EEntretien Photo Serge Mercier/La Provence Henri Madelénat Président 2010 Les Les Décembre Notes Notes ÉÉdito A la fin juin dernier, les Amis du Festival ont eu le bonheur de recevoir Teresa Berganza dont on connaît l’attachement à Aix-en-Provence et la fidèle amitié pour notre association. A cette occasion, nous avons réalisé avec elle un entretien que nous sommes heureux de publier dans ce numéro. M. Bernard Foccroulle nous réunit le 9 décembre à 18h au Musée des Tapisseries (Palais de l'ancien Archevêché, Place des Martyrs de la Resistance à Aix-en-Provence). Il nous présentera le beau programme 2011 du Festival, ce sera aussi une occasion de dialogue entre les Amis et le Festival dans l’esprit du partenariat que nous développons ensemble. Nous espérons vous y rencontrer nombreux. Pour ce numéro, nous avons décidé de nous concentrer sur une remarquable nouvelle production du Festival 2011 : Le Nez de Chostakovitch. Christine Prost a rédigé un article sur la pièce de Gogol et son adaptation lyrique et Alain Perroux un article sur la mise en scène de William Kentridge telle qu’il a pu la voir en mars 2010 au Metropolitan Opera de New York en avant première de la production d’Aix. Enfin, vous connaissez notre préoccupation constante : satisfaire les attentes de nos adhérents en matière d’activités culturelles. Anne Dussol, responsable de ce secteur, nous présente le programme à venir jusqu’à fin juin 2011. Bonne lecture et à bientôt, des Amis du festival d’art lyrique d’Aix en Provence 04 Entretien avec Teresa Berganza Bonjour Teresa, dans Capriccio la question est posée : « Prima la musica - dopo le parole ou prima le parole - dopo la musica», quelle est votre réponse à cette question ? Il n’y a pas de réponse tranchée, je suis une musicienne au service de l’interprétation, c’est le privilège du chanteur de dire un texte, la musique et la parole forment un tout à l’opéra. ... Scala. J’ai accepté, mais, comme vous le savez, la Scala ouvre tard en saison, nous sommes en 57. Entre-temps Gabriel Dussurget Je suis née dans une famille heureuse malgré les avait aussi entendu parler de moi et m’a invitée à Aix pour interguerres dont je garde un souvenir horrible. Mon préter le rôle de Dorabella. C’est comme cela que ma carrière de père avait appris la musique à l’école. Grâce à un chanteuse internationale a commencé. En peu de mois, tout s’est héritage de ma mère, on a acheté un piano dont cristallisé. Ada Finzi et Gabriel Dussurget étaient des formidables jouait mon père. Très jeune j’ai entendu de la mudécouvreurs de talents, ils connaissaient les jeunes, ils croyaient sique de Wagner, de Puccini et des chants popuen eux. Voyez-vous, je n’ai jamais anticipé ma réussite, je ne me laires. Mon père s’est aperçu que j’avais une oreille formidable. Il suis jamais dit : je vais être une grande chanteuse. C’est le destin. m’a appris à jouer du piano. Il était très dur avec moi. A l’université, je suis entrée au conservatoire, j’y ai étudié le solfège pendant C’est aussi beaucoup de travail, n’est-ce pas ? Teresa, à votre tour vous vous quatre ans, le piano pendant huit ans et l’orgue pendant quatre intéressez aux jeunes chanteurs, vous passez du temps à les former, quels ans. J’étais la fille la plus heureuse du monde, je passais toute la conseils leur donnez-vous ? journée à faire de la musique. On me disait toujours : pourquoi tu ne chantes pas ? Je suis donc allée voir le professeur Lola Rodriguès Aragon, elle avait été l’élève d’Elisabeth Schumann. Je me souviens, il y avait des voix meilleures que la mienne. Le professeur m’a conseillé de consulter un médecin qui m’a d’abord imposé 15 jours de silence et m’a appris à respirer. Le professeur m’a fait chanter de la musique ancienne, Monteverdi, Scarlatti, Vivaldi. J’ai continué à pratiquer beaucoup d’exercices de gymnastique respiratoire. J’étais évidemment aidée par ma grande connaissance de la musique. Le chant a pris ainsi le dessus sur le piano pour lequel j’étais douée. D’ailleurs, j’aurais aimé jouer du violoncelle qui reproduit un son si près de la voix humaine et qui est un instrument si sensuel, mais, je n’ai pas eu le temps, ce sera pour une autre vie ! Evidemment