle
2.1. La question de l’aveu
Première remarque : l’adhésion à la peine implique a priori la reconnaissance de
culpabilité et donc l’aveu. Or la prime à l’aveu comporte des risques :
◆◆ celui de l’erreur judiciaire « subie », dans l’hypothèse d’un aveu concédé sous une
pression quelconque ou d’une absence d’authentique libre arbitre ;
◆◆ celui de l’erreur judiciaire délibérément induite par l’auteur de l’aveu qui sait parfaitement qu’il n’est pas coupable, mais qui choisit pour des raisons diverses de
prendre la place du coupable.
Par ailleurs, la toute puissance de l’aveu fait obstacle au droit à ne pas avouer, ou à
mentir, quelles qu’en soient les raisons. Ce droit doit pouvoir rester absolu, le mis en
cause sachant par ailleurs que le juge, lui, n’est pas obligé de le croire.
Mais au-delà de ce principe, tout professionnel du pénal sait que certains accusés
sont dans la quasi incapacité d’avouer leur crime ; au moins à certains stades de la
procédure. Avouer, publiquement de surcroît, reviendrait pour certains accusés, pour
des raisons psychologiques ou culturelles, à une sorte de suicide intime et social à la
fois. D’où l’importance de la multiplicité des procédures en jeu, des interlocuteurs,
des professionnalités et des disciplines mobilisés entre l’interpellation, l’audience de
jugement et la phase d’exécution de la peine.
Enfin, l’expérience prouve que le poids de plus en plus considérable des victimes dans
le procès pénal et sa médiatisation sont de nature à générer des aveux tellement sollicités, sous pression, qu’ils en perdent une grande partie de leur authenticité et donc
de leur valeur.
Deuxième remarque : poser comme un objectif de l’audience pénale la recherche
de l’adhésion ou de l’acceptation de la peine serait un non-sens dans notre procédure
actuelle dès lors que le débat sur la culpabilité et celui consacré au prononcé de la peine
sont rassemblés en une phase unique du procès. En l’état, quand l’accusé conteste les
faits qui lui sont reprochés, le débat sur la peine est de fait réduit au minimum, ce qui
est très regrettable et ce que déplorent toujours les jurés. Quand il les a « reconnus »,
rien n’est réglé pour autant concernant la peine : il y a toute sorte de « qualités » d’aveux
et autant de questions sur la nature et le quantum de la peine à prononcer. Ce qui
impliquerait de disposer d’éléments de personnalité autres que psychiatriques.
7.Cf. lettre de mission du 14 octobre 2008 de Mme Dati à M. Philippe Léger.
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Compte tenu de ces données, quelle réponse apporter à la question de la recherche de
l’adhésion à la peine d’un accusé dans une procédure criminelle ?
Pour les raisons de principe que j’ai évoquées, il paraît exclu que l’aveu (je parle de
l’aveu de « son » crime par le mis en examen ou l’accusé, celui des noms des complices
ou de toute autre donnée relevant d’une autre problématique) en tant que tel puisse
être un objectif du procès. Un peu, de l’autre côté en quelque sorte, comme celui du
fameux « effet thérapeutique » de l’audience sur la partie civile : à mon sens, s’il se produit c’est tant mieux, mais il n’entre pas en tant que tel dans les finalités de l’audience.
L’un et l’autre doivent être considérés comme de l’ordre des choses possibles à atteindre, sans aucun doute bénéfiques, mais ne doivent pas être privilégiés par rapport à
ce qui reste la mission centrale du juge : la recherche de la vérité (art. 310 du Code de
procédure pénale - CPP), dans le respect des principes posés par l’article préliminaire
du CPP : équité, contradictoire et équilibre des droits des parties.
Dans ce cadre, il appartient au juge de tout faire pour que l’accusé, à chaque phase du
déroulement de la procédure, puisse avec l’appui de sa défense, opérer librement et en
connaissance de cause, les choix relevant de sa responsabilité.
J’ajouterai un constat tiré de la pratique et des expériences partagées avec les professionnels, magistrats et avocats : une audience qui se déroule dans un climat apaisé, au
cours de laquelle chaque partie a conscience que la parole est distribuée et écoutée de
manière complète et attentive produit des effets d’adhésion, non pas à la décision des
juges mais au processus judiciaire, qui sont tout aussi importants et porteurs d’intégration de la loi à long terme qu’un aveu obtenu sous la pression.
J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises, avec des stagiaires magistrats et fonctionnaires
pénitentiaires d’une formation que j’organisais sur « la peine », d’évoquer avec des
condamnés du centre de détention de Muret la manière dont s’était déroulé leur procès d’assises. Tous déploraient non pas leur condamnation en elle-même (ce sur quoi
insistaient tout de même ceux qui se proclamaient innocents…), mais la « manière »
dont ils avaient été « traités » durant la procédure et surtout à l’audience : l’évocation
de faits de leur adolescence ou de leur vie privée à travers des enquêtes trop intrusives,
les termes méprisants utilisés à leur égard par les avocats ou des magistrats étaient
surtout stigmatisés. L’un d’eux, après avoir indiqué qu’il avait contesté les faits dont
il n’avait pu admettre qu’il les avait commis qu’une fois condamné et grâce au travail
entrepris avec un psychiatre du centre de détention, avait eu cette formule : « Pourquoi
s’obstiner à rendre cohérente une vie qui ne l’a pas été ? Pourquoi tout ce qui est dans un
dossier, y compris en l’espèce un défaut d’assurance de ma mobylette quand j’avais 18 ans
a-t-il été invoqué pour étayer la thèse selon laquelle… déjà à 18 ans etc. ? » Puis il avait
conclu : « Est-il nécessaire, pour nous condamner pour un fait commis vingt ans plus tard,
de “concasser ainsi nos vies”, de les “réduire” à tout ce qui va dans le sens de ce crime ? »
Plus que la question de l’adhésion de la peine, c’est donc celle de la qualité de la justice
pénale qui se pose. Celle-ci dépend au moins de deux variables :
◆◆ D’abord celle des conditions de nature à ce que le déroulement du processus
judiciaire puis pénitentiaire garantisse des « espaces de liberté et de responsabilité »
pour les personnes mises en examen, jugées puis condamnées. C’est le respect
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◆◆
de l’institution et de ses professionnels qui est de nature à ce que le mis en cause
accepte de « jouer le jeu » du respect de la loi et puisse y trouver sa juste place8.
Ensuite celle, jamais vraiment résolue, de l’articulation entre la phase de jugement
et la phase d’exécution : cette césure est peut-être un peu diminuée du fait de
l’intervention de l’avocat de la défense dans la procédure juridictionnelle d’aménagement de la peine, mais il reste que tout ce qui s’est produit à l’audience de
jugement, surtout à la cour d’assises, reste totalement volatile puisque personne
en dehors du condamné n’en sait et n’en dit quoi que ce soit au cours de la plus ou
moins longue phase d’exécution de la peine.
2.2. L’état de la justice pénale
Après huit ans d’exercice de présidence de la cour d’assises, je ferai deux constats : l’un
sur la qualité des dossiers, l’autre sur les modalités de prononcé des peines.
2.2.1. Si l’on attend de la justice pénale qu’elle remplisse complètement son office, à
côté de la question du sens de la peine qui a donné lieu à beaucoup de réflexions ces
dernières années, il serait temps de travailler maintenant sur le sens du crime. Dans la
pratique judiciaire et pénitentiaire, ce devrait même être le préalable à toute décision de
justice comme à toute prise en charge. Or les dossiers correctionnels et même criminels
sont de plus en plus pauvres. Si les progrès sont considérables dans le domaine de la
police scientifique – auxquels on doit, notons-le au passage, le fait que l’aveu n’est plus
« la reine des preuves » –, il est frappant de constater la stagnation voire la régression
des données dans le domaine de l’intelligence du crime.
D’abord, celui-ci y est constamment ramené à la dimension individuelle de son auteur,
hors de tout contexte social ou même de groupe en cas de pluralité d’auteurs sur une
même action. Ensuite, la police judiciaire connaît de moins en moins les territoires sur
lesquels les crimes sont commis, et ne peut donc en restituer la dimension par rapport
à leur environnement.
Plus fondamentalement encore, alors que les justices des mineurs et familiale ont su
développer des outils de nature à analyser les situations que la décision de justice avait
pour objet de trancher ou de faire évoluer, la justice pénale s’interdit de définir les moyens
d’analyser les interactions entre mis en cause, ou entre mis en cause et partie civile.
Pourtant, cette intelligence du crime est utile et nécessaire à tous : au juge, à l’accusé
comme à la partie civile et à leurs avocats, mais aussi à l’environnement dans lequel le
crime a eu lieu. Et c’est cette intelligence partagée jusqu’à l’audience qui est le meilleur
garant non seulement de la non récidive, mais aussi de la mise au jour de tout ce qui
est à l’origine du crime et qui ne se réduit jamais à la seule personnalité de l’accusé.
En huit ans de présidence de cour d’assises je n’ai eu à connaître que d’un dossier dans
lequel le juge d’instruction avait fait procéder à une enquête sociale sur l’histoire et
la sociologie du quartier dans lequel le crime, aboutissement d’une tension complexe
8.On ne peut que déplorer à ce sujet que le projet de loi pénitentiaire ne reprenne pas à son compte le
principe posé par les RPE dans leur version du 12 février 1987 selon lequel il incombe à l’administration
pénitentiaire de développer le sens des responsabilités des personnes détenues.
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entre jeunes d’un quartier et d’autres venus organiser une fête sur leur commune,
s’était produit.
Pourquoi la criminologie est aujourd’hui pratiquement absente de notre système pénal
en France ? Je sais bien qu’à la suite de la censure partielle par le Conseil constitutionnel de la loi sur la rétention de sûreté, le premier président de la Cour de cassation,
Vincent Lamanda, a remis à sa demande au président de la République un rapport
qui préconise le développement de la recherche et de l’enseignement de la criminologie,
clinique semble-t-il.
Mais la criminologie ne se réduit pas à la criminologie clinique. Et encore moins à ce
qui ne serait qu’une criminologie d’adaptation. Elle intègre aussi des disciplines, dont
la sociologie, qui permettent d’appréhender le phénomène criminel dans toutes ses
dimensions.
