Les résultats d’une étude menée dans les années 1940 en Angleterre soutiennent cette position. Des
nourrissons recueillis en orphelinat ont été observés depuis leur sevrage jusqu’à l’âge de 1 ou 2 ans.
A chaque repas, ils se trouvaient en situation de self-service : ils devaient choisir pour l’entrée, le
plat et le dessert entre différents aliments, et consommer ces aliments en quantité libre. Leur poids
et leur taille, en fin d’étude, étaient compatibles avec les normes staturo-pondérales actuelles : ces
enfants ayant pendant six mois effectués leurs propres choix alimentaires ne se montraient ni trop
gros ni trop petits. Ces résultats nous suggéreraient de laisser nos enfants autonomes en matière de
consommation alimentaire. On oublie cependant trop souvent de mentionner le caractère trompeur
de cette étude : un menu était proposé reposant sur des règles de variété et de quantité si bien
pensées que les enfants pouvaient difficilement commettre d’erreurs (« mal manger »). La
conclusion s’avère alors difficilement transposable aux petits Occidentaux du XXIème siècle qui
évoluent dans un univers où la nourriture est très facilement disponible et essentiellement composée
de produits transformés. Revenons donc sur les travaux récents qui témoignent du fait que manger
s’apprend, qu’il s’agisse de la gestion des quantités et de l’acceptation de la variété.
S’autoréguler : apprendre quelles quantités manger
Des études ultérieures ont montré que, en moyenne, la capacité d’autorégulation diminue avec
l’âge. A partir de l’âge de 1 an environ, les enfants n’ajustent plus aussi bien qu’autour de la
naissance les quantités consommées à la densité énergétique des aliments. La capacité de manger
plus d’aliments légers que d’aliments denses pour couvrir les besoins s’amenuise. L’idée de
commencer à manger seulement quand on a faim pour arrêter dès que parvenu à satiété s’estompe.
Il semble cependant que les enfants sachent mieux que les adultes réguler leur consommation en
fonction des signaux biologiques de faim et de réplétion. Si l’on mesure ce que des enfants
consomment lors d’un apéritif, puis lors d’un repas consécutif, on observe que plus les enfants ont
ingéré de calories lors de l’apéritif, moins ils mangent lors du repas (bien que la régulation diminue
entre 2 et 8 ans). La même expérience menée auprès d’adultes donne des résultats différents : les
consommations lors du repas dépendent peu des consommations à l’apéritif. Leur appétit se trouve
stimulé par ce que contient leur assiette, même s’ils n’éprouvent plus véritablement de sensations de
faim.
Il semble donc, dans l’état actuel des connaissances, que le tout petit de l’homme est capable
d’autorégulation : il consomme rarement en deçà ou au-delà de ses besoins. Il apparaît également
que cette capacité diminue avec l’âge. L’enjeu finalement est de ne pas lui apprendre à se
déréguler. Pour cela, il semble qu’il faille éviter les hyper sollicitations, à savoir les incitations
répétées à manger, continues reposant sur une exposition et une disponibilité trop présente des
aliments. Il peut s’agir de la taille de la portion, du contenu des placards et du réfrigérateur, de
l’utilisation de l’aliment à des fins non alimentaires, par exemple comme une récompense ou un
moyen de réconforter, de la publicité, bref de tous les signaux qui éloignent des sensations internes
de faim et de satiété pour stimuler l’envie de manger par des signaux externes.
Des travaux de recherche réalisés aux Etats-Unis montrent également que les hyperrestrictions ont
des effets délétères. L’étude la plus complète a été réalisée en 2000 auprès d’un échantillon de 156
filles âgées entre 4 et 6 ans et de leurs mères dont on connaît l’indice de masse corporel. On mesure
chez les enfants leur capacité d’ajustement calorique selon un protocole assez sophistiqué, dit de
« libre-accès ». Après qu’elles ont consommé leur déjeuner à l’école, on les invite à jouer librement
dans une salle où se trouvent à disposition des jouets et des aliments à forte valeur énergétique (des
gâteaux et des chips essentiellement). On calcule, à partir des restes, le nombre de calories ingérées
(qui devrait être quasiment nul étant donné l’état de satiété en début d’expérience). Les mères sont