l`europe des lumières face à ses obscurantismes

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ANALYSE
2015
L’EUROPE DES LUMIÈRES FACE À SES
OBSCURANTISMES
Par Marie Bernaerts
Une publication ARC - Action et Recherche Culturelles asbl
Avec le soutien du service de
l’Éducation permanente de la
Fédération Wallonie-Bruxelles
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L’EUROPE DES LUMIÈRES FACE À SES OBSCURANTISMES
Une publication ARC - Action et Recherche Culturelles
L’Histoire de l’Europe est faite de grandeurs et décadences. Nous traversons actuellement une période tumultueuse entre crise financière
et crispations identitaires. L’heure est au rappel des fondamentaux,
des valeurs d’échanges et de partage, notamment portées par les philosophes du siècle des Lumières. Quelques pistes pour un projet politique
européen, une citoyenneté active et renouvelée.
Une analyse de Marie Bernaerts
« Ne soyons plus anglais ni français ni allemands. Soyons européens. Ne soyons plus européens,
soyons hommes. Soyons l’humanité. Il nous reste à abdiquer un dernier égoïsme : la patrie. »
Victor Hugo
UNE HISTOIRE CHAOTIQUE
L
’Histoire de l’Europe est à la fois riche et mouvementée. Le continent peut se targuer
d’être celui où est née la démocratie et les valeurs humanistes qui l’accompagnent.
L’Europe a connu au XVIIIe siècle, son « siècle des Lumières », riche d’une ébullition d’idées nouvelles, d’un courant de pensée qui cherchait à sortir la société des obscurantismes orchestrés par les Églises et les monarchies (qu’elles soient « de droit divin »
comme en France ou parlementaires comme en Grande-Bretagne). Les philosophes des
«Lumières » mettent en avant l’importance de la séparation entre l’Église et l’État, comme
condition sine qua non de la construction d’un futur système démocratique. C’est aussi le
siècle de la Raison, de la pensée rationnelle, de la démarche scientifique. Celui qui a pensé
une émancipation progressive des individus face aux forces qui les gouvernent. Petit à petit,
ces idées et ces conceptions ont irrigué la société européenne pour contribuer largement
à façonner nos démocraties.
Mais, dans les années 1930-40, le continent fut le théâtre des pires atrocités, d’un repli total
vers des obscurantismes pourtant supposément dépassés. Ces années-là ont connu la montée en puissance des totalitarismes. En Allemagne, la très jeune démocratie était le résultat
de la défaite de 1918 et de la destitution du Kaiser Guillaume II. Elle fut imposée par les
alliés comme condition parmi d’autres du Traité de Versailles. Elle n’a pas pu résister à la
terrible crise économique de 1929 venue s’ajouter encore à la dette de guerre exorbitante
exigée par les puissances victorieuses. Le nazisme s’est nourri de ce marasme économique
associé à un esprit de revanche exacerbé face à l’humiliation du Traité de Versailles. Face à la
crise, un discours identitaire et excluant a tout emporté sur son passage.
La Communauté Européenne est née sur les ruines du « plus jamais ça », sur le massacre
de millions de gens pour le seul tort qu’ils « étaient » … juifs, handicapés, homosexuels,
communistes, francs-maçons, simples opposants … l’autre qui nuit à une identité pure
et parfaite, sublimée, inventée de toute pièce. Il fallait reconstruire une Europe exsangue
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L’EUROPE DES LUMIÈRES FACE À SES OBSCURANTISMES
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dont le passé glorieux n’était plus qu’un mirage. Et oser rêver une union des peuples. Si la
Communauté Européenne, héritée de la CECA (Communauté Européenne du Charbon
et de l’Acier) a été établie presqu’exclusivement sur des bases économiques, elle s’appuie
également sur l’idée – politique – que le commerce adoucit les mœurs. C’est ce que Montesquieu, philosophe des Lumières, appelait « le doux commerce », celui qui est censé rapprocher les peuples par les échanges.