2.2.2. La délibération sur la peine : au terme de huit années de présidence de la cour
d’assises des cinq départements de la cour d’appel de Paris, ce qui m’a toujours frappé,
d’abord, c’est que la peine ne fait pas l’objet d’un véritable débat à l’audience. L’avocat
général requiert une peine sans la motiver autrement que par quelques phrases sur la
gravité des faits et sur la personnalité de l’auteur, comme s’il craignait qu’une véritable
démonstration argumentée ne prive son réquisitoire de l’effet dramaturgiquement
très attendu sur ce qui est, il est vrai, le plus attendu : combien d’années de prison demande-t-il à la cour et au jury de prononcer ?
C’est pour cela que, tant que les deux débats sur la culpabilité, puis sur la peine, auront
lieu au cours de la même phase du procès, rien ne changera au fond sur ce point.
2.3. La question de l’acceptation de la peine :
à quel stade du processus pénal ?
Une fois « dépassée » la problématique de l’aveu de culpabilité, et celle-ci étant par
hypothèse acquise, vient celle de la manière dont la peine peut-être « reçue » par le
condamné. On peut repérer cinq « phases ».
1. La question de la peine se pose pratiquement pour chaque délinquant dès son
interpellation, et même, le plus souvent en amont, avant la commission des faits,
à travers celle du risque encouru.
2. Ensuite, l’instruction, et le cas échéant la détention provisoire, sont l’occasion
pour le mis en examen de réfléchir à la peine susceptible d’être prononcée lors du
jugement. Voire de se livrer à un travail autour du sens et des causes intimes de son
passage à l’acte qu’il intégrera ou non dans le cadre de la préparation de sa défense
pour l’audience. Tout cela étant susceptible d’avoir une incidence sur le sens de la
peine aux yeux des juges d’une part et du condamné lui-même d’autre part.
3. Dans le déroulement du procès, l’accusé sait en général quelle est la peine maximale
qu’il encoure, telle que la loi l’a définie. Puis il entend l’avocat général réclamer à la
cour et au jury une peine précise. Ensuite il attend. Les juges et les jurés tiennent-ils
compte pour fixer le quantum de la peine de ce que l’accusé est susceptible ou non,
sinon d’y adhérer, du moins de plus ou moins l’accepter, comme correspondant à
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ses propres yeux à ce qui, en quelque sorte, lui serait « dû » ? Cela arrive et devrait
sans doute arriver plus souvent si le souci de prononcer une peine juste à travers les
critères proposés par l’article 132-24, était réellement respecté. Ce qui est encore
possible aux assises où le temps et les moyens déployés, en dépit des carences
évoquées plus haut, sont tout de même de nature à nourrir un débat à ce sujet.
Mais qui l’est de moins en moins en correctionnelle où le rythme de traitement
des dossiers et une conception de la politique pénale où l’individualisation de la
peine a de moins en moins de place, conduit les juges à raisonner de plus en plus en
termes de « tarifs » et de catégories préétablies. La question étant de savoir alors si
une peine « tarifée » voire automatique a plus de chance ou non d’être « acceptée »
par le condamné qu’une peine dont il a le sentiment (le temps consacré au délibéré
est à cet égard un indicateur souvent retenu) qu’elle a été débattue et pesée.
4. Juste après son prononcé et avant qu’elle ne soit définitive : on pourrait être tenté
d’interpréter l’absence d’appel du condamné en premier ressort comme une acceptation implicite de la peine. Mais ce serait aller un peu vite : renoncer à un recours,
voire s’y résigner n’équivaut pas à adhérer. Même si ce renoncement se traduit
souvent semble-t-il par un engagement authentique dans la phase d’exécution de
la peine.
5. La peine prononcée étant devenue définitive, le positionnement du condamné est
variable : entre la révolte et l’acceptation en passant par la dépression, il implique
un travail ; de la part de l’administration pénitentiaire, du juge de l’application des
peines, et du condamné et de son environnement (avocat, famille, etc.), qui devrait
aboutir à un projet d’exécution de peine qui intègre la phase à venir de préparation
des aménagements de la peine.
Reste une autre question que nous nous bornerons à formuler à ce stade : quel est
le rapport entre l’adhésion à la peine et le risque de récidive ? Autrement dit, un
condamné à une peine négociée avec lui, et acceptée par lui, a-t-il moins de chance
de récidiver que celui auquel la peine sera imposée, quitte à susciter sa révolte ? La
criminologie permet d’apporter des réponses qui exigeraient sans doute de différencier
selon les types d’infractions, et de sujets. Mais peut-on définir une politique pénale à
la seule aune de son efficacité probable ?
3. Quelles perspectives ?
On aura compris que la question de savoir si le condamné doit ou non être associé
au prononcé de la peine le concernant ne saurait être réduite à une logique linéaire
qui, partant d’un extrême (la peine choisie ou négociée, considérée a priori comme
« idéale » dans la mesure où elle semble intégrer le niveau le plus accompli de consensus
entre le juge et le condamné et comporter le niveau minimal de « violence légale »),
irait jusqu’à une peine assimilable à une mesure de sécurité totale et globale n’ayant
pour seul objectif que de protéger la société, sans souci d’une participation quelconque
du délinquant à la fixation de la nature et du quantum de la dite peine.
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Notons au passage qu’en termes de coûts, les deux extrêmes sont sans doute susceptibles, l’un comme l’autre, d’être les plus économiques en temps et en moyens
mobilisés.
Considérer le niveau d’adhésion du condamné à sa peine comme l’alpha et l’oméga d’un
système pénal semble donc constituer une impasse. D’autant que les critères d’efficacité
– pour l’essentiel ramenés en général au risque de récidive – ont montré leurs limites,
sans doute faute de recherches plus approfondies, certes, mais nous en sommes là.
On en revient donc aux critères de la qualité de la justice pénale.
À cet égard les perspectives à court ou moyen terme peuvent être repérées aujourd’hui
à travers trois approches, en réalité très imbriquées : la première, économique, tenant
aux réductions des moyens de l’État et à la crise, la seconde concernant les réformes
annoncées dans le domaine pénal, et la troisième liée aux mutations de fond en cours
sur les questions de sécurité.
3.1. L’approche économique et ses conséquences sur la philosophie pénale
Les évolutions en cours ont déjà été amorcées, et elles risquent d’être précipitées par la
crise financière et économique. Le souci de l’État de procéder à des économies s’est traduit récemment par la mise en place du programme RGPP 9, dont l’idée remonte à plusieurs années. Jean-Paul Jean se posait la question évoquée plus haut en 2006 10, à propos
de la loi organique du 1er août 2001, la LOLF : « La politique criminelle peut-elle avoir
pour fondement une logique d’efficacité ? » Il évoquait un « véritable renversement de perspective pour les sciences criminelles et le droit pénal classiques centrés autour de la personne
du délinquant, du passage à l’acte et de la sanction. (…) L’idée de justice pour chaque citoyen
– la société sanctionne un des siens qui a transgressé une norme précise, à l’ issue d’un procès
équitable – se trouve aujourd’ hui confrontée à l’ idée d’administration de la justice pénale,
intégrant des modes diversifiés de gestion des transgressions. Sont mis au second plan des
éléments aussi essentiels que la symbolique de la justice ou la nécessité d’intériorisation de la
sanction et du rappel des valeurs communes dans la fonction de la peine ». Le pari proposé
par l’auteur dans ce cadre consisterait à concevoir un système judiciaire dans lequel
coexisteraient une justice pénale « négociée » et un « processus garantiste » dans lequel
les parties choisissent la procédure formaliste qui garantit l’aléa judiciaire sur la culpabilité ou (et) sur la peine, afin de permettre au juge et à l’administration pénitentiaire
de se consacrer à la mise à exécution des décisions et à la prévention de la récidive.
Ces questions cruciales ne sont en l’état discutées qu’entre spécialistes. Il est à craindre que ce qui est déjà engagé s’accélère sans un débat public à la hauteur des enjeux.
Enjeux que la crise économique et financière risque de laisser dans l’ombre, tant les
priorités peuvent sembler être ailleurs.
Parallèlement, les politiques interministérielles développées en profondeur par l’administration pénitentiaire risquent d’être mises à mal. Dans cette conjoncture, chaque ministère a tendance à prioriser ce qu’il considère comme son noyau dur de compétence.
9.La révision générale des politiques publiques constitue une réforme de l’État dont les axes de modernisation ont été adoptés entre décembre 2007 et juin 2008.
10. Actualité Juridique Pénale, 12/2006.
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Et la crise risque de se traduire – à bas bruit – par au moins trois effets de fond : les
restrictions de crédits, le repli sur soi de chaque ministère, et une régression du niveau
des exigences qualitatives des politiques publiques.
3.2. Les réformes législatives ou réglementaires annoncées ou programmées
Que ce soit directement via le programme RGPP ou des commissions plus sectorisées
telles que la Commission Léger ou la Commission Guinchard, la ligne est claire :
simplifier, harmoniser, rendre plus lisible, tels sont les objectifs politiques annoncés.
Mais les perspectives sont plus complexes : coexistent des réformes visant explicitement
à rendre le dispositif pénal plus répressif (rapport Varinard sur la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945, dispositif des peines plancher) et de manière quelque peu
schizophrénique, celle tendant, par une priorisation à la gestion des flux, à réformer
le dispositif d’aménagement des peines dans le sens de l’assouplissement (projet de loi
pénitentiaire) dans un sens apparemment inverse.
Un point commun toutefois à ces réformes : celui d’une réduction du rôle du juge du
siège (juge des enfants, juge de l’application des peines, juge d’instruction bientôt) au
profit du parquet. En termes de « gestion » il est vrai que l’aléa du juge indépendant,
comme tout ce qui n’est pas prévisible, a un coût. Seulement un coût ?
Mais au-delà des questions qui se posent autour du principe de la séparation des pouvoirs, trop complexes pour être développées ici, ces perspectives, doublées du constat de
ce que l’audience pénale, considérée comme coûteuse et chronophage, devient peu à peu
une option, renvoient à notre sujet : quel sera l’équilibre du dispositif institué au sein, ou
face auquel le mis en cause va se trouver en situation d’adhérer à ce qui lui sera proposé,
ou de ne pas le faire ? Et pour ceux qui n’auront pas choisi – ou pas pu choisir – de
composer, la sanction si elle intervient ne risque-t-elle pas d’être beaucoup plus dure ?
