UNIVERSITE PIERRE MENDES FRANCE INSTITUT D'URBANISME DE GRENOBLE Contextualisation et pertinence d'une recherche‐action pour la construction d’un habitat populaire à Usme en Colombie Master 2 "Sciences du Territoire" Spécialité Urbanisme, Habitat et Coopération Internationale Septembre 2011 Jégouzo Jérémy Sous la direction de : Emmanuel Matteudi Responsable d’apprentissage : Jean François Parent 2 AUTEUR TITRE Jégouzo Contextualisation et pertinence d'une recherche‐action pour la construction d’un habitat populaire à Usme en Colombie DIRECTEUR DE Emmanuel Matteudi MEMOIRE COLLATION MOTS‐CLES Jérémy UPMF, IUG Nb. De pages Nb annexes Nb de référ. Bibliographiques 126 4 35 Recherche‐action ; Habitat populaire ; Territoire d’action ; Processus de production de la ville ; Transformation ; Volonté politique ; Crise de la ville ; Développement urbain. TERMES GEOGRAPHIQUES RESUME Usme ; Bogotá ; Colombie La majorité des villes du monde traverse aujourd’hui une situation de « crise » car elles ne parviennent plus à offrir à une grande partie de leur population les conditions nécessaires à un réel habité (accès au travail, à un cadre de vie de qualité, etc.). Les réponses face à cette « crise » semblent aujourd’hui insuffisantes car elles s’appuient souvent sur des problèmes sectorisés (transport, logement, etc.). Partant de ce constat, un certain nombre d’acteurs de la ville (élus, urbanistes, architectes, etc.) se sont réunis en 2008 et ont fondé le Laboratoire International pour l’Habitat Populaire (LIHP). Le LIHP cherche les moyens de dépasser cette « crise » à partir de la réalité en tentant d’aborder le problème différemment. Il travaille donc avec plusieurs territoires d’action dont celui d’Usme, au sud de Bogotá en Colombie. Ce territoire majoritairement rural est aujourd’hui confronté au développement urbain de Bogotá qui n’offre pas les conditions favorables à l’émancipation sociale de la population d’Usme. Cette situation entraine un certain nombre de problèmes qu’il s’agit de dépasser afin d’offrir à ce territoire un habitat de meilleure qualité. Ce territoire concentre un grand nombre d’enjeux contemporains liés au développement des villes (politique, social, écologique, culturel, etc.). Il représente donc une opportunité unique de transformer une situation problématique et offre la perspective de trouver des solutions riches de par ces enjeux. C’est le travail entrepris par le LIHP avec plusieurs partenaires colombiens (habitants, universités, aménageurs urbains, etc.). Cet ensemble d’acteurs se donne aujourd’hui les moyens de dépasser cette situation collectivement à travers une démarche dite de recherche‐action. Le processus engagé à Usme a donc pour intérêt d’agir tout en réfléchissant sur l’action menée. Cependant, la démarche engagée par le LIHP n’en est encore qu’à ses débuts, il est donc essentiel d’étudier comment une telle démarche peut engager un processus d’habitat populaire. Processus, qui permettra d’influencer la transformation du système actuel de production et de réflexion de la ville de Bogotá, tout en offrant à terme, un habitat de qualité et un accès à la ville à la population d’Usme. 3 UNIVERSITE PIERRE MENDES FRANCE INSTITUT D'URBANISME DE GRENOBLE Contextualisation et pertinence d'une recherche‐action pour la construction d’un habitat populaire à Usme en Colombie Master 2 "Sciences du Territoire" Spécialité Urbanisme, Habitat et Coopération Internationale Septembre 2011 Jégouzo Jérémy Sous la direction de : Emmanuel Matteudi Responsable d’apprentissage : Jean François Parent 4 5 Remerciements Pour commencer, je tiens à saluer ma collègue de travail, Vanessa Becciu, pour la patience dont elle a fait preuve tout au long de notre expérience au sein du LIHP. Ensuite, tous les membres du Comité Scientifique à commencer par Jean François Parent qui m’a suivi et conseillé tout au long de mon apprentissage. De même, je remercie Jean Pierre Bouanha, Pascal Acot, Jean Foucambert, Christian Pédelahore, Gerald Souillac et Yves Parent ainsi que tous les membres du groupe de Los Diez pour les échanges très enrichissants que nous avons pu avoir lors des Comités Scientifiques et autres réunions. Je ne peux que souligner l’accueil de nos collègues colombiens lors de notre mission à Bogotá. Je commencerais par Giovanny Salcedo qui m’a accompagné tout au long de la mission pour la mettre sur de bons rails. Ainsi qu’aux autres étudiants de l’Universités Nationale de Colombie, Johan Avendaño, Aureliano Camacho, Eloisa Vargas et Gabriela Perez qui m’ont fait connaître leur ville, de jour comme de nuit. Merci aux professeurs de l’Universités Nationale de Colombie et de la Santo Tomas, Luis Carlos Jimenez Reyes, Virgilio Becerra, Andrés Salcedo, Adriana Parias et Angelica Mendoza pour leur participation à la démarche menée à Usme. Je remercie également les membres des communautés d’Usme, parmi lesquels Javier Reyes, Jaime Beltrán, Argenis Hernandez et Morris Hector Vasquez pour nous avoir fait découvrir leur territoire avec passion et engagement. Je salue Emmanuel Matteudi pour ses conseils qui m’ont guidé pour la rédaction de ce mémoire. Enfin, un grand merci à Georgia pour la relecture… 6 Avant propos Partageant le constat que la « crise »1 de la ville à l’échelle mondiale est intrinsèquement liée à celle de l’habitat populaire2, différentes personnalités (élus, urbanistes, architectes, habitants, chercheurs, etc.) se sont rencontrées en octobre 2008 à Medellin (Colombie) afin d’engager une action commune. Après quatre journées d’échanges d’expériences, de réflexions et de questionnements mutuels, il a été décidé collectivement de la création du Laboratoire International pour l’Habitat Populaire (LIHP). Le LIHP s’est donc constitué juridiquement en 2009 en tant qu’association française à but non lucratif de loi 1901. Il est désormais constitué d’un Comité Scientifique (CS) et d’un Conseil d’Administration (CA) et son siège est situé à Saint‐Denis. A travers sa charte fondatrice, produit de ces journées de travail, le LIHP se donne pour objectif de « rechercher les conditions et les moyens de concevoir et de mettre en œuvre un aménagement urbain et une architecture capable de répondre aux besoins de la majorité de la population. »3 Pour parvenir à cela, le LIHP se veut être l’outil d’une démarche de transformation du système de production de l’habitat populaire. Dans le cadre de mon Master professionnel Urbanisme, Habitat et Coopération Internationale, j’ai réalisé un apprentissage d’une durée de neuf mois au sein du Laboratoire International pour l’Habitat Populaire. Les apprentissages étant généralement d’une durée de douze mois, il est à noter ici que ma mission au sein du LIHP s’est déroulée dans un temps plus restreint. Un autre élément indispensable à la compréhension du travail mené ici, est, que ce mémoire viendra en continuité avec celui de Vanessa Becciu et cherchera à être complémentaire avec celui‐ci. Etant donné que nous avons travaillé ensemble durant ces neuf mois, nos mémoires bien que différents ont pour objectifs de construire et d’approfondir la démarche du LIHP, l’un s’alimentant de la réalité du terrain, l’autre s’appuyant sur la situation idéologique du LIHP dans le champ de l’urbain. Ma mission principale a été de travailler au sein du territoire d’action4 Usme situé au sud de Bogotá en Colombie.5 Cette mission s’est déroulée en quatre grandes étapes complémentaires et constitutives d’une seule et même démarche de recherche‐action.6 La première étape a été de mobiliser un certain nombre d’acteurs autour du territoire d’action Usme. Parallèlement à cela, un document de travail a été élaboré collectivement par le comité scientifique 1 Nous entendons ici la notion de crise comme une situation problématique à dépasser Nous entendons ici la notion d’habitat populaire comme un processus d’élaboration d’un habitat de qualité réalisé par et pour tous 3 Texte fondateur du LIHP, 2008 4 Nous entendons ici la notion de territoire d’action comme un territoire sur lequel est engagé un processus d’habitat populaire 5 Voir l’annexe 4, page 3 du document 6 Nous entendons ici la recherche‐action comme un processus visant à transformer la réalité en la rendant intelligible à tous 2 7 relatant de l’état actuel du territoire d’Usme. Ce document étant amené à évoluer toute au long de l’action du LIHP à Usme. La deuxième grande étape, que l’on pourrait considérer comme le cœur de la mission, fut un séjour de cinq semaines à Bogotá pour concrétiser cette mobilisation en constituant un groupe de travail. Une fois ce groupe constitué, il a été possible de travailler collectivement sur les spécificités et les problématiques du territoire d’Usme en approfondissant le document de travail réalisé en amont. La troisième étape a été celle du suivi de la mobilisation du groupe de travail suite à la mission. Grâce aux journées de travail effectuées en Colombie et aux informations récoltées, nous avons pu retravailler et approfondir le document de travail. Une dernière étape, toute aussi importante, a été la rédaction de ce mémoire qui permet de faire un bilan de l’action menée toute au long de la mission. Ce travail constitue donc une sorte de document analytique de la démarche du LIHP au sein du territoire d’action Usme. Toutes ces phases de travail ne sont pas indépendantes les unes des autres car elles ne prennent réellement de sens pour le LIHP que lorsqu’elles sont considérées dans leur ensemble. Cependant, chaque étape participe à la construction d’une seule et même démarche dite de recherche‐action. Nous comprendrons dans ce mémoire que cette démarche ne propose pas de modèles ou de solutions pratiques à appliquer. Ce serait donc une erreur de ne pas rappeler ici que ce mémoire n’a rien d’un document de démonstration d’une méthodologie, c’est avant tout un élément qui participe à la construction d’une démarche, d’un processus innovateur dans le domaine de l’urbain et qu’à cette fin, il doit apporter des éléments de réflexion et des pistes d’amélioration d’une démarche qui n’en est qu’à ses débuts. Bien que ce mémoire ne constitue en rien une finalité, il tentera néanmoins de formaliser certains aspects de la démarche qui semblent pertinents au regard des résultats obtenus au sein du territoire d’action. Il est également important de noter ici qu’il n’y a eu aucun commanditaire pour le travail réalisé à Usme. Etant donné que le LIHP est en construction, il doit s’ouvrir des portes et gagner sa place dans le monde de l’action et de la recherche urbaine. C’est donc le LIHP qui s’est résolu à intervenir à Usme, considérant ce territoire comme une opportunité de par sa complexité, riche d’enjeux et porteuse de solutions créatrices. C’est la « crise » présente sur ce territoire ainsi que son devenir qui constituent la volonté du LIHP d’engager un processus d’habitat populaire à Usme et c’est à cette fin que le LIHP a impulsé la constitution d’un groupe de travail binational constitué de différentes personnalités. 8 Sommaire Introduction Partie I – Pourquoi le Laboratoire International pour l’Habitat Populaire ? Chapitre 1. Quelques aspects de « la crise de la ville » Chapitre 2. Quand la réponse pose problème Chapitre 3. Face à cette « crise » : Les propositions du LIHP Partie II – Démarche engagée sur le territoire d'action Usme Chapitre 1. Pourquoi ce territoire d'action ? Chapitre 2. Première approche du territoire d'action Chapitre 3. Mission en Colombie, au cœur de la recherche‐action Chapitre 4. Poursuite du travail après la mission Partie III – Retour sur la démarche et mise en perspective Chapitre 1. Bilan de la démarche entreprise Chapitre 2. Perspectives et propositions pour la démarche du LIHP à Usme Conclusion 9 12 12 23 34 47 47 52 53 64 66 66 77 93 9 Introduction Le monde est aujourd’hui devenu majoritairement urbain. Le processus d’urbanisation rapide engagé il y a maintenant plus de 150 ans expose aujourd’hui l’humanité à un défi considérable : offrir de la ville au million d’être humain qui arrive chaque semaine dans les centres urbains du monde. Défi qui dépasse aujourd’hui largement la capacité d’organisation de l’Homme. Les villes du monde sont en effet arrivées à un moment crucial de leur histoire : Soit elles arrivent à offrir des conditions de vie permettant l’émancipation de l’Homme, soit l’humanité restera engluée dans une précarité quotidienne. Les processus de production et de réflexion de la ville actuels ne permettent pas de répondre à ce défi. Le monde de la recherche urbaine et les « faiseurs de ville »7 s’accordent désormais à dire qu’il y a une véritable « crise de la ville ». Selon les chercheurs et les points de vue, il semblerait que cette crise ait pour origine nombre de facteurs qu’ils soient internes ou externes à la ville. Cependant et bien que cette notion de « crise » semble toujours être en construction, certaines familles d’acteurs semblent d’ores et déjà s’attacher à trouver le ou les remède(s) à cette « crise ». Mais de quel(s) remède(s) parle‐t‐on ? L’action semble être l’élément indispensable à la construction de réponses encore faut‐il que cette action soit justifiée. Et pour être justifiée, elle doit s’attacher à répondre aux bons problèmes. Cependant, les réponses offertes par le domaine scientifique sont nombreuses et parfois établies sur des problèmes qui paraissent être mal cernés ou dont l’appréhension semble reposer sur des éléments toujours en débat. Il en va que la réponse à un problème mal posé s’en trouve automatiquement limitée. Ainsi, certaines personnalités de « l’action urbaine », tels que les animateurs de politiques publiques qu’elles soient sociales ou à visée purement urbanistique mais aussi les architectes et les urbanistes, se retrouvent dans l’impasse. Pour faire émerger des solutions, un travail est nécessaire et ce travail ne doit en aucun cas reposer sur des éléments dits acquits et dont la rigueur scientifique semble avoir de plus en plus de mal à s’affranchir. Ainsi le domaine scientifique agit aujourd’hui dans un cadre qui lui est imposé, un chercheur ne peut que difficilement sortir de son rôle d’aide à la décision voir d’accompagnateur à certaines occasions. Bien sûr, la critique de l’ordre établi est toujours facile. D’un certain point de vue, on pourrait même la qualifier d’évidente lorsque l’on voit l’état des villes à travers le monde. Mais cette critique est valable et justifiable seulement si des propositions concrètes sont faites face à cette situation. C’est de ce constat qu’est né le LIHP. Il affirme son souhait de voir la recherche et l’action urbaine se faire de manière commune et concrète afin de ne pas disperser les efforts. Mais ce double processus doit avoir 7 Allusion au livre Thierry Paquot, « les faiseurs de ville, 1850‐1950 », Broché, 2010, 510 p 10 un objectif unique, celui d’offrir un habitat de qualité à tous. C’est ce qu’affirme le LIHP en prenant le point de vue de l’habitat populaire qui doit passer au dessus de tout autre intérêt. Celui‐ci représente un engagement politique fort, celui de ne pas accepter de voir la situation actuelle perdurer. Mais pour engager une telle action et parvenir à l’élaboration d’un habitat populaire, il est indispensable de chercher les solutions au sein d’un territoire8 permettant de porter la réflexion à partir du terrain ou plus exactement du lieu. En ce sens le LIHP ne souhaite pas être déconnecté des réalités de celui‐ci mais souhaite au contraire s'y confronter. Le LIHP a donc entrepris une démarche au sein du territoire d’Usme, en Colombie. Situé à la périphérie sud de la métropole de Bogotá, ce territoire majoritairement rural est à un moment crucial de son histoire. La ville de Bogotá, à travers son entreprise d’aménagement urbain Metrovivienda9 et avec l’aide de promoteurs privés, souhaite y construire 53 000 logements sur 938 hectares en l’espace de 20 ans.10 Mais le processus d’élaboration de ce projet n’intègre pas la population, omet les spécificités du lieu et propose un habitat de faible qualité, de fait que ce territoire traverse aujourd’hui une situation problématique. Dans ce contexte, le LIHP a entrepris une démarche visant à transformer le processus de production et de réflexion de la ville de Bogotá avec plusieurs acteurs colombiens tels que des chercheurs, habitants et Metrovivienda. A travers ce territoire, le LIHP doit trouver sa propre ligne porteuse d'innovation. La recherche‐action est donc à ses yeux, la seule démarche possible pour s'adapter aux difficultés du terrain car elle dispose d'une certaine flexibilité tout en offrant la possibilité de sortir des sentiers battus par son ouverture à l'expérimentation. Cette démarche est d’ailleurs reconnue pour sa capacité à transformer une situation problématique. N’est‐elle donc pas appropriée pour ce territoire ? Le mouvement et l'action semblent être les seuls moyens de pouvoir agir face à cette situation, mais comment les définir? L'expérimentation urbaine souhaitée par le LIHP ne peut se définir qu’à travers la conception d’un « objet » architectural ou urbain de qualité. L’expérimentation est d’autant plus importante dans les modes d’élaboration qui amènent à cette qualité. Mais comment entreprendre une telle démarche ? Par où commencer ? Sur quel territoire d'action ? Des réponses ont été apportées à ces questions mais sont‐elles réellement pertinentes au regard des résultats obtenus à Usme? Ce mémoire a pour objectif d'éclaircir ces points sombres, d’exposer en détail la démarche entreprise, de soulever ses potentialités et sa pertinence mais aussi ses difficultés et ses limites. Un travail objectif en soit mais qui n’est en rien évident car il participe de l’autocritique d’une démarche à laquelle j’ai moi‐même oeuvré durant ces neuf derniers mois. Pour offrir une visibilité plus grande au travail qui va suivre, nous pouvons simplifier l’objet principal de ce mémoire qui est de montrer en 8 Nous entendons ici territoire comme un espace animé par l’action humaine, dans ses dimensions culturelles, sociales, politiques, etc. Voir l’annexe 4, page 8 du document et le site internet : http://www.metrovivienda.gov.co/ 10 Voir l’annexe 4, page 8, 9 et 10 du document 9 11 quoi la démarche de recherche‐action du LIHP engagée au sein du territoire d’action Usme en Colombie contribue à répondre à la « crise » de ce territoire et de manière générale à la « crise de la ville »? Nous examinerons si cette démarche est innovante dans les champs de l’action et de la recherche urbaine et si elle contribue à l’expérimentation urbaine à travers la transformation du mode de production et de réflexion de la ville de Bogotá. Etant donné l’avancement de la démarche au sein du territoire d’action, il semble prématuré de traiter en profondeur le point de vue politique du LIHP ici, d’autant plus qu’il est difficile d’aborder la démarche de ce dernier dans sa globalité dans un simple mémoire. L’objet central de ce mémoire sera donc d’approfondir la démarche de recherche‐action. Il ne sera pas question ici de défendre le LIHP en tant que tel mais de montrer en quoi sa critique et ses propositions d’action par rapport à la situation actuelle sont pertinentes ou non. Toute démarche est critiquable et celle portée par le LIHP n’est en rien épargnée. Etant donné que cette démarche dite de recherche‐action est ouverte et évolutive, la critique ici ne peut être que constructive. Afin d’exposer ces quelques éléments, cet exercice sera développé en trois temps. Le premier aura pour objectif d’exposer l’origine de la constitution du LIHP ainsi que son projet (1). Nous parlerons ici de la « crise de la ville », de l’impuissance des acteurs et chercheurs face à celle‐ci et des propositions du LIHP pour la dépasser. Ensuite, il s’agira de détailler la démarche entreprise au sein du territoire d’action Usme afin de dégager les éléments qui la différencient de la recherche et de l’action urbaine en général (2). Enfin, dans un dernier temps, la démarche sera analysée et évaluée en fonction des enjeux et objectifs étudiés en première partie afin de dégager des propositions d’action et de suivit pour la démarche engagée à Usme (3). 12 Partie I – Pourquoi le Laboratoire International pour l’Habitat Populaire ? Cette partie a pour objectif d’exposer les éléments qui justifient la création du LIHP. En d’autres termes, pourquoi le LIHP existe ? Elle devra donc pour cela dans un premier temps synthétiser les éléments qui nous permettent d’affirmer que la ville est en « crise » à une échelle mondiale (1). Dans un deuxième temps, nous montrerons en quoi les réponses actuelles face à cette « crise » sont limitées et que les véritables « faiseurs de ville » ne disposent plus des moyens et des outils pour « faire ville » (2). Enfin, la dernière partie montrera comment le LIHP se positionne par rapport à cette « crise » et esquissera ses propositions pour dépasser la situation actuelle (3). Chapitre 1. Quelques aspects de « la crise de la ville » 1.1 Un fait : La ville concentre l’avenir de la civilisation humaine Bien que ce ne soit pas l’objet principal de ce mémoire, il est important de rappeler brièvement l’état actuel du monde urbain afin de saisir globalement le contexte dans lequel le LIHP porte son action. 1.1.1 Une croissance démographique toujours au rendez‐vous La question démographique est fondamentale pour l’avenir des villes, et un léger rappel de quelques chiffres nous permettra de saisir le travail qui nous attend. Alors que les prévisions ont longtemps tablé sur une stabilisation de la population mondiale autour de neuf milliards d’individus en 2050, un récent rapport de l’ONU11 pose le constat que la transition démographique pourrait être plus lente que prévu dans certains pays, ainsi, la population mondiale atteindrait les 9,3 milliards d’individus en 2050 et 10 milliards en 2100. Loin d’ici l’idée d’entretenir la pensée malthusienne mais ces chiffres nous laissent prendre la dimension de la tâche, il nous faudra accueillir pas moins de 2,3 milliards d’êtres humains dans les villes en moins de 40 ans ! Dans son ouvrage Shadow Cities, Robert Neuwirth montre que pour contenir la proportion d’habitat informel actuelle, les « villes du monde devraient construire chaque année 35 millions de maisons […] soit 4000 maisons à l’heure ou une à la seconde. »12 Le monde urbain nous attend et nous ne sommes malheureusement pas prêts à l’inventer, mais plus à le subir. Si l’on prend le seul cas de Bogotá, la croissance démographique est due à un solde naturel toujours important notamment dans les zones périphériques populaires mais aussi à l’arrivée massive de 11 http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=25156&Cr=population&Cr1 NEUWIRTH Robert, Shadow Cities, Routledge, New York, 2006, 352 p 12 13 population fuyant la « violence » toujours présente dans les campagnes colombiennes.13 D’une métropole de plus de 8 millions d’habitants aujourd’hui, Bogotá devrait atteindre les 10 millions d’habitants d’ici 2050. Sachant que le déficit actuel qualitatif et quantitatif en logement est estimé à 300 000, si l’on considère de façon généreuse qu’un logement peut accueillir en moyenne trois personnes, ce n’est pas moins de 970 000 logements qu’il faudrait construire ou réhabiliter d’ici 40 ans pour loger dans de bonnes conditions toute la population de Bogotá, soit 24 000 par an ! Aussi, nous remarquerons dans ce mémoire que produire des logements ne suffit pas à créer de la ville, c’est dire l’ampleur de la tâche… 1.1.2 L’urbanisation du monde Le processus d’urbanisation constitue le fait majeur en ce début du XXIème. Il est considéré par nombre de penseurs comme « la plus grande et la plus rapide transformation sociale dans l’histoire de l’humanité »14 car à l’heure actuelle, la population des villes du monde augmente d’un million de personnes par semaine. Pour Paul Valéry, les villes attirent les réfugiés des campagnes car elles sont « des immenses maisons de jeux, des lieux où on a l’impression (parfois l’illusion) d’augmenter ses chances à la loterie de la vie, où l’on vient dans l’espoir de décrocher un emploi pour ses enfants sinon pour soi‐même, de se trouver plus près d’un hôpital et de l’école, de participer, s’il y a lieu, à la distribution du pain et au spectacle. »15 En d’autres termes, la ville représente l’espoir d’accéder à une certaine humanité. Depuis maintenant quelques années la ville apparaît comme le centre des grands enjeux contemporains de l'humanité et de son développement. En 2007‐2008, pour la première fois de l’histoire humaine, la part de la population mondiale urbaine a dépassé celle de la population vivant dans les zones rurales. Désormais, plus de 3,3 milliards de personnes habitent en ville et selon les prévisions de l’Organisation des Nations Unies (ONU), le taux d’urbanisation mondial va s’accroitre considérablement au cours des prochaines décennies, atteignant 60% en 2030 et 70% en 2050.16 Déjà en 1968, l’historien Lewis Mumford avançait que le monde entier était « devenu une ville»17 . En d’autres termes, si l’Homme doit penser son avenir, il doit d’abord penser la ville, lieu où se joue son avenir. 13 Lire à ce sujet, Perte de lieux, dénuement et urbanisation : les desplazados de Colombie de Michel Agier, (Autrepart, N° 14, 2000) et Populations déplacées en Colombie et insertion urbaines de Donny Meertens, (Les annales de la recherches urbaines, N° 91, 2001) 14 SACHS Ignacy (ss la dir.), Quelles villes, pour quel développement ?, PUF, 1996, p 4 15 Op. Cit. 16 UN, World urbanization prospects. The 2007 revision population data base, New York, 2008, p 11 17 MUMFORD Lewis, La cité à travers l’histoire, Seuil, 1964, p 11 14 1.2 Une « crise » mondiale Nous nous attacherons ici à exposer certains aspects de la « crise de la ville » mais qui ne prétendent pas recouvrir l’étendue du phénomène qui marque par sa diversité et sa complexité. 1.2.1 Le bidonville, expression totale d’une faillite humaine Plus d'un milliard de personnes vivent aujourd'hui dans les bidonvilles18 du « Sud »19 dans une extrême précarité, « exclues de la croissance économique mondiale, chassées des campagnes par la misère et des villes par la machine impitoyable de la rénovation urbaine, elles vivent dans un monde urbain désurbanisé, instable et explosif. »20 C’est le constat que tire Mike Davis dans son ouvrage « Le pire des mondes possibles ». D'après les chiffres de la cellule Habitat de l'ONU, la population des bidonvilles croit actuellement au rythme de 25 millions de nouveaux résidents par an et ce processus est manifestement irréversible. A ce rythme, prêt de deux milliards d'êtres humains vivront dans des bidonvilles en 2030 soit un quart de l’humanité. Figure 1 : « Bidonville » d’Usme au sud de Bogotá, Colombie Source : Pierre Trovel, 2009 Une littérature abondante existe à ce sujet, Jean François Tribillon et Gustave Massiah prévenaient déjà en 1988 dans leur livre « Ville en Développement »21 de l’afflux massif de populations rurales vers les grands centres urbains en montrant l’impuissance des politiques urbaines face au phénomène. Dans la même lignée, Alain Durand Lasserve, approfondissait la question de la difficulté d’insertion des populations pauvres rurales dans ces mêmes villes dans son ouvrage « L'exclusion des pauvres des 18 Voir la définition communément admise dans le lexique Il est important de rappeler ici que les « bidonvilles » constituent 6% des habitations dans les « pays du nord » selon l’ONU‐ Habitat 20 DAVIS Mike, Le pire des mondes possibles, La Découverte, Paris, 2006, 250 p 21 TRIBILLON Jean‐François, MASSIAH Gustave, Villes en développement, La découverte, janvier 1988, 320 p 19 15 villes du tiers monde » de 1987.22 Donc bien avant Mike Davis, ce fait urbain avait été saisi par de nombreuses personnalités mais la gravité du ton employée par celui‐ci a servi d’électrochoc à une communauté internationale jusqu’alors peu active dans le domaine du développement urbain. La communauté scientifique semble aujourd’hui avertie, celle de l’international aussi mais y a‐t‐il pour autant une action suffisante face à cette situation ? La vision de cet auteur désormais mondialement connu reste un point de vue. De nombreuses autres personnalités voient à travers le bidonville un processus qui participe à la création d’une nouvelle urbanité tel que Marc Gossé, mais il serait inutile de se s’initier dans ce débat ici car la bataille est bien trop rude et complexe pour en relater les moindres détails. Cependant, on peut toute fois modérer la situation car face à la « planète bidonville » apposée par Mike Davis, il est à souligner que de nombreuses agglomérations ont réussi, au cours des vingt dernières années, à contenir leur taille et à ralentir la croissance de la population qui y vit, nous approfondirons ce point dans une prochaine partie avec l’exemple du Mexique. Nous pouvons cependant donner ici quelques chiffres pour éclaircir la situation. Selon l’ONU‐Habitat, la proportion de la population des bidonvilles (par rapport à la proportion de la population urbaine totale des pays en voie de développement) est passée de 46% en 1990 à 33% en 2010, alors qu’en valeur absolue, pour cette même période, le nombre d’habitants des bidonvilles passait de 650 à 830 millions.23 Bien que le « bidonville », aussi large soit sa définition, reste au centre des préoccupations internationales et des débats scientifiques, il ne représente pas le seul problème de la ville en ce début du XXIème siècle et n’est finalement qu’une représentation physique d’un problème historique qu’est la répartition des richesses. D’autant plus qu’un bidonville se définit avant tout par ses critères physiques et qu’une fois connecté au réseau d’eau potable ou d’assainissement, il peut ne plus être considéré comme bidonville. Mais le ménage y résidant aura t’il pour autant un cadre de vie décent et accès à une réelle urbanité ? Rien n’est moins sûr. Les efforts qui sont opérés à travers le monde sont significatifs mais l’on doit être vigilant face à l’approche purement quantitative. Nous comprendrons d’ailleurs dans une prochaine partie que celle‐ci ne porte pas dans ses priorités la notion « d’habité »24. 22 DURAND‐LASSERVE Alain, L’exclusion des pauvres dans les villes du tiers‐monde, 1986, 198 p Le paradoxe des bidonvilles, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 60 24 Nous entendons ici la notion d’habité comme la manière de construire et de penser son rapport au monde à travers son habitat 23 16 1.2.2 Du phénomène de gentrification à la périphérisation des classes populaires Le terme plus généralement employé est celui de ségrégation socio‐spatiale qui est désormais reconnue comme un processus dominant en ce début de millénaire.25 En effet, depuis 1991 et le livre fondateur de Saskia Sassen, « La ville globale : New York, Londres, Tokyo »26, certains auteurs tel que Manuel Castells ou David Harvey fondateurs de la géographie radicale parlent des villes duales qui rassemblent des espaces très riches mais également très pauvres. Depuis peu, le terme plus incisif de ville fragmentée est défendu par Fred Scholz et Peter James Taylor évoquant l’exacerbation des différences de « standing » entre les zones d’habitat par la mondialisation des villes. Il n’empêche que la gentrification, définie par Anne Clerval comme « une dynamique internationale de colonisation des centres‐villes par les classes moyennes et supérieures »27, participe largement de la ségrégation socio‐spatiale. Ce phénomène touche frontalement une grande majorité des moyennes et grandes villes du monde28 comme par exemple la ville de Paris.29 Celui‐ci est porté principalement par un marché immobilier et foncier néo‐libéral devenu aux yeux des investisseurs une valeur refuge face aux aléas du marché financier. Mais ce phénomène est également conforté par des politiques urbaines souhaitant attirer des cadres supérieurs dans leurs centres urbains. La ville de Grenoble peut être prise comme exemple. L’éco‐quartier de la Caserne de Bonne participe largement de ce processus bien qu’il se cache derrière le chiffre de 35% de logements sociaux. En vérité, ces derniers sont en théorie accessibles à 70% des ménages vivant en France. Comment peut‐on alors savoir si ces logements sociaux logent des classes populaires ou des classes moyennes voir moyennes supérieures ? D’autant plus que sur les 500 000 logements sociaux prévus par le Plan de cohésion sociale du gouvernement français entre 2005 et 2010, un tiers relevait du logement dit « intermédiaire », c’est à dire inaccessible aux plus pauvres.30 L’éco‐quartier qui représente l’expression ultime de l’urbanisme en France et en Europe participe largement d’un phénomène qui n’a rien de durable. Ce processus induit forcément d’autres phénomènes parmi lesquels la périphérisation des classes populaires même si celle‐ci s’est complexifiée car les inégalités ne passent plus nécessairement entre un centre et sa périphérie, mais entre des « maillons urbains sur‐équipés technologiquement et informatiquement, et entre des zones d’habitat médiocre pour les classes moyennes et des zones quelques fois 25 CHOLLET Mona, Utopies dévoyées, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 4 26 SASSEN Saskia, La Ville globale. New York, Londres, Tokyo, Descartes, 1996, 530 p 27 CLERVAL Anne, Logement social à la parisienne, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 45 28 Lire à ce sujet, CRIEKINGEN Mathieu, Comment la gentrification est devenue, de phénomène marginal, un projet politique global, Agone N°38‐39: Villes & résistances sociales, 2008 29 Voir l’annexe 1, p 104 30 BOUILLON Florence, Le squat, un lieu de résistance, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 64 17 catastrophique de pauvreté.»31 Henri Lefebvre rappelle qu’à une époque, le centre des villes était actif et productif donc populaire32, mais l’Histoire les a transformé et continue de les transformer en centres de décisions et de services accompagnés par un embourgeoisement sans précédent. Bien que ce constat soit tiré du seul cas français, il s’est appliqué et s’applique toujours à nombre de pays à travers le monde. Face à cette situation, ne peut‐on pas envisager de rendre ces centres à nouveau productifs ? De replacer l’habitat populaire au cœur de l’activité urbaine ? 