Cette chute du e instable de la dernière syllabe a des répercussions phonologiques
intéressantes en ce qui concerne notamment le se réflexif et le s final de la deuxième personne
du singulier du présent. Comparons: Aluga-se apartamentos (On loue des appartements, litt: se
loue des appartements) et Alugas apartamentos (Tu loues des appartements). Bien que le e du
réflexif ne se prononce pas, il protège en quelque sorte le phonème /s/, qui garde son caractère
de sibilante sourde alors que, dans le cas du s final de la deuxième personne, celui-ci varie en
fonction du mot suivant et connaît au moins trois réalisations différentes: la sibilante sonore [z]
devant voyelle, la chuintante sourde [S] devant une consonne sourde et la chuintante sonore
[Z] devant une consonne sonore. Dans certaines variantes dialectales, le s final se prononce
même [Z] devant voyelle: [»lugZprt»me)tuS]. Le phonème /s/ ne se maintient comme
tel, indifférent à tout contexte, que dans les cas du se réflexif: aluga-se barracas
[»lugsb»{akS] (on loue des barraques) / alugas barracas [»lugSb»{akS] (tu
loues des barraques).
On voit que cette opposition phonologique a un grand rendement sémantique
puisqu’elle permet d’opposer deux personnes du verbe: la deuxième et la troisième. Ajoutons
que la troisième personne avec le réflexif reçoit souvent une interprétation de première personne
du singulier ou du pluriel: aluga-se étant compris comme «je loue» ou «nous louons».
Le e final n’est pas la seule voyelle à être apocopée dans la conversation courante. Le o
est aussi dans ce cas. Prenons l’exemple d’un mot très commun comme pronto (litt: prêt), qui
émaille la conversation un peu à la manière du français bon. On le prononce en vérité pront’ et
même pront’s [prõtS] dans la bouche de certains sportifs. Il en résulte que l’opposition
masculin/féminin, en principe équipollente, pronto/pronta, fonctionne en réalité comme une
opposition privative, ce qui fait que le schéma professor/professora tend à se généraliser à tout
le système (M.-E. Almeida: 2000b, 20). Le mot masculin étant oxyton et à finale consonantique
(pront’) alors que le mot féminin est paroxyton à finale vocalique (pronta). Ainsi dans
l’opposition muit’s cont’s/muitas contas, seuls les mots féminins conservent leur caractère
paroxytonique tandis que les masculins s’oxytonisent. Comme, par ailleurs, le a final tend à se
centraliser, la marque du féminin en portugais se rapproche un peu du e féminin français, tel
qu’il est encore prononcé à la fin des mots dans la France méridionale (l’opposition: mer/mère).
La chute progressive de la voyelle finale o, en portugais, – ancienne exception devenue
règle générale – a de nombreuses répercussions morphologiques dont certaines sont assez
inattendues. Pourquoi le portugais est-il la seule langue romane à utiliser le mot «pont» au
féminin: a ponte? A notre avis, la réponse réside dans l’apocope de fait de la voyelle finale non
accentuée. Soient les trois mots: ponta (pointe) / ponto (point) / ponte (pont). Le a final de
ponta, quoique affaibli et détimbré, est tout de même audible. En revanche, le e de ponte est
devenu pratiquement muet et le o de ponto est régulièrement apocopé. Il en résulte que le couple
graphique ponto/ponte devient indiscernable à l’oral. La seule façon de distinguer aujourd’hui
«pont» et «point» est le genre différent de l’article: o pont(o)/a pont(e). Quant à la distinction a
ponta/a pont(e), qui était jadis une opposition équipollente, elle est devenue privative.
Celui qui voudrait expliquer l’exception portugaise – la féminisation du mot ponte – en
recourant aux mentalités, se tromperait lourdement. Les Portugais ne voient pas les ponts d’un
autre oeil que les autres peuples de la Romania. Le genre du mot, complètement arbitraire, n’a
pas d’autre fonction que de faciliter la discrimination de deux paronymes. En même temps, vu
l’apocope finale, la marque de genre tend à se déplacer sur l’article, ou plus généralement le