Antoine Garapon, citant Philippe Reynaud, considère que nous entrons dans « la
tyrannie du probable » : « La possibilité d’un dommage l’emporte sur la réalité du crime,
la vérification de ce jugement ne pouvant être donnée que dans la survenue de la récidive
qu’ il faut éviter à tout prix. »11
Cette évolution, qui bouleverse à bas bruit les fondements de notre droit pénal, a
sans doute trouvé son aboutissement avec le vote de la loi sur la rétention de sûreté le
28 février dernier qui a créé, dans notre code pénal, une mesure de sûreté d’enfermement
potentiellement perpétuel pour les personnes considérées comme « criminologiquement
dangereuses ». Elle remet aussi en question les missions des professionnels concernés,
puisque les « centres socio-médico-judiciaires de sûreté » sont des structures dont
l’identité, extrêmement complexe, est hybride12. Cette hybridation pourrait constituer
un atout si les missions des uns et des autres, au-delà de leur définition dans le décret
précité et un règlement intérieur à venir, étaient rattachées à une fonction dynamique
partagée. Il est à craindre que tel ne soit pas le cas, compte tenu du poids des impératifs
du principe de précaution posé là comme l’alpha et l’oméga du dispositif institué.
11. « Un nouveau modèle de Justice : efficacité, acteur stratégique, sécurité », Esprit, novembre 2008.
12. Cf. décret n° 2008-1129 du 4 novembre 2008 relatif à la surveillance et à la rétention de sûreté.
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Il est donc à craindre que, pour les motifs mêmes présidant à l’institution de la rétention de sûreté, à savoir prévenir un risque probable au prix d’un enfermement à durée
indéterminée pour des motifs de dangerosité non clairement identifiés, ces structures en
soient réduites à un infini gardiennage médicalisé, qui sait, avec l’adhésion du retenu ?
Avec la loi du 28 février 2008 on entre donc dans une philosophie nouvelle, dont on
ne mesure pas complètement la portée. Les notions de responsabilité, de liberté, de
consentement relevant du droit se télescopent avec celles de dangerosité, de sécurité et
même de sécurité globale13 vis-à-vis desquelles le droit et ses principes fondamentaux
ne paraissent plus constituer des références. Il n’est donc pas illogique que l’institution
judiciaire traverse en même temps des turbulences.
Que ce soit l’administration pénitentiaire qui organise un colloque international pour
réfléchir à l’exécution des peines « du visible à l’invisible » et offre ainsi l’occasion
d’appeler à un approfondissement de ces mutations est intéressant en soi : c’est bien
elle qui assure le « service après-vente » du prononcé des peines, et qui doit répondre
et parfois initier le dialogue avec le condamné sur le sens de la peine que, chacun pour
leur part, ils ont à prendre en charge.
Mais tout le travail d’élucidation et de débat démocratique sur les enjeux desdites
mutations, reste à faire.
♦ ♦ ♦
Échanges avec la salle
François Février
Finalement la question n’est-elle pas tout simplement : la peine doit-elle être comprise ? Cela nous amène naturellement à nous questionner sur les peines alternatives
et sur l’application des peines. Dans le projet de loi pénitentiaire, la procédure d’aménagement de peine simplifiée qui est proposée impliquerait que l’avocat et le débat
contradictoire disparaissent.
Gaël Candela
Il est vrai que, dans le cas de procédures simplifiées, les avocats se doivent d’être très
vigilants car le risque d’atteintes aux libertés est bien réel. Si l’aveu est un réel enjeu, il
est essentiel de garantir son adéquation par rapport à la vérité, et ce dès la garde à vue,
pour s’assurer que l’aveu soit exempt de tout vice et de toute contrainte.
Intervention d’un juge de l’application des peines
L’important doit être l’acceptation de la peine et plus particulièrement du « verdict
dont on ne fait pas appel » ce qui ne veut pas forcement dire que la peine est acceptée.
Néanmoins on peut considérer que le non-exercice des droits de recours est une forme
13. Cf. le rapport Bauer du 20 mars 2008 et la revue Sécurité globale.
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d’acceptation de la peine. Cela est indispensable pour la suite : il est parfois renvoyé
au détenu, durant l’exécution de la peine, que s’il n’a pas fait appel de son verdict on
considère qu’il a alors accepté sa condamnation et sa culpabilité.
Concernant l’alternative des poursuites, on se pose la question de la défense (et du
risque que l’avocat ne soit pas assez présent dans le système), mais le juge contrairement
au ministère public et à la défense est lui clairement « évacué » de ces alternatives. Ce
n’est plus une peine qui est prononcée mais une réponse pénale qui est apportée.
Alain Blanc
Effectivement l’audience, qui est la finalité du procès, est mise en cause alors même que
l’intérêt demeure dans ce qui est dit lors de cette audience. Tout ce qui est dit autour
de l’intelligence du crime renvoie à la criminologie, à la sociologie. Ce qui est dit à
ce moment-là, les jugements moraux qui sont portés ont plus d’impact sur l’individu
que le prononcé de la peine. La révolte qui en résulte parfois peut faire obstacle à
l’acceptation de la peine. La question est donc de savoir comment assurer une charnière
entre ce qui se joue à l’audience et l’exécution de la peine.
Gaël Candela
C’est toute la difficulté. Les notions de culpabilité et de peine sont différentes. Elles
devraient pouvoir être traitées en deux temps distincts. Est-on oui ou non coupable ?
Si tel est le cas, on passe à l’étude de la sanction et de ce fait on peut tendre vers
l’acceptation.
Alain Blanc
Oui, il est important de dissocier ces deux notions et ce n’est malheureusement pas
toujours le cas. Lors d’un procès d’assises, on voit bien que la peine est rarement
discutée. Il est rare que les réquisitions du parquet sur le quantum de peine soient
argumentées et la défense préfère elle aborder la question de la culpabilité surtout
lorsque l’optique est de plaider l’acquittement. En séparant culpabilité et peine, le
débat serait dès lors plus riche et plus pédagogique pour le prévenu quant au sens de
la peine prononcée.
Intervention d’un médecin
Il est important de souligner que tout ce qui se passe lors d’un procès peut détruire
l’image sociale qu’une personne a d’elle-même et, de ce fait, le risque de suicide n’est
pas à écarter. Le traumatisme du jugement pouvant être important, il faut réfléchir
au mode d’accompagnement du condamné après le procès. Ce ne serait donc pas
l’importance de la peine qui pose problème mais son absence de sens.
François Février
La question de la prise en charge du condamné devrait désormais plus se poser que
celle du sens de la peine. Le caractère pluridisciplinaire de cette prise en charge devrait
contribuer à la compréhension de la peine. Ces notions sont dans la logique des règles
pénitentiaires européennes.
101
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Alain Blanc
D’ailleurs, les règles pénitentiaires européennes rappellent qu’il doit incomber à
l’administration de susciter la responsabilité du condamné pour garantir un retour à
« une vie libre et exempte de crime ».
♦ ♦ ♦
102
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Europe :
du visible à l’invisible
TA B L E RON D E
Peut-on évaluer l’efficacité des mesures pénales
en fonction de la durée de la sanction ?
Intervention de Sonja Snacken,
professeur, université de Bruxelles,
présidente du Conseil de coopération pénologique,
Conseil de l’Europe
La question de l’efficacité doit nécessairement être discutée par rapport aux buts de la
sanction. Le texte de présentation du colloque se réfère à plusieurs aspects concernant
l’efficacité des peines de prison en fonction de leur durée, qui me semblent amener
quatre thèmes :
◆◆
l’accroissement des longues peines de prison en France (supérieures à 5 ans) et
l’effet de la loi du 10 août 2007 sur la récidive : thème de la rétribution et de la
dissuasion comme justifiant des longues peines ;
◆◆
la tension entre neutralisation et prise en charge du détenu d’une part et sa réinsertion et les aménagements de peine d’autre part : thème de la prévention spéciale
entre neutralisation et réinsertion ;
◆◆
la question de l’efficacité de la peine en relation avec la certitude de la mise en
exécution et la rapidité de la prise en charge : thème de la prévention générale ;
◆◆
la perception de la hauteur de la peine par la victime et l’opinion publique : thème
de la légitimité des peines et de la punitivité des victimes et de l’opinion publique.
Je voudrais apporter ici quelques réflexions à propos de ces quatre thèmes.
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Europe :
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L ES TEMPS ET L ES HOMMES : TA B L E RON D E 3
1. Rétribution et dissuasion comme justifiant des longues peines
1.1. Rétribution
La rétribution exige que la gravité des délits détermine la sévérité des sanctions. Elle
crée ainsi une hiérarchie entre les divers délits et les réponses pénales considérées
comme appropriées. Mais, comme l’a très bien démontré un des « pères spirituels »
de la rétribution moderne, Andrew Von Hirsh (1998), le just desert ne peut apporter
qu’une échelle relative et proportionnelle de la « peine due » et ne détermine en rien le
taux absolu de cette peine. Si un homicide est considéré comme plus grave qu’un vol,
la rétribution implique que la peine infligée doit exprimer ces différences, mais il n’en
découle aucunement qu’un homicide doit être sanctionné par une peine à perpétuité
et un vol à main armée de 10 ans de prison. Et Von Hirsh propose de faire l’exercice
de la tarification rétributive en partant de peines maximales de 3 ans de prison pour
les crimes les plus grave.
Nous savons que ce type d’exercice a amené des réponses très diverses en Europe.
Certains pays européens ne connaissent pas la peine à perpétuité (Croatie, Norvège,
Portugal, Slovénie, Espagne), dans les autres leur application varie énormément (de
15 % en Irlande du Nord à moins de 1 % aux Pays-Bas), ainsi que la proportion de
la peine à servir avant possibilité de libération (de 10 ans en Belgique à 30 ans en
Estonie). Il en va de même pour les autres peines : alors que 85 % des peines de prison appliquées dans les pays scandinaves sont de moins d’un an, plus de 85 % sont
de plus de trois ans en Azerbaïdjan ou en Moldavie (Snacken, 2006). Ces pratiques
se reflètent dans la définition même d’une « longue peine » dans les différents pays
européens : la référence de la Recommandation (2003) 23 du Conseil de l’Europe
aux peines de 5 ans de prison se situe entre les extrêmes de un an ou 18 mois dans les
pays scandinaves à 10 ans dans les pays de l’Europe de l’Est. Ce sont donc finalement
des choix politiques.