1.2.3 Des habitants toujours oubliés La question de l’appropriation citoyenne et des conditions de production des espaces urbains est considérée par nombre d’auteurs comme fondamentale mais elle reste entière et représente aujourd’hui un défi majeur de ce siècle. Il faudra pourtant passer nécessairement par une maîtrise collective de la production de l'espace bâti si l’on souhaite arriver à produire un habitat de qualité élaboré par et pour tous. L’émergence des démarches dites participatives33 ne change pas fondamentalement la donne. Bien que les habitants puissent proposer certaines choses, elles sont souvent limitées pour des raisons financières et la décision finale revient dans la majorité des cas à l’élu ou au technicien. Nous prendrons comme exemple le cas d’Usme dans la deuxième partie de ce mémoire qui illustre bien les limites de ce type de démarche. D’ailleurs, de vives critiques existent à ce sujet, par exemple, Marc Gossé constate que « la participation emploie volontiers la démagogie et la manipulation pour faire avaliser des politiques et des solutions inappropriées » et assure que « le fait que les habitants les choisissent n'y change rien. »34 Comment dépasser ce stade de la simple participation qui n’est d’ailleurs souvent possible qu’avec une forte volonté politique ? Pourtant, en 1961, Lewis Mumford avertissait déjà de l’importance de rendre au peuple la conception de leur habitat. « Un lieu d’habitation quelconque doit être conçu, à sa petite échelle, à l’image du monde. La cité ne devra plus être une matérialisation du caprice d’un tout puissant prince, mais l’expression de la volonté commune de ses citoyens, cherchant à perfectionner leurs connaissances, à se gouverner eux‐mêmes, à tenir leur place dans le monde. »35 Bien sûr, il existe des exemples où la population a pu participer à la conception de son habitat, mais comment pourrait‐on affirmer que ces démarches soient aujourd’hui la règle ? L’Homme a toujours créé son habitat en fonction de 31 GUATTARI Felix, Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective, Revue Chimères, N° 17, 1992, p 5 LEFEBVRE Henri, Le droit à la ville, Anthropos, Paris, 1968 33 Nous pouvons l’entendre comme une démarche qui donne au citoyen un rôle dans les décisions publiques 34 GOSSE Marc, Le bidonville : phénomène naturel, œuvre ou processus ?, in DE FILIPPI, Francesca ; Slum[e]scape, Alinea, Firenze, 2009, pp. 11‐13 35 MUMFORD Lewis, La cité à travers l’histoire, Seuil, 1961, p 13 32 18 l’environnement qui l’entourait, que ce soit des yourtes de Mongolie ou des maisons resserrées et incrustées dans le sol de l’île D’Hoëdic en Bretagne conçues pour mettre à l’abri du vent. Le simple fait de devoir s’adapter à leur environnement obligeait l’Homme à penser cet environnement et l’habitat qui y répondait le mieux. Aujourd’hui, l’habitant a perdu son pouvoir de créer son habitat, ce qui l’empêche de penser son rapport à l’environnement et sa place dans le monde. 1.3 Une production urbaine en difficulté ? La production de la ville actuelle ne répond pas aux attentes de la population en matière de qualité urbaine. Même si cette production est bien plus complexe que ce qui va être exposé ici, nous verrons trois facteurs majeurs qui la conditionnent, à savoir, l’urgence, la quantité et la reproductibilité. 1.3.1 L’approche urgentiste et quantitative de l’urbanisation Sans rentrer ici dans la notion de durabilité au sens du développement durable, il est nécessaire de poser ici le sacrifice que peut représenter la construction de la qualité. Pourquoi toujours vouloir apprécier la vue de l'édifice auquel nous avons apporté notre propre pierre ? Si l'on met la notion de temporalité au centre de la critique de la production actuelle de la ville, l'on ne peut que juger normal la médiocrité de cette production étant donné sa rapidité que se soit en terme de réflexion ou de conception. Sans parler nécessairement de Rome, les villes du monde offrant une urbanité et un habité de qualité ne se sont pas construites en un jour. Comme le signal Marc Gossé, « l'urgence mise en avant dans les objectifs du millénaire ou d'autres sommets internationaux, est non seulement illusoire mais un alibi politique pour n'offrir aux pauvres que des « solutions » de seconde zone et de qualité architecturale scandaleuse. »36 « Partout le discours de l’urgence impose ses (non‐) règles : dans l’humanitaire, le social, la santé, le logement, etc. »37 Or il faut beaucoup de temps pour que la ville se constitue, se modèle et se transforme pour accueillir dans les meilleures conditions les populations qui viennent y vivre. Face à la croissance exponentielle des bidonvilles, la construction de nouveaux logements se fait trop vite. Cette rapidité entraine nombre de malfaçons dans la construction et dysfonctionnements dans l’aménagement urbain qui entrainent un coût à long terme beaucoup plus important pour la collectivité. On voit alors apparaître dans certaines périphéries de grandes villes, des étendues de « blocs » de logements construits à la chaine. Si l’on prend par exemple le cas du Mexique où il m’est 36 GOSSE Marc, Op. Cit. pp. 11‐13 PAQUOT Thierry, L’architecte, l’urbaniste et le citoyen, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 26 37 19 arrivé de dormir dans un de ces « blocs » de logements à Cancun. Un an après la fin des constructions, deux maisons sur trois étaient encore inhabitées, les mauvaises herbes commençaient sérieusement à percer le bitume pourtant fraichement coulé. Et pour être franc, vivre dans ces boites connectées aux réseaux d’électricité, d’eau potable et d’assainissement ou vivre dans un habitat précaire construit par mes propres mains et inséré dans un tissu organique où la solidarité sert de ciment aux fabrications fragiles, je ne saurais que choisir. Bien sûr, tout est question de nuance, d’acceptation, de résignation parfois. Ainsi, le Mexique a vu ses bidonvilles reculer drastiquement ces deux dernières décennies mais à quel prix ? Une simple plongée dans le logiciel google earth nous laisse découvrir l’étendue de ces « blocs » de logements dans les périphéries des grandes villes mexicaines qui participent largement à la déterritorialisation des personnes qui y vivent. Entre le bidonville et ces « blocs » de logements, l’habitant aux revenus modestes choisit souvent de s’endetter et de s’adapter à un modèle urbain largement inspiré du modèle consumériste américain. Bien que cet exemple soit critiquable, il nous montre que les moyens financiers et techniques existent mais ne sont pas nécessairement utilisés à bon escient. Figure 2 : Colonias à Tijuana, Mexique Source : http://aplicaciones.colef.mx:8080/Acervofoto/main.php?g2_itemId De même, si l’on prend l’exemple de Bogotá, les logements produits par le secteur privé avec l’aide de l’entreprise Metrovivienda38 sont du même niveau que ceux réalisés au Mexique durant ces vingt dernières années, bien que le directeur de Metrovivienda nous ait affirmé ne pas avoir reproduit les mêmes erreurs.39 Pourtant, on observe un manque cruel d’activités et de loisirs dans ces cités dortoirs, peut être un effort supplémentaire a été porté sur les équipements publics mais selon les étudiants de l’Université Nationale de Colombie, les premiers blocs réalisés au début des années 2000 constituent d’ores et déjà de véritables ghettos où l’ennui et l’inactivité viennent s’ajouter à la précarité sociale des nouveaux résidents. 38 Aménageur urbain du District Capital de Bogotá Réunion à Metrovivienda le mardi 10 mai 2011, résumé des cinq semaines de la mission 39 20 Figure 3 : Ciudadela El Recreo à Bogotá, Colombie Source : http://www.restrepoyuribe.com/servicios_f1.htm La conclusion qui peut en être tirée est que l’ONU‐Habitat et la communauté internationale travaillant sur la ville de manière générale ne doivent pas se satisfaire des quelques reculs de bidonvilles dans certains pays mais doivent au contraire rester attentives aux modes de production qui l’éliminent et le remplacent de manière parfois brutale.40 Il n’est pas inutile de rappeler ici que la ville se construit avec le temps. Pour Luis Moya, il est essentiel de poursuivre un objectif général mais il faut également mettre en place des objectifs partiels qui vont évoluer tout au long du travail, et qui, pour être atteint, doivent être traités par étapes successives. Ainsi, avant de se lancer dans une nouvelle étape, la précédente doit être analysée de manière critique. De plus, faire ville impose tellement de facteurs qu’aucun urbaniste ou architecte ne peut assurer si son projet donnera forme à un réel habité. La finalité est toujours imprévisible et face à cela, « seuls les essais et les erreurs offrent une stratégie qui assure les résultats à long terme.»41 Ce qui importe en soit, ce n’est pas le but mais le chemin parcouru d’autant plus que la ville est en perpétuelle construction et déconstruction. L’Homme doit faire face à des urgences mais doit‐il pour autant agir instinctivement par la construction de logements en quantité mais dépourvus de toutes qualités? Il peut paraître facile de critiquer ces initiatives car on ne pourrait se mettre à la place d’une personne devant marcher plusieurs centaines de mètres afin d’obtenir sa ration d’eau potable quotidienne. L’urgence impose l’action, mais cette action ne peut‐elle pas être à la hauteur des nécessités ? L’Homme, à travers ses choix politiques, a toujours réussi (ou pas) à parvenir à ses fins, il paraît donc prioritaire de remettre la volonté politique au centre de l’action car elle seule pourra s’affranchir de l’emprise économique qui conditionne largement la construction de ces logements. 40 Lire à ce sujet, TALERCIO Patrick, Un déguerpissement exemplaire à Ouaga (Burkina Faso), Agone N°38‐39 : Villes & résistances sociales, 2008 41 MOYA Luis, Vitesse et lenteur dans la construction de la ville, Urbanisme, N° 377, mars‐avril 2011 21 Ceux‐ci étant produits par des promoteurs immobiliers qui n’ont d’autre but que de tirer un bénéfice immédiat de ces constructions. 1.3.2 Standardisation de la production urbaine et faillite architecturale Alors que nous avions assisté à une véritable prolifération des modèles de ville depuis le XVIème siècle, la différence de ces villes tend aujourd’hui à s’estomper.42 Cette uniformisation s’explique par la globalisation des modes de production de la ville, portée « par l’internationalisation des économies du bâtiment et travaux publics (BTP), des matériaux, la mondialisation des modes de financement, des services et des réseaux (routes, câbles, eau…). »43 Felix Guattari fait d’ailleurs le triste constat que plus le réseau de villes « se planétarise, plus il se digitalise, se standardise, s’uniformise.»44 Si ce constat s’avère juste, on peut légitimement se demander jusqu’où nos villes vont se standardiser, s’uniformiser ? Comment l’humanité s’adapterait à l’uniformisation de son habitat ? Est‐ce le simple cours de l’histoire ou une fatalité que personne n’ose affronter ? Il serait faux d’insinuer qu’il existe une « pensée unique » en architecture et en urbanisme, mais on peut cependant affirmer qu’un certain nombre de principes, procédures, ou projets viennent se greffer sur d’autres conceptions en les subordonnants progressivement. Un simple regard d’ensemble sur l’architecture proposée par les éco‐quartiers européens montre à quel point la diversité est devenue imperceptible. Un éco‐quartier allemand ne peut en effet se différencier aisément d’un autre anglais, norvégien ou français puisque les référentiels portés par le concept de développement durable sont devenus les mêmes pour tous les pays, (matériaux semblables et souvent colorés, suppression de la voiture et prolifération des pistes cyclables, toiture terrasse ou végétalisée, isolation extérieur, panneau solaire, etc.). Cette architecture ou urbanisme « passe‐partout », impulsé par l’échange des bonnes pratiques urbaines soutenu par l’union européenne ne tient plus compte du territoire et de ses habitants. Bien qu’il ne s’agisse pas ici de critiquer tous ces référentiels qui répondent en partie à des enjeux contemporains de nos villes, ne doit‐on pas favoriser l’adaptation de ceux‐ci aux savoirs faires locaux et aux modes de vie, encore différents (peut‐on espérer) des territoires culturels? 42 GUATTARI Felix : Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective, Revue Chimères, N° 17, 1992, p 4 PAQUOT Thierry, L’architecte, l’urbaniste et le citoyen, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 28 44 GUATTARI Felix, Op. Cit., p 5 43 22 Figure 4 : Comparaison d’éco‐quartiers européens. De gauche à droite : Kronsberg à Hanovre, Allemagne. Source : http://www.ps‐chevilly.org/spip.php?article142 Bonne à Grenoble, France. Source : http://www.habitat‐eco‐responsable.fr/2009/11/ecoquartier‐palmares‐2009/ Eva‐Lanxmeer à Culemborg, Pays‐Bas. Source : http://ecoquartier.midiblogs.com/les‐ecoquartiers‐en‐europe/ On constate ici que la standardisation ne touche pas uniquement les classes populaires mais aussi les classes plus aisées même si un éco‐quartier offre une qualité de vie bien supérieure aux blocs de logements construits à Mexico. On pourrait donc émettre l’hypothèse que la standardisation n’est pas qu’une volonté de vouloir « faire moins bien » mais semble au contraire s’imposer dans l’inconscient des modes de production de la ville. D’un autre côté, les grands cabinets d’architecture cherchent la rentabilité de leurs produits en les vendant à la puissance économique. Ainsi, voit‐on apparaitre « une architecture monumentale, souvent clinquante, qui vise à l’exploit technique, au jamais‐vu (la plus haute tour, la plus grande portée, le bâtiment le plus dématérialisé, le matériau le plus inédit, etc.) »45 souvent expression d’un capitalisme ne sachant plus quoi faire de son argent.46 L’urbanisation actuelle à tendance « à transformer les territoires et les paysages en les homogénéisant par types. »47 On peut ainsi acquérir un paysage autoroutier, un site balnéaire ou un centre commercial en les choisissant parmi quelques modèles. De même en architecture, pour un musée, un aéroport, un hôpital, une tour de bureaux, un hôtel de luxe, etc. En bref, l’urbanisme et l’architecture façonnent des modèles qui s’exportent et se copient sans se soucier réellement de la spécificité des lieux. Le phénomène d’urbanisation n’est plus un problème parmi d’autres, « il est le problème numéro un, le problème carrefour des enjeux économiques sociaux, idéologiques et culturels. La ville produit le destin de l’humanité, ses promotions comme ses ségrégations, la formation de ses élites, l’avenir de 45 PAQUOT Thierry, L’architecte, l’urbaniste et le citoyen, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 28 46 Lire à ce sujet, http://www.rue89.com/2011/08/05/une‐tour‐dun‐kilometre‐en‐arabie‐saoudite‐pour‐quoi‐faire‐216615 47 PAQUOT Thierry, Op. Cit., p 29 23 l’innovation sociale, de la création dans tous les domaines. »48 Le drame urbain qui se profile à l’horizon « n’est qu’un aspect d’une crise beaucoup plus fondamentale mettant en cause l’avenir de l’espèce humaine sur cette planète. »49 Le processus d’urbanisation qu’il soit incontrôlé ou contrôlé a réduit les qualités de la ville jusqu’à produire des étendues urbaines n’offrant pas de réel habité à la majorité de la population mondiale. Déjà en 1989, Henry Lefebvre avertissait que « l’urbain conçu et vécu comme pratique sociale est en voie de détérioration et peut‐être de disparition. »50 Face à ce constat, des réponses ont été apportées mais elles restent insuffisantes et participent même, à certaines occasions, à l’approfondissement de la « crise de la ville». Chapitre 2. Quand la réponse pose problème Face à cette réalité, des réponses s’imposent mais de quelles réponses parle‐t‐on ? Les effets de l’urbanisation sont tellement complexes et diverses que les acteurs qui font la ville ou les chercheurs qui l’étudient ne savent plus « où donner de la tête » pour accompagner ce processus structurel mondial. 2.1 Les « faiseurs de ville » aux abois L’urbanisation du monde pose bien des soucis aux acteurs qui doivent la contenir, l’accompagner ou l’améliorer. D’un côté, la communauté internationale qui après avoir changé récemment de paradigme, a bien du mal à agir sur les effets les plus marquants de l’urbanisation et de l’autre, les architectes et urbanistes qui ne peuvent malheureusement plus agir sur la « crise de la ville » et tendent même à y participer. 2.1.1 L’impuissance de la communauté internationale La communauté internationale qui a longtemps considéré le processus d’urbanisation comme négatif, soutenait majoritairement des programmes de développement ruraux pour le contrer mais voyant ses politiques échouées face à ce processus structurel, elle s’est résolue à l’accompagner depuis peu et le perçoit désormais de façon plus positive.51 Ses programmes de développement se tournent donc de plus en plus vers l’urbain qui concentre désormais une grande part de la pauvreté mondiale. Si l’on prend l’unique problème des « bidonvilles », les Nations Unies proclamaient 1987 comme « l’année internationale du logement des sans‐abri » et appelaient à une mobilisation pour un habitat 48 GUATTARI Felix : Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective, Revue Chimères, N° 17, 1992, p 11 GUATTARI Felix : Op. Cit., p 9 50 LEFEBVRE Henri, Métamorphoses planétaires, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 21 51 PAULAIS Thierry, Le défi des villes en crise. Document disponible sur internet, documentation de l’AFD 49 24 pour tous en l’an 2000.52 A la lecture du pire des mondes possibles de Mike Davis, le constat semble s’être aggravé après le passage du millénaire. Son ouvrage met d’ailleurs en avant les responsabilités de la Banque mondiale ou même des ONG qui ont pris selon lui le relais des Etats impuissants en ne faisant qu'accroître la dépendance face aux donateurs et en entretenant le clientélisme. Face au développement exponentiel de l’habitat informel, l’expertise internationale s’est largement développée et spécialisée dans ce domaine à partir des années 70. Mais la question est de savoir si les institutions internationales qui portent majoritairement cette expertise ont les capacités de répondre face à l’ampleur du phénomène ? La question semble d’autant plus pertinente lorsque l’on sait que celles‐ci excellent lorsqu’il s’agit d’orienter les actions par de grandes stratégies et buttent quand l’heure de la pratique a sonné. De manière schématique, l’action des agences spécialisées dans l’amélioration de l’habitat informel se résume à la proposition de programmes d’actions stratégiques ciblant les besoins et les problèmes d’une zone identifiée. Ces agences ne font donc pas ou très peu d’opérationnel mais servent, dans la majorité des cas, d’aide à la prise de décision, l’opérationnel étant laissé aux gouvernements et acteurs locaux. D’autres actions peuvent être mises en place à l’image des programmes expérimentaux d’échange de « bonnes pratiques » tels que Cities alliance, le programme de gestion urbaine, programme des villes durables, meilleures pratiques et leadership local53, mais là aussi, l’expérimentation a ses limites. Ce type de programmes favorise essentiellement la production d’études et l’échange d’expériences qui ont déjà été réalisées en espérant que celles‐ci fonctionnent sur d’autres territoires. Par conséquent, ce type de procédures ne favorise ni l’innovation dans les modes d’élaboration ni la création architecturale et urbaine. L’approche est ici trop souvent systématique et ne prend pas assez en compte les spécificités du lieu. Marc Gossé souligne d’ailleurs que tant que les bailleurs de fonds qui soutiennent ces programmes n’auront pas accepté « de prendre en compte la dimension architecturale du développement urbain et sa conception en termes spatiaux et culturels, ils ne pourront apporter de réponse pertinente à la question de la gestion urbaine. »54 Ces programmes tentent pourtant de répondre pour la majorité d’entre eux aux Objectifs du Millénaire55 mais là aussi Thierry Paulais nous rappelle que « le traitement superficiel de ces questions par l’initiative des Objectifs du Millénaire montre que la communauté internationale n’a pas encore 52 GOSSE Marc, La crise mondiale de l’urbanisme, quels modèles urbains ?, Les annales de la recherche urbaine, N° 86, Développement et coopération, juin 2000, p 87 53 MOGONDIN Maxime, Essai de compréhension socio‐spatial des formes de l’habitat informel, 2010‐2011, p 12 54 GOSSE Marc, Op. Cit., p 91 55 Voir à ce sujet, http://www.un.org/fr/millenniumgoals/ 25 pleinement intégré l’importance cruciale de ces questions » et que « l’accroissement de cette aide pour le développement urbain n’est pas acquis. »56 On constate ici que la communauté internationale se préoccupe majoritairement de l’amélioration progressive des « bidonvilles », mais se préoccupe t‐elle de la standardisation de l’architecture ? De la prédominance des marchés fonciers et immobiliers dans la production des villes ? Il serait intéressant d’ouvrir d’autres questionnements que celui du « bidonville » qui malgré son caractère visuel marquant, n’est pas l’unique problème des villes du monde aujourd’hui, il est au contraire, la résultante de processus de production de la ville qu’il faut transformer. Pour résumer, une seule et unique approche générale ne saurait répondre à cette crise. Dans un contexte de mondialisation, il faut multiplier les initiatives à travers le monde afin de chercher des solutions qui émergeraient de la complexité des situations. Travailler à partir de la réalité d’un quartier ou d’un territoire en prenant en compte les spécificités du lieu semble être la meilleure approche que l’on puisse avoir pour que l’action menée soit efficace et partagée de tous. 2.1.2 L’échec de l’urbanisme et de l’architecture L’urbanisme et l’architecture éprouvent aujourd’hui des difficultés à s’imposer dans les modes de production de la ville. L’architecte et l’urbaniste se trouvent pris entre les marchés foncier et immobilier contrôlés par les propriétaires et les promoteurs immobiliers d’un côté et la rigidité de l’administration technocratique de l’autre. Ils sont impuissants dans le lieu de concentration de tous les pouvoir et cela pourrait avoir de graves conséquences sur l’évolution de la ville elle même. Pour autant, l’architecte et l’urbaniste, en représentant les cultures à travers leur travail ne pourraient‐ils pas (re)constituer un socle du développement de l’humanité ? Car l’urbanisme, lorsqu’il a été pensé portait d’autres espérances. Ildefonso Cerdá dans sa théorie générale de l’urbanisation de 1867 lui prédisait un bel avenir en le définissant comme « une nouvelle science qui étudie l’ensemble des principes, doctrines et règles qu’il faut appliquer pour que les constructions et leur groupement, loin de […] corrompre les facultés […] de l’homme social, contribuent à favoriser son développement ainsi qu’à accroître le bien‐être individuel et le bonheur public. »57 De même, Camillo Sitte dans son ouvrage « L’art de bâtir les villes, selon ses fondements artistiques » de 1889 défendait l’idée qu’un « plan d’urbanisme qui produit un effet esthétique est lui 56 PAULAIS Thierry, Le défi des villes en crise. Document disponible sur internet, documentation de l’AFD Dossier « L’urbaniste et l’architecte », Urbanisme, N° 293, Paris, 1997 57 26 aussi une œuvre d’art, et non une simple affaire administrative. »58 Mais dès les années 1960, la formation des urbanistes ainsi que leur rôle et leur manière de travailler sont remis en cause. Ainsi le plan unique élaboré par une agence unique est critiqué pour sa rigidité et son incapacité à identifier les valeurs des différents groupes communautaires. La distance entre architecte, urbaniste et population est souvent critiquée car les outils de représentation et d’appropriation de l’espace utilisés par ceux‐ci, « le plan, la maquette, l’élévation, le zonage, ne laissent aucune place […] aux populations sur le terrain. »59 C’est ainsi que s’opère une « division du travail de production de l’espace »60, qui dépossède les populations de la construction et de l’aménagement de leur cadre de vie. Pour sortir de cette impasse, Thierry Paquot affirme qu’il faudra nécessairement démocratiser la réflexion sur l’architecture et l’urbanisme, et sortir de leur isolement les différents acteurs des « métiers de la ville » alors que Felix Guattari propose que les architectes et urbanistes deviennent des artistes « polysémiques et polyphoniques »61 pour travailler une matière humaine et sociale qui n’est pas universelle et qui évolue de plus en plus vite. L’urbanisme d’aujourd’hui est en effet bien loin des espérances de Cerdá ou de Sitte. Il suffit de regarder la « définition officielle » de l’urbanisme dans le dictionnaire de l’architecture et de l’urbanisme de Pierre Merlin et Françoise Choay pour s’en apercevoir. Celui‐ci est définit comme une « action de disposer les hommes et les choses dans l’espace avec ordre. »62 A travers ces mots, on peut à juste titre se demander si l’urbaniste dispose des moyens voir même de la volonté de faire la ville, action qui va bien au delà du simple fait de « mettre de l’ordre » ? Cependant, cette définition n’est pas de l’avis de tout le monde, ainsi, pour Max Querrien, «le but de l’urbanisme est d’offrir un cadre de vie acceptable pour l’habitation, les activités et le loisir »63 mais il reconnaît que pris dans la spirale du marché foncier et les rouages technocratiques, il apparaît souvent aux yeux de la population comme un « aseptiseur » remettant les choses à leur place. Henry Lefebvre est d’ailleurs très critique vis à vis de la discipline qui, selon lui, « malgré quelques efforts méritoires, 58 Dossier « L’urbaniste et l’architecte », Urbanisme, N° 293, Paris, 1997 EUGENE Benoit, La parabole de Gino, Ville et résistances sociales, Edition Agone, N° 38‐39, 2008, p 10‐11 60 PAQUOT Thierry, L’architecte, l’urbaniste et le citoyen, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 26 61 On peut l’entendre ici dans leur capacité à maitriser de nombreux domaines en utilisant plusieurs langages 62 MELIN Pierre (dir.) et CHOAY Françoise (dir.), Dictionnaire de l'urbanisme et de l'aménagement, Paris, PUF, 2000 63 QUERRIEN Max, La propriété du sol, une aberration, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 6 59 27 n’a pas accédé au statut d’une pensée de la ville. Et même, l’urbanisme s’est peu à peu rétréci jusqu’à devenir une sorte de catéchisme pour technocrates. »64 La volonté politique pour soutenir ces disciplines est fondamentale si l’on ne veut pas voir des erreurs se (re)produire comme celle du couple voiture‐hypermarché qui a « structuré l’espace bien plus sûrement que les élus ou les urbanistes. »65 Elle est également indispensable face aux nouveaux « faiseurs de ville » que sont les propriétaires fonciers et les promoteurs immobiliers. Cette volonté est de toute façon sous jacente à l’architecture et à l’urbanisme car « elles ne sont pas des activités économiques comme les autres, mais des pratiques éminemment politiques. »66 Mais pour être efficientes, ces disciplines doivent être articulées avec une politique de la ville adaptée. Celle‐ci est en effet trop peu souvent intégrée à l’acte de bâtir une ville alors que le travail, la ségrégation sociale ou encore l’éducation « participent directement à l’élaboration de n’importe quel projet d’architecture, à n’importe quelle décision urbanistique. »67 La politique de la ville, au lieu de segmenter les actions qui concourent d’une manière ou d’une autre à la création de la ville, devrait au contraire favoriser le dialogue face à l’isolement des acteurs. Bien que l’architecte et l’urbaniste ne soient pas les seuls responsables de la situation, il n’en reste pas moins qu’ils ont eux aussi leur part de responsabilité. Sans vouloir rentrer ici dans la caricature simpliste, l’architecte et l’urbaniste se sont fondus dans un système qu’ils n’ont jamais pu ou voulu contester. L’architecte aspire désormais à se faire reconnaître, nous l’avons vu dans le chapitre antérieur, plus il produit un objet architectural original dans la continuité de la mode, plus son nom sera reconnu, lui ouvrant ainsi de nouveaux horizons sur un marché aujourd’hui en perte de vitesse. Cependant, même si certains aspirent à une architecture de qualité, ils ne contrôlent que dans de très rares cas l’intégralité du processus de production d’un bâtiment. On voit alors apparaître un certain « habillement » de l’objet architectural qui a été « pensé, décidé et réalisé par d’autres. »68 Les architectes se trouvent alors dans une situation d’exécuteur et « sont souvent incapables de décrire leur discipline et de justifier leur production.» Et même lorsque l'architecture peut être encore considérée comme l'œuvre des architectes à travers la conception « d’objets » urbains (bâtiments ou espaces publics), elle ne remplit toujours pas pleinement son rôle qui est de donner « forme à l'activité humaine et au territoire tout entier, aux paysages, aux villes, aux villages, aux bidonvilles, aux habitats 64 LEFEBVRE Henri, Métamorphoses planétaires, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 22 65 CLERC Denis et VOUILLOT Hervé (ss la dir.), Alternatives économiques : La ville autrement, Hors série N° 39, juin 2009, p 8 66 PAQUOT Thierry, L’architecte, l’urbaniste et le citoyen, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 26 67 PAQUOT Thierry, Op. Cit., p 29 68 PAQUOT Thierry, Op. Cit., p 26 28 et aux objets de l'habiter. »69 Comment ne pas alors considérer l'architecture comme la « grande absente du développement »70 ? Quant à l’urbaniste, il travaille à l’abri des regards, impuissant face aux pouvoirs de la manne rentière et appliquant des mesures et des règles imposées par l’administration et la temporalité des élus qui, il est vrai, n’incitent pas forcément à l’imagination ou à l’émancipation de la discipline. Mais bien que l’on puisse reprocher à certains de ne pas avoir assez défendu leur discipline, ce n’est pas l’urbanisme et l’architecture qui fond réellement défaut mais bien une époque où ces disciplines ne trouvent plus leur place dans les modes de production technocratiques et/ou néo‐libéraux de la ville, ce dernier ayant récemment pris l’avantage sur son