5Une publication ARC - Action et Recherche Culturelles
L’EUROPE DES LUMIÈRES FACE À SES OBSCURANTISMES
question de l’afux des réfugiés (Syriens et Libyens principalement) apporte de l’eau au
moulin aux eurosceptiques. Bien plus encore, la situation actuelle participe à une crispation
des souverainetés et des identités à travers l’Europe. Ces thèmes de la souveraineté et de
l’identité nationale traversent les débats politiques et sociétaux de la plupart des pays euro-
péens actuellement. Et ce, à un point tel qu’ils en deviennent le clivage politique dominant,
occultant l’opposition gauche/droite traditionnelle. En effet, les « souverainistes-euroscep-
tiques » se retrouvent tant à gauche qu’à droite du spectre politique, essentiellement aux
extrêmes, toutefois. L’idée d’État-nation apparaît à leurs yeux comme une valeur refuge, un
point d’ancrage sur lequel il conviendrait de revenir pour répondre aux turbulences que
notre époque traverse. À cela s’ajoute une critique (justiée ou non) du décit démocra-
tique des Institutions européennes.4
Mais la question de la souveraineté qui vise principalement le système politique s’accom-
pagne d’un discours fort autour de la question de l’identité nationale, principal cheval de
bataille des extrêmes droites, mais aussi d’une partie de la droite démocratique qui tend à
se radicaliser ainsi que certains partis d’extrême gauche5 à travers l’Europe. Et c’est le mo-
dèle d’une nation, un peuple, une langue, une religion qu’ils tentent de faire ressurgir, succès
électoraux à la clef, comme en Hongrie avec Viktor Orban, ou encore en France où les
toutes récentes élections régionales ont vu le Front National de Marine Le Pen enregistrer
son record absolu en nombre de voix au second tour.6 Ces crispations identitaires ravivées
se cristallisent principalement autour de « l’islamophobie »7 alimentée par les questions du
terrorisme et des réfugiés. Nous nous situons ici dans une rhétorique du type « choc des
civilisations »8 qui considère que les « musulmans » pris dans leur intégralité, et leur mode
de vie, leur religion sont incompatibles avec les « valeurs européennes », la démocratie, la
laïcité, … la Nation pure et parfaite idéalisée.
Une fois encore les mêmes funestes mécanismes sont à l’œuvre, ce discours identitaire
4 Une analyse entière serait nécessaire pour traiter (en surface !) de la question du décit démocratique de l’Union
européenne. An de poser le cadre, notons que cette critique vise principalement la Commission jugée « toute puissante »
par certains, qui fustigent également son fonctionnement à leurs yeux opaque. Toutefois, la Commission est composée de
membres mandatés par les États (souverains !) et ses procédures et travaux en cours sont librement consultables par tout
citoyen de l’Union. Quant au Parlement, il est élu démocratiquement, et tend vers un accroissement graduel de ses com-
pétences, et donc de son pouvoir décisionnel. Mais bien entendu, ces considérations ne sont absolument pas incompatibles
avec la nécessité d’œuvrer pour encore plus de démocratie européenne. Enn, il reste la question du type de démocratie :
ici s’exprime une critique populiste (de droite comme de gauche) qui prône une démocratie directe par opposition à la
démocratie représentative, dans l’optique où seule la démocratie directe pourrait être le reet du peuple souverain. Or,
il s’agit d’une vision idéalisée d’une démocratie pure et parfaite des origines (grecques) qui n’a en réalité jamais existé.
5 Le discours eurosceptique est notamment porté par Jean-Luc Mélenchon du Parti de Gauche en France, ainsi que par
d’autres chefs de le d’extrême gauche en Europe. Les discours des extrêmes se rejoignent notamment sur la critique du
décit démocratique de l’Union, qui revient à réafrmer un nouveau souverainisme. Par ailleurs, nous citerons un mouve-
ment tel que « Riposte laïque » en France composé de « laïcards » extrémistes dont certains sont issus de la gauche et de
l’extrême gauche, ils se rassemblent autour une crispation du concept de laïcité (détourné) et procèdent à une critique
virulente et haineuse de l’Islam.
6 6 820 000 voix au second tour des Régionales 2015 contre 6 420 000 aux Présidentielles 2012, cf. « Élections régio-
nales 2015 : le FN a battu son record de voix », Le monde.fr, 13 décembre 2015 : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/
article/2015/12/13/elections-regionales-2015-fn-a-battu-son-record-de-voix_4831152_4355770.html.
7 Précisons que si « islamophobie » est devenu le terme consacré tant par les médias que par les politiques, il n’est pas
sans poser de graves problèmes. En effet, islamophobie signie « peur de l’Islam », alors qu’il s’agit en réalité d’un rejet,
d’une haine d’une communauté vaguement assimilée à l’Islam, prise comme un tout homogène. Ce terme permet de se
cacher derrière une critique de l’Islam en tant que religion, chose qui pourrait par ailleurs, être parfaitement légitime.
8 Théorie controversée développée par le politologue américain Samuel Huntington, ancien conseiller à la Maison
Blanche qui offre une vision simpliste du « choc des civilisations » basée sur des « grands ensembles de civilisations » dont
les valeurs seraient incompatibles, et donc susceptibles d’entrer en conit. Théorie venue remplacer la dialectique de la
guerre froide au sein de la diplomatie américaine : HUNTINGTON Samuel P., Le choc des civilisaons, Odile Jacob, Paris,
1997.