1.2. Dissuasion de la récidive
Allonger les peines dans l’espoir de contrer la récidive est un reflexe tout aussi traditionnel qu’inefficace, puisque basé sur une conception erronée et dépassée de la
récidive. Dans la théorie pénale classique ainsi que dans la théorie du choix rationnel
moderne, la récidive est un acte volontaire, commis par un délinquant rationnel qui
pèse les avantages du crime face aux désavantages de la sanction. Il suffit dès lors
d’augmenter la peine pour dissuader les délinquants de récidiver. à la demande du
Home Office, l’Institut de criminologie de l’université de Cambridge fit une métaanalyse des études publiées sur les effets dissuasifs de la sévérité des peines et conclût
que rallonger la longueur de la peine n’augmente pas la dissuasion (Bottoms, Von
Hirsh e.a., 1999). Le Home Office décida de ne pas en tenir compte, apparemment
suivi en cela par la France.
Pourtant, cette conclusion est tout à fait compréhensible en vue des résultats empiriques des dernières années apportées tant par les études axées sur le risque de récidive
que sur celles plus récentes du « desistance ».
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Les premières démontrent que le risque de récidive varie en fonction de facteurs dits
« statiques », tels l’âge, le type de crime et le casier judiciaire, qui sont immuables, et
de facteurs dits « dynamiques », tels des problèmes d’emploi ou de dépendance, sur
lesquels on peut et doit travailler. Ces constatations ont amené un courant international de programmes de traitement à but de limiter le risque de récidive. Le What
works-model ou le Risks, Needs and Responsivity-model, ou RNR-model, développé au
Canada et importé en Angleterre, en Suède, aux Pays-Bas, en Espagne et dans d’autres
pays européens, est basé sur cinq principes :
◆◆ le principe du risque : un programme ne peut être efficace que s’il tient compte du
degré de risque présenté par chaque individu ;
◆◆ le principe des besoins : un délinquant présente des besoins criminogènes et noncriminogènes ; seul le travail sur les besoins criminogènes, tels les problèmes
d’emploi, de dépendance, l’absence de problem-solving skills, des attitudes « procriminelles », réduit le risque de récidive ;
◆◆ le principe de la responsivity : des caractéristiques individuelles influencent les
réactions des délinquants aux traitements proposés ; les programmes de traitement
comportemental donnent de meilleurs résultats que les autres, à condition de tenir
compte des deux principes précédents ;
◆◆ le principe de la professional discretion (liberté professionnelle) : le professionnel doit
pouvoir tenir compte de situations ou de caractéristiques exceptionnelles ;
◆◆ le principe du programme integrity : le traitement doit être appliqué selon les principes élaborés ci-dessus, par un personnel enthousiaste et concerné.
Une méta-analyse de 154 réactions pénales (Andrews e.a., 1990 ; Andrews & Bonta,
2007) amena la conclusion que seuls les programmes de traitement élaborés selon ces
principes réduisent la récidive, avec une moyenne de 50 %, alors que les traitements
« non-appropriés » et les autres sanctions pénales amènent une légère hausse de la
récidive.
Mais de tels programmes sont bien sûr plus compliqués que l’introduction de peines
minimales pour récidivistes.
Les études du «desistance», plus récentes mais à mon avis encore plus prometteuses (Farrall, 2002 ; Maruna & Immarigeon, 2004 ; McNeill & Whyte, 2007), se
concentrent sur les facteurs qui amènent des délinquants, même multi-récidivistes et
persistants, à se détourner de la criminalité. Les résultats démontrent que renoncer
à une vie déviante n’est pas le résultat d’une décision unique et isolée, mais d’un
processus de changement, caractérisé par des vacillations, des ambivalences et des
rechutes temporaires mais de moins en moins fréquentes et graves. Ce processus de
changement est influencé par :
◆◆ l’ âge : la courbe de la criminalité, même sans aucune intervention pénale, se situe
en moyenne entre 15 et 25 ans et diminue fortement après ;
◆◆ des évènements de vie positifs, tels le développement d’une relation affective, la naissance d’un enfant, des responsabilités professionnelles, qui motivent le délinquant
à renoncer aux risques liés à la criminalité et lui offrent une alternative acceptable
(Good lives model) ;
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◆◆
◆◆
le renforcement du human capital (capital humain individuel) du délinquant, où
les programmes du modèle RNR peuvent jouer un rôle important ;
le renforcement du social capital (capital social) du délinquant, en renforçant les
liens avec son entourage et la société. Les récidivistes persistants n’ayant souvent
qu’un capital social (licite) limité, il est important de travailler avec la famille
d’origine, la famille de formation et les réseaux sociaux plus larges (employeurs,
ONG, groupes communautaires...). Des facteurs de succès importants sont l’espoir,
la découverte ou le développement d’une compétence personnelle d’action et de
contrôle (agency, internal locus of control), le développement d’un sens de responsabilité pour les générations futures (generativity).
Inutile de préciser que nous sommes à nouveau très loin de, et même en contradiction
flagrante avec la simple introduction de peines de prison plus lourdes pour récidivistes,
qui ne peuvent que rendre tous ces objectifs encore plus difficiles à atteindre.
2. Prévention spéciale entre neutralisation et réintégration
Cette discussion démontre déjà que la neutralisation par des longues peines n’est pas
une solution à long terme et que la réduction du risque de récidive ne peut passer que
par la réintégration du détenu. Par ailleurs, cette « neutralisation », souvent présentée
comme une période neutre de time out du délinquant, n’est pas si neutre que ça, si l’on
tient compte des effets psychosociaux préjudiciables qui découlent de l’emprisonnement et qui augmentent avec sa durée. En effet, nombre d’études ont démontré que
le choc de l’incarcération et les courtes peines de prison affectent déjà en soi le bienêtre psychologique et les relations sociales des détenus (cf. la majorité des suicides se
commettent en début d’incarcération). Les longues peines y rajoutent encore d’autres
problèmes importants (voir pour un aperçu global Snacken, 1999) :
◆◆ la « prisonisation », ou le développement d’une sous-culture déviante des détenus ;
selon Wheeler, la période maximale pendant laquelle un détenu peut résister à la
vie intérieure de la prison est de 6 mois ;
◆◆ l’« institutionnalisation », ou le développement d’une condition caractérisée par une
régression pathologique vers l’infantilisme, une régression affective, une passivité
accrue et des réactions psychosomatiques ;
◆◆ un accroissement des réactions psychopathologiques, tels la violence intropunitive
(suicides, automutilations) et extrapunitive (agression envers autrui) ;
◆◆ un ajustement institutionnel qui, s’il semble souhaitable du point de vue de l’ordre
intérieur de la prison, s’est avéré contre-productif en ce qui concerne une réintégration réussie après la libération.
Nous savons que ces effets sont influencés tant par des facteurs individuels propres à
chaque détenu que par les conditions et les régimes pénitentiaires offerts. Des études
concluent cependant que, tous facteurs confondus, ce sont la durée de la peine, l’impuissance structurelle des détenus (dépendance du pouvoir coercitif du personnel),
leurs contacts avec le monde extérieur et leurs attentes pour l’après-libération qui
expliquent le mieux l’ampleur de ces réactions. En conséquence, il est important de
réduire la durée de la détention, par exemple par des aménagements de peine, de
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renforcer le confort des détenus dans tous les sens du terme (besoins fondamentaux,
stimulation sensorielle et cognitive, indépendance, acceptation et respect), leur autonomie (un certain contrôle sur leurs vie et environnement, des choix et options offerts,
la participation à l’organisation de la vie en prison) et de rencontrer leurs besoins
existentiels (donner un sens à la vie, garder ou regagner le respect de soi, avoir des
buts à long terme tels l’éducation ou la formation). Un régime actif, de nombreux
contacts avec le monde extérieur et une transition graduelle de la privation de liberté
vers la liberté par des aménagements de peine sont des éléments essentiels à une telle
politique pénitentiaire.
La Recommandation (2003) 23 du Conseil de l’Europe concernant la gestion des
condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée pose dès lors comme
objectifs généraux :
◆◆ « de veiller à ce que les prisons soient des endroits sûrs et sécurisés pour les détenus et les
personnes qui travaillent avec eux ou qui les visitent ;
◆◆ d’atténuer les effets négatifs que peut engendrer la détention de longue durée et à
perpétuité ;
◆◆ d’accroître et d’améliorer la possibilité pour ces détenus de se réinsérer avec succès dans
la société et de mener à leur libération une vie respectueuse des lois. »
Six principes généraux doivent structurer cette gestion (R 3-8) :
◆◆ le principe d’ individualisation : établissement de plans individuels de déroulement
de la peine en tenant compte des caractéristiques individuelles ;
◆◆ le principe de normalisation : la vie en prison doit être aménagée de manière à
être aussi proche que possible des réalités (RPE 2006 : des aspects positifs !) de la
société. Nous avons discerné ailleurs des formes individuelles et collectives de la
normalisation (Snacken, 2002) ;
◆◆ le principe de responsabilisation : donner aux détenus l’occasion d’exercer des
responsabilités personnelles dans la vie quotidienne de la prison (autonomie,
choix) ;
◆◆ le principe de sécurité et de sûreté : distinction claire entre risques présentés pour la
société (« sécurité ») et risques à l’intérieur de la prison (« sûreté ») ; les détenus à
longues peines ou à perpétuité ne sont pas nécessairement des risques à l’intérieur
des prisons ;
◆◆ le principe de non-séparation : détenus de longue durée ou à perpétuité ne doivent
pas être séparés des autres détenus selon le seul critère de leur peine ;
◆◆ le principe de progression : planification individuelle visant à assurer une évolution
progressive à travers le système pénitentiaire, ce qui inclut des aménagements de
peine.
Le retour à la société doit être préparé suffisamment à l’avance, selon des plans spécifiques et individuels basés sur les risques et besoins pertinents, en prenant en compte
les possibilités favorisant une libération et en collaboration étroite avec les autorités
assurant la prise en charge après la libération (R 33). La libération conditionnelle doit
pouvoir être appliquée à tous les détenus, y compris les détenus à perpétuité (R 34 et
Rec (2003) 22 sur la libération conditionnelle Principe 4a).