prédécesseur. Pour exister, les disciplines de l’architecture et de l’urbanisme devront (re)devenir provocatrices dans leur démarche en réfléchissant aux moyens et aux outils de leur production mais elles devront également rallier les masses d’habitants à leur côté afin d’inciter les politiques à porter un autre projet de ville. Le point paradoxal de cette situation est qu’elle ne semble pas encore « être perçu par l’architecte et l’urbaniste comme une menace pour la spécificité de leur travail. »71 Et même si cette menace est perçue, il n’est guère facile de s’y opposer lorsqu’il s’agit de laisser emporter des parts de marché à ses confrères. Mais cette situation n’est‐elle pas un risque de voir disparaître ces disciplines qui ont porté de nombreux espoirs quant à l’amélioration des conditions de vie humaine ? On laissera ici Felix Guattari conclure : « La complexité de la position de l’architecte et de l’urbaniste est extrême mais passionnante dès lors qu’ils prennent en compte leurs responsabilités esthétiques, éthiques et politiques. Ou l’humanité, avec leur concours, réinventera son devenir urbain, ou elle sera condamnée à périr sous le poids de son propre immobilisme qui menace aujourd’hui de la rendre impotente face 72 aux extraordinaires défis auxquels l’histoire la confronte. » 69 GOSSE Marc, Le bidonville : phénomène naturel, œuvre ou processus ?, in DE FILIPPI, Francesca ; Slum[e]scape, Alinea, Firenze, 2009, pp. 11‐13 70 GOSSE Marc, Op. Cit. 71 PAQUOT Thierry, L’architecte, l’urbaniste et le citoyen, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 30 72 GUATTARI Felix : Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective, Revue Chimères, N° 17, 1992, p 18 29 2.2 Les limites de la recherche urbaine actuelle 2.2.1 Une « crise » mal cernée par les chercheurs de l’urbain Les éléments exposés ci‐dessus ne représentent qu’une infime partie des problématiques de la ville aujourd’hui mais il serait tout simplement impossible de toutes les traiter ici. La « crise de la ville » évoquée par les architectes, urbanistes est littéralement décortiquée par le monde de la recherche urbaine qui tente désespérément d’apporter des réponses à ce « phénomène » comme dans l’ouvrage collectif de Danièle Voldman73 ou celui dirigé par Yannick Marec74, les deux portant le même nom, « Villes en crise ? ». Mais l’on s’aperçoit qu’ils n’arrivent pas à dégager de grands traits explicatifs d’une telle situation. Ainsi, tout un vocabulaire est utilisé tel que « maux, pathologies, problèmes de l’urbain » pour tenter d’en esquisser les contours mais les points de vue des chercheurs divergent largement sur les facteurs qui amènent à cette « crise » généralisée. Ce qui peut être mis en question ici, c’est l’approche qu’ont ces chercheurs sur « l’objet d’étude ville ». Ceux‐ci tentent en général de trouver une porte d’entrée pour aborder la crise. Les causes évoquées sont souvent politiques, sociales et économiques mais la complexité de la ville est telle qu’il semble difficilement envisageable de la raisonner dans une approche de cause à effet. Les chercheurs considèrent en effet souvent cette « crise » comme la conséquence de plusieurs facteurs qu’ils séparent afin de les étudier en profondeur alors que « l’objet d’étude ville » demande d’avoir une approche globale, systémique. Ainsi, le choix des thèmes de recherche, la formulation des problématiques et des hypothèses, le choix des terrains d’observation et les méthodes d’investigation reposent souvent sur des « causes » qui ne peuvent expliquer à elles seules, l’état des villes dans le monde. Comment alors peut‐on espérer trouver les bonnes solutions face à un problème qui est mal posé ou dont les méthodes d’approche trop rigides n’offrent pas une vision globale de celui‐ci ? D’un autre côté, la perception de la ville est également à remettre en cause. Yannick Marec se demande d’ailleurs si ce ne sont pas finalement « les perceptions de la ville qui sont en jeu en affirmant qu’elles peuvent aller à l’encontre des réalités démontrées. »75 Il tire également la conclusion qu’on ne peut réduire la question sociale à la seule question urbaine et qu’il faudrait dépasser le seul cadre des cités pour comprendre cette crise.76 De cette interprétation découle toute une série d ‘orientation visant à répondre à la dite « crise de la ville ». Ainsi, l’on voit souvent des réponses dispersées qui ciblent des facteurs différents sur lesquels il faut agir pour répondre à la « crise ». Mais au delà de la multitude des réponses, c’est souvent les divergences idéologiques qui montrent que le débat actuel sur la « crise de la ville » est au plus haut. Si l’on prend par exemple le 73 VOLDMAN Danièle (coord.), Villes en crise ?, N°64 de Vingt et unième siècle MAREC Yannick (dir.), Villes en crise ?, Creaphis, 2008 75 MAREC Yannick (dir.), Villes en crise ?, Creaphis, 2008, p 10 76 MAREC Yannick, Op. Cit. 74 30 débat sur les bidonvilles, contrairement à la vision apocalyptique de Mike Davis sur ceux‐ci, d’autres chercheurs tel que Marc Gossé émettent l’idée que le bidonville est « peut être la seule réponse à la crise de l'habitat urbain. »77 Quand aux urbanistes et architectes, ils interprètent la « crise » comme « une défaillance dans la maîtrise de la croissance et de la gestion urbaine, en bref, une crise des modèles urbains. »78 Mais cette « crise » mondiale qui touche désormais un bon quart de l’humanité peut‐elle s’expliquer par l’unique « crise » des modèles urbains ? La « crise » ne serait‐elle pas plus de l’ordre culturel et sociétal puisque le système mondialisé arrache désormais les Hommes de leur territoire à travers les villes ? Il serait vain de tenter d’apporter une réponse ici, toujours est‐il que les débats actuels sur la « crise de la ville » ne sont pas satisfaisants car ils n’offrent que peu de perspectives de résolutions d’ailleurs souvent traduites par la seule amélioration des équipements matériels pour les bidonvilles ou une aide au logement pour les ménages les plus en difficulté dans les pays aisés. 2.2.2 Le difficile couple recherche‐politique « La science académique place l’objectivité dans le principe que la connaissance est produite hors du contexte d’étude, le chercheur n’est pas impliqué par son objet. »79 Cette phrase exprime toute la difficulté pour une démarche de recherche à visée transformatrice de s’établir dans un cadre académique. Bien que tout le monde s’accorde à dire que la finalité de la recherche soit de produire du savoir, il ne faut pas oublier de se demander « quel type de savoirs, à quelles fins et au profit de qui nous devons le produire ? »80 Sur ce point Jean Pierre Garnier et sa lecture critique de la recherche urbaine est, bien que virulente, intéressante et montre à quel point le cadre imposé aux chercheurs en sciences sociales les incite à pointer certaines dérives ou incohérences d’un système de production de la ville défaillant au lieu de le remettre en question dans son intégralité. Il reproche en effet à la recherche urbaine et aux sciences sociales en général de « ne plus vouloir comprendre le monde pour le transformer »81 et d’avoir préféré instaurer une démarche de compréhension et de description de la situation au lieu d’établir un processus explicatif et prescriptif. Ce type de procédure entrainant par la même la perte de l’esprit critique de l’ordre établi. Bernard Jouve allait également dans ce sens lorsqu’il critiquait la posture du 77 GOSSE Marc, Le bidonville : phénomène naturel, œuvre ou processus ?, in DE FILIPPI, Francesca ; Slum[e]scape, Alinea, Firenze, 2009, pp. 11‐13 78 GOSSE Marc, La crise mondiale de l’urbanisme, quels modèles urbains ?, Les annales de la recherche urbaine, N° 86, Développement et coopération, juin 2000, p 89 79 BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 8 80 GARNIER Jean‐Pierre, La volonté de non‐savoir, Agone N°38‐39 : Villes & résistances sociales, 2008, p 50 81 GARNIER Jean‐Pierre, Op. Cit. p 58 31 chercheur se contentant de décrire avec minutie ce qu’il observe, « posture qu’il interprétait comme une forme de démission des intellectuels face à leur responsabilité d’offrir un autre regard sur le monde social et des armes pour le transformer. »82 La recherche française avait donc pour lui progressivement abandonné l’espoir d’utilité pour la transformation sociale. Position que l’on pourrait extrapoler à la recherche urbaine aujourd’hui. Même s’il existe quelques auteurs remettants en cause l’urbanisation capitaliste responsable en grande partie des phénomènes ou effets exposés plus haut dans ce mémoire, il est vrai que la majorité des chercheurs de l’urbain ne rompent pas de manière évidente avec la pensée dominante de la ville actuelle (propriété, attractivité, compétitivité, bonne gouvernance, habitabilité, etc.) bien que les questionnements et débats sur celle‐ci et ses effets sont nombreux. D’un autre côté, l’on peut émettre l’hypothèse que la condition sociale des chercheurs peut déterminer par certains aspects le trajet intellectuel de ceux‐ci. On peut en effet se demander comment certains chercheurs proches des centres de décision ou visant de hauts postes dans une institution publique pourraient émettre de vives critiques au fonctionnement actuel des choses ? Même si cette hypothèse est largement repoussée par les chercheurs en question qui se défendent de porter l’objectivité au cœur de leur démarche, il n’en reste pas moins qu’un individu peut affirmer (ou non) son souhait de changement en fonction de la situation qu’il traverse ou des objectifs qu’il souhaite atteindre. Bien que l’institution publique ait ces défauts, elle protège en partie les chercheurs de certaines pressions extérieurs. Hors, on voit apparaître dans le champ de la recherche urbaine française des laboratoires directement financés par de grands groupes privés comme par exemple l’Institut pour la Ville en Mouvement financé par Peugeot‐PSA83 ou l’observatoire des modes de vie urbains de Veolia.84 Comment doit‐on interpréter cela ? Les résultats des recherches seront‐ils réellement objectifs ? La question centrale ici est finalement celle de l’objectivité de la recherche qui dépend de l’implication du chercheur dans son objet d’étude ou du cadre dans lequel la recherche s’inscrit. Ne peut‐on pas se prétendre chercheur en affirmant ses valeurs progressistes ? Le monde scientifique est en général hostile à toute prise de parti politique en affirmant que seul l’indépendance idéologique, la distance et 82 BARDET Fabrice et PURENNE Anaïk, Surveiller et classer : Deux chantiers pour une recherche urbaine critique, Pôle Sud, 2010/1, N° 32, p. 179‐190 83 http://www.ville‐en‐mouvement.com/ 84 http://www.observatoire.veolia.com/fr/ 32 le recul face aux faits et à l’objet d’étude permettent d’offrir des réponses responsables et libres de toutes influences omettant par la même occasion le rôle politique de la recherche. La recherche est indispensable dans le domaine de la ville si l’on souhaite trouver des pistes d’action face à l’état de « crise » actuel des villes du monde. Mais celle‐ci doit t‐elle uniquement produire des connaissances sans savoir à quelle fin elles seront utilisées? Il paraît aujourd’hui plus que nécessaire de s’assurer que ces connaissances puissent être à la porté de tous et profiter à tous, c’est à dire, qu’elles soutiennent une démarche de transformation des modes de production de la ville qui n’est pour le moment, nous l’avons vu plus haut dans ce mémoire, pas accessible à la majorité. Mais cette réponse est‐telle suffisante ? L’accepter serait tout simplement admettre qu’il y a le savant d’un côté et le profane de l’autre. Les connaissances doivent être à la portée de tous mais ne devraient‐elles pas être aussi produites par tous ? 2.2.3 Quand la recherche oublie l’action et vice versa Un autre point semble aujourd’hui poser problème dans le domaine de la recherche urbaine, c’est son lien avec le monde de l’action urbaine. Nous pouvons constater de manière générale que les chercheurs et les universités se situent en dehors du cadre de production de la ville. Les chercheurs s’attellent en effet dans la majorité des cas à produire des documents d’aide à la prise de décision et ne peuvent que rarement intervenir en tant qu’acteur sur la scène publique. Lorsqu’un chercheur fait du terrain, bien qu’il soit dans l’action, il le fait avant tout pour récolter une information et non pour travailler directement avec les habitants ou les acteurs locaux. Alain Durand Lasserve reconnaît qu’il est difficile, en particulier dans le domaine de la recherche urbaine – de ne pas tenir compte de la demande des professionnels intervenant sur la ville ou des responsables des villes mais il avoue que « l’association chercheurs‐professionnels reste rare en France.»85 Celle‐ci est également reconnue plus facile dans les sciences de l’ingénieur que dans les sciences sociales lorsque le « coefficient d’humanité » de la discipline concernée est élevé. Etant donné que la production de la ville n’a pour autre objectif que de construire la maison de l’Homme, le « degré d’humanité » est ici au plus fort. L’institutionnalisation de la recherche a également ses limites. Le dispositif français de recherche est en effet caractérisé par l’existence de grands établissements employant un nombre important de chercheurs à plein temps, fonctionnaires de l’Etat. Cette situation tend « à encourager les 85 DURAND‐LASSERVE Alain, Les relations entre chercheurs et professionnels, revue ville en développement, N° 46, 1999 33 corporatismes et la défense des avantages acquis, à figer certaines disciplines en freinant le renouvellement de leur cadre conceptuel ; elle peut nuire à l’innovation et contribue à décourager les collaborations entre chercheurs et professionnels. »86 Cet argument qui vient renforcer l’idée émise dans la partie précédente montre également à quel point le cloisonnement des acteurs (chercheurs inclus) peut être un frein à l’émergence de solutions collectives et interdisciplinaires. D’autres raisons peuvent être invoquées, les professionnels et chercheurs n’ont pas les mêmes habitudes et les mêmes rythmes de travail. Les échéances et les délais ne sont pas perçus de la même manière par les uns et les autres. En ce qui concerne la transmission du savoir produit par les chercheurs, il n’est pas toujours rendu accessible à tous. Les chercheurs éprouvent en général des difficultés à s’adresser à un autre public que celui de leurs étudiants et surtout de leurs collègues de travail. L’usage de la langue est ici essentiel, les écrits sont souvent remplis d’un vocabulaire spécifique et de références savantes rendant difficile l’appropriation de ceux‐ci par la majorité de la population. Ainsi, une part importante des travaux des chercheurs et des universitaires français sur les villes est perdue chaque année car n’ayant pas réussi à assurer le transfert des connaissances vers les utilisateurs potentiels des résultats de la recherche. Il est également reconnu que la culture scientifique, et particulièrement en France, est plus de tradition académique que pragmatique. Les scientifiques ont « une culture très littéraire qui confère à l’écrit un rôle central. De même, tout homme public qui aspire à une légitimité intellectuelle pense la trouver dans la reconnaissance académique en écrivant un livre. »87 D’ailleurs, le milieu de l’architecture, et notamment les écoles d’architecture, s’est méfié pendant longtemps des livres et des universitaires.88 Même si pour ce dernier exemple, la situation semble s’être améliorée, il est aujourd’hui encore nécessaire de rapprocher ces deux pôles pour inciter à conscientiser l’acte de bâtir. En résumé, pour le seul cas français, nous constatons que l’association de la recherche et de l’action dans le milieu de l’urbain est loin d’être opérationnelle. Elle sera pourtant nécessaire si l’on souhaite décloisonner les professions qui travaillent sur le domaine de la ville. Pourquoi dépenser tant d’efforts pour si peu de résultats ? La transversalité semble ici indispensable à l’émergence de solutions créatrices mais l’on peut toutefois se demander si le cadre imposé par les institutions permettra d’esquisser une telle transformation ? 86 DURAND‐LASSERVE Alain, Op. Cit. BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 8 88 PAQUOT Thierry, L’architecte, l’urbaniste et le citoyen, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 26 87 34 On a pu s’apercevoir dans ce chapitre que les acteurs ou les chercheurs de l’urbain sont impuissants face à l’ampleur du processus d’urbanisation et ses effets négatifs sur la ville elle même. Les réponses apportées reposent souvent sur des problèmes qui ne sont pas toujours bien fondés ou ciblés. Ainsi, les actions portées sont dans la majorité des cas dispersées et généralistes. Pour espérer répondre correctement à la « crise de la ville », il est donc primordial de l’aborder de manière différente. Chapitre 3. Face à cette « crise » : Les propositions du LIHP Les propositions émises s’appuient sur des partis pris qui constituent les fondements du LIHP. Ceux‐ci sont issus de réflexions fondées sur la réalité des faits exposées de manière non exhaustive en première partie de ce mémoire. Il est important de souligner ici que le LIHP, bien que persuadé de la justesse de ces partis pris, ne prétend pas détenir la vérité absolue et il est tout à fait possible que la mise en pratique de ceux‐ci à travers les territoires d’action échoue. Cependant, de possibles échecs ne les invalideront pas pour autant car ceux‐ci ne pourront être approfondis et rendus pertinents qu’après plusieurs essais sur différents territoires d’action Ces partis pris qui font toujours objets de discussions ne peuvent donc pas se réduire au simple statut d’hypothèse. Le projet du LIHP s’appuie sur « deux » partis pris, à savoir, le parti pris politique de l’habitat populaire et celui de la recherche‐action. Cependant, ces deux grands axes recouvrent d’autres fondamentaux comme l’importance de porter une réflexion à l’échelle internationale, la volonté de replacer l’habitant au cœur du processus de production et de réflexion de la ville, la nécessité d’avoir une vision globale de ce système en vue de le transformer dans son ensemble, la primauté de la qualité architecturale et urbaine ou encore la confrontation de la réflexion à travers les territoires d’action. 3.1 Une action nécessairement portée à l’échelle internationale Face à une « crise » mondiale, comment ne pas vouloir porter une action à l’échelle internationale ? Porter une action uniquement en France aurait été tout à fait possible mais les problématiques ou enjeux ici ne sont pas celles ou ceux d’un autre pays, d’un autre territoire, d’une autre culture. Il en va que le champ de réflexion et de compréhension de la situation s’en serait trouvé considérablement limité. Au contraire, le LIHP veut se donner les moyens d’avoir une vision globale des choses car la complexité et la diversité de la ville l’imposent. L’échelle internationale permet et oblige à élargir le champ de vision et les perspectives d’expérimentation. Face à la globalisation de la production urbaine et à la standardisation de nos villes, il est nécessaire de faire émerger des solutions des territoires et des cultures qui sont les seules à pouvoir offrir un habité riche et diversifié. Parvenir à cela sur les cinq 35 continents serait bel et bien la preuve que le processus actuel de mondialisation n’est pas une fatalité et que chaque territoire peut offrir à ses habitants un habitat populaire singulier. 3.2 Le parti pris politique de l’habitat populaire Face à la misère et aux conditions de vie indignes d’une majorité de la population, à la prédominance d’un système capitaliste qui étouffe nos cités et les auteurs qui la font vivre, le LIHP souhaite remettre l’Homme au cœur de la ville, c’est ce qu’il exprime à travers la notion d’habitat populaire. 3.2.1 « Crise de la ville » et celle de l’habitat populaire Le LIHP est persuadé que la « crise de la ville » et de l’habitat populaire sont intimement liées. Ce dernier étant aujourd’hui de plus en plus périphérisé et stigmatisé, il traverse également une « crise » profonde et ne joue plus un rôle central dans la production de la ville. Le LIHP pense donc que c’est uniquement en le replaçant au centre du processus de production de la ville que l’on pourra résoudre la « crise » qu’elle traverse. Il semble ici important de rappeler comment s’est construite cette réflexion. Le LIHP est parti du constat que les logements sociaux périphérisés et notamment les grands ensembles français avaient fait l’objet d’une forte volonté politique gouvernementale il y a trente à cinquante ans. Ces politiques, qui devaient résoudre la « crise » traversée par ces quartiers ont en fait, dans la grande majorité des cas, échouées. Elles ont en effet entrainées une « régression urbaine » progressive de ces quartiers jusqu’aux difficultés connues aujourd’hui et dont sont si friands les médias de masse. Suite à ce constat, le LIHP s’est donc attelé à étudier l’origine de la problématique de ces quartiers. Il a pu s’apercevoir que parmi les très nombreux projets de construction de logements sociaux des années 50, 60 et 70 dans les périphéries des grandes villes françaises, seule une minorité de ces réalisations avaient concouru à une réelle dynamique urbaine comme par exemple à Ivry et Givors. Le LIHP en a donc tiré le constat (qui reste toujours en réflexion) que ces échecs relevaient de deux points concomitants, à savoir, le positionnement périphérique des réalisations et le fait que celles‐ci ne portaient pas en elles de « dimension nécessairement urbaine ». Ces réalisations ne s’étaient pas intégrées à la ville avec toutes les conséquences que cela a pu entrainer pour leurs habitants. La ville initiale n’arrivant pas à intégrer le logement social, les deux « éléments» sont entrés en conflit en approfondissant ainsi leurs « crises » respectives.89 L’interaction constatée ici a amené le LIHP à penser que la résolution de ce problème ne pouvait s’envisager que dans l’appréhension globale du « problème ville et logement social » et non de manière différenciée. On ne peut donc faire du 89 Gérald Souillac, membre du comité scientifique 36 logement social sans y intégrer une dimension urbaine qui est la seule porte d’entrée à une véritable intégration dans la ville. Bien que ce constat constitue le cœur de la réflexion du LIHP, celui‐ci n’omet pas le fait que d’autres facteurs participent également à la « crise de ville » telle que la localisation de zones de production, d’activité, le transport, etc. Il n’en reste pas moins que le rôle central du logement social n’était pas encore suffisamment justifié pour le considérer comme un cadre référentiel. En étudiant l’évolution de la représentation du logement social depuis la fin de la deuxième guerre mondiale en France, le LIHP a pu observer que celui‐ci suivait une dégradation historique quant à sa représentation dans la société française. Cette dernière considérait au départ le logement social comme porteur d’émancipation. Aujourd’hui, il est montré du doigt comme un simple objet d’assistanat. Par conséquent, le caractère limité du logement social que ce soit historiquement ou géographiquement, ainsi que l’isolement idéologique du qualificatif « social » ont conduit le LIHP à adopter la notion d’ « habitat populaire ». Celui‐ci est en effet plus adapté que le logement social pour plusieurs raisons. L’habitat populaire possède d’une part une dimension plus générique que le logement, le premier intègre le second alors que l’inverse n’est pas vrai. Il offre le « potentiel d’universalité » nécessaire à la dimension internationale souhaitée par le LIHP. Il ne peut être définit clairement car c’est un processus qui permet d’appréhender la ville afin de la conscientiser mais également de la transformer. D’autre part, l’habitat populaire a une dimension prospective, il doit être conçu à partir d’une vision de l’avenir et ne peut être qu’un simple produit du passé s’appuyant uniquement sur un savoir vernaculaire. Pour que les cultures gardent leur identité et dépassent leurs difficultés, elles doivent pouvoir se projeter dans l’avenir. Enfin, le terme « populaire » est apparu plus politique et moins « fragile » que le qualificatif « social » car il représente une question d’importance globale dans l’ensemble de la société et n’est plus un simple objet ou une question catégorielle et sociale. Il s’agit ici d’en faire une question politique à part entière au même titre que le salaire, la santé ou l’éducation. 3.2.2 L’indispensable volonté politique Le parti pris de l’habitat populaire n’émane pas d’une pensée humaniste mais il est un choix réfléchi, fondé sur une analyse de la société et notamment du constat du retrait (ou faillite) des pouvoirs publics dans la production de la ville. Le LIHP défend donc l’idée qu’on ne peut concevoir la ville sans projet politique. Cet aspect est indispensable car dès que l’on accepte que le cadre de vie devienne 37 une problématique politique, les perspectives et l’action se modifient en profondeur.90 Il est donc essentiel d’avoir une vision politique de la ville et de produire une analyse critique du cadre imposé par l’action politique et économique afin de comprendre ses échecs et d’esquisser sa transformation. Felix Guattari va également dans ce sens en reconnaissant que « les moyens de changer la vie et de créer un nouveau style d’activité, de nouvelles valeurs sociales sont à portée de la main. Seuls font défaut le désir et la volonté politique d’assumer de telles transformations. »91 Il n’est donc pas question ici d’introduire la politique dans le projet mais d’assumer la nature politique de la question de l’habitat populaire.92 Cependant, le LIHP ne pourra porter seule cette volonté et devra pour cela mobiliser les acteurs politiques afin d’engager une action à visée transformatrice. 3.3 Une démarche plus qu'une méthodologie, la recherche‐action Cette partie aura pour objet de proposer des éléments de compréhension sur la notion de « recherche‐action ». Il sera plus question ici de tirer les grands traits qui caractérisent et différencient la recherche‐action de la recherche et de l’action urbaine ordinaire que de projeter un panorama exhaustif sur le sujet. Ces quelques éléments ne sont pas nécessairement ceux développés par le LIHP, mais sont essentiellement issus de la littérature sur le sujet. Cette base théorique constituant un référentiel pour les prochaines parties, il a semblé ici pertinent de s’affranchir de la vision du LIHP afin de porter une réflexion « objective » sur la démarche de celui‐ci à Usme. D’une manière générale, il n’existe pas une recherche‐action mais des recherches‐actions qui varient selon les disciplines d’application, l’implication des chercheurs ou des acteurs, les techniques employées, etc. D’ailleurs, les auteurs qui reconnaissent mener une recherche‐action ne s’entendent pas sur ce qu’il convient ou non de considérer comme recherche‐action. Ils ne sont ni d’accord sur les pratiques, ni sur les procédures de recherche, ni sur les typologies, « de sorte que la notion de recherche‐action demeure largement polysémique. »93 Si l’on part du principe que les faits humains et sociaux sont en perpétuels mouvements (processus) et qu’ils peuvent accueillir en eux une certaine incertitude, comment alors ne pas considérer la recherche‐action comme unique « façon » de cerner ces faits sans vouloir les encercler, les restreindre à des éléments figés puisqu’il faut s’adapter à la nature de l’objet d’étude pour mieux l’appréhender? 90 LEFEBVRE, Métamorphoses planétaires, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 23 91 GUATTARI Felix : Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective, Revue Chimères, N° 17, 1992, p 14 Gérald Souillac, membre du comité scientifique 93 VERSPIEREN Marie‐Renée, Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation, Coédition Contradictions/L’harmattan, 1989, p 9 92 38 De la même manière, le LIHP considérant que l’action n’est pas suffisante et qu’il est indispensable de rendre intelligible l’action que l’on mène, la recherche‐action semble être la seule démarche permettant d’atteindre ce double objectif et de répondre à la complexité des situations contemporaines. 