DES LUMIÈRES
Dans un esprit similaire, Kant, philosophe majeur des Lumières, a forgé le concept de « cosmopolitisme universel », comme fin naturelle vers laquelle tend l’humanité. Il envisage l’Europe comme le foyer à partir duquel s’étendrait de proche en proche une entente pacifique
entre les États jusqu’à les englober tous. Pour lui, il s’agit d’un mouvement inéluctable, car
naturel. Il envisage toutefois, de façon prophétique de possibles retours en arrière liés à la
violence inhérente à l’humanité.1 Le cosmopolitisme universel est construit autour de trois
idées fortes qu’il appelle « conditions de la paix perpétuelle »2 : le républicanisme, le droit
international et le « droit de visite » des citoyens dans les autres pays. Le républicanisme
correspond à ce que nous appelons aujourd’hui la démocratie parlementaire. Kant postule
que seul ce régime permettrait de garantir la liberté et l’égalité entre citoyens à travers la
dépendance à des lois communes censées pacifier l’État. Il théorise également la nécessaire
séparation entre les pouvoirs exécutif (le gouvernement) et législatif (le parlement). Le droit
international élaboré entre États souverains et républicains doit agir comme élément pacificateur des relations internationales. Son but ultime est de mettre fin définitivement aux
guerres entre États. Quant au « droit de visite » des citoyens, il doit permettre les échanges,
pacifiques également, notamment à travers le commerce et partant, favoriser une meilleure
compréhension entre les peuples.
LA SOUVERAINETÉ
Si, au fil des siècles, l’idée d’Europe a fait son chemin, c’est la figure de « l’État-nation »
qui s’est imposé et développé. Les États européens ont réalisé les uns après les autres
leur unification sur le modèle « idéal » d’une nation, un peuple, une langue, une religion.
Ainsi, l’Espagne s’est unifiée à la fin du XVe siècle autour de la reconquête des territoires
occupés par l’Empire Ottoman et l’expulsion des musulmans non convertis au catholicisme
(en 1502). L’Histoire de la France est profondément marquée par une guerre fratricide de
religions entre catholiques et protestants au cours du XVIe siècle, qui connaît son apogée
dans le massacre de protestants dit de la « Saint-Barthélemy » (à partir du 24 août 1572 et
dans les semaines qui suivent dans une vingtaine de villes françaises). La France « fille aînée
de l’Église » (catholique) a par ailleurs entamé dès la Renaissance des politiques d’unifor1 KANT Immanuel, Vers la paix perpétuelle, Flamarion, Paris, 2006, p. 80.
2 Ibidem, pp. 77-97.
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misation linguistique visant à imposer le français face aux langues régionales. Quant à l’Allemagne, elle a connu une unification très tardive, au lendemain de la guerre de 1870 face à
la France. Et c’est cette unité encore toute neuve qui explique en partie la propagation de
l’idéologie nazie de l’obsession de la « pureté allemande » et de la volonté d’éradication des
communautés qui ne correspondaient pas au modèle « idéal » une nation, un peuple, une
langue, une religion au cours des années 1930.
Les États européens se sont organisés dans un concert des nations basé sur un système
d’équilibre des pouvoirs. Ils ont ainsi forgé, entre rivalités et alliances l’Histoire européenne.
Dans le culte aussi, du « roman national », assez peu compatible avec l’idée d’une union
politique des peuples européens. Au centre de cette organisation figure la notion fondamentale de « souveraineté », celle-là même qui confère à chaque État-nation ses fonctions
régaliennes : Défense, Affaires étrangères, Justice, Intérieur, Finances. Ce sont là les éléments
fondamentalement constitutifs des États sur les plans politique et juridique et qui garantissent à la fois leur mainmise sur le plan interne et leur autonomie sur la scène internationale. D’aucuns y décèlent également les marques essentielles de l’identité même d’un État.
En ce sens, une quelconque perte de souveraineté reviendrait au désaveu de la Nation dans
son essence.
LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE
Or, la construction européenne, librement consentie par des États souverains a donné lieu
à une perte partielle de leur souveraineté. Avec l’Euro, c’est la faculté de battre monnaie en
toute indépendance qui a disparu. La mise en place de l’Espace Schengen a fait perdre aux
pays membres le contrôle sur leurs frontières intérieures. La législation européenne, en partie contraignante, vient limiter la force de loi des États. Sur le plan de la Défense, les forces
armées restent une compétence souveraine, mais il existe un embryon de forces armées
européennes.3 Enfin, la politique étrangère est sans doute le domaine dans lequel les souverainetés résistent le plus, bien qu’il existe une diplomatie européenne actuellement dirigée
par l’Italienne Federica Mogherini. Nous le voyons, l’Union européenne nage à contre-courant d’une évolution souverainiste héritée de siècles d’Histoire.