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3. Prévention générale entre rappel à la norme et dissuasion
Des peines sévères (peine de mort, (très) longues peines de prison) sont souvent supposées renforcer la dissuasion générale, c’est-à-dire non pas par rapport à un délinquant sanctionné mais par rapport au public en général. Les études empiriques sur
la prévention générale semblent cependant suggérer que l’effet dissuasif des peines
sur la criminalité est très limité. Tout d’abord, il ne peut y avoir d’effet que dans des
formes de criminalité rationnelles, et bon nombre de crimes même très graves ne le
sont pas. Ensuite, il apparaît que dans la criminalité rationnelle, c’est plutôt le « rappel
à la norme » d’une part, et « la peur du gendarme » d’autre part, qui font effet. Le rappel à la norme réitère la valeur bafouée par l’acte délinquant en le sanctionnant, mais
il n’est nullement besoin de longues peines pour effectuer ce rappel. Dans « la peur
du gendarme », c’est l’évaluation subjective du risque d’appréhension et la certitude
subjective de la réaction pénale qui influencent les comportements et non pas le type,
la sévérité ou les conditions d’exécution de la peine prévue légalement. C’est la raison
pour laquelle les pays scandinaves, où la prévention générale a toujours été un objectif
important de la politique pénale, se contentent de jours-amendes, de peines en communauté ou de peines de prison relativement courtes (cf. supra ; une peine d’un an est
déjà considérée comme une peine « longue »).
4. Légitimité des peines et punitivité des victimes
et de l’opinion publique
4.1. Victimes
Les recherches victimologiques démontrent que les attentes et besoins des victimes
varient entre individus et selon le type de victimisation (crimes contre la personne ou
contre les biens). Cependant, certains besoins se retrouvent chez toutes les victimes :
le besoin de se sentir reconnu et respecté en tant que victime, le besoin de réparation et de dédommagement par l’auteur de l’infraction, le besoin d’information et
d’explication tant du délit que de la procédure pénale, le support émotionnel. Des
études empiriques ont démontré que ce sont ces aspects-là qui conditionnent la
satisfaction des victimes et la légitimité du système pénal ou pénitentiaire, et non
pas l’allongement des peines ou l’abolition de la libération conditionnelle (McCoy &
McManimon, 2002). Ceci se comprend parfaitement dans le contexte des recherches
psychologiques sur la procedural justice, qui expliquent en effet que l’acceptation d’une
décision judiciaire ou autre dépend plus de la perception de la légitimité et de l’équité
de la procédure décisionnelle que du résultat (Tyler, 2005).
4.2. Opinion publique
Dans une étude comparative des taux d’incarcération des pays d’Europe, résultat du
nombre et de la durée des emprisonnements, et de leurs caractéristiques pénales, politique et sociales, Lappi-Seppällä (2007) démontre que les taux de détention évoluent
indépendamment des taux de criminalité tant officiels que basés sur les enquêtes de
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victimisation. Les éléments les plus pertinents expliquant les différents taux en Europe,
qui varient de 57/100 000 à 575/100 000, sont :
◆◆ les politiques sociales : plus d’investissements sociaux = moins d’inégalité de revenus = moins de recours à la prison, indépendamment de la criminalité ;
◆◆ les structures politiques : les démocraties dites « majoritaires » emprisonnent plus
de citoyens que les démocraties dites « consensuelles » ; ces dernières investissent
aussi plus en politiques sociales ;
◆◆ les sentiments d’insécurité : ils sont plus bas dans les pays ayant les politiques
sociales les plus élaborées et les taux d’emprisonnement les plus bas ;
◆◆ la confiance dans les institutions publiques et dans autrui : elle est la plus forte
dans les pays ayant les politiques sociales les plus élaborées et les taux d’emprisonnement les plus bas.
La légitimité des institutions publiques (judiciaire, politique) ne dépend donc pas
nécessairement de la sévérité des politiques pénales. Au contraire, les pays connaissant
les taux de détention les plus élevés jouissent moins de la confiance du public. Il y a
donc des interactions entre les politiques sociales et pénales :
◆◆ two ways of dealing with social marginality (Becket & Western, 2001),
◆◆ si la légitimité politique est acquise sur base des politiques sociales et de l’égalité
sociale, nul n’est besoin de politique pénale punitive.
4.3. Démocratie versus populisme
Démocratie n’égale pas populisme. Démocratie n’égale pas tyrannie de la majorité.
Dans un état de droit, la démocratie opère dans l’intérêt général, qui inclut les droits
et intérêts des minorités, même impopulaires tels que les délinquants ou les détenus.
Les responsables politiques, parlementaires ou membres du Gouvernement, sont tenus
de rendre compte de leurs choix politiques devant l’électorat. Ils doivent donc pouvoir expliquer, motiver ces choix au nom de l’intérêt général et des effets escomptés
ou prouvés des politiques menées. Des données scientifiques peuvent contribuer à
la validité et la légitimité de ces explications. Cette approche est très différente du
populisme, qui se caractérise par un lien direct entre décisions politiques et ce que
l’on pense être la volonté ou l’opinion publique, sans débats contradictoires et sans se
soucier des effets réels sur l’intérêt général.
Exemples typiques en Europe : l’abolition de la peine de mort, la reconnaissance de
droits des détenus, les politiques pénales favorisant les peines et mesures non privatives de liberté, l’aménagement des peines, la préparation à la réintégration sociale des
détenus.
♦ ♦ ♦
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Intervention d’André Kuhn,
professeur de criminologie et de droit pénal aux universités
de Lausanne et de Neuchâtel - Suisse
Préambule
Ni les victimes, ni le public en général ne réclament des peines plus lourdes. En effet,
d’une part, les sondages de victimisations effectués en Suisse montrent que les victimes ne sont pas plus punitives que les non victimes1 et, d’autre part, une comparaison
entre les peines infligées par un échantillon de juges dans quatre cas fictifs et les
peines désirées par un échantillon de la population pour les mêmes cas montre que la
majorité de la population infligerait des peines moins lourdes que la peine moyenne
infligée par les juges2.
1. Concept d’efficacité
Lorsqu’on parle d’efficacité, on traite généralement de trois choses à la fois3 :
◆◆ de l’effet de la peine sur le condamné et sur sa capacité à vivre en liberté sans
commettre de nouvelles infractions (concepts de prévention spéciale, de [re]socialisation et de récidive) ;
◆◆ de l’effet de la durée de la peine sur les crimes commis dans la société (concept de
neutralisation) ;
◆◆ de l’effet dissuasif de la peine sur les criminels potentiels que nous sommes tous
(concepts de prévention générale et de taux général de criminalité).
1.Killias M., Les Suisses face au crime, Rüegger, 1989, p. 180.
2.Kuhn A., Willi-Jayet A., Villettaz P., « L’influence de l’unité de sanction dans les peines infligées par
les juges et celles désirées par le public », Déviance et Société, 2/2005, p. 221.
3.À propos des fonctions de la sanction, voir Kuhn A., Sanctions pénales : est-ce bien la peine ?, L’Hèbe,
p. 14.
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2. Les connaissances actuelles
2.1. Effet de la peine sur le condamné
On sait que certains programmes de resocialisation sont efficaces et que les taux de
récidive spécifique sont relativement bas4.
2.2. Effet de la durée des peines sur le crime
On sait que la neutralisation n’a pas les effets escomptés dans les années 1970 (neutraliser 18 % des membres d’une cohorte pour diminuer de 50 % les crimes commis
par cette cohorte) car bon nombre d’infractions sont commises par des délinquants
primaires (non neutralisables car inconnus de la justice) et, pour certains crimes, il
existe un remplacement des délinquants neutralisés sur le marché du crime (stupéfiants, tueurs à gages, groupuscules extrémistes, etc.)5.
2.3. Effet dissuasif de la peine
Un effet de prévention générale existe au bas de l’échelle des sanctions (en matière de
port de la ceinture de sécurité et de vitesse sur les routes par exemple 6), mais, à l’inverse, au sommet de l’échelle des sanctions, on a pu relever un effet de brutalisation,
c’est-à-dire d’augmentation de la criminalité (effet de la réintroduction de la peine de
mort aux états-Unis par exemple7). Entre les deux extrêmes de l’échelle des peines, on
ne sait pas encore grand chose sur l’effet des sanctions et de leur durée sur la société.
Une étude récente (octobre 2008)8 a montré que, en Californie, les groupes d’âge que
l’on envoie de plus en plus en prison voient leur taux de criminalité augmenter, alors
que ceux que l’on envoie de moins en moins en prison voient leur taux de criminalité
baisser. De plus, on peut constater que des états très punitifs (tels les états-Unis) ont
des taux de criminalité plus élevés que les états moins punitifs (tels la plupart des
états européens).
La privation de liberté serait-elle ainsi davantage créatrice de criminalité qu’empêcheuse de commettre des crimes ? Les quelques développements présentés ci-dessus
montrent clairement que dans le domaine de l’intimidation et, plus particulièrement,
de la prévention générale, les certitudes de l’époque, ainsi que certaines croyances bien
ancrées aujourd’hui encore, ont de plus en plus de mal à résister aux connaissances
scientifiques nouvelles.
4.Wormith J. S., Althouse R., Simpson M., Reitzel L. R., Fagan T. J., Morgan R. D., « The Rehabilitation
and Reintegration of Offenders: The Current Landscape and Some Future Directions for Correctional
Psychology », Criminal Justice and Behavior, vol. 34, n° 7, 2007, p. 879-892.
5.Kuhn A., Punitivité, politique criminelle et surpeuplement carcéral, Haupt, 1993, p. 96.
6.Killias M., Précis de criminologie, Stämpfli, 2001, p. 452.
7.Bailey W.C., « Deterrence, Brutalization, and the Death Penalty: Another Examination of Oklahoma’s
Return to Capital Punishment », Criminology, vol. 36, 1998, p. 711.
8.Center on Juvenile and Criminal Justice, Does more imprisonment lead to less crime?, disponible sur
Internet à l’adresse http://www.cjcj.org.
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3. Comment évaluer l’efficacité d’une sanction
en fonction de sa durée ?
Il ne suffit pas simplement de comparer le taux de récidive des personnes condamnées
à 5 ans de privation de liberté au taux de récidive des personnes condamnées à 10 ans.
En effet, ces deux durées de peine ne sont pas infligées aux mêmes groupes de criminels. Les « très mauvais risques » se verront infliger des peines de 10 ans, alors que les
« moins mauvais risques » iront en prison pour 5 ans. Les différences de récidive à la
sortie pourront dès lors être attribuées autant à la durée de l’incarcération qu’au degré
de risque que représentait initialement le condamné (nous serions donc en présence
d’une seule équation à deux inconnues). Seule une expérimentation contrôlée9 permettrait d’en savoir davantage sur l’effet de la durée des peines sur la récidive. C’est
ainsi que nous préconisons un tirage au sort parmi les condamnés à 10 ans pour savoir
lesquels on laissera ressortir à la moitié de leur peine déjà et lesquels on gardera jusqu’au
terme de leur sanction. Les deux groupes seront alors comparables pour ce qui est de
leur degré de risque et nous aurions ainsi une équation à une seule inconnue.