3.3.1 L’articulation entre recherche et action La recherche‐action est multiple et dépend des personnes qui y concourent. Dans son ouvrage « Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation » 94, Marie Renée Vespieren définit trois types de recherches‐actions. Certains vont privilégier l’action pour répondre rapidement et de manière efficace à une crise, une situation problématique. Les chercheurs se transforment alors en de simples conseillers des acteurs et institutions qui sont à l’origine de la demande, le pôle action est ici dominant, on parlera alors de recherche‐action de type institutionnel. Ce type de recherche‐action, comme son nom l’indique, ne permet pas une réelle transformation du système institutionnel souvent lui même porteur de problème. D’autres vont se servir de l’action pour approfondir leurs recherches ou vérifier leurs hypothèses oubliant ainsi l’aboutissement de l’action, le pôle recherche domine ici la démarche et les chercheurs partagent peu leurs savoirs, on parlera alors de recherche‐action de type expérimental. Enfin, un troisième type, dit « systémique », repose sur l’équilibre des deux pôles en passant par une construction collective et progressive de l’association des différents « partenaires », chercheurs et praticiens. A ceci, s’ajoute la volonté de penser l’objet d’étude et le fonctionnement du groupe de manière dynamique et évolutive. Dans ce cas, les chercheurs deviennent acteurs et les acteurs deviennent chercheurs, ou mieux encore, le groupe se transforme en chercheur‐acteur collectif. La recherche‐action va plus loin que la recherche classique car elle poursuit, en même temps qu’un objectif de production de connaissances, un objectif de transformation de la réalité. « Elle réhabilite donc l’action dans le champ de la recherche, modifiant par là le rapport du chercheur à la recherche et à l’action ainsi que le rapport du praticien à la pratique et à la recherche. »95 Seule cette réciprocité dans l’implication du chercheur et de l’acteur peut résoudre le problème de la division du travail au sein de la recherche‐action. C’est ainsi que l’échange de savoir entre chercheur et praticien peut avoir lieu. 94 VERSPIEREN Marie‐Renée, Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation, Coédition Contradictions/L’harmattan, 1989, 396 p 95 VERSPIEREN Marie‐Renée, Op. Cit., p 70 39 La recherche‐action est cependant critiquée pour son articulation difficile entre les deux pôles, les acteurs lui reprochent de ne pas être assez opérationnelle, les chercheurs de ne pas être assez scientifique notamment du fait de son manque d’objectivité. Sur ce dernier point, Marie Renée Verspieren défend l’idée qu’en sciences humaines, « tout chercheur – quel qu’il soit, et sans doute encore beaucoup plus le spécialiste de l’action social – ne peut manquer de garder ses aspirations, ses craintes, ses convictions. »96 3.3.2 L’habitant, l’acteur et le chercheur au même niveau Le LIHP souhaitant réintégrer l’habitant au cœur du processus de production de la ville, il n’a ni la volonté ni la légitimité d’être source de modèles ou de solutions pratiques pensés en « laboratoire » et proposés « d’en haut ».97 Seule une démarche horizontale est pensable dans un processus construit collectivement. La recherche‐action va dans ce sens car elle « s’oppose à la parcellisation des actions et des savoirs, à l’ordre hiérarchique des compétences, à la verticalité des programmes et à la linéarité des projets. »98 L’horizontalité du processus se détermine donc au rapport entre chercheurs, praticiens et à l’objet de la recherche. Si ce trio trouve un équilibre dans la répartition des rôles, la recherche peut être rendue accessible à la population tout en lui rendant service. Elle disposera alors des moyens d’agir de manière responsable sur la production de son habitat. Selon Michel Liu, les chercheurs classiques et notamment en sciences sociales considèrent les individus sous recherche (ISR) uniquement comme de simple objet d’étude. Ce procédé incite donc ces derniers ‐ que l’on peut considérer comme les acteurs institutionnels et les habitants pour notre cas ‐ à se désintéresser de la recherche au bout d’un certain temps lorsque l’étude ne leur demande aucun effort particulier. Sur ce point, l’intérêt des différentes personnalités qui constituent le groupe de recherche‐action s’exprime par « un certain nombre de valeurs partagées dont une volonté commune de lutte contre les divisions sociales du travail dissociant recherche et action, praticiens et chercheurs ».99 La transformation de cette division passe par l’étude de « l’instituant et l’institué »100 et la remise en cause des rapports hiérarchiques au sein du groupe de travail. Cependant, pour arriver à remettre en cause cette verticalité, il faut que tous les professionnels spécialisés dans un champ d’activité accèdent à un véritable statut de chercheur et à l’inverse, les chercheurs accèdent à un 96 VERSPIEREN Marie‐Renée, Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation, Coédition Contradictions/L’harmattan, 1989, p 86 97 Recherche, Recherche‐action, quelle place et quelle forme dans le LIHP ?, 2011, p 2 98 BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 3 99 BAZIN Hugues, Op. Cit., p 13 100 VERSPIEREN Marie‐Renée, Op. Cit., p 97 40 statut d’acteur opérationnel lors des situations de travail collectif. Mais pour arriver à cela, ils doivent s'en donner les moyens en changeant de posture intellectuelle et pratique.101 3.3.3 Transformation individuelle et institutionnelle Le LIHP ne souhaite pas être un simple lieu de rencontre et d’échange inter‐institutionnel car il ne pourrait constituer «le cadre organisationnel permanent que requiert la production de cette valeur d’usage singulière et utilisable pour tous ».102 Il doit pour cela être autonome et doit s’affranchir des idéologies et pratiques des institutions qui participeront à sa démarche. Lewis Mumford prévient d’ailleurs à ce sujet que « les fondateurs de la cité future, devront réparer les plus fâcheuses conséquences des cloisonnements professionnels. »103 Jean Marc Dollé disait que « faire ville, c’est s’insurger contre l’état des choses ». Si l’on s’accorde sur ce principe, la recherche‐action va dans ce sens car sa force réside dans son potentiel de développement et de transformation. Le texte fondateur du LIHP reprend cette idée en affirmant que seule une analyse renouvelée car engagée des contradictions et des conditions de tous ordres qui modèlent l’acte de construire peut permettre de rechercher et de mettre en œuvre des transformations réellement progressistes. »104 Comme nous avons pu le remarquer précédemment, le savoir de type académique ne reste trop souvent accessible qu’à une part infime de la société. A l’inverse, en sciences sociales, la recherche‐ action ne souhaite pas produire ce type de savoir mais cherche avant tout à le mettre à disposition de la société. La recherche‐action est intéressante sur ce point car « elle n’oblige pas les acteurs ou chercheurs à quitter leur identité socioprofessionnelle, mais elle permet au contraire de l’enrichir. »105 A ce titre, le LIHP offre, à travers la recherche‐action et à chaque membre qui y contribue, la possibilité de se former dans un espace de travail collectif et horizontal. En intégrant une démarche de recherche‐action, les institutions doivent s’efforcer de sortir de leur cadre d’action et de réflexion habituel. Bien que cet effort est autant indispensable que difficile, il n’est pas impossible car selon René Barbier, « les institutions sont des structures objectives qui s’imposent à notre esprit, mais leur devenir est toujours incertain car elles sont à la fois reproduites et 101 BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 3 Gérald Souillac, membre du comité scientifique 103 MUMFORD Lewis, La cité à travers l’histoire, Seuil, 1961, p 716 104 Texte fondateur du LIHP, 2008 105 BAZIN Hugues, Op. Cit., p 7 102 41 produites par l’action humaine. »106 « Transformer la société urbaine constitue une tache qui dépasse le cadre traditionnel des politiques urbaines. »107 Les institutions sont en effet souvent pointées du doigt car « bien souvent toutes les ressources sont monopolisées pour résoudre les problèmes générés par les institutions elles‐mêmes plutôt que de s’attacher aux réels problèmes que nous renvoient les situations socioprofessionnelles. »108 Henri Lefebvre partageait la même idée sur la ville, selon laquelle, celles‐ci étouffent sous la technocratie et la bureaucratie qui ne sont autre que l’institutionnel. Or, selon lui, « l’institutionnel est l’ennemi de la vie urbaine, dont il fige le devenir. »109 La recherche‐action va dans ce sens car elle veut offrir à l’institution un espace‐temps où peuvent se réfléchir des problèmes, des blocages, des tensions. En d’autres termes, la démarche de recherche‐action « bouleverse le formalisme institutionnel et permet l’explicitation d’un non‐dit. »110 Cette transformation des institutions ne doit pas être la seule, les habitants ou acteurs non institutionnalisés qui intègrent le groupe de travail doivent aussi s’efforcer de faire évoluer leur vision, leur idéologie et pratiques quotidiennes. Ce changement de point de vue accompagne l’idée de Felix Guattari, selon laquelle, on ne peut espérer « recomposer une terre humainement habitable sans la réinvention des finalités économiques et productives, des agencements urbains, des pratiques sociales, culturelles, artistiques et mentales » sans passer « par l’évolution des mentalités urbaines ».111 Cependant, pour arriver à cela, il faut concevoir son rapport aux autres et au monde qui commence toujours par une prise de conscience de sa propre situation socioprofessionnelle, en cela « la recherche‐action demande avant tout une certaine sensibilité et intelligence des situations, une envie de connaissance. »112 3.3.4 Pluridisciplinarité, démarche collective et production de connaissances Face aux cloisonnements institutionnels et à la division du travail, chaque point de vue, chaque compétence doit participer à une action commune responsable. C’est en maintenant la diversité des rôles et des statuts des personnes qui composent le groupe de recherche‐action qu’il est possible de réduire le cloisonnement entre les logiques de la science. Sur ce point, la recherche‐action réunit dans 106 VERSPIEREN Marie‐Renée, Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation, Coédition Contradictions/L’harmattan, 1989, p 96 107 SACHS Ignacy (ss la dir.), Quelles villes, pour quel développement ?, PUF, 1996, p 321‐322 108 BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 3 109 LEFEBVRE, Métamorphoses planétaires, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 22 110 VERSPIEREN Marie‐Renée, Op. Cit., p 79 111 GUATTARI Felix : Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective, Revue Chimères, N° 17, 1992, p 3 112 BAZIN Hugues, Op. Cit., p 4 42 la majorité des cas des personnalités différentes quant à leurs expériences, leurs disciplines d’appartenance et leurs statuts. La compréhension d’une situation est facilitée par le croisement des points de vue des disciplines et des spécialités. Ainsi, la pluridisciplinarité est un élément majeur pour esquisser la transformation d’une situation. Mais il n’est pas le seul, pour que cette action fonctionne, l’intérêt individuel doit rester secondaire pour que les propositions faites soient progressistes et favorisent l’intérêt général. Ce processus ne peut s’engager qu’à travers une prise de conscience de la démarche qui s’opère à travers la rencontre et les échanges avec d’autres personnes partageant les mêmes préoccupations et le même mode d’implication. Le chercheur collectif se constitue lorsque le groupe de travail « prend en charge totalement ce processus de conscientisation/problématisation et s’approprie — en particulier à travers l’écriture — les moyens de production de la connaissance ».113 En recherche‐action, la connaissance n’est pas le produit d’une étude sur la réalité, mais la conséquence d’une transformation de la réalité, d’une situation, car c’est celle‐ci qui permet de « mieux comprendre les donnés, les ressorts et les enjeux. »114 Il n’y a donc pas de chercheur qui arrive sur le « terrain » pour faire une étude et il ne s’agit pas non plus d’apporter un savoir et un outillage prédéterminés comme le ferait l’« expert » ou le « consultant ». Elle n’apporte donc pas de réponse clef en main et n’offre pas de solutions opérationnelles immédiates. La réponse recherchée se trouve avant tout dans des situations à construire collectivement. Ce sont « tous les acteurs en situation et en temps réel qui sont porteurs de la recherche‐action : ils posent le cadre et la problématique de travail, les outils d’expérimentation et de vérification. »115 Il est également reconnu que les acteurs adhèrent à ce processus parce qu’ils sont eux‐mêmes dans un mouvement réflexif de questionnement et pensent que ce procédé peut améliorer leurs actions. « Les chercheurs sont obligés de remettre en question leurs connaissances, leurs théories et pourquoi pas, leurs aprioris, alors que les praticiens prennent du recul par rapport à leur quotidien et s’interrogent sur les causes de leurs actes. »116 3.3.5 La recherche‐action, un chemin qui se trace face à la complexité de la ville Henri Lefebvre disait que « la société urbaine se forme en se cherchant. »117 Le LIHP, en choisissant le parti pris de la recherche‐action va dans ce sens car celle‐ci est considérée comme un processus en perpétuelle construction, une démarche qui n’est encore ni classique, ni figée. Il est d’ailleurs admis qu’elle est avant tout un état de mouvement avant d’être une expérimentation. Elle n’est pas une 113 BAZIN Hugues, Op. Cit., p 6 Recherche, Recherche‐action, quelle place et quelle forme dans le LIHP ?, 2011, p 4 115 BAZIN Hugues, Op. Cit., p 3 116 VERSPIEREN Marie‐Renée, Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation, Coédition Contradictions/L’harmattan, 1989, p 103 117 LEFEBVRE Henri, Métamorphoses planétaires, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011. 114 43 simple méthodologie (comme un outil qui se transmet de génération en génération) mais un processus qui forge ses propres outils. »118 Bien que la recherche‐action montre un chemin un peu mystérieux, elle est toujours portée par un but stratégiquement défini et précis. De même, l’objectif du LIHP est clair, produire de l’habitat populaire mais le chemin pour y arriver n’en reste pas moins énigmatique et se trace après chaque étape réalisée. Ce qui importe par conséquent, c’est plus « la démarche et aux éléments qui l’orientent et la structurent plutôt qu’aux étapes à franchir et aux « objets » à produire. »119 Mais face à la complexité de la ville, comment ne pas envisager une approche par étapes successives ? Felix Guattari souligne d’ailleurs le fait que « l’on assiste trop souvent à une méconnaissance de l’aspect global des problématiques urbaines et les politiques ont tendance à abandonner ces questions aux spécialistes. »120 Il en va que la non prise en compte de cette globalité laisse place à des réponses spécialisées qui reposent souvent sur la recherche d’une cause. Le LIHP admet l’impossibilité d’effectuer une analyse cartésienne sur la ville qui écarte la prise en compte des interactions entre les différents éléments qui la constituent. L’enjeu de l’approche globale est au contraire « d’éviter d’agir sur des symptômes en laissant masquées les causes réelles de la crise. »121 Il est donc essentiel d’élargir et d’approfondir le champ de questionnements durant le processus de recherche‐action. À la différence de la démarche analytique classique qui sépare les éléments d’une situation, la recherche‐action estime que « la connaissance des situations complexes implique une compréhension globale qui s’affine progressivement par approximations (série d’évaluations approchées) et expérimentations. »122 Elle va donc dans le même sens de ce que prônait Joël de Rosnay en 1977 dans son livre « Le macroscope, vers une vision globale » où il définit la ville comme un système complexe qui ne peut être intelligibilisé que dans son ensemble123. La recherche‐action est également reconnue comme pertinente dans « les moments de profondes transformations lorsque les repères habituels sont bouleversés, quand le monde n’est plus pensable et que les modes d’approche classiques ne peuvent résoudre la situation. « La recherche‐action apparaît alors comme mode intelligible et évident de le penser autrement. »124 Elle relève d’une attente, d’un désir d’aller plus loin. La recherche‐action peut alors être considérée comme une « science radicale » dans le sens où elle reconnait la complexité des situations humaines et exige pour cela « une rupture épistémologique et existentielle dans notre 118 BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 2 Recherche, recherches‐actions : quelle place et quelles formes dans la démarche du LIHP ?, p 2 120 GUATTARI Felix : Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective, Revue Chimères, N° 17, 1992, p 11 121 Recherche, recherches‐actions : quelle place et quelles formes dans la démarche du LIHP ?, p 3 122 BAZIN Hugues, Op. Cit., p 3 123 DE ROSNAY JOEL, 1977, Le macroscope, vers une vision globale, Seuil, 346 p. 124 BAZIN Hugues, Op. Cit. 119 44 manière de penser et d’agir. »125 La recherche–action est séduisante par bien des aspects. De part la nature et l’ambition du projet du LIHP, elle s’impose d’ailleurs comme le seul choix possible. Bien qu’elle ne puisse se définir par des règles bien établies, nous pouvons résumer cette démarche comme un processus visant à transformer la réalité en la rendant intelligible à tous. Le projet du LIHP prend forme dans ce processus qui ne différencie pas l’action de la recherche. Par conséquent, ce projet ne peut prendre forme uniquement dans un bureau, le LIHP doit donc pour cela étendre son champs de travail. C ‘est ce qu’il a choisi de faire en intégrant des territoires d’action dans ce processus. 3.4 Les territoires d’action et l’expérimentation urbaine Le LIHP ne cherche pas à être un laboratoire déconnecté des réalités du terrain mais souhaite être au contraire un acteur à part entière dans la transformation du système de production de la ville. Il affirme par ailleurs que « c’est là ou les problèmes se posent (là où on cherche à les poser) que les transformations peuvent être recherchées. »126 On peut donc considérer que sans territoire d’action, il ne peut y avoir de LIHP. Pour traduire cette volonté, il a donc choisi de travailler de manière étroite sur plusieurs territoires d’action sur lesquels il sera amené à mettre en place des projets d’expérimentation urbaine locaux avec des acteurs locaux qu’ils soient institutionnels ou civils. Face à la complexité de la situation et aux enjeux de la ville ébauchés succinctement en première partie de ce mémoire, l’expérimentation urbaine est indispensable pour espérer trouver de nouveaux modes d’élaboration ou de conception amenant à un réel habité. Elaborée par des architectes et urbanistes, chercheurs en sciences sociales mais aussi avec un certain nombre de futurs habitants et d’utilisateurs de ces constructions, l’expérimentation doit permettre « d’étudier ce que pourraient être de nouveaux modes de vie domestiques, de nouvelles pratiques de voisinage, d’éducation, de culture, de sport, des personnes âgées, des malades, etc. » car « ce n’est que dans un climat de liberté et d’émulation que pourront être expérimentées les voies nouvelles de l’habitat et pas à coups de lois et de circulaires technocratiques. »127 De même, l’expérimentation urbaine, doit être un moyen de s’affranchir de la mondialisation des formes urbaines et architecturales qui entrainent la destruction de la diversité culturelle, de l'environnement et du lien social. Face à cette déterritorialisation, l’expérimentation doit participer à la « re‐singularisation » des villes comme le définit Felix Guattari. 125 BAZIN Hugues, Op. Cit., p 3 Recherche, recherches‐actions : quelle place et quelles formes dans la démarche du LIHP ?, p 4 127 GUATTARI Felix : Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective, Revue Chimères, N° 17, 1992, p 14‐15 126 45 Cependant, « la simple volonté d’innover ne conduit pas nécessairement à des transformations progressistes », l’expérimentation court par conséquent « le risque de la marginalisation et de l’assimilation par un « système » qu’elles n’auraient pas pu transformer ».128 Ainsi, même si l’expérimentation peut être contestataire ou créatrice de désordre, elle ne suffit pas toujours à transformer le système lui‐même. Il convient donc de différencier l’expérimentation de la recherche‐ action. Dans cette dernière, si les chercheurs veulent vérifier leurs hypothèses plus que participer à l’action, cela participe plus de l’expérimentation qui satisfait mieux les « scientifiques et les politiques soucieux de contrôler le système. Mais elle ne parvient pas, la plupart du temps, à se répandre une fois terminée et validée. »129 On l’aura compris, l’expérimentation urbaine doit dépasser la technique du « projet‐pilote » ou de la best‐pratice, expérimentale et isolée dont la reproductibilité n’est pas toujours assurée. Par conséquent, il est nécessaire de dépasser le seul stade de l’expérimentation, ce dépassement s’opérant dans la subtilité du dosage entre scientificité et efficacité de la démarche, c’est à dire dans l’équilibre entre la recherche et l’action. C’est à travers la pratique que l’on prend conscience de la démarche entreprise. Cette démarche ne peut évoluer que dans la confrontation et le discontinu, c'est à dire l'action. C'est par un aller‐retour incessant entre représentation et action que le modèle conceptuel du LIHP pourra évoluer et c’est de cette confrontation perpétuelle à la réalité du terrain que le LIHP pourra produire des connaissances appropriables par tous. La recherche‐action permet d’opérer une rupture avec ce qui se fait actuellement et offre donc la possibilité d’innover dans l’expérimentation urbaine. Mais nous avons vu aussi que l’expérimentation n’est pas suffisante et doit dépasser le stade de l’isolement créatif afin de transformer le système dans son ensemble. 128 Recherche, recherches‐actions : quelle place et quelles formes dans la démarche du LIHP ?, p 4 VERSPIEREN Marie‐Renée, Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation, Coédition Contradictions/L’harmattan, 1989, p 92 129 46 Synthèse de la première partie Les villes sont nos maisons de demain, les construire sans prendre le temps de réfléchir à notre habité est un risque considérable pour le bon développement de l'humanité. Les architectes et urbanistes ont une responsabilité face à cela et doivent s'impliquer dans ce défi majeur avec l’aide des habitants mais également avec l’appui de la volonté politique. Nous avons pu constater dans cette partie qu’il y a beaucoup de raisons d’initier un nouveau mouvement dans les champs de la recherche et de l’action urbaine qui paraissent aujourd’hui dépassés par la « crise de la ville ». La résolution de cette « crise » ne pourra se faire sans se poser les bonnes questions. Ainsi, le LIHP pense que c’est en remettant l’habitat populaire au cœur des processus de production et de réflexion de la ville que l’on pourra sortir de celle‐ci. L'expérimentation urbaine et architecturale dans sa finalité mais surtout dans son processus d'élaboration est indispensable. Il reste cependant à savoir comment la construire. La recherche‐action est un moyen sur lequel le LIHP peut s’appuyer. Néanmoins, il n’y a pas une recherche‐action mais des recherches‐actions, le LIHP doit par conséquent construire la sienne, chose qui ne pourra se faire sans territoire d’action. 47 Partie II – Démarche engagée sur le territoire d'action Usme L’objet de cette partie sera d’exposer comment le LIHP a transformé le territoire d’Usme en territoire d’action, c’est à dire comment il a impulsé un processus d’habitat populaire sur ce territoire. Pour cela, un premier chapitre exposera les particularités du territoire d’Usme et la situation problématique qu’il traverse (1). Les trois chapitres suivants détailleront de manière chronologique les différentes étapes constitutives de la démarche, à savoir, la mise en place de la démarche (2), la mission à Bogotá (3) et la poursuite de la démarche après la mission (4). Cette partie aura donc un aspect très concret mais dans un souci de ne pas tomber dans le purement descriptif, ces étapes seront analysées à travers un référentiel théorique porté sur la recherche‐action. C’est à dire montrer en quoi ces étapes ont constitué une démarche dite de recherche‐action et donc, par là même, de mettre en avant sa singularité dans les champs de la recherche et de l’action urbaine. Comme cela avait été évoqué en introduction, il faut toutefois relativiser l’analyse proposée ici car elle s’appuie sur une démarche qui n’en est encore qu’à ses débuts. L’habitat populaire est un processus, par conséquent, relater précisément la démarche réalisée à Usme participe à ce processus car elle concoure à sa compréhension, favorise son évaluation et guide son orientation. Chapitre 1. Pourquoi ce territoire d'action ? La plupart des éléments présentés dans cette partie sont issus du document de travail réalisé sur le territoire d’action Usme mais également des séances de travail à Bogotá en mai. Le document présenté en annexe de ce mémoire n’est malheureusement pas la dernière version produite car celle‐ ci a été réalisée en espagnol. 1.1 Usme cristallise tous les grands enjeux contemporains Le territoire rural d’Usme, situé à l’extrême sud de la métropole de Bogotá est un lieu où se concentrent tous les grands enjeux contemporains liés au développement des villes. Nous pouvons ici en nommer quatre : Usme est tout d’abord la zone de développement urbain de Bogotá pour ces 20 à 30 prochaines années. Bogotá croit de jour en jour, d’une métropole de plus de 8 millions d’habitants aujourd’hui, elle en accueillera près de 10 millions à l’horizon 2050.130 Pour des raisons politique et géographique, le Plan d’aménagement territorial131 de Bogotá fait d’Usme le premier lieu de développement urbain 130 Voir l’annexe 4, p 4 et 5 du document Plan de Ordenamiento Territorial (POT) 131 48 de Bogotá.132 Le gouvernement du District Capital de Bogotá, à travers son entreprise Metrovivienda y prévoit un projet urbain de 938 hectares sur lesquels 53 000 logements seront construits afin d’accueillir près de 180 000 nouveaux habitants. C’est donc un territoire stratégique pour le développement urbain de Bogotá.133 De plus, étant donné que l’urbanisation informelle du nord de la localité s’étend rapidement vers le centre historique plus au sud, le devenir de ce territoire sera assurément urbain. Par conséquent, trois options s’offrent aujourd’hui à lui : ‐ Attendre que l’urbanisation informelle s’étende jusqu’au centre historique. ‐ Attendre que l’entreprise Metrovivienda et les promoteurs immobiliers construisent les 53 000 logements. ‐ Proposer dès maintenant une alternative de développement urbain de la localité. Figure 5 : Expansion urbaine d’Usme (350 000 habitants) Au fond, en haut à gauche, le centre historique d’Usme. Source : Réalisation personnelle, 2011 Le deuxième élément qui se dégage d’Usme est qu’il s’agit d’un site regroupant des données géographiques et écologiques exceptionnelles, de par son climat, la prégnance de l’eau et la présence de sites écologiques particulièrement fragiles tel que le Páramo de Sumapaz.134 Ce territoire oblige donc nécessairement de penser au rapport de la population à son environnement et à l’impact qu’un tel projet urbain peut avoir sur un territoire si fragile. La troisième grande particularité de ce territoire est qu’il fut un haut lieu de culte pour la population préhispanique Muisca. Lors de récents travaux de voirie (fin 2007), un site archéologique de grande ampleur émerge au cœur du plus important projet urbain de Colombie. Ce territoire pose donc la question du rapport entre l’urbanisation et l’archéologie mais aussi celle de la réappropriation du patrimoine culturel Muisca par la population locale car bien avant la découverte du site archéologique, 132 Voir l’annexe 4, p 7 du document Voir l’annexe 4, p 8, 9 et 10 du document 134 Voir l’annexe 4, p 13, 14 et 15 du document 133 49 celle‐ci connaissait l’importance du lieu pour les Muiscas et entretenait cette mémoire autour de légendes et de mythes.135 Enfin, Usme est un territoire périphérique de Bogotá et la majorité de sa population dispose de revenus faibles n’ayant, pour une part importante d’entre eux, pas accès à un emploi formel.136 L’habitat est également très majoritairement d’origine informel ce qui n’évite pas pour autant aux habitants de payer le terrain sur lequel ils souhaitent construire ou louer un logement à des prix élevés comparativement à leurs entrées financières.137 La ségrégation sociale et spatiale que subit la population d’Usme oblige de réfléchir au rôle émancipateur de l’habitat dans sa globalité, c’est à dire dans la qualité de ses logements mais aussi à l’indépendance de ce territoire face à la ville de Bogotá en terme d’activités. De par ces différentes caractéristiques, Usme représente donc une opportunité unique pour une démarche collective de recherche‐action souhaitée par le LIHP. D’autant plus que ce territoire a des difficultés à se projeter dans le futur. De même, de nombreuses interrogations restent en suspend quant à son devenir, mais la première qui vient à l’esprit est celle‐ci : Que faire d’un territoire cristallisant tant d’enjeux, tous plus importants les uns que les autres ? 1.2 Un territoire en « crise » La « crise de la ville » que nous avons évoqué en première partie de ce mémoire prend toute sa dimension sur le territoire d’Usme. Bien que celui‐ci concentre tous les grands enjeux contemporains, il réunit également une bonne partie des tensions contemporaines. Le développement urbain rapide de la localité pose en effet un certain nombre de problèmes qui amènent à penser que ce territoire traverse actuellement une situation de « crise ». Tout d’abord une crise politique liée à la non‐prise en compte des habitants dans le processus d’élaboration du projet urbain. Il y a eu en effet une forte mobilisation des communautés d’Usme face au projet mené par l’entreprise Metrovivienda. Bien que celle‐ci ait organisé des tables de concertation à partir de l’année 2000, l’entreprise n’a pas tenu compte de leurs propositions. Les communautés n’ont donc pas signé le document actant le projet bien que l’entreprise affiche une concertation réussie.138 Cet exemple montre encore une fois les limites de certaines démarches dites participatives évoquées en première partie. La situation est aujourd’hui très tendue entre les 135 Voir l’annexe 4, p 11 et 12 du document Voir l’annexe 4, p 16, 17 et 18 du document 137 Adriana Parias, journée de travail du vendredi 6 mai 138 Voir à ce sujet le bulletin d’information N° 1 de Metrovivienda 136 50 communautés rurales d’Usme et Metrovivienda. De plus, les petits et grands propriétaires terriens (agriculteurs et spéculateurs) rejettent en grande majorité les offres d’achat de Metrovivienda qui se voit dans l’obligation, en tant que représentant de la puissance publique, d’exproprier afin de développer son projet dit d’intérêt général. Il en va que l’acquisition des terrains est très lente et le projet prend énormément de retard. Une crise architecturale et plus largement urbaine. Comme nous avons pu le voir en première partie, Bogotá à travers son entreprise Metrovivienda étant confrontée à un déficit considérable de logement ‐ le chiffre de 300 000 est communément admis ‐ construit à la chaine des milliers de logements sur le modèle mexicain afin de limiter les coûts de construction et de permettre ainsi l’accès à la propriété pour les classes les moins aisées. Ceci étant, cette production rapide voir urgente et peu coûteuse pose la question de la qualité urbaine. Lors d’une réunion avec certains membres des communautés rurales d’Usme, une habitante de la « Ciudadela Nuevo Usme », a évoqué les raisons de sa venue à Usme. Elle cherchait un cadre de vie agréable avec un espace pour ses enfants. Elle avoue avoir été déçue après avoir emménagé dans les nouvelles constructions. Selon elle, sa maison a été mal conçue et de nombreux problèmes se développent (infiltration d’eau, accès difficile pour les personnes âgées, etc.). Elle dit clairement que l’entreprise favorise la production d’un habitat de faible qualité. « Metrovivienda pose des maisons les unes après les autres sans implanter d’espaces verts, d’équipements, d’activités. » Mais de toute façon, « c’est soit ça, soit un logement d’estrato uno139 en haut d’une colline. »140 Bien sûr, ceci n’est en rien une critique gratuite et délibérée, il faut comprendre que le contexte est particulièrement complexe pour les autorités de Bogotá puisque le besoin en logement est considérable et urgent pour la cinquième métropole d’Amérique du Sud. Mais cette production est‐elle la seule envisageable ? Figure 6: Quartier Ciudadela Nuevo Usme. Source : LIHP, 2009 139 Strate une, l’habitat le plus précaire à Bogotá qui peut être considéré comme « bidonville » Réunion du mardi 3 mai, résumé des cinq semaines de la mission 140 51 Une crise culturelle liée au passage radical d’un territoire majoritairement rural à une extension urbaine de la métropole de Bogotá. Les habitants d’Usme revendiquent clairement être des campesinos (paysans) et perçoivent de manière très négative l’arrivée du projet de Metrovivienda. Cette transformation radicale de l’environnement a un impact psychologique considérable sur la population rurale d’Usme qui refuse catégoriquement de voir leur territoire rural se transformer en une extension urbaine de Bogotá.141 De plus, la construction de ces logements standardisés proposés par Metrovivienda et les promoteurs immobiliers laisse prévoir la déterritorialisation de ses habitants. Figure 7 : Deux campesinos d’Usme contre le projet de Metrovivienda et paysage d’Usme vue du centre historique. Source : http://www.flickr.com/photos/comun‐unidad/sets/72157625960964230/ et réalisation personnelle, 2011 « La fertilité de ces terres alimente la ville, dehors Metrovivienda ! » Enfin, ce territoire traverse une crise sociale. Ce « méga » projet urbain est prévu pour les classes sociales les plus pauvres de Bogotá (les classes 1 et 2142). Ce sont donc des dizaines de milliers de personnes dans une situation financière et sociale difficile qui vont être concentrées dans un même lieu. Comment ne pas y voir un risque de ghettoïsation ? De plus, les personnes déplacées par la violence qui sévit toujours dans les campagnes colombiennes vont être logées dans le même quartier. Le leader des communautés rurales d’Usme craint d’ailleurs l’arrivée massive de ces personnes provenant de régions différentes (cultures différentes) et ayant des positions politiques parfois extrêmement opposées (ex‐militaires, ex‐paramilitaires, ex‐guérilléros). Selon lui, la concentration de ces différents « types » de population est une véritable « bombe à retardement. » La « crise de la ville » est bien présente sur ce territoire. Mais bien que le contexte soit très difficile, le LIHP arrive à un moment charnière pour ce territoire en conflit qu’il peut s’approprier et tourner à son 141 Réunion du mardi 3 mai, résumé des cinq semaines de la mission Voir l’annexe 4, p 18 du document 142 52 avantage.143 C’est d’ailleurs pour toutes ces raisons que le LIHP porte un grand intérêt à travailler sur ce territoire et c’est à travers ces problèmes complexes et ces contradictions nombreuses qu’il sera possible de faire émerger des solutions adaptées et intelligibles. Chapitre 2. Première approche du LIHP vers le territoire d'action Usme 2.1 Montage de la coopération franco‐colombienne Cette partie permet de comprendre comment le travail a été initié. Les premiers contacts ont été établis en 2009 avec l’archéologue en charge du site archéologique d’Usme qui est également professeur à l’Université Nationale de Colombie (Unal). Le LIHP a donc commencé par travailler de manière étroite avec cette institution. Parallèlement au LIHP côté français, un étudiant en anthropologie urbaine de l’Unal s’est vu attribué un contrat à mi‐temps avec l’université qui lui conférait le rôle de coordinateur du LIHP à Bogotá. C’est donc à travers lui que nous avons pu mettre en place les relations entre les deux pays et préparer les deux semaines de travail collectif à Bogotá. Nous constatons ici, qu’il ne s’agit pas d’une commande d’une institution colombienne au LIHP ou de la volonté de deux structures d’initier une coopération binationale. Cette initiative émane avant tout de la volonté de quelques individus qui, à un moment donné, ont trouvé des intérêts communs à travailler ensemble. 