DES SOUBRESAUTS
De crise financière en crise des réfugiés, le projet européen est en panne. Depuis quelques
années déjà, les souverainistes accusent l’Europe de tous les maux. Et l’impuissance de
l’Union à résoudre le problème de la dette grecque ainsi que sa gestion chaotique de la
3 Ici, il convient de signaler le rôle de l’OTAN, organisation de défense mondiale à laquelle adhèrent tous les pays européens. Le poids considérable de l’OTAN, ainsi que les coûts consentis (financiers, ainsi qu’en hommes et matériel) pour y
prendre part sont des freins à la mise en œuvre d’une réelle armée européenne opérationnelle et puissante. Par ailleurs
une force armée européenne « digne de ce nom » pourrait apparaître comme une sorte de doublon de l’OTAN.
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question de l’afflux des réfugiés (Syriens et Libyens principalement) apporte de l’eau au
moulin aux eurosceptiques. Bien plus encore, la situation actuelle participe à une crispation
des souverainetés et des identités à travers l’Europe. Ces thèmes de la souveraineté et de
l’identité nationale traversent les débats politiques et sociétaux de la plupart des pays européens actuellement. Et ce, à un point tel qu’ils en deviennent le clivage politique dominant,
occultant l’opposition gauche/droite traditionnelle. En effet, les « souverainistes-eurosceptiques » se retrouvent tant à gauche qu’à droite du spectre politique, essentiellement aux
extrêmes, toutefois. L’idée d’État-nation apparaît à leurs yeux comme une valeur refuge, un
point d’ancrage sur lequel il conviendrait de revenir pour répondre aux turbulences que
notre époque traverse. À cela s’ajoute une critique (justifiée ou non) du déficit démocratique des Institutions européennes.4
Mais la question de la souveraineté qui vise principalement le système politique s’accompagne d’un discours fort autour de la question de l’identité nationale, principal cheval de
bataille des extrêmes droites, mais aussi d’une partie de la droite démocratique qui tend à
se radicaliser ainsi que certains partis d’extrême gauche5 à travers l’Europe. Et c’est le modèle d’une nation, un peuple, une langue, une religion qu’ils tentent de faire ressurgir, succès
électoraux à la clef, comme en Hongrie avec Viktor Orban, ou encore en France où les
toutes récentes élections régionales ont vu le Front National de Marine Le Pen enregistrer
son record absolu en nombre de voix au second tour.6 Ces crispations identitaires ravivées
se cristallisent principalement autour de « l’islamophobie »7 alimentée par les questions du
terrorisme et des réfugiés. Nous nous situons ici dans une rhétorique du type « choc des
civilisations »8 qui considère que les « musulmans » pris dans leur intégralité, et leur mode
de vie, leur religion sont incompatibles avec les « valeurs européennes », la démocratie, la
laïcité, … la Nation pure et parfaite idéalisée.
Une fois encore les mêmes funestes mécanismes sont à l’œuvre, ce discours identitaire
4 Une analyse entière serait nécessaire pour traiter (en surface !) de la question du déficit démocratique de l’Union
européenne. Afin de poser le cadre, notons que cette critique vise principalement la Commission jugée « toute puissante »
par certains, qui fustigent également son fonctionnement à leurs yeux opaques.Toutefois, la Commission est composée de
membres mandatés par les États (souverains !) et ses procédures et travaux en cours sont librement consultables par tout
citoyen de l’Union. Quant au Parlement, il est élu démocratiquement, et tend vers un accroissement graduel de ses compétences, et donc de son pouvoir décisionnel. Mais bien entendu, ces considérations ne sont absolument pas incompatibles
avec la nécessité d’œuvrer pour encore plus de démocratie européenne. Enfin, il reste la question du type de démocratie :
ici s’exprime une critique populiste (de droite comme de gauche) qui prône une démocratie directe par opposition à la
démocratie représentative, dans l’optique où seule la démocratie directe pourrait être le reflet du peuple souverain. Or,
il s’agit d’une vision idéalisée d’une démocratie pure et parfaite des origines (grecques) qui n’a en réalité jamais existé.