il faut des aptitudes, mais ensuite il faut beaucoup traPourriez-vous nous raconter les débuts de votre carrière de chanteuse ? vailler, énormément. J’ai passé des nuits à déchiffrer des partitions. Il faut rester humble. J’ai toujours été animée par la passion de la J’ai accompagné mon professeur au concours de chant de Toumusique et une obsession ne m’a jamais quittée : conserver ma voix. louse, c’était en 55, c’était aussi par hasard car elle voulait préJe n’ai pas accepté n’importe quel rôle, j’ai refusé le rôle de Violetta senter une autre chanteuse. Peter Diamant du LSO et Liese Askodans La Traviata par exemple. Et, enfin, il faut croire en son étoile et nas de Covent Garden m’ont remarquée. Peu de temps après, j’ai ne pas oublier que la voix est l’expression de l’âme. participé au congrès des jeunesses musicales à Madrid, j’ai été la meilleure dans des mélodies espagnoles. Ada Finzi, Manager Vous avez décidé d’écrire vos mémoires, où en êtes vous ? artistique, m’a ainsi remarquée et m’a fait venir à Milan. Il y avait à cette époque une formidable équipe autour d’Ada : Mirella Freni, Mon métier, c’est la musique, mais j’aime écrire, j’ai écrit toute ma vie. Luigi Alva, Fiorenza Cassotto, Nicolas Ghiaurov, Graziella Sciutti, Je vais commencer à écrire mes mémoires. Je voudrais écrire un livre Claudio Abbado, Alexis Weissenberg ; Giulini a aussi travaillé amusant, le livre d’une femme qui a eu le privilège d’être musicienne. avec elle. Ada Finzi m’a proposé de jouer dans le Comte Ory à la Merci Teresa. ©Paul Meissonnier Photo Serge Mercier/La Provence Par quel chemin du destin êtes-vous devenu chanteuse ? Entretien réalisé par Henri Madelénat Campra, de Aix à Versailles Le premier colloque international sur André Campra, organisé par le Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV) s’est tenu à Aix-en-Provence les 7 et 8 octobre derniers, il s’est ensuite poursuivi à Versailles. Ces journées ont permis de mettre en lumière la personnalité exceptionnelle du compositeur aixois et son rôle déterminant dans le renouveau musical qu’a connu la France de la fin du règne de Louis XIV jusqu’à celui de Louis XV. Un très beau concert a été donné le 7 octobre aux Oblats par l’ensemble Parnassie du Marais (Monique Zanetti, Sylvie Moquet, Sabine Weill et Brigitte Tramier) qui a permis à un public averti (parmi lesquels Bernard RRappels Foccroulle, Hervé Burckel de Tell, Directeur Général du CMBV, Catherine Cessac, Directeur de la recherche du CMBV et les participants au colloque) d’apprécier l’exceptionnelle qualité de la production aixoise de musique baroque. Nous avons eu le privilège, et aussi la charge, d’organiser ces journées aixoises qui ont bénéficié du soutien déterminant de la Mairie et du Festival. Merci à tous les Amis qui ont participé à cette opération, merci pour l’excellent accueil réservé par ceux d’entre nous qui ont logé des participants. © William Kentridge le Nez D e Gogol à Chostakovitch. L’étrange histoire d’un Nez baladeur Le Nez de Dimitri Chostakovitch (créé à Leningrad le 18 Juin 1930) est, au même titre que Le Château de Barbe-bleue de Béla Bartok, (Budapest, Mai 1918), Wozzeck d’Alban Berg, (Berlin, Décembre 1925), ou La Maison des morts de Leos Janacek (Brno, Avril 1930) l’un des opéras majeurs de l’entredeux guerres, et particulièrement représentatif de l’effervescence novatrice de l’avant-garde russe, juste avant qu’elle ne soit réprimée par le stalinisme. La nouvelle de Gogol à laquelle Chostakovitch emprunte son sujet date des années 1834-35. Résumons-la brièvement : Premier chapitre : au matin du 25 Mars, le barbier Ivan Iakovlevitch trouve dans son pain ... un nez ! Harcelé par sa femme pour s’en débarrasser au plus vite, il court le jeter dans la Neva, mais est appréhendé par le Gendarme du Quartier... « Mais la suite de l’aventure se perd dans un brouillard si épais que personne n’a jamais pu le percer », écrit alors Gogol. Le lecteur n’est donc pas informé de ce que devient le barbier, et est invité à passer sans explications au... Deuxième chapitre : Ce nez appartient en fait au petit fonctionnaire Platon Kouzmitch Kovalev, qui se réveille privé de son appendice