2.2 Elaboration d’un document de travail collectif sur le territoire d’Usme Afin d’engager le travail sur le territoire d’action, un premier document a été réalisé sur l’état actuel du territoire. Il ne s’agissait pas d’élaborer un diagnostic territorial avec la définition d’enjeux, de problématiques, d’objectifs et de pistes d’action mais de présenter ce que le LIHP a pu observer du territoire à travers les données récoltées via l’outil internet et la documentation envoyée par les partenaires colombiens. Il se rapprochait donc plus d’un état des lieux du territoire d’Usme. Ce document ne constituait en rien une finalité mais devait servir avant tout de socle commun pour les discussions et réflexions autour du territoire d'Usme avec les acteurs colombiens. Ce document doit donc rester en perpétuelle construction. L’idée étant de le co‐réaliser avec tous les partenaires du LIHP, à savoir, le comité scientifique français, les professeurs et étudiants de l’Université Nationale de Colombie et de l’Université Santo Tomas, ainsi que les communautés d’Usme (associations et habitants). 143 ère Analyse critique de la 1 semaine de la mission à Bogotá 53 Les recherches menées pour élaborer ce document nous ont permis de soulever des interrogations sur ce territoire qui ont été intégrées dans le document. Dans un dispositif de recherche‐action, il est essentiel d’approfondir et d’élargir le champ de questionnements car cela permet de faire face à la complexité de la situation. Ces interrogations faites sur le territoire avaient donc pour objectif de faire apparaître de nouveaux facteurs indispensables à la compréhension globale de celui‐ci. Bien que le LIHP affiche un engagement politique dans son action, le document produit ne devait pas avoir une vision critique de la situation actuelle d’Usme et plus largement de Bogotá. Nous avons donc adopté un point de vue neutre pour ne froisser aucun parti avec lesquels nous serions amenés à travailler. Ainsi nous n’avons pas porté de regard critique sur le projet urbain mené par Metrovivienda. Nous constatons que le document réalisé n’était pas une réponse à une commande précise pour répondre à un problème particulier. Il ne s’agissait donc pas ici de donner un avis d’expert à travers un document finit qui émet des recommandations. Nous avons constitué ce document comme support d’un travail de réflexion et d’échange sur le territoire d’Usme car il serait tout simplement impossible de répondre à la « crise » que traverse ce territoire par un avis extérieur qui n’a que peu de connaissances des problématiques et des spécificités de celui‐ci. Chapitre 3. Mission en Colombie, au cœur de la recherche‐action 3.1 Constitution du groupe de travail Pour que des personnes se regroupent un moment donné dans un espace donné, sachant qu’il n’y a pas nécessairement au début de liens affinitaires sinon la volonté commune de se réunir, « il faut que l’intérêt de ce regroupement dépasse la somme des intérêts individuels (non pas par ce qu’il est « supérieur » mais parce qu’il est autre). »144 Bien que chaque partenaire ait ses propres intérêts à participer à la démarche proposée par le LIHP ‐ les professeurs de l’Unal et de l’Université de Santo Tomas peuvent y voir une opportunité d’étudier un territoire dans toutes ses dimensions, offrant par la même occasion à leurs étudiants la possibilité de faire un travail de terrain important ; les communautés d’Usme peuvent quant à elles, y voir un soutient face à l’entreprise Metrovivienda même si celle‐ci sera intégrée au processus par la suite – il y a bel et bien eu une volonté d’échanger et de réfléchir collectivement autour du devenir d’un territoire. L’originalité de la démarche ici est qu’elle n’émane pas d’une demande de recherche sur un objet d’étude précis. Elle n’est pas non plus une volonté d’agir dans l’immédiat sur une situation 144 BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 5 54 problématique mais elle constitue avant tout une volonté de provoquer une situation. C’est à dire de rassembler différents acteurs autour d’une situation commune dont ils définissent la problématique et les modalités collectives de travail. Sur ce point, le processus engagé se différencie d’une démarche de recherche classique car celle‐ci passe par la « négociation d’un accès au « terrain » qui se fait par la rencontre individuelle ou collective des acteurs à partir d’enquêtes ou groupe de travail méthodologique. » 145 3.1.1 Formation d’une équipe pluridisciplinaire Pour répondre à l’échec des villes que l’on connaît aujourd’hui, Felix Guattari souligne l’importance qu’une « transdisciplinarité146 soit instaurée entre les urbanistes, les architectes et les autres disciplines des sciences sociales, des sciences humaines et des sciences écologiques.»147 En effet, la pluridisciplinarité permet d’aborder la ville selon différents points de vue de spécialistes. Le croisement des regards et des compétences opéré favorise l’émergence des bonnes problématiques et de leurs résolutions.148 Sans pluridisciplinarité, il ne pourrait y avoir de recherche‐action. Le groupe de travail constitué à Bogotá répond donc à cette exigence car il est constitué d’un archéologue, d’un anthropologue, d’une économiste et urbaniste, d’un géographe, d’une sociologue, de trois architectes‐urbanistes, d’un leader des communautés rurales d’Usme, d’une habitante d’Usme, ainsi que de représentants d’association, un spécialiste de l’environnement et des mouvements politiques à Usme de l’association Asamblea Sur et un spécialiste de l’environnement de la culture Muisca des associations Casa Asdoas et Territorio Sur.149 3.1.2 Constitution d’une équipe d’étudiants A ce groupe de travail, est venu se greffer une équipe d’étudiant. Le LIHP souhaitant intervenir sur le long terme à Usme, la mobilisation de jeunes étudiants dans le projet est un point essentiel de la démarche. Ainsi une équipe de six étudiants a vue le jour avec une politologue et urbaniste, un anthropologue spécialisé dans l’urbain, un géographe spécialisé dans la pauvreté urbaine de la région sud de Bogotá, une sociologue et un anthropologue. Pour parfaire la pluridisciplinarité de l’équipe, un architecte, un urbaniste et un archéologue devront y être intégrés. 145 Voir le tableau comparatif entre recherche‐action et recherche classique, annexe 3, p 106 On préférera ici le terme de pluridisciplinarité 147 GUATTARI Felix : Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective, Revue Chimères, N° 17, 1992, p 9 148 BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 3 149 Voir l’organigramme, annexe 2, p 105 146 55 3.2 Temps de travail collectif 3.2.1 Réunions et journées de travail Rencontre des communautés d’Usme du mardi 3 mai : Nous avons rencontré en premier les communautés d’Usme afin de l'informer rapidement de notre démarche. En effet, sans l’adhésion de celles‐ci à la démarche engagée, il serait tout simplement impossible d’engager un processus d’habitat populaire à Usme.150 Les communautés d’Usme ont montré un fort intérêt à participer à la démarche du LIHP. Cette première approche était indispensable afin de connaître leur point de vue avant de réaliser les deux journées de travail avec les autres membres du groupe de travail. Les deux journées de travail du jeudi 5 et vendredi 6 mai : L’objectif de ces deux journées de travail était de poser le cadre de la démarche du LIHP, d’échanger sur le territoire d’Usme à partir du document réalisé en amont mais aussi d’établir une stratégie d’action pour la suite de la démarche. Nous avons donc commencé par présenter le LIHP, ses raisons d’être, ses fondamentaux, son intérêt pour Usme et ses territoires d’action afin d’offrir aux futurs partenaires du groupe de travail un socle minimum de compréhension afin d’initier les échanges. Ces deux journées ont été l’occasion de constituer un espace de travail qui a donné la possibilité aux différents partenaires de coopérer, quels que soient leurs qualités et leurs statuts. Figure 8 : Séances de travail à l’Université National de Colombie, jeudi 5 et vendredi 6 mai Source : Réalisation personnelle, 2011 Les professeurs de l’Université Nationale de Colombie ont également réalisé des présentations, sur l’importance du site archéologique pour Usme et la Colombie, l’histoire du développement urbain à Bogotá, la géographie du territoire d’Usme ainsi que les politiques urbaines du district de Bogotá face 150 ère Analyse critique de la 1 semaine de la mission à Bogotá 56 à l’urbanisation informelle. Trois membres des communautés d’Usme ont également présenté leurs points de vue sur le devenir de leur territoire, à savoir, la volonté d’instaurer une limite entre les zones urbaines et rurales, l’importance de la prise en compte de l’environnement et de l’agriculture ainsi que l’amélioration des conditions de vie pour les habitants des quartiers conçus par Metrovivienda et les promoteurs immobiliers. Ces présentations ont été suivies par des discussions qui ont permis de cibler les caractéristiques essentielles du territoire en confortant ou infirmant certains points du document réalisé. Elles ont également permis d’élargir le champ de questionnements notamment dans les domaines social et politique. Le fait de travailler avec un groupe restreint (une vingtaine de personnes) a permis de repérer plus facilement les problématiques du territoire. Ce groupe restreint associé à l’horizontalité de la démarche a permis de placer les habitants (membres des communautés) au cœur du dispositif de réflexion sur la « crise » du territoire d’Usme mais aussi sur son devenir. Les personnes souhaitant s’exprimer le faisaient en toute liberté. Aussi, les différents points de vue (différentes professions et disciplines) se croisaient continuellement enrichissant ainsi les échanges. Cette « relation symétrique de collaboration » montre que le « groupe‐sujet » comme le définit la recherche‐action s’est bel et bien constitué.151 Lors de ces échanges, nous avons pu constater que les acteurs en présence étaient impliqués. La plus part des personnes se sont accordées à dire que le projet de Metrovivienda n’était pas viable. Il y a donc eu tout de suite un parti pris collectif, celui du dépassement de la situation actuelle. Ce point différencie la démarche réalisée d’une recherche classique car celle‐ci aurait attendu d’avoir tous les éléments en main avant d’affirmer l’invalidité du projet de Metrovivienda. Aussi, les relations horizontales et égalitaires observées ici se différencient des relations verticales et hiérarchiques d’une recherche classique, expliquées en partie par l’extériorité du chercheur qui « représente un pouvoir scientifique et institutionnel (il sait des choses que ne connaît pas le profane, il travaille avec les décideurs). »152 Bien qu’un équilibre entre chercheurs, praticiens et usagers s’affirmait lors de ces échanges, un des membres des communautés d’Usme a exprimé son inquiétude sur l’engagement d’une démarche de recherche et notamment sur le rôle des communautés dans la construction du document d’Usme. Il imaginait difficilement un habitant des communautés co‐rédiger le document avec un universitaire. 151 VERSPIEREN Marie‐Renée, Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation, Coédition Contradictions/L’harmattan, 1989, p 100 152 Voir le tableau comparatif entre recherche‐action et recherche classique, annexe 3, p 106 57 Nous leur avons donc rappelé que tous les partenaires doivent devenir autant acteurs que chercheurs du territoire d’action Usme. Echanges extérieurs aux séances de travail En dehors des séances de travail avec le groupe, j’ai souvent eu des échanges sur l’action réalisée avec les étudiants participants à la démarche. Cela m’a permis d’avoir d’autres points de vue sur le travail réalisé, d’affiner mon sens critique sur la démarche entreprise. J’ai donc pu sortir de mes propres interprétations qui n’étaient pas toujours fondées en gagnant une certaine objectivité de la situation. Cette objectivité est essentielle car du fait de l’engagement personnel dans une démarche de recherche‐action, notre vision est parfois trop orientée. Il faut donc faire un effort constant pour tenter d’y parvenir même si « l’objectivité pure » est impossible à atteindre en sciences sociales. 3.2.2 Visites de terrain En suivant la logique de la recherche‐action, la problématique ou les problématiques du territoire ne peuvent émerger uniquement lors des réunions et des échanges du groupe de travail. Il est donc indispensable d’observer les réalités du terrain collectivement. C’est ce qui a été fait durant toute une journée avec le groupe de travail. Nous avons pu observer la singularité du territoire dans toutes ses dimensions (agriculture, urbanisation informelle, bassin hydrographique, site archéologique, quartiers construits par les promoteurs et Metrovivienda), avec des échanges entre géographe, archéologue, architecte, anthropologue et habitants d’Usme. L’objectif de ce travail de terrain interdisciplinaire n’est pas seulement d’apprendre du territoire et d’accumuler des connaissances mais également que tous les membres du groupe se rendent compte que chaque membre ne perçoit pas le territoire et ses problématiques de la même manière en fonction de sa profession ou de sa discipline. Cette procédure participe donc à la transformation des différentes personnalités du groupe qui doivent saisir le langage de chacun en se formant par la même occasion. Figure 9 : Visite de terrain à Usme avec les professeurs de l’Université Nationale de Colombie et les habitants (à gauche). Visite avec l’ambassade de France, l’ambassadeur et le leader des communautés rurales (à droite). Source : Réalisation personnelle, 2011 58 3.3 Les techniques réalisées Comme toute recherche en sciences sociales, il était essentiel d’employer des techniques rigoureuses et biens définies. Bien que la démarche de recherche‐action puisse emprunter toutes les techniques mises au point par les sciences humaines, il existe une préférence marquée « pour les techniques qualitatives et pour l’observation participante accompagnée d’un journal de bord. »153 3.3.1 Le journal de bord Afin de retenir toutes les informations essentielles à l’avancée de la démarche, il était indispensable de tenir quotidiennement un journal de bord. Dans celui‐ci, tous les points importants qui ressortaient des réunions et échanges étaient notés. Ainsi, les avancées et difficultés quotidiennes pouvaient être constatées. En fin de semaine, un bilan était établit en analysant et interprétant tous ces différents points. Ce qui permettait de faire émerger l’évolution du processus, le changement des points de vue des personnalités constituant le groupe de travail et la ou les problématique(s). Le journal de bord permet donc de conserver la mémoire du processus de recherche‐action d’autant plus que celle‐ci s’opère sur un temps long (3 à 5 ans minimum). A la fin de la mission, le journal de bord a été repris pour rédiger le résumé des cinq semaines passées à Bogotá. Ce résumé devait être objectif et donc pour cela, les analyses et interprétations faites dans le journal n’ont pas été reprises. L’objectivité était ici nécessaire car les éléments de ce résumé devaient être réintégrés dans le document de travail d’Usme. L’objectif ici était de rendre ré‐appropriable le travail réalisé collectivement à tous les membres du groupe. Pour cela, il est essentiel de conserver tous les écrits et les enregistrements sonores réalisés lors des séances de travail même si ceux‐ci ne semblent pas toujours indispensables. Cette mémoire doit permettre de répondre à des interrogations sur l’évolution de la démarche : « Que s’est t‐il passé à tel moment qui expliquerait tel ou tel changement dans la conduite de l’action ? Comment, pourquoi les chercheurs et acteurs ont pensé que telle action était plus bénéfique que telle autre ? »154 Si les journaux de bord sont tenus régulièrement, il est possible d’y trouver la réponse à ces questions. Le deuxième avantage du journal de bord est qu’à travers son écriture, « il peut aider à objectiver, à comprendre le monde social dans lequel on est inséré. »155 En d’autres termes, l’écriture permet aux partenaires de cerner la situation vis à vis de leur profession mais également au sein de la démarche collective de recherche‐action, on parle alors de conscientisation. Sur ce point, bien que de 153 VERSPIEREN Marie‐Renée, Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation, Coédition Contradictions/L’harmattan, 1989p 144 154 VERSPIEREN Marie‐Renée, Op. Cit., p 146 155 VERSPIEREN Marie‐Renée, Op cit. 59 nombreuses personnes aient prise des notes lors des séances de travail, il est difficile de savoir si elles les ont bien conservées car nous n’avions pas évoqué cette « règle » avant le début des séances de travail. 3.3.2 L’observation Aucun entretien semi‐directif ni de questionnaire n’a été réalisé car cela différencie trop le chercheur qui récolte l’information de l’habitant ou de l’acteur qui émet l’information sans en recevoir. Ces techniques vont par conséquent à l’encontre de l’horizontalité souhaitée dans une démarche de recherche‐action au sein du groupe de travail. Nous nous sommes donc attelé à observer le processus lors des séances de travail. L’idéal dans l’observation est d’être intégré pleinement au groupe tout en participant à l’action, c’est à dire être force de proposition. On parle à ce moment d’observation participante. Mais, bien que celle‐ ci permette de comprendre la situation, elle n’est pas suffisante lorsque qu’il s’agit également de transformer cette situation. Pour cela, il existe une autre forme d’observation dite stratégique. C’est ce qui a été fait lors de certaines réunions. Nous essayions de « provoquer » les institutions présentes (représentées), l’Université Nationale de Colombie, l’Université de Santo Tomas et les communautés d’Usme (considérées comme une « institution »), qui possèdent leurs propres cadres d’action et de réflexion. L’idée était de faire ressortir leurs points de vue différents en essayant de leur faire prendre le point de vue des autres partenaires. Par exemple, nous avons demandé aux communautés d’Usme de se mettre à la place des autorités de Bogotá en envisagent le développement urbain de la métropole face au déficit des 300 000 logements énoncé en première partie. Ils nous ont répondu qu’ils densifieraient la ville.156 Nous leur avons répliqué que Bogotá était déjà une ville très dense et qu’il nous semblait difficile pour les autorités de la ville de construire des centaines de milliers de logements en plus sur du bâti déjà existant. Nous nous sommes donc aperçu que les communautés avaient du mal à considérer l’enjeu considérable qu’attend la ville de Bogotá dans les années à venir. Cette réaction semble d’ailleurs assez logique mais elle est bien la preuve qu’une transformation est nécessaire si l’on souhaite parvenir à un échange constructif avec Metrovivienda et le district de Bogotá. Bien sur, une transformation sera également à opérer dans l’autre sens. Sur ce point, chaque partenaire devra faire plus que participer à une action et y réfléchir car « s’il n’y a pas en même temps un travail sur soi »157, il ne peut y avoir de recherche‐action et donc de transformation. Chaque partenaire du groupe portant une action sur le territoire d’Usme devra donc la transformer à travers le LIHP, c’est à dire sortir de son cadre actuel de réflexion et d’action. Les communautés d’Usme devront 156 Mardi 3 mai, résumé des cinq semaines de la mission BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 3 157 60 sortir de leur « militantisme rural », les universitaires devront réfléchir aux modes de transmission du savoir académique au sein de la démarche et Metrovivienda devra s’efforcer de mieux saisir les spécificités du territoire d’Usme.158 3.3.3 Le feed‐back Une dernière technique couramment utilisée en recherche‐action est le feed‐back qui consiste à restituer le travail réalisé au groupe de travail. Nous avons donc présenté le document de travail d’Usme réalisé préalablement devant les partenaires du groupe de travail. Nous avons insisté sur le fait que le document présentait assurément des erreurs ou approximations en précisant bien que le document devait évoluer avec leur participation. Le but ici était de rendre appropriable le document que nous avions réalisé tout en faisant réagir les personnes sur son fond. Bien que ce ne fut pas un véritable feed‐back puisque que les partenaires colombiens n’y avaient que très peu contribué, cette restitution a toute fois permis d’approfondir ou de réajuster certains points du document avec les échanges qui ont suivi la présentation. Ce procédé « d’aller‐retour » est intéressant car il assure « une fonction de réactivation du processus d’intervention en stimulant une analyse critique des résultats déjà obtenus ainsi qu’une évaluation de ceux‐ci. »159 Ce mode a été essentiel dans la démarche opérée jusqu’à maintenant car il est garant de la transparence de celle‐ci. Les résultats du travail sont discutés et cela permet d’offrir à toutes les personnes du groupe de travail la même compréhension de la situation tout en ouvrant sur de possibles recommandations voir réorientations de la démarche. A chaque fin de réunions, une des personnes du groupe se proposait de rédiger une synthèse à soumettre à tout le groupe pour d’éventuelles critiques et propositions. Le risque principal du feed‐back est de restituer l’information sans tenter d’associer au projet les personnes concernées. Cette technique est essentielle car « c’est à ce moment que les personnes du groupe se fixent des objectifs et se donnent un plan d’action pour modifier la situation perçue comme insatisfaisante. »160 Le simple fait qu’il n’y ait pas d’hypothèses ou de méthodologies préalables mais un aller‐retour permanent entre le travail effectué et l’évaluation collective permet d’échanger les avis et ainsi d’objectiver la recherche réalisée. Ce procédé évite donc de passer nécessairement par l’objectivation rendue possible par « la séparation chercheur/objet de recherche, l’application d’une grille d’analyse 158 ème Analyse critique de la 2 semaine de la mission à Bogotá VERSPIEREN Marie‐Renée, Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation, Coédition Contradictions/L’harmattan, 1989, p 150 160 VERSPIEREN Marie‐Renée, Op. Cit., p 152 159 61 pré‐établie et une méthodologie qualitative ou quantitative vérifiant les hypothèses initiales. »161 De plus, cette « auto‐évaluation » et « auto‐formation » collective qui, bien que parfois longue et fastidieuse, permet de sortir de l’évaluation, plus rapide il est vrai, d’un seul spécialiste sur le travail réalisé. Elle permet donc d’éviter l’analyse et l’interprétation unique de celui‐ci. Les « outils » utilisés ici ont plus une dimension qualitative et interactive que purement quantitative. Ceux‐ci nous ont apporté une approche beaucoup plus sensible du territoire. Etant donné que l’objet de la recherche‐action est d’échanger des connaissances et informations, le questionnaire et l’entretien semi‐directif, n’ont pas été utilisés car ils induisent un transfert de données dans un seul sens, de l’acteur vers le chercheur, les premiers étant ainsi « dépossédés de leur savoir » et par la même, exclus du processus de recherche.162 Avec ces différentes techniques, il a donc été possible de passer au delà de l’avis de l’expert qui aurait préconisé ses propres recommandations. De même, les communautés d’Usme et les chercheurs universitaires se sont constitués en tant que groupe chercheurs‐acteurs collectif du territoire d’action Usme. 3.4 Définition des objectifs et d’une stratégie d’action collective Une stratégie pour la démarche du LIHP à Usme a également été mise en place. Dans un premier temps, suite aux présentations réalisées lors des deux journées et des discussions qui ont suivit, le document de travail Usme a été refondé en six grands thèmes que sont l’habitat populaire, population, histoire et patrimoine, relation à l’environnement, politiques urbaines et planification territoriale et travail et ville. Ces thématiques relativement larges, nous ont paru les plus importantes à traiter. Une fois les thèmes fixés, nous nous sommes répartis en six groupes avec un responsable par groupe. Pour répondre aux inquiétudes des membres des communautés citées plus haut, ceux‐ci ont été répartis dans chaque sous groupe de travail, ce qui a permis de partager équitablement les compétences en favorisant l’échange de connaissances au sein de chaque sous groupe. Chaque groupe de travail pouvait ainsi se réunir indépendamment du groupe principal pour avancer sur son thème et commencer à réfléchir à la poursuite du travail sur le territoire d’action. Dans un deuxième temps, le groupe de travail s’est mis d’accord sur le fait qu’un document fondateur du processus d’habitat populaire à Usme devait être réalisé et signé par tous les partenaires engagés dans la démarche. Ce document devra comporter la stratégie générale, les grands objectifs ainsi que le descriptif des moyens pour y parvenir. Nous avons également traité des questions de financement pour commencer les études par thématique sur le territoire d’action. 161 Voir le tableau comparatif entre recherche‐action et recherché classique, annexe 3, p 106 VERSPIEREN Marie‐Renée, Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation, Coédition Contradictions/L’harmattan, 1989, p 76 162 62 Bien que des thématiques aient été ciblées et que les grands problèmes du territoire aient émergé lors des échanges durant ces deux semaines de travail, la phase de problématisation n’a pas encore été atteinte et les hypothèses à construire n’ont pas encore été abordées pleinement. La problématisation est pourtant essentielle dans une démarche de recherche‐action car elle permet d’énoncer clairement « les préoccupations de chacun sous une unique forme compréhensible de tous. »163 Celle‐ci peut cependant prendre un certain temps avant d’émerger, ce qui ne pourra être le cas tant que la pleine conscientisation de la démarche de recherche‐action n’aura pas eu lieu. C’est uniquement à travers cette problématique qu’il sera possible d’énoncer une stratégie avec des objectifs plus ciblés. 3.5 Rencontres d’autres acteurs à intégrer à la démarche Parallèlement au groupe de travail constitué avec les professeurs des deux universités, les étudiants et la communauté d’Usme, d’autres acteurs ont été rencontrés mais ceux‐ci n’ont pour le moment pas été intégrés à la démarche de recherche‐action. Nous avons en effet considéré qu’il était prématuré de mettre par exemple face à face les communautés d’Usme et les représentants de l’entreprise Metrovivienda étant donné la situation tendue que nous avons pu constater antérieurement. 3.5.1 L’entreprise Metrovivienda Le directeur général de Metrovivienda nous a confirmé que l’entreprise était en conflit avec les communautés d’Usme et les propriétaires terriens. De même, peu de promoteurs immobiliers répondent aux appels d’offre de l’entreprise qui, nous le rappelons ici, se charge d’acheter les terrains aux propriétaires privés pour les viabiliser avant de les revendre à un promoteur qui se charge de la construction des logements sous l’autorité d’un cahier des charges. Les bénéfices engrangés pour ce type de construction à bas coût n’excèdent en effet pas les 4 ou 5%.164 Etant donné la situation, le directeur s’est dit favorable à toute coopération avec le LIHP. Sans l’adhésion de Metrovivienda à la démarche, il serait tout simplement impossible de réaliser un projet d’habitat populaire à Usme. Mais étant donné que l’entreprise n’a pas encore été intégrée au processus de recherche‐action, on ne peut malheureusement pas prédire si elle participera pleinement à une démarche de transformation de la situation. Cependant, cette dernière étant aujourd’hui problématique pour l’entreprise, quel intérêt aurait‐elle à ne pas engager un travail avec le groupe constitué ? 3.5.2 L’ambassade de France en Colombie Une visite d’Usme a été réalisée avec l’ambassadeur de France afin de lui présenter la démarche du LIHP et les grandes problématiques du territoire. Intéressé par le processus engagé, l’ambassade a 163 BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 5 Réunion du mardi 10 mai, résumé des cinq semaines de la mission 164 63 décidé de soutenir la démarche du LIHP à Usme. Celle‐ci est un appui stratégique pour le LIHP en termes de représentation auprès des institutions mais aussi concernant son soutien financier. Bien que l’ambassade de France ne semble pas indispensable à la démarche ‐ on pourrait d’ailleurs exprimer une certaine méfiance vis à vis de l’institution représentant les intérêts de la France en Colombie ‐ cet appui n’en reste pas moins très utile à condition qu’il ne dévie pas les objectifs de la démarche. 3.5.3 L’Agence Française de Développement Une autre rencontre importante a été faite avec la cellule de l’Agence Française de Développement (AFD) de Colombie présente à Bogotá. Ici, il s’agit principalement d’appuyer le processus financièrement, la construction d’un projet d’habitat expérimental nécessitant un investissement conséquent. L’AFD a là aussi approuvé la démarche engagée en se portant garante de débloquer les fonds nécessaires sous conditions des accords passés avec la mairie de Bogotá via le Secrétariat de l’Habitat165. L’AFD porte en effet la Colombie comme un pays prioritaire pour le développement de ses activités et dispose d’un budget important pour cela. On pourrait cependant émettre les mêmes craintes que pour l’ambassade de France. L’intégration de ces acteurs dans la démarche du LIHP ne pose pas de réel problème, à condition qu’ils acceptent de transformer leur manière de voir, leur méthode d’action, leur positionnement idéologique. Bien sûr, ce type de transformation est plus facile à dire qu’à faire et il est difficile de savoir à l’heure actuelle si cela est réellement possible. Figure 10 : Tableau récapitulatif des acteurs intégrés ou à intégrer dans la démarche Source : Réalisation personnelle, 2011 Asamblea Sur : Association de défense du territoire d’Usme Territorio Sur : Association de défense du patrimoine naturel et culturel d’Usme Casa Asdoas : Association de défense du patrimoine naturel et culturel d’Usme Leader de la communauté rurale d’Usme Habitants d’Usme Metrovivienda : Aménageur urbain du District Capital de Bogotá Université Nationale de Colombie (Unal) : Facultés des sciences humaines et d’art Université Santo Tomas Institut d’Etudes Urbaines de l’Unal Ambassade de France Agence Française de Développement (AFD) 165 L’entreprise Metrovivienda est sous l’autorité du Secrétariat de l’Habitat 64 Chapitre 4. Poursuite du travail après la mission Une démarche de recherche‐action réussie et efficace « exige confiance, estime et exigences réciproques : conditions qui ne peuvent qu’être fondées sur la durée et des formes de contractualisation claires. »166 Etant donné que le processus engagé n’a pas encore été totalement repris par les partenaires colombiens, il est essentiel de définir rapidement la poursuite du travail et de trouver les conditions nécessaires à la formalisation de la démarche engagée. 4.1 Séances de travail et colloque du mois de novembre Après notre départ, le groupe de travail s’est réuni plusieurs fois afin de poursuivre le travail engagé au mois de mai. L’objectif de ces séances était d’approfondir les points abordés afin de préparer la semaine de travail qui va être organisée à Bogotá en novembre 2011. Ce séjour à pour objectif de poursuivre le travail réalisé jusqu’à maintenant. Il est également prévu qu’une charte soit signée par tous les partenaires impliqués dans la démarche lors d’une journée de colloque. 