5 Le discours eurosceptique est notamment porté par Jean-Luc Mélenchon du Parti de Gauche en France, ainsi que par
d’autres chefs de file d’extrême gauche en Europe. Les discours des extrêmes se rejoignent notamment sur la critique du
déficit démocratique de l’Union, qui revient à réaffirmer un nouveau souverainisme. Par ailleurs, nous citerons un mouvement tel que « Riposte laïque » en France composé de « laïcards » extrémistes dont certains sont issus de la gauche et de
l’extrême gauche, ils se rassemblent autour une crispation du concept de laïcité (détourné) et procèdent à une critique
virulente et haineuse de l’Islam.
6 6 820 000 voix au second tour des Régionales 2015 contre 6 420 000 aux Présidentielles 2012, cf. « Élections régionales 2015 : le FN a battu son record de voix », Le monde.fr, 13 décembre 2015 : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/
article/2015/12/13/elections-regionales-2015-fn-a-battu-son-record-de-voix_4831152_4355770.html.
7 Précisons que si « islamophobie » est devenu le terme consacré tant par les médias que par les politiques, il n’est pas
sans poser de graves problèmes. En effet, islamophobie signifie « peur de l’Islam », alors qu’il s’agit en réalité d’un rejet,
d’une haine d’une communauté vaguement assimilée à l’Islam, prise comme un tout homogène. Ce terme permet de se
cacher derrière une critique de l’Islam en tant que religion, chose qui pourrait par ailleurs, être parfaitement légitime.
8 Théorie controversée développée par le politologue américain Samuel Huntington, ancien conseiller à la Maison
Blanche qui offre une vision simpliste du « choc des civilisations » basée sur des « grands ensembles de civilisations » dont
les valeurs seraient incompatibles, et donc susceptibles d’entrer en conflit. Théorie venue remplacer la dialectique de la
guerre froide au sein de la diplomatie américaine : HUNTINGTON Samuel P., Le choc des civilisations, Odile Jacob, Paris,
1997.
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se construit au détriment d’un bouc émissaire désigné : « le musulman » assimilé à grands
renforts d’amalgames à la fois aux terroristes et aux réfugiés et réputé incompatible avec
la Nation. En ces temps troublés, cette rhétorique apporte des réponses simplistes et bien
entendu inadaptées à des problèmes compliqués. Elle joue sur la peur de l’autre en attisant
les haines. Et, plutôt que d’apporter des solutions concrètes pour sortir de la crise, elle
divise les couches les plus pauvres et les moins instruites de la population entre personnes
« de souche » et « immigrés ». En effet, ces méthodes dites populistes font particulièrement
recette chez les moins qualifiés, les exclus, les chômeurs, les oubliés, souvent déçus des
formations politiques traditionnelles et qui ne possèdent pas forcément les clefs pour décrypter les discours politiques.9 Et de passions exacerbées en fausses vérités haineuses, des
pays comme la Hongrie se mettent à ériger des barbelés le long de leurs frontières.10 Cette
volonté affichée par de plus en plus de pays européens de reprise de contrôle des frontières
remet en cause radicalement l’espace Schengen de libre-circulation des biens, services et
citoyens européens. Retour au souverainisme.
« Par le mot « populisme », je désigne la forme prise par la démagogie dans les sociétés
contemporaines dont la culture politique est fondée sur les valeurs et les normes démocratiques
traitées comme des absolus. Il s’agit d’une forme spécifique de la démagogie, présupposant le
principe de la souveraineté du peuple et la norme de son rassemblement dans la nation unie. » Pierre-André Taguieff11
Cette montée du populisme s’accompagne d’une tentative de retour en force du conservatisme religieux ou de la « morale religieuse » dans la sphère publique, qui tend à brouiller les
lignes de séparation entre l’Église et l’État. Citons à cet égard les manifestations d’opposition
au « mariage pour tous » en France en 2013, l’élection du dernier gouvernement conservateur en Espagne notamment sur la promesse de repénaliser l’avortement en 2014 ou
encore l’apparition un peu partout en Europe d’associations qui militent pour criminaliser
le blasphème (en autres suite à l’affaire des caricatures). Ces mouvements conservateurs
se nourrissent tous de valeurs religieuses qu’ils tentent d’imposer au reste de la société au
nom d’une supposée supériorité du spirituel sur le temporel. Ils mettent en danger des progrès sociétaux, qui souvent touchent en priorité les droits des femmes puisqu’ils mettent
en avant une conception traditionaliste de la société dans laquelle la répartition des rôles
hommes/femmes est clairement définie et différenciée.