nasal. Catastrophé, il met tout en œuvre pour le retrouver, et, à sa grande stupéfaction, rencontre celui-ci métamorphosé en un personnage de fière apparence, pour le moins Conseiller d’Etat, priant dans la cathédrale Notre-Dame de Kazan. Abordant avec embarras ce personnage haut placé (que Gogol ne désigne que par son attribut : Le Nez ), il lui demande timidement de bien vouloir reprendre sa place normale, mais, avec un calme méprisant, son interlocuteur refuse de chercher à comprendre la situation et profite d’un instant d’inattention de Kovalev pour s’échapper et disparaître. Cette première humiliation n’est que le prélude à une série de déconvenues ou de rebuffades blessantes : le chef de la police est absent, l’employé du journal auquel il s’adresse pour publier une petite annonce se moque de sa requête et refuse tout service, ... Profondément déprimé, il rentre chez lui et s’abandonne à la détresse : « Pourquoi un tel malheur ?(...) Sans nez, un homme n’est plus qu’un être hybride (...) juste bon à jeter par la fenêtre ! ». DDossier C’est alors qu’il reçoit la visite du Gendarme du quartier : on a arrêté le Nez au moment où il se disposait à prendre la diligence de Riga, le haut personnage est redevenu alors le nez normal de son propriétaire, et l’officier de police le lui rapporte. Ivre de joie, Kovalev lui donne la récompense attendue, et essaie son nez...qui ne se recolle pas ! Le docteur appelé d’urgence se déclare impuissant. Kovalev est désespéré . Comment expliquer ce nouveau phénomène ? Peut-être est-il dû aux sortilèges déployés par une certaine Madame Podotchine pour le contraindre à épouser sa fille. Il lui écrit une lettre accusatrice, à laquelle elle répond de manière très conciliante. Ce qui le convainc sur le champ qu’elle n’est pas coupable, mais le laisse toujours aussi désemparé...et sans nez. Pendant ce temps, cette singulière aventure est en train de faire le tour de la capitale. Ignorant que le Nez a été retrouvé, la foule se précipite partout où l’on dit l’avoir aperçu...« Mais de nouveau l’aventure se perd dans un brouillard si épais que personne n’a jamais pu le percer ». Pour la seconde fois, Gogol laisse ici le lecteur en suspens, et l’invite à passer sans plus d’explications au... Troisième chapitre : au matin du 7 Avril, Kovalev s’aperçoit avec stupéfaction que son nez est inexplicablement et indubitablement revenu à sa place habituelle. Il s’assure auprès du barbier de la solidité de la restitution, et tout joyeux, s’en va parader sur la perspective Nevski, comme si rien ne s’était passé. Trois chapitres, donc : le chapitre central, développé, étant encadré de deux chapitres beaucoup plus brefs, tels un prologue et un épilogue. Le ton est ironique et détaché, l’observation d’une lucidité redoutable, l’intention satirique évidente, mais aucune piste n’est donnée au lecteur sur le sens à donner à cette histoire insensée. L’absurdité manifeste de la nouvelle, avouée de manière provocante, ainsi que sa structure lacunaire appellent cependant une interprétation. La plus courante y voit une satire féroce de l’administration et une peinture sans concessions de la médiocrité de la société russe sous Nicolas 1°, masquées par l’invraisemblance de la donnée centrale et le comique affiché. Chostakovitch adopte de toute évidence cette interprétation. Il garde pratiquement intacte la trame de la nouvelle, et utilise une grande partie du texte littéralement, se contentant de transformer en dialogue ce qui relève du récit, mais il en élargit la perspective sur deux plans : celui de la critique sociale, et celui de la peinture du personnage principal. Le « Major » Kovalev, médiocre fonctionnaire obsédé de reconnaissance sociale, « pauvre type » arrogant, prétentieux et ridicule chez Gogol, devient dans l’opéra un anti-héros, pitoyable, certes, mais par moments touchant, tellement il est désarmé par la question angoissante à laquelle il se trouve brutalement confronté : « Pourquoi cette mutilation qui me rend étranger à moi-même et nié par la société ? » Chostakovitch, maître du sarcasme et de l’humour en musique, adopte alors un ton inhabituel. Le lyrisme dramatique avec lequel il exprime le désespoir de