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Maria Elisete Almeida
Universidade da Madeira
INTRODUCTION-RÉSUMÉ
Nous allons traiter le problème de l’exception dans une perspective contrastive
français/portugais en mettant en rapport, chaque fois que la chose sera possible, les niveaux
phonique, syntaxique et sémantique car nous pensons qu’un certain nombre d’irrégularités
syntaxiques, apparentes en portugais moderne, trouvent une explication phonétique.
Au plan phonétique, nous montrerons que l’oxytonisation des mots portugais,
considérée classiquement comme exceptionnelle, est en progression rapide et rapproche le
portugais du français. Ceci a des incidences importantes sur la morphosyntaxe puisque l’appel
au pronom personnel de conjugaison, considéré jadis comme une exception, est en train de se
généraliser à son tour.
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LA DOUBLE TENDANCE DU PORTUGAIS À L’OXYTONISATION ET À LA
MONOSYLLABATION
1.L’oxytonisation progressive des vocables portugais
Au plan phonétique, la règle générale, dans cette langue, est l’accentuation sur la
pénultième. Chaque exception à cette règle est en principe signalée par un accent graphique
diacritique, surtout si le mot est proparoxyton, mais aussi quand il s’agit d’un oxyton à finale
vocalique avô (grand-père), avó (grand-mère), maré (marée), maracujá (fruit de la passion)
–ou consonantique dinamarquês (danois), além (au-delà), refém (otage) [nous renvoyons
sur ce point à l’article de M. Maillard]. Cela dit, une écoute attentive de l’oral prouve que
beaucoup de paroxytons portugais à finale vocalique sont en voie d’oxytonisation, ce qui tend à
éloigner le portugais continental du brésilien et à le rapprocher du français.
Prenons le cas du mot cidade dont la prononciation classique est [si»dad´], avec un e
instable à la fin du mot. Ce type de vocable est classé parmi les paroxytons. Or la prononciation
de la dernière syllabe atone ne s’entend vraiment que dans les poèmes et les chansons,
elle se maintient pour des raisons prosodiques. En revanche, dans la conversation courante, la
dernière syllabe est apocopée, surtout en finale absolue: Vamos à cidade. [vmzasi»dad].
Dans ce cas, le mot se comporte comme un oxyton à finale consonantique. Tel est au moins le
cas du portugais européen.
Il en va différemment au Brésil, le e final est toujours articulé sous la forme [i] avec
une fréquente affricatisation du d: [si»dadZi]. La prononciation européenne de cidade
[si»dad] et de verdade [v´r»dad] rapproche le portugais de l’espagnol (ciudad-verdad) et
du français (cité-vérité), ces deux mots sont oxytons. La seule différence est qu’en français
l’oxyton se termine sur une finale vocalique [si»te], [ve{i»te], alors que le d se maintient en
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portugais et qu’en espagnol, l’oxyton ciudad [Cju»da(d)] s’articule avec amuissement
progressif du d final.
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Cette chute du e instable de la dernière syllabe a des répercussions phonologiques
intéressantes en ce qui concerne notamment le se réflexif et le s final de la deuxième personne
du singulier du présent. Comparons: Aluga-se apartamentos (On loue des appartements, litt: se
loue des appartements) et Alugas apartamentos (Tu loues des appartements). Bien que le e du
réflexif ne se prononce pas, il protège en quelque sorte le phonème /s/, qui garde son caractère
de sibilante sourde alors que, dans le cas du s final de la deuxième personne, celui-ci varie en
fonction du mot suivant et connaît au moins trois réalisations différentes: la sibilante sonore [z]
devant voyelle, la chuintante sourde [S] devant une consonne sourde et la chuintante sonore
[Z] devant une consonne sonore. Dans certaines variantes dialectales, le s final se prononce
même [Z] devant voyelle: [»lugZprt»me)tuS]. Le phonème /s/ ne se maintient comme
tel, indifférent à tout contexte, que dans les cas du se réflexif: aluga-se barracas
[»lugsb»{akS] (on loue des barraques) / alugas barracas [»lugSb»{akS] (tu
loues des barraques).
On voit que cette opposition phonologique a un grand rendement sémantique
puisqu’elle permet d’opposer deux personnes du verbe: la deuxième et la troisième. Ajoutons
que la troisième personne avec le réflexif reçoit souvent une interprétation de première personne
du singulier ou du pluriel: aluga-se étant compris comme «je loue» ou «nous louons».
Le e final n’est pas la seule voyelle à être apocopée dans la conversation courante. Le o
est aussi dans ce cas. Prenons l’exemple d’un mot très commun comme pronto (litt: prêt), qui
émaille la conversation un peu à la manière du français bon. On le prononce en vérité pront’ et
même pront’s [prõtS] dans la bouche de certains sportifs. Il en résulte que l’opposition
masculin/féminin, en principe équipollente, pronto/pronta, fonctionne en réalité comme une
opposition privative, ce qui fait que le schéma professor/professora tend à se généraliser à tout
le système (M.-E. Almeida: 2000b, 20). Le mot masculin étant oxyton et à finale consonantique
(pront’) alors que le mot féminin est paroxyton à finale vocalique (pronta). Ainsi dans
l’opposition muit’s cont’s/muitas contas, seuls les mots féminins conservent leur caractère
paroxytonique tandis que les masculins s’oxytonisent. Comme, par ailleurs, le a final tend à se
centraliser, la marque du féminin en portugais se rapproche un peu du e féminin français, tel
qu’il est encore prononcé à la fin des mots dans la France méridionale (l’opposition: mer/mère).