9 Cf. notamment : « Enquête post-électorale de l’élection présidentielle 2012 », Cevipof, réalisée par Opinion
Way, du 18 mai au 12 juin 2012. À quoi il faut ajouter une forte adhésion des jeunes constatée aux dernières
élections régionales en décembre 2015, au cours desquelles, le FN est devenu le premier parti chez les
jeunes qui ont participé à l’élection : POUCHARD Alexandre, « Front National : premier parti chez les jeunes
… qui votent », Le monde.fr, 7 décembre 2015 : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/12/07/
regionales-le-front-national-premier-parti-chez-les-jeunes-qui-votent_4826431_4355770.html.
10 ROUCAUTE Delphine, « À la frontière serbo-hongroise, derrière les barbelés, la peur des camps », Le monde.fr, 10
septembre 2015 : http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/09/10/a-la-frontiere-serbo-hongroise-derriere-les-barbelesla-peur-des-camps_4750820_3214.html.
11 TAGUIEFF Pierre-André, Le nouveau national-populisme, CNRS Éditions, Paris, 2012, p. 23. Pierre-André Taguieff est
sociologie, politologie et historien des idées, notamment spécialiste de l’extrême-droite et du populisme.
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RALLUMER LES LUMIÈRES
Face à cette situation particulièrement préoccupante, il nous semble urgent de tenter de
redonner du sens au vivre-ensemble, aux échanges, au dialogue des cultures. En effet, si le
discours identitaire et nationaliste se nourrit de la crise économique et du désarroi des exclus, il puise également son efficacité dans la perte des repères culturels et sociaux liée à la
mondialisation et à la difficulté qu’éprouvent certains à s’adapter à un espace public devenu
multiculturel dans les faits. Dans cette optique, la « nouvelle offensive » du religieux dans la
sphère politique peut s’expliquer comme une réponse à la perte des repères, dans le sens
où elle offre un recours à des « valeurs refuges », simples et confortables. En somme, ces
deux options se rejoignent en ce qu’elles proposent une forme de repli, identitaire, culturel, communautaire, religieux face à un monde dont les tumultes actuels constituent pour
beaucoup des facteurs anxiogènes ainsi qu’une forte incertitude quant à l’avenir. Il reste
que la multiculturalité est posée, aux hommes et femmes de bonne volonté la tâche de (ré)
inventer l’interculturalité. Et opposer au repli, l’ouverture.
Dans une Europe qui semble de nouveau en proie à ses obscurantismes et ses vieux démons, l’urgence est au réveil des consciences, dans l’esprit des Lumières et leur devise
sapere aude ! : ose te servir de ton propre entendement ! Le projet politique de l’Union
européenne, largement dominé par l’économique, peine à voir réellement le jour. Il reste
aux peuples européens le choix de sortir de la crise par le déchirement ou le dialogue. Pour
le philosophe et sociologue Edgar Morin, l’Europe n’a d’unité que dans la multiplicité, faite
de ces interactions entre peuples, cultures, classes sociales.12 Et, dans cette unité à la fois
plurielle et contradictoire, l’Europe a, nous dit-il, conscience d’une communauté de destin.
Il conviendrait ajoute-t-il, de raviver cette conscience en restaurant la parole des intellectuels à travers le continent.13 Mais, l’avenir d’une Europe rayonnante et prospère se situe
sans aucun doute également, et peut-être plus encore, dans le vivier des échanges entre
citoyens européens actifs et conscients d’œuvrer pour le bien commun, dans le respect de
la diversité culturelle. Diversité culturelle qui constitue sans conteste la plus grande richesse
de l’Europe.
Marie Bernaerts,
Chargée de recherche à l’ARC asbl
12 MORIN Edgar, Penser l’Europe, Paris, Folio actuel, 2006.
13 Ibidem, p. 215.
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