4.2 Adhésion des partenaires au LIHP Il est essentiel de rappeler ici que le LIHP lors de son arrivée à Bogotá n’était constitué que de français et d’un colombien. Après la mission, les 14 personnes du groupe de travail ainsi que les institutions (Université Nationale de Colombie et Université Santo Tomas) ont adhéré au LIHP. Cette mobilisation montre bien l’engouement pour le processus engagé, qui, au début de la mission était loin d’être garanti. En adhérant au LIHP, les partenaires ont accepté de devenir des chercheurs‐acteurs du territoire d’action d’Usme. 4.3 La pérennisation de la démarche à travers les conventions Afin de pérenniser l’action du LIHP à Usme, une série de conventions vont être signées avec les différents partenaires institutionnels (Université Nationale de Colombie, Université Santo Tomas, l’entreprise Metrovivienda, l’ambassade de France et l’Agence Française de Développement). Ces conventions devront définir les objectifs, le nombre de personnes impliquées, le calendrier, etc. En ce qui concerne les conventions avec les universités, le LIHP ne peut pas devenir un simple support d’échange entre deux universités que ce soit pour les professeurs ou les étudiants. L’un des objectifs étant de sortir de l’institutionnalisation, ces échanges devront se faire impérativement à travers le processus engagé au sein du territoire d’action Usme. Enfin, pour éviter de dévier des objectifs fixés, le groupe de travail s’est accordé sur le fait de valider le contenu de chaque convention avec l’accord de tous les partenaires. 166 Recherche, Recherche‐action, quelle place et quelle forme dans le LIHP ?, 2011, p 5 65 Synthèse de la deuxième partie Nous constatons dans cette partie que la démarche opérée, bien qu’encore à ses débuts, marque une série de différences avec les recherches et actions portées dans le champ de l’urbain. Bien que le contexte paraissait difficile, on s’aperçoit que le LIHP a réussi à mobiliser un certain nombre d’acteurs dans un processus d’habitat populaire à Usme. « Paradoxalement », c’est ce contexte à la fois complexe et conflictuel qui a permis de concrétiser cette mobilisation. Un autre constat s’impose, la situation de « crise » du territoire d’action et sa complexité oblige à y porter un regard global et à la fois d’y travailler par tâtonnement. Comment pourrait‐on arriver à Usme en prétendant disposer d’une solution miracle ? Si une solution est envisageable, elle se construira de manière collective dans le cadre du territoire d’action Usme, avec un grand nombre de professions et de disciplines différentes. Pour parvenir à cela, le LIHP pense que la recherche‐action est l’unique approche permettant d’esquisser une solution à long terme mais apportera t‐elle pour autant des réponses concrètes ? 66 Partie III – Retour sur la démarche et mise en perspective « L’évaluation des connaissances produites et des actions engagées constitue un élément central de toute recherche‐action. »167 Ce sera l’objet de cette partie qui tentera de retranscrire une réflexion autocritique sur la démarche engagée sur le territoire d’action Usme. Ce qui sera présenté ici ne correspond pas à une évaluation mais plus à un retour sur expérience. Bien qu’il soit encore trop tôt pour affirmer que la démarche réalisée répond aux problèmes énoncés en première partie de ce mémoire, cette partie s’attachera à montrer en quoi l’originalité de la démarche examinée en deuxième partie est porteuse de solutions à long terme pour le territoire d’Usme. Elle doit donc mettre en évidence les avancées réalisées (1) mais aussi les difficultés rencontrées (2). Enfin, elle exposera certaines propositions pour l'amélioration de la démarche entreprise et des pistes de réflexion pour la construction d’un habitat populaire à Usme (3). Chapitre 1. Bilan de la démarche entreprise Une démarche de recherche‐action ne peut être évaluée comme un projet. Il s’agit d’apprendre quelque chose à travers la mise en œuvre d’un processus, en l’occurrence, le processus d’habitat populaire. Ce processus est « bien réel car il modifie en profondeur les manières de raisonner, percevoir, agir, se positionner dans les rapports sociaux, gérer son rapport au monde, etc. »168 Mais nous constaterons ici que la démarche réalisée n’apporte pas dans l’immédiat de changement radical, celui‐ci ne pouvant s’inscrire que dans la durée. Bien que le bilan proposé ici s’efforcera d’être objectif, il repose toutefois sur une seule interprétation de la démarche réalisée et ne peut donc pas constituer une évaluation. 1.1 Les avancées réalisées Une démarche de recherche‐action peut être considérée comme réussie dès lors qu’il y a « transformation de situations individuelles ou sociales, production de connaissance, capacité à analyser un contexte et poser des enjeux »169, c’est à dire lorsque le « dysfonctionnement » d’une situation a cessé et que la réalité a été transformée. Bien qu’il soit impossible de prévoir si la démarche engagée à Usme fonctionnera sur le long terme car « la recherche‐action occupe un temps long (3 à 5 ans minimum), cela ne veut pas dire qu’il faut attendre tout ce temps pour tirer bénéfice de 167 VERSPIEREN Marie‐Renée, Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation, Coédition Contradictions/L’harmattan, 1989, p 83 168 BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 6 169 BAZIN Hugues, Op. Cit. 67 la recherche‐action. »170 Lors de la démarche, certaines avancées ont été réalisées et peuvent d’ores et déjà être soulignées. 1.1.1 Echanges et transformation des points de vue L’une des principales difficultés a résidé dans les attentes parfois différentes des acteurs ayant des histoires culturelles et des habitudes professionnelles divergentes. Cependant, la pluridisciplinarité du groupe de travail et la variété des sujets abordés n’ont pas paru déranger les personnes présentes. Ce qui a permis d’échanger les points de vue de chaque partenaire et d’ouvrir des débats riches par leur contenu même si de prime abord, il était difficile de percevoir un ensemble cohérent. Lors de la démarche, on a pu s’apercevoir que l’horizontalité du processus était également respectée ainsi que la dimension collective. L’intégration des habitants au cœur de la démarche a largement participé à centrer les échanges sur le territoire. Ils ont apporté une approche très qualitative qui venait compléter l’approche « objet d’étude » des chercheurs des deux universités. Comme cela a été signalé plus haut, il y a eu une réelle mobilisation de différents acteurs autour d'un projet d’intérêt général alors qu’au début de la démarche, il y avait des contradictions apparentes. En effet, dès la première séance de travail, les communautés d’Usme percevaient une contradiction entre la vision portée par le LIHP, à savoir un développement urbain d’Usme et la leur qui est d’éviter à tout prix l’urbanisation de leur territoire rural. Mais au bout de deux journées de travail, nous avons réussi à dépasser cette contradiction pour nous mettre d’accord sur le fait qu’Usme ne pourrait résister à l’urbanisation et qu’il fallait pour cela trouver une alternative commune, celle de construire un habitat populaire à partir des différentes dimensions du territoire (social, culturel, politique, écologique, etc.).171 Même s’il existe encore de nombreux points en discussion, il y a eu une réelle conscientisation des différents partenaires à ce sujet qui se sont efforcés de comprendre la vision de chacun sur le territoire. En résumé, la démarche réalisée jusqu’à maintenant fait du LIHP un espace de réflexion collectif non délimité où la pluridisciplinarité (croisement des points de vue) constitue le fer de lance de la conscientisation de chaque acteur qui le constitue.172 La conscientisation des points de vue et des situations étant à l’origine de la production de connaissances. 1.1.2 Les connaissances produites Dans une démarche de recherche‐action, les acteurs impliqués doivent apprendre ce qu’est la recherche. A l’inverse, les chercheurs doivent assimiler le langage des acteurs afin de cerner la 170 BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 4 Réunion du jeudi 5 mai, Résumé des cinq semaines de la mission 172 ère Analyse critique de la 1 semaine de la mission à Bogotá 171 68 dimension opérationnelle de la démarche. Sur ce point, nous pouvons constater que le trio opéré ‐ communautés d’Usme (associations et habitants), les praticiens du LIHP français (on rappelle ici que Metrovivienda n’a pas encore participé au groupe de travail) et les chercheurs des deux universités ‐ a permis de mettre en place un triple échange de connaissance. Chaque partie ayant un double gain de connaissances. Les communautés d’Usme, d’un côté, ont appris du langage et de l’exigence scientifique, de l’autre, elles ont appris de notre point de vue d’architecte et d’urbaniste sur leur territoire. De même, nous avons appris du savoir culturel et territorial des communautés et du savoir des chercheurs, enfin les chercheurs ont appris des savoirs des deux autres parties. L’effort produit par chaque partenaire lors des réunions de travail à Bogotá, notamment en terme de langage, a permis d’accentuer les échanges de connaissances. Cependant, même si un échange de connaissances s’est opéré, il est difficile d’affirmer qu’il y ait eu une production de connaissances complète car celle‐ci est intimement liée à la transformation individuelle et sociale des acteurs intégrés à la démarche qui ne s’est pas faite en totalité. Nous avons pu constater néanmoins que les acteurs ayant participé à la démarche ont accédé directement au savoir qui s’est échangé lors des séances de travail. Le savoir apporté par les communautés n’est pas passé par des entretiens ou un questionnaire réalisé(s) par les chercheurs et à l’inverse, le savoir des chercheurs n’a pas eu besoin de passer par un produit fini tel qu’un livre ou un rapport dont le « décryptage » nécessite parfois un opérateur ou un technicien. De même, dans une recherche classique, les acteurs ou habitants n’ont pas toujours accès à la méthodologie et au positionnement politique de la recherche (enjeux sous‐jacents non dits, partenariat géo‐institutionnel, fonctionnement de structure, etc.)173, alors que tous ces points ont été évoqués lors des séances de travail. L’un des risques ici est de vouloir rendre la démarche trop opérationnelle, ce qui laisse place à une production de connaissances limitée. On échange et produit des connaissances pour l’action en omettant la rigueur scientifique nécessaire à la démarche. Les auteurs traitant de la recherche‐action s’accordent d’ailleurs à dire que toute la subtilité se situe dans ce dosage, entre scientificité et efficacité de la démarche. 1.1.3 Dépassement de l’approche urgentiste L’urgence ne peut constituer un référentiel pour l’action car celle‐ci réduit notre capacité à considérer un grand nombre de facteurs indispensables à la constitution d’un réel habité. La « crise » traversée par le territoire d’Usme ne doit pas inciter à la prise de décision dans l’urgence si l’on souhaite 173 Voir le tableau comparatif entre recherche‐action et recherche classique, annexe 3, p 106 69 s’abstraire des solutions « clés en main » et trouver des solutions pérennes pour ce territoire. Il faut se donner le temps de réfléchir et d’agir face aux logements construits à la chaîne par Metrovivienda et les promoteurs immobiliers qui répondent clairement à un besoin urgent pour une population pauvre. La recherche‐action est en ce sens un bon moyen de sortir de ce cadre en refondant les priorités collectivement. Elle n’émane pas d’une décision uniquement politique qui ordonne la construction d’un certain nombre de logements en un temps limité. Bien que la volonté politique soit indispensable, le temps politique lui, doit être dépassé. En ce sens, la recherche‐action n’est pas le meilleur moyen d’accélérer le processus de prise de décision mais elle offre à tous les partenaires la possibilité de s’insérer dans le processus d’élaboration d’un habitat populaire qui évolue au cours de la démarche en fonction des besoins ressentis et des facteurs à prendre en compte. L’urgence de la création de logements à Bogotá est bien présente mais il est aussi urgent de repenser le processus de production de la ville, chose qui ne peut s’inscrire que dans la durée. Avant d’espérer transformer ce mode de production, il faut donc pouvoir observer longuement les pratiques, mais aussi les comprendre en interrogeant les acteurs sur le sens de leur conduite. De toute évidence, la création d’un habitat populaire à Usme nécessite plus de temps que ce qui est fait actuellement. La démarche réalisée nous apporte le temps de réflexion et d’action nécessaire. Elle permet de conscientiser les partenaires sur le fait que le territoire d’Usme a droit à un habitat de meilleure qualité. Il est toutefois difficile de ne pas être pris par l’urgence pour le territoire d’Usme. Le représentant de l’association Territorio Sur a insisté pour que le LIHP agisse rapidement car le territoire est sous tension et les habitants d’Usme ont besoin de soutien face aux préemptions de Metrovivienda. Le LIHP ne peut cependant pas prendre la défense de la population face à Metrovivienda sans réfléchir aux conséquences que cela entrainerait pour la suite de la démarche. Cette forte attente des communautés d’Usme oblige donc paradoxalement le LIHP à accélérer le processus car la dynamique populaire qui s’opère actuellement doit devenir le moteur de la démarche engagée à Usme. Même s’il semble essentiel de faire face à la demande, la démarche doit continuer à se définir par étapes successives et doit s’efforcer de sortir de l’urgence. 1.1.4 Adaptation de la démarche à la complexité du territoire La démarche engagée à Usme semble prendre une bonne direction en ce qui concerne l’approche de la complexité de la situation. Il y a en effet un objectif général (construction d’un habitat populaire) mais pas de méthodologie fixe, ce qui permet d’adapter l’approche aux situations rencontrées. Au fur et à mesure des rencontres avec les acteurs, la stratégie employée s’adapte en fonction des apports et des points de vue de ceux‐ci, elle peut donc être amenée à évoluer rapidement. Une méthodologie d’approche et de recherche trop rigide n’aurait pas permis cette fluctuation de jour en jour et de ce 70 fait, la démarche réalisée a fait preuve jusqu’à maintenant d’adaptation face à la complexité de la situation du territoire d’Usme. Cette adaptation au schéma d’acteur Bogotain a également permis de cerner le système de production et de réflexion de la ville de Bogotá. La compréhension de celui‐ci est indispensable afin d’esquisser sa possible transformation. 1.1.5 Transformation du système de production et de réflexion de la ville de Bogotá L’arrivée du LIHP dans le système de production et de réflexion de la ville de Bogotá a modifié à très petite échelle l’organisation de celui‐ci. Le système actuel est représenté sur ce schéma simplifié qui montre en partie les points évoqués en début de ce mémoire, à savoir la distance du chercheur avec l’acte de construire et la population. Le territoire n’est qu’un simple objet d’étude ou un support à la construction à la chaine de logements standardisés. De même, nous voyons que les acteurs n’incluent pas les communautés d’Usme dans leurs actions. Figure 11 : Schéma du système de production et de réflexion de la ville de Bogotá avant l’arrivée du LIHP. Source : Réalisation personnelle, 2011 District Capital de Bogotá, Metrovivienda et promoteurs immobiliers Données Aide à la prise de décision (rapports, etc.) Chercheurs de l’Université Nationale de Colombie et Santo Tomas (Réflexion et production de connaissances) Actions (Décisions, constructions) Données Données Territoire d’Usme Rapports social et culturel Communautés d’Usme (associations et habitants) Sur le schéma ci‐dessous, l’on s’aperçoit que l’arrivée du LIHP et la mise en place de la démarche de recherche‐action vient modifier en partie ce système à très petite échelle. Le territoire d’action (ses problématiques, ses spécificités, son devenir) devient le centre des préoccupations. Les communautés d’Usme gardent leur rapport social et culturel tout en travaillant et échangeant des connaissances avec les chercheurs universitaires de l’Unal et de la Santo Tomas. Les chercheurs universitaires, habitants et associations intègrent le LIHP et engagent un processus d’habitat populaire à Usme. Cependant, les chercheurs universitaires ne se sont pas encore transformés en acteur‐chercheur du processus d’habitat populaire. De même, les communautés d’Usme ne peuvent être encore 71 considérées comme chercheur à part entière. Enfin, nous remarquons qu’il manque toujours le portage politique du projet à savoir le District Capital de Bogotá et avec lui Metrovivienda. Figure 12 : Schéma du système de production et de réflexion de la ville de Bogotá après l’arrivée du LIHP. Source : Réalisation personnelle, 2011 District Capital de Bogotá, Metrovivienda et promoteurs immobiliers Action Laboratoire International pour l’Habitat Populaire ‐ Usme Territoire d’action Usme et construction d’un habitat populaire Rapports social et culturel Chercheurs (Université Nationale de Colombie et Santo Tomas) Echange de connaissances Communauté d’Usme (associations et habitants) Etant donné que la construction d’un habitat populaire à Usme passe nécessairement par la transformation du système de production et de réflexion de la ville de Bogotá, nous pouvons dire que le résultat constaté est encourageant pour la suite de la démarche. 1.1.6 Les apports pour la construction d’un habitat populaire à Usme Parallèlement à la transformation en cours, la démarche engagée a permis d’approfondir certaines caractéristiques du territoire d’Usme tout en en définissant de nouvelles, ce qui nous oriente pour la suite du travail à réaliser. Le croisement des points de vue a permis de mieux cerner les problématiques et les grands enjeux du territoire bien que le travail soit encore en cours. D’autre part, même si de grandes thématiques ont été établies, le groupe de travail a conservé une approche globale sur le territoire. Cette approche nous a aidé à cerner la complexité du territoire et élargir le champ de questionnements. Nous pouvons donc affirmer qu’une démarche de recherche‐action peut contribuer à comprendre un territoire et à en tirer certaines grandes caractéristiques pour continuer l’action engagée. Nous détaillerons en fin de ce mémoire les éléments qui ont émergé de ces séances de travail et sur lesquels nous devrons nous appuyer pour construire un habitat populaire à Usme. 72 Bien qu’elle soit encore à ses débuts, nous avons pu observer dans cette partie que la démarche réalisée affiche déjà certaines avancées même si celles‐ci sont à relativiser car il est difficile de savoir si elles s’inscriront dans la durée. D’autre part, ces avancées sont parfois mitigées et montrent des difficultés à passer certains obstacles. 1.2 Difficultés, limites et risques de la démarche 1.2.1 L’importance du contexte Le contexte fait partie intégrante de la construction d’un processus d’habitat populaire au sein d’un territoire d’action. Pour le cas d’Usme, le LIHP arrive à un moment stratégique pour le devenir de ce territoire. Il ne suffit pas d’arriver et de rencontrer les bons acteurs, il faut arriver à un moment précis où les acteurs ont un intérêt concret à intégrer le LIHP. Par exemple, hormis un éventuel intérêt financier vis à vis d’une organisation étrangère, si l’entreprise Metrovivienda n’avait pas été en conflit avec les communautés d’Usme et certains propriétaires, pourquoi aurait‐elle été intéressée par le LIHP ? De même pour les communautés d’Usme. Cela vient renforcer l’idée qu’une démarche de recherche‐action nécessite une situation problématique pour pouvoir fonctionner. On pourrait donc émettre l’hypothèse que la démarche proposée par le LIHP n’est valable qu’au sein d’un territoire d’action dont la situation est problématique et où un certain nombre d’acteurs ont intérêt à participer à une telle démarche qui demande une forte implication de tous les partenaires.174 Bien qu’il ne s’agisse pas ici d’une réelle difficulté, il est essentiel de connaitre le contexte des différents territoires d’action avant de se lancer dans un processus d’habitat populaire. S’il n’y a pas préalablement une forte volonté de plusieurs acteurs à transformer une situation problématique, mettre en place un tel processus s’avérera très compliqué voir impossible. 1.2.2 Le document de travail d’Usme Suite à la mission de Bogotá, nous nous sommes aperçu que le document de travail réalisé en amont avait des éléments approximatifs et paradoxalement il est apparu trop rigoureux ou pas assez souple en termes d’arguments chiffrés. Il se rapprochait trop d’un pré‐diagnostic et n’offrait pas assez d’ouverture pour la poursuite du travail comme cela était prévu initialement. Nous avons cherché à être trop précis en essayant de trouver réponse à toutes les questions que nous nous posions. De même, l’approche était trop centrée sur la géographie et l’urbanisme et il manquait surtout des données d’ordre qualitatif, notamment sur les rapports social et culturel de la population à son territoire. Cela peut s’expliquer par le simple fait qu’aucun travail de terrain n’avait encore été réalisé. L’approche qualitative du territoire est pourtant essentielle car en deux semaines à Bogotá, nous 174 Analyse critique de la 2 ème semaine de la mission à Bogotá 73 avons appris beaucoup plus sur Usme qu’en 3 mois d’étude à Saint Denis.175 La co‐élaboration du document pendant la mission de Bogotá a également posé quelques problèmes de coordination et de perception (changement de point de vue), notamment entre les chercheurs universitaires et les communautés d’Usme. 1.2.3 Intégration de la démarche de recherche‐action Comme nous l’avons évoqué en première partie, la recherche‐action n’est pas un processus facile à aborder et nécessite du temps afin d’être pleinement assimilée. Ce n’est d’ailleurs qu’à partir de la mission à Bogotá que j’ai saisi plus précisément ce qu’était une démarche de recherche‐action. Cette assimilation est d’ailleurs l’une des principales difficultés constatées lors de la démarche. L’intégration du processus de recherche‐action au sein des membres du groupe de travail a été difficile. Il s’est avéré que les personnes du groupe ne comprenaient pas forcément où souhaitait en venir le LIHP et proposaient d’appliquer leur propre méthodologie comme par exemple le représentant de l’association Asamblea Sur176 ou encore une professeure en sociologie de l’université Santo Tomas. Ils ont plusieurs fois insisté sur le fait qu’il manquait une méthodologie claire pour avancer. Une des étudiantes a également exprimé son inquiétude à la fin de la mission car elle ne comprenait pas pourquoi le LIHP intervenait en Colombie car les colombiens avaient déjà leurs propres solutions. Cette interrogation montre bien que la démarche est encore trop floue et questionne à la fois la légitimité du LIHP de travailler à Usme. Il est essentiel que tous les partenaires connaissent « les fondements théoriques de la problématique « recherche‐action » et ses implications au niveau méthodologique afin de pouvoir juger du bien‐fondé de la décision d’entreprendre une telle démarche de préférence à une autre »177, chose qui n’a pas été faite à Bogotá. Si les membres français du LIHP ne prennent pas le temps d’exposer très clairement la démarche de recherche‐action aux personnes souhaitant intégrer le processus, il sera difficile de travailler sur une base commune et d’énoncer les bons problèmes. Afin d’intégrer pleinement la démarche de recherche‐action, « tous les acteurs impliqués doivent être associés dès le départ, à la recherche, coproduire les hypothèses, participer et maîtriser les diverses phases du processus. »178 Ce qui n’a pas été fait avec l’entreprise Metrovivienda et d’autres acteurs qui devront prochainement être intégrés à la démarche. Ce décalage ne posera t‐il pas des problèmes de compréhension de l’action menée, des incompréhensions dans l’appréhension des problématiques et des sujets de discussion ? 175 ème Analyse critique de la 2 semaine de la mission à Bogotá Réunion du lundi 16 mai, résumé des cinq semaines de la mission 177 VERSPIEREN Marie‐Renée, Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation, Coédition Contradictions/L’harmattan, 1989, p 99 178 VERSPIEREN Marie‐Renée, Op. Cit., p 106 176 74 1.2.4 Difficulté de gérer l’articulation entre recherche et action Bien que l’articulation entre recherche et action se soit réalisée de manière relativement équilibrée, elle reste cependant difficile à gérer. Le risque ici est de tomber d’un côté vers un espace de travail où les discussions n’arrivent pas à dépasser le stade théorique, c’est à dire de se servir de l’action pour produire des connaissances, mais celles‐ci n’auraient que peu d’impact sur la réalité. De l’autre, c’est de chercher à rendre la démarche plus efficace ou plus « pratique » en voulant vouloir agir dans l’urgence face à la situation problématique du territoire d’Usme. Cependant, il n’est pas souhaitable de résoudre les problèmes de ce territoire de façons dispersées et momentanées car cela produirait peu de connaissances nouvelles ou alors difficilement transférables. Il y a également le risque que Metrovivienda ne parvienne pas à intégrer la démarche engagée car elle n’est pas aussi concrète qu’un outil ou un dispositif. De même, les chercheurs des deux universités peuvent s’y désintéresser à cause de leur attachement « au résultat final, à ce qui est visible, à ce qui valorise leur position. » 179 Le risque est donc de ne pas articuler action et recherche dans un seul mouvement. Pour ces raisons, il est important que « tous les acteurs et chercheurs en présence participent à l’ensemble des phases de travail et s’approprient au fur et à mesure les éléments de connaissance produits. »180 L’articulation entre recherche et action dépend donc en partie de la « nature » des acteurs qui constituent le groupe de travail. Par exemple, les « pôles » communautés d’Usme (associations et habitants) et Metrovivienda se situent sur des plans différents et ont des projets distincts. L’un revendique les dimensions paysanne, ancestrale et écologique de son territoire ; l’autre a pour objectif de répondre quantitativement dans les meilleurs délais à des besoins particuliers à l’échelle de Bogotá. Rassembler ces deux pôles autour d’un même projet est donc très complexe car « ils ne constituent pas, immédiatement, des unités cohérentes et fonctionnelles. »181 Mais le processus d’habitat populaire ne pourra être efficient que lorsque les communautés d’Usme et l’entreprise Metrovivienda se seront transformées en acteur‐chercheur du territoire d’action Usme. De même pour les chercheurs universitaires qui doivent devenir autant chercheur qu’acteur. Lors de la démarche engagée à Usme, six groupes de travail ont été mis en place par thématique. L’objectif de ces groupes était de chercher les pistes de réflexions sur le territoire à travers leur thématique. Mais n’y a t‐il pas ici un risque de voir cette action se transformer en recherche classique, 179 BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 7 BAZIN Hugues, Op. Cit. 181 Recherche, Recherche‐action, quelle place et quelle forme dans le LIHP ?, 2011, p 6 180 75 avec les membres du groupe de travail d’un côté et l’objet d’étude (le territoire d’action) de l’autre ? Il reste donc à définir les moyens de « poursuivre un engagement sur le terrain et entamer en même temps des études relativement lourdes»182 qui est l’une des principales difficultés d’une démarche de recherche‐action. On risque en effet de (re)tomber dans une approche analytique du territoire en étudiant les éléments qui constituent le territoire séparément, il y a ici une relation linéaire de cause à effet. Le fait de séparer les thématiques nous éloigne de l’approche globale du territoire qui se résume à le considérer comme « un système d’interactions et d’événements plus que l’addition des éléments qui le composent. »183 1.2.5 Désinstitutionalisation des institutions et transformation des points de vue Le LIHP a pris le point de vue de l’habitat populaire, que ce soit dans son sens politique ou à travers la démarche de recherche‐action. Mais pour conserver ce point de vue, il est indispensable que les partenaires qui adhèrent au LIHP le partagent également, ce qui implique qu’ils sortent de leur cadre de réflexion et d’action actuel. On peut alors parler de désinstitutionalisation. Dans ces premiers ouvrages, Ivan Illich a « démontré que les « outils » (entendre par là les « institutions » […], passé un certain seuil, deviennent contre‐productifs ‐ d’une « contre‐productivité paradoxale », précise‐t‐il, car non voulue par leurs concepteurs. »184 Bien qu’il ne s’agisse pas de montrer ici que les institutions soient l’unique problème, nous avons pu remarquer au bout des deux semaines de travail collectif, que le plus difficile était de faire sortir les acteurs et chercheurs de leur cadre institutionnel.185 Ce qui constitue un obstacle important à la transformation de la situation à Usme. Bien que des efforts aient été faits du côté des chercheurs comme du côté des communautés d’Usme, il semble difficile d’affirmer qu’il y ait eu véritablement une transformation des points de vue. Si nous prenons l’exemple de l’Université Nationale de Colombie, les chercheurs qui ont participé à la démarche ont toujours cherché et cherchent toujours à établir une méthodologie propre au projet d’habitat populaire à Usme alors qu’une démarche de recherche‐action ne peut se réduire à une « simple » méthodologie. En cherchant à trouver le moyen de faire rentrer la démarche dans le cadre imposé par leur institution, les chercheurs montrent qu’ils ont plus de mal à sortir de leur cadre d’action et de réflexion que les communautés d’Usme (associations ou habitants).186 Mais bien que les membres des communautés aient fait preuve de plus de volonté, ils éprouvent encore des difficultés à sortir de leur cadre idéologique. A la fin de la mission, les deux représentants des associations 182 BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 5 Voir le tableau comparatif entre recherché‐action et recherche classique, annexe 3, p 106 184 PAQUOT Thierry, La résistance selon Ivan Illich, Monde diplomatique, janvier 2003 185 Réunion du mardi 10 mai, résumé des cinq semaines de la mission 186 ère Analyse critique de la 1 semaine de la mission à Bogotá 183 76 Territorio Sur et Asamblea Sur considéraient encore le LIHP comme un moyen de s’opposer à l’urbanisation d’Usme. Il faudra beaucoup plus de temps de travail collectif avant que s’opère une réelle transformation des points de vue qui passera nécessairement par la production de connaissances. Cette dernière a commencé à se mettre en place mais il semblerait que les partenaires n’aient pas encore eu le temps d’intégrer ces connaissances dans leur cadre professionnel. Cette partie nous amène à questionner l’importance de la dés‐institutionnalisation de tous les partenaires. Celle‐ci semble indispensable afin de dépasser certains cloisonnements ou problématiques exposés en première partie de ce mémoire. En revanche, on ne peut la concevoir sans imaginer un autre cadre d’action et de réflexion qui est celui du processus d’habitat populaire. Nous étudierons donc dans une prochaine partie, la possibilité de s’affranchir du cadre d’action et de réflexion des institutions pour concentrer ce cadre autours du processus d’habitat populaire. 