♦ ♦ ♦
9.Killias M., Précis de criminologie, Stämpfli, 2001, p. 493.
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Intervention de Jacques Dallest,
procureur de la République près le TGI de Marseille
Deux grands penseurs français et italien du XVIIIe siècle, celui des Lumières, ont
formulé en termes dissemblables la même idée force sur cette question :
◆◆ dans son Esprit des Lois écrit en 1748, Montesquieu assure à ses contemporains
pourtant habitués à l’éclat des supplices selon l’expression de Michel Foucault :
« qu’on examine la cause de tous les relâchements, on verra qu’elle vient de l’ impunité
des crimes et non pas de la modération des peines » ;
◆◆ dans son Traité des Délits et des Peines rédigé en 1764, Beccaria animé de la même
vision humaniste soutient lui aussi que « l’un des plus grands freins opposés aux délits,
c’est non pas la rigueur des peines, mais l’ infaillibilité de celles-ci ».
En d’autres termes, ce n’est pas tant la sévérité de la sanction qui importe que sa
certitude.
Certitude de la peine, certes mais surtout certitude de la mise à exécution de la
peine.
La certitude de la peine est conditionnée par la mobilisation de l’appareil répressif
d’état.
Ainsi, le taux d’élucidation des crimes et délits déterminera en grande part l’ampleur
de la réponse pénale.
Mais pour être certaine et surtout admise, la peine devra emprunter un cheminement
balisé par la loi et comprenant :
◆◆ des textes incriminateurs (codes pénal et de procédure pénale, textes répressifs
annexes toujours plus nombreux dans notre droit) ;
◆◆ des institutions mandatées à cette fin (services d’enquête, juges et procureurs,
auxiliaires de justice, administration pénitentiaire) ;
◆◆ et enfin des principes de fonctionnement démocratiques (publicité, contradictoire,
voies de recours).
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Un schéma en trois temps successifs résume la procédure pénale française :
le temps de l’enquête préparatoire au procès : modèle français dominé par la figure
du procureur et du juge d’instruction, institution typique du système inquisitoire ;
◆◆ le temps du jugement où le président joue un rôle majeur dans la direction des
débats et l’instruction du dossier ;
◆◆ le temps de l’exécution de la sanction, qui est celui de l’application de la peine,
avec ses juges spécialisés et selon des modalités de plus en plus complexes et
diversifiées.
◆◆
Prononcée, la peine doit aussi être exécutée.
La certitude de la mise à exécution de la peine
Le principe de célérité du processus pénal s’est rapidement imposé : « plus le châtiment
sera prompt, plus il suivra de près le crime qu’ il punit, plus il sera juste et utile », nous
dit Beccaria à ce sujet.
Transposé à la phase finale du procès pénal, il signifie que l’accomplissement de la
peine doit être le plus proche de son prononcé.
Mais cette phase ultime qui devrait clore définitivement la procédure constitue en
fait une étape supplémentaire au temps incertain, aléatoire et soumise elle-même à un
régime juridique extrêmement sophistiqué.
La peine prononcée de nature carcérale demeure la grande référence du système pénal
français puisqu’elle est prononcée très majoritairement en matière criminelle.
Une véritable politique de l’exécution des peines s’est progressivement mise en place
en France ces dernières années.
Deux facteurs sous-tendent cette politique pénale spécifique :
1. l’érosion de la peine tout d’abord à caractère quasiment automatique puisque
s’appliquant à tous les condamnés (sauf en matière sexuelle et de stupéfiants).
Les réductions de peine, les grâces présidentielles, l’amnistie finissent par éroder
la peine et permettent une libération anticipée des condamnés.
Cette érosion aide à gérer l’inflation carcérale et devient la variable d’ajustement
de la détention.
2. l’aménagement de la peine est le second facteur. à l’inverse des mesures collectives, les aménagements de peine ne réduisent pas les peines mais permettent
une exécution d’une partie de la peine hors de la prison. Ils sont contraignants et
nécessitent la participation effective du condamné.
Cette concrétisation du principe d’individualisation se décline de nombreuses
façons :
◆◆ anticipation de la sortie de prison par la libération conditionnelle, le placement à
l’extérieur et le placement sous surveillance électronique ;
◆◆ suspension temporaire et fractionnée de l’incarcération par les permissions de
sortir et la semi-liberté.
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Plusieurs enquêtes de démographie pénitentiaire démontrent que la durée de la peine
effectuée par rapport à la peine prononcée évolue peu sur 25 ans et s’établit autour
de 65 %.
Cependant depuis l’abolition de la peine de mort en 1981, on note un phénomène
d’allongement des peines, donc de la durée de l’incarcération.
La surpopulation carcérale a cependant favorisé un double mouvement :
tendance à développer les aménagements de la peine telle qu’évoquée plus haut ;
◆◆ une tendance également à favoriser les alternatives même à la détention.
◆◆ une
En parallèle à l’alternative aux poursuites pénales (rappel à la loi, médiation) et à
l’alternative au procès pénal (composition pénale, plaider coupable) s’est développée
une alternative à l’incarcération : sursis probatoire, bracelet électronique, travail
d’intérêt général, jours-amende, peines privatives de droit, stages divers imposés,
autant de mesures à caractère socio-judiciaire qui se veulent un palliatif à la prison
traditionnelle.
Je terminerai par un retour à la question posée à cette table ronde : l’efficacité de la
sanction passe-t-elle par sa sévérité, c’est-à-dire par sa durée ?
Oui, si l’objectif recherché est l’enfermement carcéral de longue durée, la relégation
sociale et la mise à l’écart durable du condamné.
C’est le questionnement de la longue peine comme facteur de défense sociale qui
s’appliquera inéluctablement aux auteurs de crimes suscitant une très forte réprobation collective (crimes de sang et crimes sexuels, crimes en récidive, crimes en série) et
notamment celle des victimes qui exigent une élimination de longue durée.
La réponse sera sans doute négative si est en vue la seule réadaptation et resocialisation
du condamné.
C’est là le questionnement des troubles de la personnalité dont le soin sera rendu
aléatoire dans le seul espace carcéral.
C’est aussi la problématique du retour à la liberté qui est rendu forcément incertain
par la longueur de la détention.
L’efficacité de la sanction ne doit-elle pas passer aussi, et peut-être surtout, par sa
modulation : peines non privatives de liberté, peines pécuniaires, restrictives de droits,
sanctions socio-éducatives, toutes peines « intelligentes » en ce qu’elles combinent
contrainte et pédagogie.
Mais cette recherche d’efficacité ne suppose-t-elle pas en définitive une adaptation
systématique de la peine à la personne spécifique du condamné libre ou détenu, à
l’évolution de celui-ci durant le processus pénal et à sa volonté non équivoque de
réinsertion et de réparation ?
Rechercher l’efficience, c’est vouloir donner du sens à la peine, la rendre intelligible par
l’auteur de l’infraction, par sa victime et par le corps social tout entier.
La quête de la juste peine, n’est-ce pas là l’impossible mission que s’assigne la société
dans sa réponse aux illégalismes ?
♦ ♦ ♦
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Intervention d’Alain Montigny,
directeur du service pénitentiaire d’insertion et de
probation (SPIP) de la Drôme
S’interroger sur l’efficacité de la sanction pénale, c’est tout d’abord s’interroger sur les
objectifs de cette sanction. C’est se poser la question de l’utilité de la sanction.
C’est ensuite aborder la façon dont on sanctionne, et définir les différentes étapes de
la mesure pénale, pour s’interroger sur l’impact de la durée de la peine.
Cette durée est-elle l’élément le plus déterminant pour évaluer l’efficacité de la peine ?
Le contenu de cette sanction n’a-t-il pas plus d’impact ?
Dans un texte adopté en assemblée plénière le 24 janvier 2002, la Commission
nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) livre ses réflexions sur le
sens de la peine.
Elle pose notamment la question du « pourquoi punir ? », et retient quatre objectifs :
1. donner à chacun sa juste place ;
2. dire le droit au nom de la société ;
3. rouvrir la perspective temporelle d’une réparation ;
4. rétablir la cohésion sociale.
Alors que la durée des peines est en constante augmentation, alors que la lutte contre
la récidive est notamment mise en œuvre en aggravant l’arsenal répressif, la question
de l’efficacité de la sanction pénale, et particulièrement l’impact de sa durée, devrait
donc être regardée à la lumière de ces quatre objectifs.
On peut toutefois considérer que la sanction pénale comporte deux étapes : le temps
de la condamnation et du prononcé de la peine, et le temps de l’exécution de cette
peine.
Ces deux étapes ne devraient pas se confondre. Chacune à son utilité et ses objectifs.
L’exécution d’une peine ne devrait pas être soumise aux seules considérations qui
touchent la condamnation.
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Pourtant, les évolutions récentes tendent à lier plus profondément qu’auparavant ces
deux phases.
Ainsi, mettre en place les peines de sûreté, mettre en place des peines plancher, limiter
la possibilité de réductions de peine pour les récidivistes, c’est faire que la phase de
jugement impacte lourdement la phase d’exécution de la peine.
Or, il est essentiel que la phase d’exécution de la peine conserve la souplesse maximale
pour permettre qu’il soit tenu compte de l’évolution du condamné, de ses besoins et
de ses ressources.
Ainsi, je me propose d’aborder dans une première partie ce qui relève de la phase de
prononcé de la peine, et dans une deuxième partie ce qui relève de la phase de l’exécution de la peine.
1. Ce qui relève du prononcé de la peine
Cette phase essentielle, qui a des conséquences massives sur la deuxième phase, permet
de donner à chacun sa place, et de dire le droit au nom de la société.
1.1. Dire le droit au nom de la société
La « parole de la loi » rompt le tête-à-tête entre auteur et victime en exprimant valeurs
et tabous d’une société. Elle s’adresse à l’ensemble des parties prenantes du conflit
(victime et auteur) mais aussi, plus largement, à l’ensemble de la société, souhaitant
que dire le droit, c’est également prévenir sa violation.
La durée de la sanction devrait ici servir d’étalon, de niveau de réprobation de la société
par rapport à l’acte posé.
Pourtant le droit pénal est en constante évolution, et les sanctions, comme leurs conditions d’exécution sont régulièrement modifiées, parfois profondément.