Kovalev accuse le côté tragique de la situation, suscite la compassion, et ouvre une perspective plus large sur le sens profond de la nouvelle de Gogol. Sous le couvert de l’ absurde, est posé un problème existentiel : celui de notre identité . Par ailleurs, la critique sociale prend chez Chostakovitch une coloration clairement politique et contemporaine. Celle-ci est particulièrement sensible dans le tableau sur lequel s’ouvre le 3° acte, une grande scène inventée prenant prétexte de l’épisode de l’arrestation du Nez - arrestation qui, dans la nouvelle, n’est que très brièvement mentionnée. Il y met en scène autour de la diligence qui doit partir pour Riga une galerie de personnages très typés, en un défilé d’ instantanés quasi cinématographiques sur la toile de fond des échanges paresseux et stupides des policiers. La palme de la caricature est ici réservée à leur chef, le Gendarme du quartier, auquel Chostakovitch attribue une voix de ténor extrêmement aiguë, presque un fausset. Tyrannique et sadique, il incarne de façon mi-comique, mi-terrifiante l’oppression menaçante des années 1920 en Russie – en fait, la notion même d’oppression. L’accumulation progressive des personnages est rendue musicalement par une succession de brefs épisodes contrastés, associée à la croissance de l’hystérie collective qui aboutit à la capture du Nez. L’évocation de la folie capable de transformer une foule en meute sanguinaire n’est certes pas sans rapports non plus avec l’époque. Mais la dimension que lui donne Chostakovitch la hausse au niveau de symbole universel. Chacun des personnages est caractérisé avec une netteté de traits que met en valeur l’extrême variété des registres expressifs. Tous les types de vocalité s’y mélangent, du parlé au chant virtuose, de l’expansion lyrique à l’énonciation mécanique, jusqu’à intégrer les bruits les plus triviaux de la vie quotidienne (rires, ronflements, onomatopées, injures). En étroite symbiose avec la vocalité, l’orchestre amplifie l’impact émotionnel que revendique le compositeur. Il y a dans l’écriture du Nez une vitalité, une énergie, une exubérance qui ne sont pas seulement dus à sa jeunesse (il a 22 ans lorsqu’il termine son opéra), mais à la conscience d’appartenir à une génération d’artistes d’avant-garde aux racines d’un modernisme prometteur. Modernisme hélas radicalement battu en brèche en Russie soviétique, ce dont Chostakovitch eut particulièrement à souffrir tout au long de sa carrière. La modernité du Nez tient en tout premier lieu à la conception du théâtre lyrique qui lui est propre. Au débat séculaire sur la prééminence de la « musica » ou de la « poesia » dans l’opéra, il ajoute un troisième terme : texte, musique et action scénique sont envisagés par lui comme trois entités devant s’interpénétrer de manière indissociable. Conception prophétique de l’interdisciplinarité des arts que cultive avec prédilection notre époque... Cette modernité tient également à l’introduction, au cœur de l’action dramatique, d’ épisodes purement orchestraux, à première vue incongrus, qui dévoilent leur nécessité lorsqu’on observe leur écriture et leur place dans le déroulement de l’oeuvre. Le plus frappant de ces épisodes est un « Interlude pour percussions seules », extrêmement audacieux pour l’époque, qui cache derrière l’impression de chaos qu’il dégage, une écriture on ne peut plus sévère et rigoureuse. Il est situé dans l’action très exactement au même point que le premier « blanc » introduit par Gogol dans la conduite de son récit, et assume la même fonction de distanciation et de déstabilisation. Belle trouvaille d’analogie musicale d’un procédé littéraire. L’alternance rapide de scènes comiques, satiriques, terrifiantes ou tragiques, intimistes ou collectives, traversée d’épisodes orchestraux qui soulignent la situation dramatique imprime à l’opéra un rythme soutenu qui occulte sa durée, relativement longue (près de 2 heures, sans entracte). Par ailleurs, la nature « bigarrée » du récit donne à Chostakovitch l’occasion d’exploiter en tous sens une imagination musicale qui semble sans limites, puisant à des sources multiples. Chœurs religieux, polyphonies à voix d’hommes, ballade