1.2.6 Réponse à l’ampleur du système de production urbain de Bogotá La recherche‐action est le plus souvent appliquée à l’éducation, l’éducation populaire, à la démocratie participative, à la santé, à l’action culturelle, à la communication, c’est à dire avec des groupes de personnes et d’acteurs relativement réduits. En effet, Marie Renée Verspieren reconnaît « qu’une recherche‐action ne concerne jamais le système globale mais porte le plus souvent sur des micro‐ systèmes. »187 Cela nous oblige donc à nous demander si le système de production et de réflexion de la ville de Bogotá peut‐il être considéré comme un « micro‐système » ou un « sous‐système » ? « La recherche‐action peut choisir entre rester dans le cadre où se posent les problèmes ou chercher à sortir de ce cadre »188 pour le transformer. En ce qui concerne le système de production urbaine de Bogotá, c’est le cadre lui même qui pose problème, le LIHP est donc dans l’obligation de participer à la transformation de celui‐ci dans l’objectif de produire un habitat populaire à Usme. Ce point nous amène donc à penser les limites d’une telle démarche : Peut‐elle réellement s’appliquer sur des projets de construction d’une ville comme pour le cas d’Usme ? La démarche réalisée jusqu’à maintenant s’est faite avec peu de personnes, une vingtaine environ, qu’en sera t‐il lorsque le projet d’Usme prendra une autre ampleur ? Lorsque des dizaines d’acteurs et institutions seront concernées par le projet ? La démarche de recherche‐action pourra t‐elle concentrer tous ces acteurs en les incitant à transformer leurs modes d’action et de réflexion ? Il est pour le moment impossible de savoir jusqu’où la démarche réalisée pourra nous amener. 187 VERSPIEREN Marie‐Renée, Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation, Coédition Contradictions/L’harmattan, 1989, p 97 188 Recherche, Recherche‐action, quelle place et quelle forme dans le LIHP ?, 2011, p 5 77 La démarche engagée doit encore faire face à de nombreuses difficultés mais il est encore difficile de prévoir comment la démarche va évoluer face à celles‐ci. Cependant, certaines améliorations peuvent être réalisées, ce sera l’objet de la prochaine partie. Chapitre 2. Perspectives et propositions pour la démarche du LIHP à Usme Il est essentiel de se projeter dans l’avenir afin de dépasser les difficultés rencontrées lors de la démarche. Ce chapitre exposera donc dans un premier temps de possibles améliorations de la démarche et dans un deuxième temps, nous montrerons certaines pistes de réflexion pour la construction d’un habitat populaire à Usme. 2.1 Comment poursuivre le travail ? 2.1.1 Mise en place d’un lieu de travail Parallèlement au processus engagé, il est également important que le LIHP se donne des moyens logistiques pour développer la démarche. Sur ce point, il est indispensable de mettre en place un lieu de travail afin de mettre à disposition de tous les membres du groupe de travail, les documents produits ou récoltés, les enregistrements sonores réalisés lors des séances de travail, etc. Par exemple, les associations Asamblea Sur et Territorio Sur disposent de nombreux documents sur le projet de Metrovivienda et sur Usme qu’ils aimeraient regrouper et archiver.189 La création d’un tel lieu permettrait de faciliter l’échange d’informations entre les partenaires et constituerait également la mémoire collective de la démarche nécessaire à toute analyse postérieure. En plus d’être le « disque dur » de la démarche, ce lieu constituerait également l’espace de travail du groupe qui pourrait s’y réunir régulièrement. En plus d’un lieu commun de travail à Bogotá ou Usme, un réseau de communication devra être mis en place afin de diffuser et d’échanger les archives et documents. Sur ce point, le site du LIHP doit devenir une plate‐forme numérique ouverte à tous les membres du groupe de travail. 2.1.2 Le financement du projet Pour faire face à ce territoire d’action qui demande un travail considérable, le LIHP devra nécessairement renforcer ses moyens humains et consolider sa situation financière. Lors de la mission, il a été demandé à chaque partenaire (universités et communautés d’Usme) d’établir un budget avec ses détails (ressources humaines, matérielles, etc.) et un calendrier pour initier le travail. Chaque partenaire doit rechercher des financements pour débuter le projet, ainsi l’Université Nationale de 189 Réunion du lundi 16 mai, Résumé des cinq semaines de la mission 78 Colombie dispose de bourses de recherche qui pourraient permettre de financer au minimum une personne à plein temps pour coordonner le LIHP côté colombien et poursuivre les pistes de recherches. L’université Santo Tomas s’est quant à elle proposée d’apporter du matériel, enfin, les communautés d’Usme cherchent également de possibles financements. Mais ces financements ne suffiront pas à construire un projet d’habitat à Usme. L’idée de créer un consortium a été émise avec de possibles financements de l’Agence Française de Développement (AFD) et de l’Union Européenne. Mais fonder un tel groupement financier avec d’un côté le District Capital de Bogotá et de l’autre des financements étrangers est‐il réellement pertinent en vue de la démarche proposée ? N’y a t‐il pas un risque de se rapprocher du partenariat public privé (PPP) dont on connaît ses limites ?190 Si le processus est financé en partie par ce type d’institutions, la démarche du LIHP ne sera t‐elle pas obligée de s’aligner sur les principes de ces institutions qui ne correspondent pas toujours aux exigences du LIHP ? Comme nous l’avons évoqué précédemment, il est envisageable que ces institutions changent leur point de vue en prenant celui de l’habitat populaire mais quelle serait alors la crédibilité du LIHP si les « surcoûts » du projet induits par l’expérimentation sont financés par l'Union Européenne ou l'Agence Française de Développement (AFD) ? Si l’on considère que la solution doit émerger du territoire, des financements extérieurs permettraient‐ils de rendre l’expérimentation réalisée pérenne ? De même pour la démarche du LIHP, devra t‐elle se faire financer par ces institutions sur chaque territoire d’action ? Un financement local ne serait‐il pas plus en concordance avec l’idée que le processus d’habitat populaire doit être autonome et indépendant ? La Colombie est un pays riche et le District Capital de Bogotá est le moteur de cette richesse car il représente environ le quart du PIB du pays soit plus de trois fois le PIB de la Bolivie ou de la République Démocratique du Congo. Avec une forte volonté politique, le District Capital Bogotá disposerait donc des moyens de porter une autre politique d’habitat, de l’achat des terrains à leur viabilisation jusqu’à la construction qui est pour le moment laissée aux seuls promoteurs immobiliers. De même, pourquoi ne serait‐il pas envisageable de sortir de l’accès à la propriété en offrant des logements à la location gérés par le District Capital ? 2.1.3 L'indispensable intégration du District Capital de Bogotá à la démarche Pour espérer trouver ce type de financement, il faut déjà intégrer le District Capital de Bogotá dans le processus. Nous avons pu voir que le groupe de recherche‐action constitué introduit des chercheurs, des patriciens, des usagers mais il manque désormais les décideurs car le LIHP ne pourra porter seul la 190 Lire à ce sujet, HAMEL Jean Pierre, Les mirages du partenariat public‐privé. Le cas des municipalités au Québec, Agone N°38‐39 : Villes & résistances sociales, 2008 79 volonté politique de ce projet. Si Metrovivienda et le District Capital de Bogotá n’intègrent pas la démarche, il sera impossible d’esquisser la transformation du système de production urbaine actuel et donc de construire un habitat populaire à Usme. Mais pour cela, il faudra que l’institution District Capital de Bogotá transforme son point de vue et accepte de modifier son action à travers Metrovivienda. Le fait que la population s’approprie le processus d’habitat populaire légitime en partie l’action menée par le LIHP, mais si les pouvoirs publics de Bogotá n’intègrent pas la démarche, cette dernière sera t‐elle réellement légitime ? En dehors du District Capital de Bogotá, beaucoup d’autres acteurs devront être intégrés dans la démarche même s’il est encore trop tôt pour les définir précisément. Il est essentiel de construire le processus d’habitat populaire avec la population déjà présente mais il est aussi indispensable de savoir à quels « types » de populations les constructions seront destinées. Sur ce point, rien n’a encore été évoqué mais l’élaboration d’un habitat populaire à Usme ne pourra se faire uniquement avec les communautés rurales d’Usme. Il serait intéressant d’avoir le point de vue d’habitants des zones d’habitat informel car leurs besoins sont peut‐être différents de ceux évoqués par les communautés rurales. 2.1.4 Définition d’une stratégie et clarification du projet général Il est important de rappeler ici que le groupe de travail constitué à Bogotá forme désormais le LIHP d’Usme et bien que celui‐ci intègre également des membres du comité scientifique français, il est constitué très majoritairement de partenaires colombiens. Ces partenaires doivent donc devenir membres du LIHP et intégrer le comité scientifique afin de participer à la définition d’une stratégie générale et d’objectifs. La construction d’une stratégie générale est indispensable pour le LIHP afin de se projeter dans l’avenir, s'organiser et maîtriser son positionnement stratégique par rapport à son domaine d'action et le système sur lequel il souhaite agir. Le LIHP a une « utilité sociale, c'est à dire un rôle d’agent de transformation de la société, ce qui lui confère une responsabilité publique. »191 Cependant, pour être agent de transformation, il doit garder une certaine autonomie en ce sens qu’il doit disposer de la capacité de poursuivre un projet « en adaptant en permanence les moyens dont il dispose à la réalisation des objectifs en tenant compte des différentes contraintes, et de leur importance à un moment donné. »192 Mais cette autonomie ne doit pas le transformer en un « dispositif d’expertise labélisant les actions ou un groupement corporatiste 191 DE ROSNAY Joël, Le macroscope, vers une vision globale, Seuil, 1977, p 64 DE ROSNAY Joël, Op. Cit. 192 80 s’interposant entre les pouvoirs publics et les populations. »193 Afin d’éviter ce piège, il est nécessaire de posséder un cadre de travail clair pour permettre à chaque membre du groupe de travail de garder les objectifs de la démarche en tête. Il est donc essentiel que les membres français du LIHP tiennent un discours cohérent et éclaircissent le projet d’habitat populaire à Usme afin que les partenaires colombiens saisissent le sens de la démarche et le but à atteindre. Une démarche de recherche‐action nécessite un objectif final, qui est déjà connu pour le cas d’Usme, mais également des sous objectifs qui doivent s’inscrire dans une stratégie générale. Bien que celle‐ci soit en cours d’élaboration comme nous avons pu le voir, elle reste pour le moment limitée. Comme cela a été évoqué, bien que ce soit le comité scientifique du LIHP qui ait lancé la démarche, il ne peut rester le moteur de celle‐ci. La légitimité du LIHP réside dans le fait que c’est aux habitants de s’approprier le processus. Le LIHP d’Usme et le comité scientifique sont à distinguer et il faut désormais réfléchir aux possibilités d’articulation entre les deux entités. Le LIHP d’Usme (le territoire d’action) est le moteur du processus d’habitat populaire mais les membres du comité scientifique français peuvent cependant s’assurer que la démarche en cour correspond bien aux partis pris du LIHP et au respect du processus de recherche‐action. Du fait de la distance, il est de toute façon impossible que celui‐ci soit le moteur de la démarche. Mais pour maintenir une cohérence dans la démarche, il est essentiel d’imposer un rythme de rencontre soutenu entre les membres du comité scientifique français et le LIHP d’Usme, cela pourrait être tous les trois mois par exemple. A terme, le comité scientifique devra nécessairement intégrer des colombiens car il ne peut rester uniquement une entité franco‐française. Une fois le District Capital de Bogotá et Metrovivienda intégrés dans la démarche, il faudra expliciter clairement aux partenaires le rôle de chacun dans la démarche entreprise. L’objectif n’étant pas que tout se fasse dans le groupe de travail car cela semble difficilement envisageable. Si un projet de construction doit prendre jour, pour un souci d’efficacité, toutes les phases opérationnelles ne pourront être échangées et débattues au sein de ce groupe. Il n’en reste pas moins que celles‐ci doivent rester maitrisées de manière générale par le groupe de partenaire. Si le LIHP souhaite garder tous les partenaires mobilisés depuis le mois de janvier, il devra s’interroger sur le type de plus‐values qui puisse être attendu par ses partenaires et donc pour cela, il devra connaître les intérêts et les questionnements de ses partenaires pour la démarche engagée à Usme. Tous ces points devront être intégrés dans une charte ou une sorte de contrat d’engagement collectif 193 BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 6 81 lors de la semaine de travail en novembre afin de pérenniser le groupe de travail. Ce document devra également préciser les partenaires concernés, les moyens humains et financiers nécessaires à la poursuite de la démarche engagée et à son développement. Ce cadre est indispensable car avant que « la base soit suffisamment sûre et le processus solidement ancré, il est nécessaire de construire un cadre de travail en rédigeant une charte (valeurs) et un protocole (procédure) pour garantir la stabilité du groupe et le suivi de sa progression. Il risque sinon de se disloquer sous les pressions extérieures (économiques, institutionnelles, idéologiques, etc.) dont les logiques sont souvent contraires au principe de la recherche‐action (réciprocité, coopération, non‐utilitarisme, disponibilité, etc.). »194 2.1.5 Institutionnaliser le territoire d’action Usme Comme nous l’avons vu précédemment, le territoire d’action ne peut être qu’un simple objet d’étude ou le support de la construction d’un habitat populaire. Le processus d’habitat populaire et les différents partenaires qui le constituent ne peuvent s’articuler qu’autour du territoire d’action mais doivent au contraire travailler dans le cadre imposé par le territoire d’action. Le Laboratoire pour l’Habitat Populaire d’Usme (LHPU) s’institutionnalisera seulement lorsque tous les partenaires auront intégré cette dimension. Cela signifie que le cadre imposé est celui du territoire culturel et social dans lequel viendrait s’inscrire l’habitat populaire. Le processus serait donc au plus prêt de la population qui le guiderait. Mais comment porter le territoire au cœur du processus de production d’un habitat populaire ? Il faudra pour cela un engagement collectif porté par une volonté politique et notamment celle du District Capital de Bogotá, qui devra s’efforcer de penser et d’agir à travers un territoire culturel présent dans son territoire administratif. Pour ce cas précis, il faudra par conséquent tendre à la dés‐institutionnalisation du District et de Metrovivienda afin d’institutionnaliser le LHPU. 2.1.6 Le nécessaire dépassement de l’expérimentation La démarche de recherche‐action engagée à Usme ne doit pas se transformer en « simple » expérimentation, car dans ce type de démarche, les connaissances produites sont plus souvent bénéfiques aux seuls chercheurs qu’aux praticiens et l’on constate souvent le maintient de la distance des acteurs par rapport à la recherche. Les expérimentations urbaines, souvent considérées à travers l’innovation d’un objet architectural ou urbain (une tour, un bloc de bâtiments, etc.), sont d’ailleurs souvent impulsées par certaines politiques de la ville qui n’ont pas forcément intérêt à voir le système de production de la ville évoluer radicalement dans son ensemble. Elles récupèrent généralement ces expérimentations en les réintégrant dans le système existant ce qui en limite largement leur puissance transformatrice et émancipatrice, l’exemple du quartier de la Villeneuve à Grenoble en est un très bel 194 BAZIN Hugues, Questions fréquentes sur la recherche‐action, 2003‐2007, p 6 82 exemple. Felix Guattari défend l’idée que « quelques expériences réussies de nouvel habitat auraient des conséquences considérables pour stimuler une volonté générale de changement. »195 Mais bien que l’expérimentation soit essentielle pour esquisser de nouvelles pistes de réflexions et d’action, il est indispensable de prévoir les liens, et donc rapports de force, entre celle‐ci et le système de production et de réflexion de la ville dans son ensemble. L’objectif du LIHP n’est pas de produire des « objets » expérimentaux mais de transformer le système de production et de réflexion de la ville de Bogotá. Par conséquent, il ne sert à rien de faire de l’expérimentation urbaine (« objet » architectural ou urbain expérimental) s’il s’agit uniquement de penser comment celui‐ci va s’intégrer dans le système actuel. L’expérimentation urbaine doit être plus que révélatrice des disfonctionnement du système actuel, elle doit tendre vers la transformation de celui‐ci afin que le système de production urbaine devienne lui même expérimentation. C’est en partie pour cela qu’on ne peut considérer l’habitat populaire uniquement dans son sens politique ou comme un « objet » urbain, c’est aussi un processus en expérimentation. 2.1.7 Théorisation de la transformation d’un « sous‐système » Sur ce schéma, nous voyons vers quoi le processus d’habitat populaire peut tendre bien que cela reste théorique. Les institutions ont pleinement intégré la démarche du LIHP et ont, au centre de leur préoccupation, la construction d’un habitat populaire à Usme. Ils s’opèrent un triple échange de connaissances et tous les partenaires participent à l’action. Les chercheurs universitaires, les communautés d’Usme et les acteurs de la construction se transforment en chercheurs‐acteurs du territoire d’action. Chaque acteur impliqué dans la démarche devient membre du LIHP, le territoire d’action avec les différents partenaires devient le Laboratoire pour l’Habitat Populaire d’Usme (LHPU). Une partie du LIHP se mue en une entité locale, le LHPU, un processus populaire intrinsèquement lié au territoire qui concourt à la transformation du « sous système » de production et de réflexion urbaine de Bogotá. 195 GUATTARI Felix, Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective, Revue Chimères, N° 17, 1992, p 16 83 Figure 13 : Schéma du système de production et de réflexion d’un habitat populaire souhaité. Source : Réalisation personnelle, 2011 Laboratoire pour l’Habitat Populaire d’Usme = Territoire d’action District Capital de Bogotá, Metrovivienda et promoteurs immobiliers Chercheurs (Université Nationale de Colombie et Santo Tomas) Echange de connaissances Processus d’habitat populaire à Usme Echange de connaissances Rapport social et culturel Echange de connaissances Communauté d’Usme (associations et habitants) Comme nous l’avons vu précédemment, le recherche‐action réalisée a pour le moment fonctionné sur la transformation de « micro‐systèmes », mais une telle démarche pourra t‐elle transformer le système de production de la ville de Bogotá ? Si le LIHP parvient à transformer ce système à travers le territoire d’action Usme, il aura réussi à modifier un « sous‐système » local de production qui dépend de référentiels globaux (urgence, standardisation, etc.). Mais quelles conséquences cela aurait t‐il par la suite? Si tel est le cas, on peut émettre l’hypothèse que si cela est possible à Bogotá (situation très complexe), cela peut fonctionner dans la majorité des villes du monde avec leurs différents contextes et difficultés. Et imaginons que la transformation de « sous‐systèmes » sur plusieurs continents se réalise, permettra t‐elle d’esquisser la transformation d’un système porté aujourd’hui par la mondialisation et le capitalisme ? La transformation souhaitée par le LIHP ne passera t‐elle pas nécessairement par la transformation de ceux‐ci ? Sur ce point, Felix Guattari considère que « la société, la politique, l’économie ne peuvent évoluer sans une mutation des mentalités, mais, d’un autre côté, les mentalités ne peuvent vraiment se modifier que si la société globale suit un mouvement de transformation. »196 Toutefois, les enjeux et les intérêts de certains viendront surement s’opposer à une telle transformation. Comment alors les contrer ? N’est‐ce pas là les prémices d’une lutte urbaine ? 196 GUATTARI Felix : Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective, Revue Chimères, N° 17, 1992, p 15 84 2.1.8 Vers une science de l’habitat populaire ? Dans sa thèse « la recherche‐action dans les sciences de l’homme : portée, limites et perspectives »197, Michel Liu affirme que dans les sciences de l’homme, les méthodes de recherche sont fortement conditionnées par la nature de l’objet à étudier et il en vient à conclure que la rupture entre disciplines est une rupture dans les méthodes d’études. Si l’on considère « l’objet de l’étude », la ville et plus précisément l’habitat populaire, sa complexité est telle qu’il semble difficilement envisageable d’appliquer une méthodologie rigide à celui‐ci. Il paraît donc essentiel de considérer une autre approche qui est celle de la recherche‐action. Néanmoins, comme nous l’avons vu précédemment, il n’existe pas une recherche‐action mais des recherches‐actions. Cela signifie qu’une recherche‐action doit être définie et développée pour le seul processus d’habitat populaire. « La configuration d’une recherche‐action varie selon la proximité de la relation au terrain, le nombre d’acteurs impliqués, l’origine et la nature des transformations engagées. »198 Lorsque l’on observe l’objectif du LIHP, à savoir, engager un processus d’habitat populaire à Usme pour plusieurs centaines ou milliers de personnes, cette recherche‐action ne peut être que singulière de par son ampleur, son objectif, sa diversité d’acteurs et la transformation souhaitée. Maintenant, si nous prenons les conditions nécessaires à l’émergence d’une science, on observe « qu’il y aurait, semble‐t‐il, deux conditions à remplir pour prétendre à ce statut : ‐ L’existence d’un champ, d’un objet. ‐ L’existence d’une méthodologie propre. »199 L’on ne pourrait séparer ici « l’objet d’étude » (habitat populaire) de la « méthodologie » (recherche‐ action) car nous avons vu tout au long de ce mémoire que l’habitat populaire est lui même un processus dont fait partie la recherche‐action. Il ne s’agit donc pas d’un objet et d’une méthodologie mais d’un seul processus, celui de l’habitat populaire. Cependant, même si ces deux conditions sont réunies au sein d’un même processus, ne permettraient‐elles au LIHP d’inventer sa propre science de l’habitat populaire ? La création d’une discipline de l’habitat populaire qui s’affranchirait de certaines structures de pensée et serait capable de rendre compte des mutations des villes des sociétés et à travers le monde. 197 M. LIU, La recherche‐action dans les sciences de l'homme : portée, limites et perspectives, Thèse de doctorat d'Etat ès lettres, septembre 1986, Institut d'études Politiques de Paris 198 VERSPIEREN Marie‐Renée, Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation, Coédition Contradictions/L’harmattan, 1989, p 97 199 VERSPIEREN Marie‐Renée, Op. Cit., p 6 85 2.2 Vers quel habitat populaire à Usme ? Cette partie a pour objet de retranscrire de manière synthétique les différents éléments qui sont ressortis lors des deux semaines de travail réalisées à Bogotá mais également du document d’Usme. Les différents points évoqués ici sont donc issus de propositions des communautés d’Usme, des chercheurs et étudiants des deux universités ainsi que des membres français du LIHP. 2.2.1 Situation actuelle du territoire d’action Aujourd’hui, la situation du territoire d'action est problématique. Bien que la zone du projet urbain de Metrovivienda s’étende sur 938 hectares, un terrain de trente hectares se dégage par sa situation puisqu’il se trouve proche du centre historique d’Usme et qu’il couvre le site archéologique.200 Construire un habitat populaire sur un tel site rend l’expérimentation d’autant plus intéressante. Elle offre en effet la possibilité de repenser le lien entre ancêtre Muisca et générations actuelles et futures d’Usme à travers l’architecture. De même, nous devons réfléchir au rapport entre l’archéologie et l’urbanisation, rapport qui a trop souvent tourné à l’avantage de l’urbanisation pour le cas de Bogotá. Cependant, ce terrain a déjà été racheté par Metrovivienda qui souhaite y construire 3000 logements sur 22 hectares, les 8 autres étant réservés à la création d’un parc archéologique. Le problème étant que l’entreprise a déjà lancé un appel d’offre dont la réponse était attendue à la mi‐juillet 2011. Mais il semblerait qu’aucun promoteur n’ait encore répondu à l’offre. Cela peut s’expliquer par la complexité du terrain car le promoteur est dans l’obligation de participer financièrement à l’excavation des richesses archéologiques si trouvaille il y a. Un autre facteur semble être déterminant, ces logements devant être principalement des VIS et VIP, les bénéfices réalisés par les promoteurs n’excèdent généralement pas les 4 ou 5% ce qui ne les incite pas à s’engager. Cependant, s’il s’avérait qu’un promoteur immobilier achète les terrains, le LIHP ne pourrait plus intervenir sur ce site et se retrouverait donc dans l’obligation de travailler sur une autre zone des 938 hectares omettant ainsi l’enjeu du rapport entre l’histoire ancienne et l’urbanisation contemporaine. Un autre point important est à souligner ici, sur les 938 hectares du projet, Metrovivienda n’en a acquis qu’une centaine, le projet aura donc bien du mal à sortir de terre d’ici 20 ans comme cela était prévu initialement. 2.2.2 Sortir de la standardisation et de l’amélioration par étape de l’habitat informel L’échec et l’impuissance des politiques publiques face au processus anarchique d’urbanisation du monde invoqué par l’ONU‐Habitat ne doivent pas être généralisés à tous les pays. Bien qu’un certain nombre d’Etats n’ont pas ou non plus la capacité de porter des politiques publiques fortes en matière de logement suite aux politiques d’ajustement structurel imposées par le Fond Monétaire 200 Voir l’annexe 4, p 10 et 11 du document 86 International (FMI) dans les années 70 et 80, nous avons pu voir ici que la Colombie et le District Capital de Bogotá disposent des moyens de financer une autre politique de l’habitat. L’on peut envisager une autre solution que celle de l’accession à la propriété. Bien que la propriété soit parfois perçue comme facteur d’émancipation ou de libéralisation face à la précarité, c’est aussi pour le cas de Bogotá, un moyen de figer les classes sociales pauvres loin du centre en espérant que cette « liberté » leur enlève toute espérance d’accéder à une vie meilleure, car comme le disait Alexandre Ribot en 1908, « faire des citoyens, des propriétaires, c’est aussi faire des conservateurs. »201 Face à la propriété standardisée et à l’amélioration de l’habitat informel par étape successive, proposés par le District Capital de Bogotá, des alternatives doivent être explorées. Cela ne signifie par pour autant qu’il faille oublier l’attachement des populations à leur habitat bien qu’il soit par certains points insalubre afin d’intégrer non l’insalubrité mais les éléments d’attachement à la définition d’un habitat populaire. La construction d'un habitat populaire à Usme peut s’appuyer sur cinq « types d’habitat » présents sur le territoire d’Usme. Figure 14 : Tableau des différents types d’habitat présents à Usme Source : Réalisation personnelle, 2011 Habitat informel ou récemment formalisé du Construit historiquement sur un processus nord de la localité d’Usme (Photographie 1) d’urbanisation illégale et en auto‐construction Habitat rural Fermes agricoles et/ou d’élevage Centre historique d’Usme (Photographie 2) Fondé sur un modèle urbain hispanique Ciudadela Nuevo Usme Architecture Muisca (Photographie 3) Quartiers construits par Metrovivienda et les promoteurs immobiliers Possibilité d’intégrer certains éléments de l’architecture Muisca 201 GUERRAND Roger‐Henri, La conquête inachevée du droit au logement, Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011, p 69 87 Figure 15 : Photographies et représentation des différents types d’habitat à Usme. De gauche à droite, (1), (2) et (3). Source : LIHP et Musée National de Colombie, 2011 Comme cela a déjà été évoqué, la construction d’un habitat populaire ne peut s’appuyer uniquement sur le passé à partir d’un savoir vernaculaire. Marc Gossé souligne le fait que « les cultures se livrent une lutte d'identités permanente qui s'exprime non seulement par des références au passé, mais surtout par des processus récurrents d'autodétermination et de projection dans l'avenir, à partir d'un présent, d'une « contemporanéité » où coexistent traces du passé et projets potentiels de modernité. »202 La dimension prospective de l'habitat populaire est donc aussi importante. L’habitat populaire se pense aussi et surtout à travers son avenir, ce que l’on veut construire afin de dépasser une situation problématique. La démarche moderniste est dans ce sens intéressante car bien qu’elle réfute le recours à la tradition et à la référence historique, son rapport « à la recherche et à l’innovation par le biais de l’imagination et de la raison pure »203 est intéressant. Il faudra donc également s’appuyer sur certains modèles d’habitat progressistes qui existent à travers le monde. Le LIHP a d’ailleurs prévu d’établir une cartographie mondiale des politiques publiques en matière de logement social qui ont réussi afin de disposer d’un argumentaire sur lequel appuyer sa démarche sur ses territoires d’action. Enfin, le LIHP ne pourra évidemment pas prévoir de construire un projet d’habitat populaire sur les 938 hectares du projet de Bogotá. Il faudra donc définir la taille du projet d’habitat populaire pour qu’il ait une valeur significative aux yeux du District Capital de Bogotá afin de montrer que la transformation opérée peut se faire à une échelle plus importante. Mais on peut également s’interroger sur l’impact du projet s’il ne concerne que le site archéologique (environ 20 hectares). Si le projet réussit et atteint ses « objectifs », alors que les nouvelles zones urbaines aux alentours restent sur les principes de développement urbain portés par Metrovivienda, quel est l’intérêt aux yeux des communautés d’Usme ? Quelle sera l’articulation avec le reste du projet ? Le reste de la ville ?204 202 GOSSE Marc, Le bidonville : phénomène naturel, œuvre ou processus ?, in DE FILIPPI, Francesca ; Slum[e]scape, Alinea, Firenze, 2009, pp. 11‐13 203 GOSSE Marc, La crise mondiale de l’urbanisme, quels modèles urbains ?, Les annales de la recherche urbaine, N° 86, Développement et coopération, juin 2000, p 89 204 ère Analyse critique de la 1 semaine de la mission à Bogotá 88 2.2.3 L’architecture comme révélateur de la culture d’Usme Nous avons vu que le territoire d’action devient le LHPU avec tous les partenaires engagés dans le processus d’habitat populaire. Cela montre clairement que le LIHP s’approprie la situation problématique du territoire. C’est de toute façon de cette situation et du territoire qu’un habitat populaire émergera. Par conséquent, imposer un modèle urbain n’intégrant pas la dimension culturelle du territoire serait voué à l’échec. Sur ce point, dans son ouvrage « Le détour, pouvoir et modernité », Guy Ballandier affirme que « toute pensée nouvelle naît dans les formes anciennes, déjà là, disponibles ; même celle qui se veut initiatrice de rupture. »205 L’architecture doit exprimer les rapports de l’Homme à son environnement. A travers l’architecture, « une population inscrit concrètement ses valeurs culturelles et ses pratiques sociales dans son cadre bâti. »206 Pour élaborer un habitat populaire à Usme, il faudra par conséquent intégrer la complexité et les particularités culturelles d’Usme dans le projet architectural. Il faut réussir à montrer à travers le développement urbain d’Usme, que celui‐ci ne marque pas la fin d’un territoire culturel mais qu’au contraire, ce développement peut permettre à la population de s'approprier ou de se réapproprier le territoire d’Usme, et ce malgré une certaine transition du rural à l'urbain. Felix Guattari affirme que « l’être humain contemporain est fondamentalement déterritorialisé. »207 Les être humains n’ont plus d’ancêtre et il s’interroge sur la perte de la stabilité des repères portés par les ancêtres et les territoires. Cette question est essentielle à Usme avec la présence du site archéologique Muisca. L’archéologue de l’Université Nationale de Colombie a évoqué l’importance que chaque pays ou chaque culture ait un lieu de mémoire. Usme est pour lui un lieu essentiel dans l’histoire de la Colombie car de nombreuses cultures pré‐colombiennes ont échangé leurs savoir être et savoir faire dans cette région. Selon lui, le site archéologique doit se développer de manière étroite avec la population d’Usme car il offre un potentiel conséquent en matière d’éducation et de transmissions des savoirs. Le site peut participer largement à la (re)construction culturelle de ce territoire en faisant rejaillir la culture Muisca.208 Le représentant de l’association Casa Asdoas nous a également alerté sur le fait que le rapport entre une communauté et son environnement est plus compliqué que ce que pensent les universitaires. C’est notamment vrai à Usme pour le rapport qu’entretiennent certaines communautés avec l’eau. 205 BALLANDIER, Guy, Le détour, pouvoir et modernité, Paris, Fayard, 1985, 266 p GOSSE Marc, La crise mondiale de l’urbanisme, quels modèles urbains ?, Les annales de la recherche urbaine, N° 86, Développement et coopération, juin 2000, p 88 207 GUATTARI Felix : Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective, Revue Chimères, N° 17, 1992, p 1 208 Voir l’annexe 4, p 12 du document 206 89 Comment alors intégrer cette dimension dans l’architecture ? Faut‐il pour autant s’inspirer de l’architecture Muisca ? C’est à travers la culture du territoire d’Usme que l’on pourra bâtir un habitat populaire singulier. C’est celui‐ci qui permettra à la population d’Usme de penser et de vivre différemment son rapport au monde et de ne pas se transformer en une « simple » expansion urbaine de Bogotá. 