La CNCDH s’interrogeait sur les risques que représentent d’une part la montée de la
« victimisation » alors que les intérêts de la victime et de la société ne coïncident pas
forcément, et d’autre part la dérive vers le tout juridique et le tout pénal.
Ainsi, au cours des 5 dernières années, au moins 5 lois ont modifié le droit pénal.
La plupart de ces textes ont notamment pour objectifs de répondre au problème de
la récidive des condamnés le plus dangereux. S’adressant a priori à une minorité de
condamnés, ils ont un impact sur la situation de la plupart des détenus.
Conséquence directe, le nombre de condamnés à une peine supérieure à 5 ans a été
multiplié par 2,5 en 15 ans.
1.2. Donner à chacun sa juste place
Le procès a pour fonction de reconnaître à la victime son statut de victime, et en tirer
les conséquences à la fois matérielles et symboliques.
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Parallèlement, il s’agit de conférer à l’auteur de l’infraction le statut de délinquant, et
par là même de lui reconnaître sa nature d’être raisonnable auquel la société s’adresse
en mettant en jeu sa responsabilité pénale.
Le type de peine prononcée et la durée de la sanction pénale ont tendance à situer le
niveau de reconnaissance « sociale » de la gravité de l’acte posé.
Trop souvent, la seule sanction reconnue comme valable est la peine de prison ferme.
Sa durée est le plus souvent considérée comme insuffisante, et la condamnation prononcée est considérée comme devant se purger dans sa totalité. Toute réduction de
peine, tout aménagement, toute prise en compte de l’évolution du condamné sont
vécus comme une remise en cause du statut de victime.
Ce sont du moins les sentiments les plus communément prêtés aux victimes par les
médias de masse, et de plus en plus souvent par les politiques qui aiment surfer sur la
vague victimaire.
Mais une fois posé ce statut de victime, la durée de la sanction n’a pas d’impact direct
sur sa reconnaissance.
Le fait de condamner un auteur d’infraction plus lourdement parce qu’il est en état de
récidive ne confère pas, pour autant, un statut plus solide à la victime.
C’est bien le contenu de la sanction, ce qu’il se passera pendant la phase de son exécution, qui contribuera, plus que sa durée, à reconnaître ses droits.
De même si l’on se place du point de vue du condamné, la durée de la sanction peut permettre le temps de maturation parfois nécessaire à l’acceptation de sa responsabilité.
Il est pourtant tout à fait possible en France, aujourd’hui, de purger une peine, même
ferme, même longue, sans jamais questionner son passage à l’acte ou la prise en compte
de la victime.
Certes dans ce cas, il est possible voire probable qu’aucun aménagement ou aucune
remise de peine ne sera envisagé. Mais la victime sera-t-elle pour autant reconnue ?
L’auteur sera-t-il pour autant face à ses responsabilités ?
La phase de condamnation ne répond donc pas seule à cet objectif de donner à chacun
sa juste place. La phase d’exécution de la peine y contribue également et de façon plus
prégnante.
2. Ce qui relève de l’exécution de la peine
Cette phase est caractérisée d’une part par le mode d’exécution de la peine, et d’autre
part, par son contenu.
C’est le principe de l’individualisation de la peine qui permet à cette phase d’être
efficace.
Elle répond autant que la phase de condamnation aux objectifs de la sanction, qui
sont recherchés par les dispositifs mis en œuvre, mais qui se heurtent aux limites liées
à la réalité carcérale.
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2.1. Les objectifs poursuivis au cours de cette phase
La reconnaissance de la place de chacun.
2.1.1. Celle de la victime
L’exécution de la peine, selon qu’elle est une peine de prison ferme, ou une peine alternative à l’incarcération, conférera une place différente à la victime.
à titre d’exemple, dans une mesure telle qu’un sursis avec mise à l’épreuve, l’obligation
d’indemniser la victime peut être décidée par la juridiction de jugement ou par le juge
de l’application des peines. Il en va de même de l’interdiction d’entrer en contact avec
la victime.
Ainsi, le maintien même de la mesure est soumis à la satisfaction de ces obligations.
Toute violation ou toute absence d’effort dans ce domaine peuvent être sanctionnés
par la révocation de cette mesure et par l’incarcération du condamné.
Dans le cadre d’une peine de prison ferme, la victime est prise en compte de deux
façons :
◆◆ par le biais de son indemnisation :
• les règles de gestion du pécule des détenus prévoient qu’une partie des sommes
reçues soit réservée pour les victimes,
• les réductions de peine supplémentaires, prévues à l’article 721-1 du Code de
procédure pénale (CPP), qui sanctionnent des efforts sérieux de réadaptation
sociale, peuvent notamment être accordées si le détenu s’efforce d’indemniser
ses victimes ;
◆◆ par le biais des enquêtes victimes : avant d’accorder une mesure d’aménagement
de peine, le juge de l’application des peines peut faire procéder à une enquête,
qui peut être confiée au SPIP, et qui vise à évaluer les conséquences d’une mesure
d’individualisation de la peine sur la situation des victimes.
De plus, conformément à l’article 723-4 du CPP, l’octroi ou le maintien d’une
mesure d’aménagement de peine tel que le placement sous surveillance électronique, la
semi-liberté ou le placement extérieur, peuvent être soumis, notamment, à l’obligation
d’indemniser les victimes.
2.1.2. Celle du condamné
L’aménagement de la peine ou le prononcé d’une peine alternative à la prison
devrait pouvoir conférer au condamné sa place, et le faire prendre conscience de sa
responsabilité.
Toutefois, puisque la peine de prison est souvent vécue comme la peine de référence, faire l’objet d’une autre condamnation peut être vécu comme une absence de
sanction.
C’est le travail d’accompagnement réalisé par le SPIP qui permettra la prise de
conscience. Les obligations assortissant ces mesures y contribueront. Le mode de
prise en charge – la plupart du temps individuelle mais qui peut également, en milieu
ouvert, prendre une forme collective – doit pouvoir permettre de prendre en compte
cette dimension.
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En détention, les nouveaux dispositifs développés actuellement au sein des SPIP,
notamment dans le cadre des programmes de prévention de la récidive, peuvent contribuer à améliorer l’efficacité de la peine dans ce domaine.
2.2. Rouvrir la perspective temporelle d’une réparation et rétablir
la cohésion sociale
Il s’agit ici de la réparation symbolique que recherchent tant de victimes.
La CNCDH insistait sur la nécessité de distinguer deux phases :
le temps de la séparation (de l’auteur et de la victime mais aussi du délinquant par
rapport au corps social au travers de la condamnation même) ;
◆◆ le temps de la réinsertion et de la réintégration du condamné, qui passent par
la prise de conscience de son acte et par le fait d’assumer sa responsabilité en
effectuant sa peine.
◆◆
Comme le décrit parfaitement Monsieur Filippini dans un texte intitulé « Assumer
la prison pour la changer », « rien ne peut se faire si le temps du dehors et le temps du
dedans ne sont pas liés ».
La peine ne peut avoir d’efficacité que si elle permet au condamné de réintégrer le corps
social dans les meilleures conditions possibles.
Le temps de l’enfermement, de la séparation doit donc être consacré à la préparation
de la seconde phase qu’est celui de la réinsertion et du retour dans le corps social.
Après avoir contribué à rétablir l’ordre public, la sanction doit permettre au condamné
de recouvrer ses capacités sociale et civique. Les dispositifs d’insertion mis en œuvre
sont tournés vers cet objectif. Pour qu’ils soient efficaces, il est impératif que les
condamnés soient vécus comme des citoyens à part entière, soumis aux mêmes devoirs,
mais bénéficiant des mêmes droits que les autres.
Les condamnés, qu’ils soient détenus ou non, doivent pouvoir bénéficier des dispositifs
de droit commun.
L’action de l’administration pénitentiaire, et particulièrement celle de SPIP doit constituer un pont, une courroie de transmission vers ces dispositifs.
L’aménagement des peines de prison, ou tout au moins de la fin de ces peines, a
démontré son intérêt en jouant un rôle de « sas vers la liberté ».
3. Les moyens mis en œuvre
3.1. Les dispositifs
Tous les dispositifs mis en œuvre en milieu fermé ont pour vocation d’améliorer les
capacités d’insertion du condamné.
Qu’il s’agisse de santé ou d’éducation pour la santé, de scolarité, de formation professionnelle, de sport ou de culture. Qu’il s’agisse des programmes de prévention de
la récidive développés actuellement par les SPIP, tout ce qui est tenté en milieu fermé
est tourné vers la préparation de l’après-détention.
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Les projets d’exécution de la peine développés en établissement pour peine ont pour
objectif de rendre cohérents les différents dispositifs mis en œuvre au bénéfice d’un
détenu, et de le rendre acteur de son parcours en détention. Ces dispositifs sont appelés
à se généraliser également en maison d’arrêt dans le cadre de la mise en œuvre des
règles pénitentiaires européennes.
Parallèlement, des projets de prévention de la récidive sont expérimentés depuis quelques mois au sein de plusieurs SPIP, en milieu ouvert en direction de condamnés à des
peines alternatives à la prison, ou en milieu fermé en direction de détenus.
Il s’agit notamment de groupes de parole centrés sur la question du passage à l’acte,
qui ont pour vocation de replacer le condamné comme acteur, comme sujet capable
de réflexion et de verbalisation, y compris de la règle.
3.2. Des modes d’exécution de la peine qui se diversifient
Purger une peine de prison en France aujourd’hui, ne se déroule plus systématiquement entre les quatre murs d’une cellule. Le nombre de condamnés bénéficiant d’un
aménagement de peine est en augmentation constante depuis ces dernières années.
Le placement sous surveillance électronique est venu petit à petit prendre une place
prépondérante aux cotés de la semi-liberté et du placement extérieur.
Les agents des SPIP ont désormais un rôle essentiel de préconisation du mode d’exécution le plus adapté. Pour continuer à jouer pleinement ce rôle, ces services doivent
pouvoir disposer de moyens suffisants pour effectuer leur mission. La phase de préparation de l’aménagement de peine est notamment essentielle.
à titre d’exemple, proposer un placement sous surveillance électronique, c’est proposer
un déplacement du lieu de surveillance, c’est en quelque sorte transformer sa sphère
privée en lieu de détention.
Un tel choix ne peut se faire sans prendre le temps d’en évaluer sérieusement les conséquences. C’est l’enjeu de l’enquête de faisabilité réalisée par le SPIP.
Bénéficier d’un aménagement de peine, c’est mettre en œuvre un projet d’insertion
dans de meilleures conditions, c’est éviter les « sorties sèches », sources de difficultés
d’insertion.