populaire, monologues lyriques dans l’esprit du grand opéra russe, pastiches humoristiques d’éléments opératiques traditionnels, s’insèrent dans la trame de dialogues proches de la langue parlée, à mi-chemin entre diction théâtrale et chant. Tout cela accompagné, souligné ou contredit par les innombrables jeux de sonorités d’un orchestre parfaitement maîtrisé. Se souciant peu de la difficulté des conditions de réalisation de l’époque, il n’hésite pas à multiplier les lieux, à en situer deux simultanément sur la scène, ou à imaginer un dialogue entre la salle et la scène. Cette difficulté n’en est plus une à l’heure des technologies contemporaines, et quiconque connaît l’art de William Kentridge ne sera pas surpris qu’il ait trouvé dans Le Nez un terrain d’élection pour son imagination créatrice. Christine Prost Comme le nez au milieu de la figure Il faut imaginer un collage comparable à ceux des grands plasticiens modernes ou contemporains, les Braque, les Picasso, les Schwitters… A la différence près que ce collage mesure plusieurs mètres de haut et qu’il se déploie dans les trois dimensions d’une scène de théâtre ! Pour aborder Le Nez de Chostakovitch, William Kentridge n’a rien renié de son identité propre, celle d’un artiste d’aujourd’hui qui est à la fois un génial toucheà-tout et un véritable auteur bâtisssant une œuvre cohérente en abordant un ensemble restreint de thèmes et de motifs qu’il remet sans cesse sur le métier et qu’il revisite sans relâche à travers des techniques différentes. Pour cet artiste sud-africain qui pratique avec le même bonheur le dessin, la vidéo, l’animation, la sculpture, l’installation et la performance, le choix d’aborder Le Nez de Chostakovitch n’est pas innocent. La mise au ban de l’individu, Kentridge l’a vue de près. Il fait certes partie de la minorité blanche de son pays, mais il ne cesse d’interroger la question de l’altérité et de l’existence humaine dans un environnement oppressif. A l’opéra, il a déjà abordé aux rivages du Retour d’Ulysse de Monteverdi et de La Flûte enchantée de Mozart dont il a donné une relecture méditative, s’interrogeant sur la face sombre des Lumières du XVIIIe siècle et sur le colonialisme (ce spectacle a été présenté au Festival d’Aix-en-Provence en 2009). Dans l’opéra de Chostakovitch, Kentridge met en scène avec humour une figure d’altérité inquiétante, car émanant du sujet lui-même : dans son spectacle, le nez apparaît comme un double inversé de Kovaliov, sa part d’ombre. Il accuse d’ailleurs une ressemblance frappante avec le propre nez de Kentridge, qui injecte souvent une part autobiographique dans ses œuvres. En somme, je est un nez qui est un autre ! L’appendice nasal devient dès lors un motif omniprésent dans les vidéos projetées sur le collage démentiel qui tient lieu de scénographie, mêlant coupures de journaux, à-plats de couleurs et décors en relief (un pont, un appartement de deux étages, etc.). Ce nez que l’on voit jouer du piano dans des images d’archives, chevaucher un fier destrier ou danser en tutu apparaît bientôt comme le «ça» au sens freudien du terme, soit l’élément refoulé qui vous bondit à la figure… après s’en être détaché ! Il peut symboliser l’identité profonde d’un compositeur condamné à dissimuler ses pensées pour survivre dans l’URRS de Staline. Il peut signifier aussi la part insolente, instinctive et indomptable d’un artiste comme Kentridge, propre à glisser des sous-textes subversifs dans les œuvres apparemment les plus inoffensives. Il n’en reste pas moins le protagoniste d’une soirée d’opéra qui ne ressemble à aucune autre, et qui s’apparente à une gigantesque installation aussi démente que séduisante. Alain Perroux LES NOTES N°4 - Décembre 2010 Les Notes sont éditées par L'association des Amis du Festival d'Art Lyrique d'Aix-en-Provence - Hôtel de Gaillard-d'Agoult, 24, place des Martyrs-de-la-Résistance, 13100 Aix-en-Provence. Tél. 04 88 19 93 53 - [email protected] - Site internet : http://www.amisdufestival-aix.org. Directeur de la publication : Henri Madelénat. Comité de rédaction : Anne Dussol, Madeleine-Marie Fajon, Chistine Prost, Elisabeth Rallo Ditche. Conception graphique ALYEN. Impression Papergraf.