2.2.4 Conservation des terres agricoles ? Bien que le territoire d’Usme soit majoritairement rural, il comporte également une zone urbaine où vivent plus de 350 000 habitants au nord de la localité.209 Le leader des communautés rurales d’Usme défini d’ailleurs les paysans d’Usme comme des paysans de la ville. La compréhension de ce territoire passe donc nécessairement par une réflexion sur la complémentarité ville‐campagne de ce territoire. Le sol d’Usme est très fertile et produit une nourriture de qualité. Les communautés rurales souhaitent absolument préserver l’agriculture à Usme et propose pour cela d’élaborer une plateforme agricole (agropolis) pour Bogotá qui pourrait constituer un pôle d’activité important à Usme.210 La mise en place de cette agropolis permettrait éventuellement d’augmenter la productivité des surfaces cultivables sans pour autant les étendre, réduire la main d’œuvre ou utiliser plus d’intrants chimiques. Bien que cette dimension soit importante pour les communautés rurales d’Usme, elle a ses limites car selon leur leader, tous les paysans veulent une maison avec un terrain pour cultiver. Mais, est‐il envisageable d’offrir à des centaines, voir des milliers de personnes cette possibilité alors que près d’un million de logements devra être construit dans le district de Bogotá d’ici 40 à 50 ans ? L’articulation entre l’agriculture et l’urbanisation est véritablement un enjeu de première importance pour ce territoire mais il est difficile de dire s’il est possible d’y répondre. 2.2.5 Prise en compte de l’environnement La présence de systèmes écologiques exceptionnels tel que le páramo de Sumapaz – le plus grand du monde ‐ est un paramètre indispensable à prendre en compte. Si le développement urbain d’Usme s’opère très rapidement, cela incitera les agriculteurs à déplacer leurs cultures vers les hauteurs d’Usme, c’est à dire vers le páramo de Sumapaz qui est un parc naturel national. Cette situation est paradoxale car les agriculteurs vont être amenés à détruire les parties les plus basses du páramo malgré leur attachement à leur environnement. Faut‐il alors garder des surfaces agricoles importantes 209 Voir l’annexe 4, p 14 du document Réunions du mardi 3 mai, Résumé des cinq semaines de la mission 210 90 à Usme ? Cela obligerait à construire de manière très dense sur le reste du territoire pour pouvoir accueillir une importante population. Selon un géographe de l’Université Nationale de Colombie, la région sud de Bogotá (localité d’Usme et de Sumapaz) dispose d’énormes réserves hydriques qui ne représentent aujourd’hui que 4% de l’approvisionnement en eau potable de Bogotá mais qui pourraient représenter jusqu’à 40% de celui‐ci en 2050.211 Ces réserves suscitent donc de forts intérêts de la part de la ville de Bogotá mais aussi de grands groupes privés. La population d’Usme n’a donc pas uniquement un rapport culturel à l’eau mais aussi un rapport politique à celle‐ci. Enfin, cette ressource est à prendre en considération dans sa dimension écologique. Beaucoup de cours d’eau de Bogotá ont été modifiés par l’urbanisation (terrassement) et ils sont aujourd’hui très pollués. L’eau du Rio Tunjuelo par exemple, est de très bonne qualité lorsqu’elle travers le territoire d’Usme mais très polluée lorsqu’elle arrive dans la plaine de Bogotá.212 Cela est en partie dû à l’infiltration de produits chimiques dans les sols du bassin Tunjuelo.213 Ceux‐ci proviennent de la décharge de Bogotá située à proximité du cours d’eau sur la localité de Simon Bolivar. Le rejet d’eaux usées dans le cours d’eau, qui s’explique par la faiblesse du réseau d’assainissement à Usme, participe également à sa pollution. De plus, les nombreuses quebradas (ruisseaux encaissés) présentes sur le territoire doivent être intégrées dans le projet et ne peuvent être uniquement considérées comme un risque d’inondation. D’autres problèmes environnementaux sont également à prendre en compte. Le territoire d’Usme est semé de petits parcs miniers destinés à la production de matériaux de construction (chircales). Leur exploitation illégale entraine la déforestation de la localité mais également l’accélération de l’érosion des sols. Ce point est très sensible car les chircales représentent également une source de revenu pour les populations d’Usme les plus vulnérables économiquement. De même, la topographie est très marquée, ce qui oblige à intégrer les constructions au paysage avec des hauteurs de bâtiments réduites (2 à 3 étages).214 Enfin, les sols d’Usme sont très meubles ce qui pose des problèmes d’ingénierie. Tous ces points conditionnent déjà largement la construction d’un habitat populaire à Usme. 2.2.6 Que faire face à la stratification des classes sociales de Bogotá ? Bogotá est une ville riche mais la majorité de sa population dispose de revenus modestes voir très réduits. Le district s’appui d’ailleurs sur une stratification sociale qui va de la classe 1 à la classe 6. 211 Journée de travail du vendredi 6 mai, Résumé des cinq semaines de la mission Journée de travail du jeudi 5 mai, Résumé des cinq semaines de la mission 213 Journée de travail du vendredi 6 mai, Résumé des cinq semaines de la mission 214 ème Analyse critique de la 2 semaine de la mission à Bogotá 212 91 Celle‐ci s’appui majoritairement sur la qualité physique de l’habitat. Les plus pauvres (habitat précaires, bidonvilles) constituent les classes 1 et 2 (très majoritairement situées au sud de Bogotá) et les riches (villa, appartements luxueux) forment les classes 5 et 6 (principalement situées au nord de Bogotá). Usme étant constitué à 99% des classes 1 et 2.215 Ce facteur nous oblige à penser quels « types » de population seront amenés à y vivre. Comme cela a été évoqué, un habitat populaire ne peut être considéré comme celui du « pauvre ». Dans son essai situation III de 1949, Jean Paul Sartre écrivait, « en France, le quartier riche protège les riches contre les pauvres ; le quartier pauvre nous met à l’abri du dédain des riches. »216 Comment doit‐on interpréter cela ? Cette simple phrase met en avant tout le paradoxe de la mixité sociale. Faut‐il imposer de la mixité sociale à Usme, est‐ce tout simplement envisageable ? Si l’on écoute une habitante d’un quartier conçu par Metrovivienda, cela semble nécessaire car la concentration d’une population socialement fragile dans ces quartiers fait que de nombreux problèmes sociaux s’y développent.217 Sur ce point, l’entreprise Metrovivienda est impuissante218 car son directeur nous a affirmé que les classes moyennes de Bogotá (strates 3 et 4) ne veulent pas vivre dans un quartier de logements d’intérêt prioritaire ou social (VIS et VIP219). Dans tous les cas, si le LIHP construit un habitat populaire uniquement pour les classes pauvres de Bogotá, il perdra sa dimension d’habitat pour tous. Il faudra donc nécessairement réfléchir aux moyens de lutter contre la ségrégation socio‐spatiale que connaît ce territoire. 2.2.7 La question du travail à Usme Un habitat populaire ne peut être conçu sans penser aux activités qui le feront vivre. Il est donc essentiel de réfléchir aux types de travails qui pourraient être développés à Usme. La très grande majorité des activités présentes à Usme sont des petites entreprises de moins de 10 employés et un grand nombre d’emplois est informel. Il n’y a pas de grands secteurs d’emplois sur ce territoire pourtant enclavé géographiquement par rapport à Bogotá. Une part importante de la population est donc obligée d’aller travailler dans le centre ou le nord de Bogotá en tant que femme de ménage ou dans le secteur de la construction pour les hommes. Ce qui induit des temps de transport quotidiens de deux à trois heures.220 Cet isolement doit nous amener à réfléchir sur la possible indépendance que peut avoir ce territoire vis à vis de Bogotá en termes d’activité. La mise en place d’une agropolis permettrait d’exploiter de manière plus intensive un sol très fertile en développant une filière de vente avec les marchés de Bogotá. L’activité des chircales peut éventuellement être repensée et mieux contrôlée afin de produire localement les matériaux pour la construction d’un habitat populaire à 215 Voir l’annexe 4, p 18 du document SARTRE Jean Paul, Situations III, La ville américaine, 1949, p 116 217 Journée de travail du vendredi 6 mai, Résumé des cinq semaines de la mission 218 Réunions du mardi 10 mai, Résumé des cinq semaines de la mission 219 Vivienda de Interes Social, logement d’intérêt social et Vivienda de Interes Prioritario, logement d’intérêt prioritaire 220 Voir l’annexe 4, p 17 et 18 du document 216 92 Usme. La production d’eau potable provenant du páramo de Sumapaz serait également un point à approfondir. De nombreuses activités sont envisageables et il faudra de toute manière en prévoir suffisamment pour les dizaines de milliers de futurs habitants d’Usme. Une ville populaire ne peut se construire sans penser son rapport à la production et au travail. Synthèse de la troisième partie Il reste encore beaucoup de travail avant que le processus d’habitat populaire engagé porte véritablement ses fruits. Mais la démarche réalisée a apporté quelques avancées qui nous ont permis d’approfondir certains partis pris du LIHP. Parallèlement à cela, nous constatons que beaucoup d’éléments du territoire sont ressortis lors de la démarche. Ceux‐ci constituent d’ores et déjà des pistes de réflexions sur lesquelles le processus d’habitat populaire doit s’orienter afin de construire un habitat singulier pour la population d’Usme. 93 Conclusion Mon apprentissage se termine mais le LIHP continue d’avancer, d’explorer. Il me faudra donc transmettre les connaissances acquises lors de cette expérience à l’étudiant qui viendra me remplacer. Car l’objectif du LIHP est aussi celui d’offrir une autre vision de la ville. Plus les visions sur celle‐ci seront ouvertes et diverses, plus les possibilités d’appréhender la « crise » de la ville seront nombreuses. Si cette ouverture pouvait être apportée à chaque étudiant en urbanisme ou en architecture, ceux‐ci essaieraient peut‐être de construire différemment la ville à côté des habitants et des élus. Face à l’arrivée de deux milliards d’êtres humains dans nos villes d’ici 30 à 40 ans, il est indispensable de multiplier les expériences dans les domaines de l’action et de la recherche urbaine. Le processus d’habitat populaire qui s’appuie sur un parti pris politique fort et une démarche de recherche‐action peu courante dans le domaine de l’urbain constituent l’une de ces expériences. Néanmoins, ce n’est pas l’option la plus simple car elle demande un certain nombre d’exigences idéologiques et pratiques. Le LIHP n’a pas de solution miracle mais il s’efforce de considérer le problème de la ville différemment, de construire des solutions sur d’autres « référentiels » que ceux existants en définissant l’habitat populaire comme un processus. Nous avons pu constater que la démarche engagée à Usme a offert quelques éléments de réponse. Une transformation à petite échelle a bel et bien été opérée dans le système de production et de réflexion de la ville de Bogotá même si celle‐ci reste à conforter et à approfondir. A travers cette transformation, le LIHP a montré qu’il était possible de répondre collectivement à la « crise » traversée par le territoire d’Usme bien qu’il soit encore trop tôt pour affirmer si cette « crise » pourra être dépassée. Il est encore plus difficile de percevoir quel pourrait être l’impact de cette démarche à une échelle plus importante. Si la démarche était amenée à réussir à Usme, cela ne signifie en rien qu’elle parviendra à construire un habitat populaire au sein d’un autre territoire d’action. De même, si elle ne fonctionne pas à Usme, ce type de démarche évolutive doit être essayée et réessayée au sein d’autres territoires d’action car le processus d’habitat populaire ne pourra être que différent selon les contextes et les spécificités des territoires. Dernièrement, la population d’Usme s’est engagée plus profondément dans la démarche et elle semble s’approprier le processus d’habitat populaire à Usme. Cet engouement laisse penser que la démarche devient un processus populaire car elle n’est pas guidée par le District Capital de Bogotá ou une institution particulière. Ce point est essentiel, car le LIHP n’a de légitimité qu’à travers la 94 population qui le constitue. Une partie du LIHP doit d’ailleurs se muer en Laboratoire pour l’Habitat Populaire d’Usme (LHPU) car le territoire d’action constitue désormais le laboratoire. Bien que le territoire d’action ait été « activé » depuis peu de temps, il a permis au LIHP d’approfondir certains partis pris. Nous pouvons remarquer qu’entre le parti pris politique de l’habitat populaire exposé en première partie de ce mémoire et ce qui a été présenté par la suite, une évolution s’est opérée. L’habitat populaire n’est plus un « simple » parti pris politique mais il est devenu un processus. Par conséquent, il ne peut avoir de définition à proprement parler car chaque territoire selon ses spécificités et son mode d’élaboration construira un habitat populaire singulier. C’est en avançant par étape successive que l’on voit un chemin se tracer. L’émergence d’un nouvel acteur comme le LIHP n’est pertinente que si ce chemin est différent de ceux qui existent déjà. Dans ce sens, le LIHP cherche à bouger les lignes ou frontières qui existent dans les champs de la production et de la réflexion urbaine qui n’offrent aujourd’hui que peu de solutions face à la « crise » de la ville. Une démarche de recherche‐action est insaisissable et pourtant elle construit de manière très concrète un chemin qui mène à des objectifs importants comme l’on peut l’apercevoir pour le cas d’Usme. Bien sûr, le chemin laissé ne pourra être intelligible que dans quelques temps. Le LIHP ne peut donc pas être considéré comme une dynamique. C’est un mouvement en perpétuelle construction qui ne se revendique d'aucune mouvance ou courant dans les domaines de l’action et de la recherche urbaine. En ce sens, le discours du LIHP peut émettre un certain trouble car il est toujours en construction, et seul les territoires d’action pourront venir l’éclaircir. Enfin, le LIHP, en plus d’être en mouvement, doit devenir un espace propice à la pensée politique et à l’action, un espace dans lequel il est possible de concevoir et de poursuivre des alternatives en vue de transformer une situation. La démarche engagée à Usme laisse cependant nombre d’interrogations. L’ampleur du projet demande énormément de moyens humains, financiers, politiques, etc. Tout reste à définir et notamment l’engagement de tous les partenaires dans le processus d’habitat populaire d’Usme. Si la démarche menée à Usme reste sur cette dynamique, la transformation d’une partie du cadre de production et de réflexion urbain de Bogotá devrait s’accélérer. Cela permettrait d’approfondir certains partis pris du LIHP, comme par exemple, le fait qu’un territoire d’action se transforme en Laboratoire pour l’Habitat Populaire dès lors qu’un chercheur‐acteur collectif travaille à sa transformation. Permettons nous d’imaginer que le LIHP devienne un mouvement populaire sur plusieurs territoires d’action ‐ un par continent par exemple ‐, dont le processus d’habitat populaire qui y serait engagé serait porté par la population. 95 Pour le LIHP, la résolution de la « crise » de la ville passera nécessairement par la résolution de la « crise » de l’habitat populaire. Celui‐ci ne peut être considéré comme un « simple » objet urbain, il est au contraire un processus qui se construit dans la durée. Accepter le fait que la résolution de la « crise » de la ville ne pourra se faire à travers des actions ciblées et limitées dans le temps est déjà un élément fort. Mais affirmer que celle‐ci ne pourra se résoudre qu’au travers d’un processus populaire qui construira son propre habitat est fondamental. Emettre cette idée, c’est accepter que seule la population peut répondre à cette « crise », bien sûr avec l’appui des architectes, urbanistes, élus, etc. L’habitat populaire énoncé comme processus, c’est également accepter que le processus de construction d’une ville est la ville elle même. Cela va dans le sens de Martin Heidegger qui affirmait dans son ouvrage « Bâtir, Habiter, Penser », qu’« habiter et bâtir sont l’un à l’autre dans la relation de fin et de moyen. Seulement, aussi longtemps que notre pensée ne va pas plus loin, nous comprenons habiter et bâtir comme activités séparées, ce qui exprime sans doute quelque chose d’exact ; mais en même temps, par ce schéma fin‐moyen, nous nous fermons l’accès des rapports essentiels. Bâtir, voulons‐nous dire, n’est pas seulement un moyen d’habitation, une voie qui y conduit, bâtir est déjà, de lui‐même, habiter. »221 Cela voudrait donc dire que ce n’est pas la ville en tant « qu’objet finit » qui est en « crise » mais la manière dont nous la pensons et la construisons. C’est donc dans la capacité qu’auront les Hommes à comprendre le passé de leurs villes pour agir sur leur avenir que la « crise » de la ville pourra être résolue. De la même manière, faire bâtir la ville par l’ensemble de ses concitoyens est la condition sine qua non pour que les êtres humains vivant dans ces immenses et si nombreuses zones urbaines réductrices de quotidiens redeviennent habitants. Espérons que le processus d’habitat populaire, en interrogeant ce chemin, puisse trouver des éléments de réponses intéressants. 221 HEIDEGGER, Martin ; Bâtir, Habiter, Penser, in Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958 96 Références documentaires Ouvrages DAVIS Mike, Le pire des mondes possibles, La Découverte, Paris, 2006, 250 p GARNIER Jean‐Pierre, Une violence éminemment contemporaine, Essais sur la ville, la petite ‐ bourgeoisie intellectuelle et l’effacement des classes populaires, Marseille, Agone, coll. Contre‐Feux, 2010, 254 p MUMFORD Lewis, La cité à travers l’histoire, Seuil, 1961, 776 p SACHS Ignacy (ss la dir.), Quelles villes, pour quel développement ?, PUF, 1996, 323 p DE ROSNAY Joël, Le macroscope, vers une vision globale, Seuil, 1977, 346 p VERSPIEREN Marie‐Renée, Recherche‐action de type stratégique et science(s) de l’éducation, Coédition Contradictions/L’harmattan, 1989, 396 p Revues Manière de voir, Monde Diplomatique, L’urbanisation du monde, N° 114, Décembre 2010 – janvier 2011 EUGENE Benoît (ss la dir.), Ville et résistances sociales, Edition Agone, N° 38‐39, 2008. Document disponible sur internet : http://atheles.org/agone/revueagone/agone38et39/index.html Villes en développement, Bulletins N° 46, Décembre 1999 et N° 87, 2009. 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Document disponible sur internet : recherche‐action.fr/doc/Questions‐en‐recherche‐action.pdf GUATTARI Felix : Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective, Revue Chimères, N° 17, 1992, 18 p GARNIER Jean‐Pierre, La volonté de non‐savoir, Agone N°38‐39 : Villes & résistances sociales, 2008 CRIEKINGEN Mathieu, Comment la gentrification est devenue, de phénomène marginal, un projet politique global, Agone N°38‐39 : Villes & résistances sociales, 2008 97 HAMEL Jean Pierre, Les mirages du partenariat public‐privé. Le cas des municipalités au Québec, Agone N°38‐39 : Villes & résistances sociales, 2008 TALERCIO Patrick, Un déguerpissement exemplaire à Ouaga (Burkina Faso), Agone N°38‐39 : Villes & résistances sociales, 2008 GOSSE Marc, Le bidonville : phénomène naturel, œuvre ou processus ?, in DE FILIPPI, Francesca ; Slum[e]scape, Alinea, Firenze, 2009, pp. 11‐13 GOSSE Marc, La crise mondiale de l’urbanisme, quels modèles urbains ?, Les annales de la recherche urbaine, N° 86, Développement et coopération, juin 2000, pp. 85‐91 PAULAIS Thierry, Le défi des villes en crise. Document disponible sur internet, documentation de l’AFD. http://www.afd.fr/webdav/site/afd/shared/PORTAILS/SECTEURS/DEVELOPPEMENT_URBAIN/doc/Recherche/le‐defi‐ des‐villes‐en‐crise.pdf DURAND‐LASSERVE Alain, Les relations entre chercheurs et professionnels, revue ville en développement, N° 46, 1999 MOYA Luis, Vitesse et lenteur dans la construction de la ville, Urbanisme, N° 377, mars‐avril 2011 Rapports UN‐HABITAT : The challenge of slums: global report on human settlements, Nairobi, 2003 UN‐HABITAT : World urbanization prospects. The 2007 revision population data base, New York, 2008 Productions du LIHP Document de travail Usme, 2011 Recherche, recherche‐action, quelle place et quelle forme dans le LIHP ?, 2011 Penser la ville, 2009 Adopter un point de vue politique sur l’habitat populaire afin de dynamiser radicalement sa production, 2009 Texte fondateur du LIHP, 2008 Comment s’introduit le « politique » dans mon travail, 2009 Un spectre hante la planète : Le logement social, 2009 98 Productions personnelles Analyse critique de la 1ère semaine de la mission à Bogotá Analyse critique de la 2ème semaine de la mission à Bogotá Résumé des cinq semaines de la mission (tiré du journal de bord) Ressources internet Le cahier des dynamiques sociales et de la recherche‐action : http://www.cedrea.net/ Portail de la recherche‐action : http://recherche‐action.fr/ Centre de documentation électronique pour la recherche‐action : http://biblio.recherche‐ action.fr/index.php Laboratoire d’innovation sociale par la recherche‐action : http://labo.recherche‐action.fr/ Site de l’aménageur urbain du District Capital de Bogotá, Metrovivienda : http://www.metrovivienda.gov.co/ 99 Table des matières Avant propos 6 Sommaire 8 Introduction 9 Partie I – Pourquoi le Laboratoire International pour l’Habitat Populaire ? 12 Chapitre 1. Quelques aspects de « la crise de la ville » 12 1.1 Un fait, la ville concentre l’avenir de la civilisation humaine 12 1.1.1 Une croissance démographique toujours au rendez‐vous 12 1.1.2 L’urbanisation du monde 13 1.2 Une « crise » mondiale 14 1.2.1 Le bidonville, expression totale d’une faillite humaine 14 1.2.2 Du phénomène de gentrification à la périphérisation des classes populaires 16 1.2.3 Des habitants toujours oubliés 17 1.3 Une production urbaine en difficulté 18 1.3.1 L’approche urgentiste et quantitative de l’urbanisation 18 1.3.3 Standardisation de la production urbaine et faillite architecturale 21 Chapitre 2. Quand la réponse pose problème 23 2.1 Les « faiseurs de ville » aux abois 23 2.1.1 L’impuissance de la communauté internationale 23 2.1.2 L’échec de l’urbanisme et de l’architecture 25 2.2 Les limites de la recherche urbaine actuelle 29 2.2.1 Une « crise » mal cernée par les chercheurs de l’urbain 29 2.2.2 Le difficile couple recherche et politique 30 2.2.3 Quand la recherche oublie l’action et vice versa 32 Chapitre 3. Face à cette « crise » : Les propositions du LIHP 34 3.1 Une action nécessairement portée à l’échelle internationale 34 3.2 Le parti pris politique de l’habitat populaire 35 3.2.1 La « crise de la ville » est celle de l’habitat populaire 35 3.2.2 L’indispensable volonté politique 36 3.3 Une démarche plus qu'une méthodologie, la recherche‐action 37 3.3.1 L’articulation entre recherche et action 38 3.3.2 L’habitant, l’acteur et le chercheur au même niveau 39 3.3.3 Transformation individuelle et institutionnelle 40 3.3.4 Pluridisciplinarité, démarche collective et production de connaissances 41 3.3.5 La recherche‐action, un chemin qui se trace face à la complexité de la ville 42 100 3.4 Les territoires d’action et l’expérimentation urbaine Partie II – Démarche engagée sur le territoire d'action Usme Chapitre 1. Pourquoi ce territoire d'action ? 1.1 Usme cristallise tous les grands enjeux contemporains 1.2 Un territoire en « crise » Chapitre 2. Première approche du territoire d'action 2.1 Montage de la coopération franco‐colombienne 2.2 Elaboration d’un document de travail collectif sur le territoire d’Usme Chapitre 3. Mission en Colombie, au cœur de la recherche‐action 3.1 Constitution du groupe de travail 3.1.1 Formation d’une équipe pluridisciplinaire 3.1.2 Constitution d’une équipe d’étudiants 3.2 Temps de travail collectif 3.2.1 Réunions et journées de travail 3.2.2 Visites de terrain 3.3 Les techniques réalisées 3.3.1 Le journal de bord 3.3.2 L’observation 3.3.3 Le feed‐back 3.4 Définition des objectifs et d’une stratégie d’action collective 3.5 Rencontres d’autres acteurs à intégrer à la démarche 3.5.1 L’entreprise Metrovivienda 3.5.2 L’ambassade de France en Colombie 3.5.3 L’Agence Française de Développement Chapitre 4. Poursuite du travail après la mission 4.1 Séance de travail et colloque du mois de novembre 4.2 Adhésion des partenaires au LIHP 4.3 Pérennisation du projet à travers les conventions 44 47 47 47 49 52 52 52 53 53 54 54 55 55 57 58 58 59 60 61 62 62 63 63 64 64 65 65 101 Partie III – Retour sur la démarche et mise en perspective 66 Chapitre 1. Bilan de la démarche entreprise 66 1.1 Les avancées réalisées 66 1.1.1 Echange et transformation des points de vue 67 1.1.2 Les connaissances produites 67 1.1.3 Dépassement de l’approche urgentiste 68 1.1.4 Adaptation de la démarche à la complexité du territoire 69 1.1.5 Transformation du système de production et de réflexion de la ville de Bogotá 70 1.1.6 Les apports pour la construction d’un habitat populaire à Usme 71 1.2 Difficultés, limites et risques de la démarche 72 1.2.1 L’importance du contexte 72 1.2.2 Le document de travail d’Usme 72 1.2.3 Intégration de la démarche de recherche‐action 73 1.2.4 Difficulté de gérer l’articulation entre recherche et action 74 1.2.5 Désinstitutionalisation des institutions et transformation des points de vue 75 1.2.6 Réponse à l’ampleur du système de production urbain de Bogotá 76 Chapitre 2. Perspectives et propositions pour la démarche du LIHP à Usme 77 2.1 Comment poursuivre le travail ? 77 2.1.1 Mise en place d’un lieu de travail 77 2.1.2 Le financement du projet 77 2.1.3 L’indispensable intégration du District Capital de Bogotá à la démarche 78 2.1.4 Définition d’une stratégie et clarification du projet général 79 2.1.5 Institutionnaliser le territoire d’action Usme 81 2.1.6 Le nécessaire dépassement de l’expérimentation 81 2.1.7 Théorisation de la transformation d’un « sous‐système » 82 2.1.8 Vers une science de l’habitat populaire ? 84 2.2 Vers quel habitat populaire à Usme ? 85 2.2.1 Situation actuelle du territoire d’action 85 2.2.2 Sortir de la standardisation et de l’amélioration par étape de l’habitat informel 85 2.2.3 L’architecture comme révélateur de la culture d’Usme 87 2.2.4 Conservation des terres agricoles ? 89 2.2.5 Prise en compte de l’environnement 89 2.2.6 Que faire face à la stratification des classes sociales de Bogotá? 90 2.2.7 La question du travail à Usme 91 Conclusion 93 Références documentaires 96 Table des matières 99 Liste des figures 102 Liste des sigles et abréviations 102 Lexique 103 Annexes 104 102 Liste des figures Figure 1 : « Bidonville » d’Usme au sud de Bogotá, Colombie 14 Figure 2 : Colonias à Tijuana, Mexique 19 Figure 3 : Ciudadela El Recreo à Bogotá, Colombie 20 Figure 4 : Comparaison d’éco‐quartiers européens 22 Figure 5 : Expansion urbaine d’Usme (350 000 habitants) sur les terres agricoles 48 Figure 6 : Quartier Ciudadela Nuevo Usme 50 Figure 7 : Deux campesinos d’Usme contre le projet de Metrovivienda et paysage d’Usme 51 Figure 8 : Séances de travail à l’Université Nationale de Colombie, jeudi 5 et vendredi 6 mai 55 Figure 9 : Visite de terrain à Usme avec les professeurs de l’Université Nationale de Colombie et les habitants d’Usme et visite avec l’ambassade de France 57 Figure 10 : Tableau récapitulatif des acteurs intégrés ou à intégrer dans la démarche 63 Figure 11 : Schéma du système de production et de réflexion de la ville de Bogotá actuel 70 Figure 12 : Schéma du système de production et de réflexion de la ville de Bogotá après l’arrivée du LIHP 71 Figure 13 : Schéma du système de production et de réflexion d’un habitat populaire souhaité 83 Figure 14 : Tableau des différents types d’habitat présents à Usme 86 Figure 15 : Représentation des différents types d’habitat à Usme 86 Liste des sigles et abréviations DC: Distrito Capital. District Capital de Bogotá LIHP: Laboratoire International pour l’Habitat Populaire ONU : Organisation des Nations Unies POT: Plan de Ordenamiento Territorial. Plan d'Aménagement du Territoire UNAL: Universidad Nacional. Université Nationale de Colombie VIP: Vivienda de Interes Prioritario. Logement d'Intérêt Prioritaire VIS : Vivienda de Interes Social. Logement d'Intérêt Social 103 Lexique Ce lexique ne constitue en rien un objet fini ou assuré, chaque terme présenté ici peut faire l’objet d’interprétations différentes et donc de discussions. Bidonville : Les bidonvilles peuvent être considérés comme des parties de villes négligées où le logement et les conditions de vie sont résolument pauvres. Les bidonvilles concernent un éventail de possibilité allant des bâtiments sordides, délabrés et surpeuplés des centres‐villes jusqu’aux installations spontanées de squats illégaux qui se répandent aux périphéries des villes. Les bidonvilles possèdent différents noms mais partagent néanmoins les mêmes conditions de vie misérables. Définition de l’ONU‐HABITAT ; The challenge of slums : global report on human settlements, Nairobi, 2003. « Crise » : Situation problématique à dépasser Expérimentation urbaine : Action de soumettre une zone urbaine ou un objet urbain à des expériences Gentrification : Dynamique internationale de colonisation des centres‐villes par les classes moyennes et supérieures Habitat populaire : Processus d’élaboration d’un habitat de qualité pour tous Habiter : Manière de construire et de penser son rapport au monde à travers son habitat Laboratoire : Le processus d’habitat populaire engagé sur un territoire constitue le laboratoire. Le laboratoire est le territoire d’action Recherche‐action : Processus visant à transformer la réalité en la rendant intelligible de tous Territoire : Un espace animé par l’action humaine, dans ses dimensions culturelles, sociales, économiques et politiques. Territoire d’action : Territoire sur lequel un processus d’habitat populaire est en cours 104 Annexes Annexe 1 : Exemple du processus de gentrification à Paris. Source : Anne Clerval, « Les dynamiques spatiales de la gentrification à Paris », Cybergeo : European Journal of Geography, Espace, Société, Territoire. http://cybergeo.revues.org/23231, 2010 105 Annexe 2 : Organigramme des partenaires du processus d’habitat populaire à Usme Source : Réalisation personnelle, 2011 106 Annexe 3 : Tableau comparatif entre recherche‐action et recherche classique Source : http://biblio.recherche‐action.fr/document.php?id=137 107