Pour autant, imaginer que tout condamné puisse bénéficier d’une telle mesure n’est
pas adapté à la situation actuelle où, notamment, un nombre important de condamnés
font l’objet de souffrance psychiatrique.
Toutefois, pour permettre au plus grand nombre d’en bénéficier, il est primordial que
l’arsenal soit le plus diversifié possible. Il est notamment essentiel de permettre aux
dispositifs de placement extérieur de se développer. C’est la mesure la plus adaptée aux
publics « bas de seuil », les plus éloignés de l’insertion.
4. Les limites
Ces dispositifs d’insertion se heurtent toutefois aux limites liées aux réalités du monde
carcéral actuel et aux moyens dévolus à l’exécution des peines.
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4.1. La surpopulation
La principale limite est la surpopulation et ses conséquences sur les conditions de
détention.
Montrées du doigt par différentes autorités internationales, elles viennent à nouveau
d’être dénoncées dans un mémorandum de Monsieur Hammarberg, commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui, tout en reconnaissant les efforts
réalisés par l’administration pénitentiaire, écrit : « Les conditions de vie sont encore
inacceptables pour nombre de détenus qui doivent subir le surpeuplement, la promiscuité
et la vétusté des installations et des conditions d’ hygiène. »
Les évolutions constatées ces dernières années démontrent :
◆◆ une augmentation massive du nombre de condamnés écroués : en 4 ans, le nombre
de condamnés détenus est passé de 38 500 à 47 000, soit une augmentation de
22 % ;
◆◆ une augmentation importante du nombre de peines aménagées : en 4 ans, elles
sont passées de 2 500 à 6 000 ;
◆◆ la deuxième évolution ne compense pas la première, d’où une augmentation du
nombre de personnes hébergées en établissement pénitentiaire : ils étaient au
1er novembre 2008, 63 700 pour 51 000 places.
Ces évolutions donnent parfois le sentiment, notamment aux membres des SPIP, que
les efforts consentis pour permettre plus d’aménagements de peine ne servent qu’à
alimenter une machine insatiable.
Cette tendance au surencombrement, loin de s’améliorer avec les ouvertures de nouveaux établissements, est en voie d’aggravation : les multiples évolutions législatives
mises en œuvre depuis 2002 contribuent à faire évoluer la politique pénale dans un
sens plus répressif.
Il est donc essentiel que les politiques publiques permettent de mettre en adéquation
les moyens consacrés à l’exécution de la peine avec les besoins.
4.2. Des moyens dévolus à l’exécution des peines pas toujours adaptés
Pour que les objectifs de la sanction soient atteints, il est essentiel que les sanctions
pénales soient mises en œuvre rapidement.
Plusieurs évolutions récentes ont permis d’améliorer les résultats dans ce domaine.
Toutefois, les délais ont du mal à être respectés du fait de l’augmentation du nombre
de mesures, mais également de l’adaptation insuffisante des moyens tant judiciaires
qu’administratifs.
Un nombre important d’aménagements de peine est prononcé avant la mise à exécution des peines inférieures à 1 an dans le cadre de l’article 723-15 du CPP. Pourtant,
de nombreuses peines échappent encore à ce dispositif. à une période où le législateur envisage d’élargir ce dispositif aux peines inférieures à 2 ans, ce qui génère des
inquiétudes chez nombre de professionnels, il serait utile de réfléchir aux conditions
permettant l’examen systématique de toutes les peines inférieures à 1 an, y compris
celles résultant d’une révocation d’une peine alternative à la détention.
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Il serait notamment utile que le législateur prévoie l’impossibilité de prononcer le
maintien en détention ou de prononcer un mandat de dépôt lors d’une condamnation
courte.
Conclusion
La durée de la sanction pénale n’est donc pas l’élément prépondérant lorsqu’il s’agit
d’évaluer son efficacité.
Le contenu de la sanction et son mode d’exécution ont un impact beaucoup plus fort.
Pour que la sanction soit efficace, ils doivent être fonction de l’évolution du condamné,
de ses besoins et de ses ressources (de ses capacités).
Les personnels des SPIP ont un rôle essentiel, reconnu dans de nombreux rapports,
dont celui de Monsieur Hammarberg. Les méthodes qu’ils mettent en œuvre doivent
leur permettre de prendre une place centrale dans l’exécution de la peine, en assurant
un rôle de préconisation du mode d’exécution de la peine le plus adapté.
Pour ce faire, il est essentiel que les politiques publiques soient tournées vers une
démarche énergique de prévention de la surpopulation carcérale, notamment en
permettant une diversification des modes d’exécution de la peine.
Le projet de loi pénitentiaire, présenté cet été en Conseil des ministres, pourrait permettre d’aller dans cette direction.
♦ ♦ ♦
échanges avec la salle
Question de Paul Louchouarn, directeur de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis
M. Kuhn met en cause l’effet intimidateur des sanctions du haut de l’ échelle pénale
et il indique que la « brutalisation » de l’État entraîne une « brutalisation » des actes
criminels. Or la faiblesse du taux d’ élucidation des faits criminels tels que les vols à
main armée ne suffit-elle pas à expliquer l’absence de caractère dissuasif des peines
encourues ?
Jacques Dallest
La certitude de la peine est plus importante que son éventuelle sévérité, à ce titre le taux
d’élucidation est en effet déterminant. Il existe aujourd’hui plus de moyens techniques
et scientifiques qui permettent une meilleure élucidation des affaires. à titre d’exemple,
sur Marseille, seules 40 % des affaires de braquage sont élucidées.
Beaucoup de crimes sont toutefois réalisés de manière impulsive, l’auteur ne réfléchissant donc pas au risque de la peine encourue au moment du passage à l’acte. Pour ces
crimes, l’effet intimidateur de la durée de la peine n’a pas d’impact.
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André Kuhn
Attention, nous devons être vigilants à ne pas tout dire et son contraire. Nous ne
pouvons pas à la fois évoquer l’effet intimidateur de la certitude de la peine et affirmer
ensuite que le passage à l’acte dans certaines hypothèses n’est pas réfléchi quant à ses
conséquences. Des recherches criminologiques sont absolument nécessaires dans ce
domaine.
Sonja Snacken
En Scandinavie, l’accent est mis sur la prévention générale par un rappel à la norme
très important et des peines de prison prononcées beaucoup plus courtes. La perception subjective du délinquant est essentielle.
Intervention de Pierre Lamothe, psychiatre, médecin chef du SMPR de Lyon
Je souhaiterais aborder deux thèmes, le premier est l’érosion de la peine et le second
concerne la place de la victime dans le procès pénal.
Sur l’érosion de la peine, du fait du jeu des réductions de peine, les magistrats ont
souvent tendance à majorer la durée de la peine. La question que nous devons nous
poser est de savoir si nous avons intérêt à laisser la peine en l’état ; la question fondamentale alors est celle de la désespérance. Désespérance à laquelle sont confrontés
les professionnels qui interviennent en milieu carcéral et en particulier le surveillant
lorsqu’il ouvre la porte d’une cellule et se trouve face à un homme qui lui demande
« Donnez-moi une raison de vivre ». Désespérance du condamné qui subit une peine
trop longue et difficilement aménageable.
Sur le second point, je suis partisan d’un découplage absolument nécessaire entre
le procès pénal et la victime. Des courants de pensée font apparaître qu’il est indispensable de retrouver un corps ou d’identifier l’auteur de faits criminels pour faire
« notre deuil ». Je m’inscris en faux contre cette affirmation. La victime a avant tout
un travail à faire avec elle-même sur les faits dont elle a été victime, il ne devrait pas y
avoir d’interférences avec le procès pénal.
Intervention de Béatrice Duliepre, service correctionnel du Canada
À propos des programmes de prévention de la récidive mis en œuvre au Canada, la
question centrale est celle de l’adhésion. S’il y a adhésion de la personne suivie, il y a
une forme de contractualisation. L’adhésion doit être prouvée pour obtenir un aménagement de peine. Dès lors, la question est comment faire adhérer la personne suivie ?
Question de Jérôme Harnois, directeur du centre pénitentiaire pour hommes de
Rennes
Je souhaite interroger les intervenants à la table ronde sur la question de l’efficacité
des courtes peines d’emprisonnement. Nous avons fait une étude récente au sein de la
direction interrégionale de Rennes qui a montré que 25 % des entrants avaient des
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peines à effectuer inférieures ou égales à 3 mois. Je m’ interroge sur l’efficacité de ces
peines durant lesquelles il est difficile d’entreprendre quoique ce soit pour préparer la
sortie des intéressés.
Jacques Dallest
D’une certaine manière, vous remettez en cause l’intérêt de la prison elle-même. Je
suis procureur de la République et mon rôle est d’appliquer la loi. Certaines peines
sont des peines de 6 mois et c’est comme ça.
Alain Montigny
36 % de nos condamnés ont une peine inférieure à 1 an et 18 % d’entre eux ont une
peine inférieure à 6 mois. Nous devons nous interroger sur la mise à exécution de ce
type de sanction. Il faut trouver une forme alternative le plus souvent possible et se
rappeler qu’il y a deux temps : celui de la sanction et celui de l’examen des modalités
d’exécution de celle-ci.
Questions de Nelly Hur, doctorante en pénologie, université Lyon 3.
Tout d’abord quel est l’ intérêt de prononcer des courtes peines pour les aménager
ensuite ? Deuxième question : sur l’ influence des victimes sur le procès pénal, quel type
de procédure peut-on imaginer pour la victime si l’on dissocie sa prise en compte du
procès pénal ? Enfin, je m’ interroge sur le terme d’« efficacité » en matière pénale.
Alain Montigny
En ce qui concerne l’aménagement des courtes peines, l’arsenal juridique existe mais
il est peu utilisé, notamment les aménagements de peine ab initio prévus par l’article
723-15 du Code de procédure pénale. Il est apparemment difficile pour le juge de se
prononcer rapidement par rapport aux éléments qui sont portés à sa connaissance à
l’audience pénale. Il est aussi nécessaire que les courtes peines de prison existent. Cela
permet une meilleure adhésion de la sanction par le condamné.
André Kuhn
De nombreux pays ont supprimé les courtes peines, ce n’est pas forcément une bonne
chose car les juges vont jusqu’au seuil minimum (6 mois par exemple) plutôt que de
renoncer à prononcer une peine de prison ferme.
♦ ♦ ♦
125
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