La chute progressive de la voyelle finale o, en portugais, ancienne exception devenue
règle générale a de nombreuses répercussions morphologiques dont certaines sont assez
inattendues. Pourquoi le portugais est-il la seule langue romane à utiliser le mot «pont» au
féminin: a ponte? A notre avis, la réponse réside dans l’apocope de fait de la voyelle finale non
accentuée. Soient les trois mots: ponta (pointe) / ponto (point) / ponte (pont). Le a final de
ponta, quoique affaibli et détimbré, est tout de même audible. En revanche, le e de ponte est
devenu pratiquement muet et le o de ponto est régulièrement apocopé. Il en résulte que le couple
graphique ponto/ponte devient indiscernable à l’oral. La seule façon de distinguer aujourd’hui
«pont» et «point» est le genre différent de l’article: o pont(o)/a pont(e). Quant à la distinction a
ponta/a pont(e), qui était jadis une opposition équipollente, elle est devenue privative.
Celui qui voudrait expliquer l’exception portugaise la féminisation du mot ponte en
recourant aux mentalités, se tromperait lourdement. Les Portugais ne voient pas les ponts d’un
autre oeil que les autres peuples de la Romania. Le genre du mot, complètement arbitraire, n’a
pas d’autre fonction que de faciliter la discrimination de deux paronymes. En même temps, vu
l’apocope finale, la marque de genre tend à se déplacer sur l’article, ou plus généralement le
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déterminant, ce qui rend le recours à celui-ci de plus en plus nécessaire, un peu comme en
français. Ce qui est perdu à l’arrière est récupéré à l’avant.
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2.Le conflit entre l’écrit et l’oral: les faux proparoxytons de la langue écrite
La tradition grammaticale portugaise classe comme proparoxytons un certain nombre de
mots savants issus du grec comme hipótese, síntese, metátese, aférese. Une telle vue des choses
prête à contestation. Certes, en grec, ces quatre vocables savants
(@upovqesi", suvnqesi", metavqesi", !afaivresi"), sont des proparoxytons et ils ont gardé ce
profil proparoxytonique en latin. Il est vrai aussi qu’une règle de grammaire veut que tous les
proparoxytons reçoivent en portugais un accent graphique. Cela dit, s’il est exact que tous les
proparoxytons reçoivent bien en portugais un accent graphique, qui signale la place inhabituelle
de leur accent tonique, l’inverse n’est pas vrai, comme le montre une écoute attentive de l’oral.
En effet, la voyelle e, étant systématiquement apocopée ou syncopée en portugais moderne, il se
trouve qu’un certain nombre de mots portant dans la graphie un accent proparoxytonique sont
devenus, bel et bien, des oxytons dans la pratique orale. Il en va ainsi des quatre mots grecs cités
en exemple, pour la bonne raison que les e des deux syllabes finales disparaissent purement et
simplement de l’articulation du mot: hipót(e)s(e), sínt(e)s(e), metát(e)s(e), afér(e)s(e). On
prononce donc en vérité [i-'pts], [s_-'ts], [-'tats], [-'fErs].
a)Le choc des consonnes
L’apocope et la syncope du e produisent un autre effet lié au précédent: le choc de
plusieurs consonnes dans la dernière syllabe accentuée. Ainsi lorsqu’on utilise tous ces mots
d’origine grecque au pluriel hipót(e)s(e)s, sínt(e)s(e)s, metát(e)s(e)s, afér(e)s(e)s dans tous
les cas nous avons la rencontre de trois consonnes: la dentale sourde [t], la sifflante [s], et la
chuintante finale [S], qui marque le pluriel.
b)Les effets d’assimilation
Dans tous ces mots d’origine grecque, le s intervocalique des deux dernières syllabes est
voisé, conformément à la règle habituelle, tout comme en français et contrairement à ce qui se
passait en grec le sigma était prononcé comme une sifflante sourde. Mais avec la chute du
premier [´], le [z] entre en contact direct avec la sourde [t] et une assimilation progressive a
vite fait de l’assourdir. Et nous avons une suite de trois consonnes sourdes [t], [s], [S], mais il
est clair que cette suite est malaisée à prononcer. En portugais moderne, la suite [s], [S], dans
piscina, tend à se simplifier en [S]. Donc, le [s] coincé entre le [S], marque du pluriel et le [t]
précédent tend à disparaître.
3.Que faut-il penser de l’allergie du portugais aux rencontres de
consonnes?
En passant du latin au portugais, un certain nombre de groupes de consonnes ont été
simplifiées. Ainsi september est devenu Setembro, october est devenu Outubro, doctor est
devenu doutor. Une certaine inertie orthographique fait qu’on continue, néanmoins, à écrire
director, objecto, recepção alors qu’on prononce en vérité
[dirE»tor], [»bZEtu], [rsE»s)w].
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