faut traiter d’un conflit beaucoup plus profond : comment les créationnistes prétendent-ils
prouver scientifiquement ce qu’ils avancent ?
Cette première critique montre bien que, pour traiter ces questions, il ne suffit pas de relever
les erreurs factuelles commises par les créationnistes. Quand bien même ne commettraient-ils pas
d’erreurs, leur démarche n’en serait pas valide pour autant. Il faut donc inévitablement définir la
connaissance objective, rappeler comment les scientifiques l’acquièrent, définir les limites de la
science. Ensuite, et seulement ensuite, on peut comprendre pourquoi les constructions
créationnistes sont des fraudes scientifiques, pourquoi « créationnisme » et « scientifique » sont
deux mots antagonistes. Définir les limites de la démarche scientifique implique en soi d’examiner
les rapports entre science et philosophie. C’est également utile car c’est sur ces frontières que les
spiritualistes convoquent la science.
Le socle élémentaire des sciences
Le matérialisme philosophique a fondé la condition méthodologique des sciences modernes.
Dans le triangle Paris-Londres-Amsterdam du dix-septième siècle, le naturalisme généralisa les
conditions de l’expérience scientifique ; travail qu’a continué le matérialisme philosophique du
dix-huitième siècle, et qui aboutit à un nouveau contrat passé entre la science et la connaissance,
toujours en vigueur aujourd’hui. La connaissance du monde réel se caractérise désormais par une
universalité non dogmatique. Cela veut dire qu’il ne suffit plus de déclarer, par autorité ou par
tradition, qu’un texte est sacré pour que ses assertions soient considérées comme universellement
valables. La possibilité qu’ont les hommes d’y accéder ne passe plus par son exégèse, le verbiage
scolastique, la révélation, la conversion, la manipulation des consciences, l’intimidation, la guerre.
Cette connaissance du réel, de portée universelle, est celle qui unira les hommes au lieu de les
diviser. Pour cela, elle doit désormais se fonder sur la possibilité de vérifier ses assertions par un
rapport direct au monde réel, l’expérience scientifique (certes, ce changement ne s’est pas fait tout
d’un coup et durant des siècles les assertions dogmatiques invérifiables se sont mélangées aux
expériences). Si la validité d’une assertion est vérifiée par des observateurs indépendants, cette
nouvelle connaissance devient, au bout d’un certain temps, objective. Pour qu’elle le soit, la
science doit respecter dans ses méthodes de travail quatre piliers qui sont, chacun, toujours requis
aujourd’hui : le scepticisme initial sur les faits, le réalisme (le monde là, dehors, existe
indépendamment et antérieurement à la perception que j’en ai), la rationalité (respect des lois de
la logique) et le principe de parcimonie (plus les faits sont cohérents entre eux et moins la théorie
qu’ils soutiennent a besoin d’hypothèses surnuméraires non documentées).
Guillaume LECOINTRE
Le darwinisme est parfois contesté dans les salles de classe françaises
La lutte contre le darwinisme n’est pas une spécialité nord-américaine. Elle essaime parfois
aussi dans les salles de classe françaises. "J’ai eu l’occasion d’assurer des travaux personnels
encadrés -TPE- en lycée sur l’évolution. Il était clair que les élèves avaient puisé sur Internet des
éléments du Discovery Institute", témoigne Guillaume Lecointre, professeur au Muséum national
d’histoire naturelle (MNHN).
Le Discovery Institute, basé à Seattle, est le plus ardent promoteur aux Etats-Unis du "dessein
intelligent". Ces conceptions apparaissent sur les moteurs de recherche et quiconque omettrait
l’accent sur le "e" d’évolution est presque assuré d’y être automatiquement renvoyé. "Mais ces
contenus sont aussi largement traduits, notamment en français", assure Guillaume Lecointre.
La thèse centrale des tenants du "dessein intelligent" ? La vie est trop complexe pour résulter
d’une évolution guidée par un processus aveugle de mutation/sélection. Là où il y a horloge, il y a
forcément un horloger. Son cheval de bataille actuel est le flagelle de la bactérie, qualifié de
"machine la plus efficace de l’Univers". Ce moteur rotatif évolue à plusieurs dizaines de milliers
de tours par minute.