enterré maman, j’étais très fatigué, et j’avais sommeil. De sorte que ne me suis pas rendu
compte de ce qui se passait. Ce que je pouvais dire à coup sûr, c’est que j’aurais préféré
que maman ne mourût pas.”
* * *
[p. 182-184] “...Je l’avais pris par le collet de sa soutane. Je déversais sur lui tout le fond
de mon coeur avec des bondissements mêlés de joie et de colère. (1) Il avait l’air si
certain, n’est-ce pas? Pourtant, aucune de ses certitudes ne valait un cheveu de femme.
(2) Il n’était même pas sûr d’être en vie puisqu’il vivait comme un mort. (3) Moi,
j’avais l’air d’avoir les mains vides. Mais j’étais sûr de ma vie et de cette mort qui allait
venir. Oui, je n’avais que cela. Mais du moins, je tenais cette vérité autant qu’elle me
tenait. J’avais eu raison, j’avais encore raison, j’avais toujours raison. (4) J’avais vécu
de telle façon et j’aurais pu vivre de telle autre. J’avais fait ceci et je n’avais pas fait cela.
Je n’avais pas fait telle chose alors que j’avais fait cette autre. Et après? C’était comme
si j’avais attendu pendant tout le temps cette minute et cette petite aube où je serais
justifié. Rien, rien n’avait d’importance et je savais bien pourquoi. Lui aussi savait
pourquoi. Du fond de mon avenir, pendant toute cette vie absurde que j’avais menée, un
souffle obscur remontait vers moi à travers des années qui n’étaient pas encore venues
et ce souffle égalisait sur son passage tout ce qu’on me proposait alors dans les
années pas plus réelles que je vivais. (5) Que m’importaient la mort des autres, l’amour
d’une mère, (6) que m’importaient son Dieu, les vies qu’on choisit, les destins qu’on élit,
puisqu’un seul destin devait m’élire moi-même (7) et avec moi des milliards de
priviligiés qui, comme lui, se disaient mes frères. (8) Comprenait-il, comprenait-il donc?
Tout le monde était priviligié. Il n’y avait que des priviligiés. (9) Les autres aussi, on les
condamnerait un jour. Lui aussi, on le condamnerait. Qu’importait si, accusé de meurtre,
il était exécuté pour n’avoir pas pleuré à l’enterrement de sa mère? “ (10)
1. Notez la passion de Meursault, un jaillissment à la fois de rage et de bonheur
(parce qu’il est convaincu que la vérité est de son côté, convaincu de la justesse
de ses convictions).
2. La certitude de l’aumônier concernant Dieu et la vie après la mort ne valent rien
parce que, Meursault affirme, ils sont faux. Personne ne peut être certain de ces
choses et l’incertitude les rends insignifiants.
3. “...il vivait comme un mort”= l’aumônier ne vit pas sa vie complètement, ne
profite pas des plaisirs sensuels que Meursault se permet. Plutôt, l’aumônier
ignore le sensuel tout en attendant de manière solennelle un paradis qui n’existe
(peut-être) pas.
4. Meursault a raison au sujet de l’insignifiance de la vie, étant donné l’incertitude
de l’existence de Dieu – le juge ultime des actions des hommes – et d’une suite de
la vie de plaisir après la mort, qui selon l’Église doit être méritée.
5. Tous les choix sont insignifiants et rien n’importe vraiment dans la vie puisque