L’ethique pure face au système du jugement : L’Etranger d’Albert Camus.
Meursault : Figure de la culpabilité absolue ou de l'innocence absolue?
En définitive, L’Etranger d’Albert Camus nous apparait comme un livre dont l’importance
réside dans l’élaboration d’un personnage nouveau : l’homme éthique par opposition aux
hommes moraux, personnages de la société dépeints par les écrivains de la littérature
antérieure.
Camus nous propose l’image d’un homme ne possédant qu’une valeur celle de la vie et
qu’un seul intérêt, celui de vivre : la seule chose qui ait de l’importance à ces yeux est
l’expérience d’exister. Meursault est un homme sans valeurs ni intérêts à défendre, pas même
les siens devant la justice humaine ou céleste.
Exister, exister simplement voilà le seul intérêt et la seule valeur à défendre. Et s’il y a
quelque chose de beau dans ce livre, c’est ce cri fait de silences : exister, exister sans donner
d’importance à autre chose qu’à cela. Ne donner d’importance qu’aux sensations et aux
pensées que l’on vit car là est la seule chose importante, intime, intérieure, égoïste et
existentielle.
Camus nous interpelle, il nous dit : n’oublions pas ce qui fait de nous des hommes. Et il y
répond : c’est notre expérience existentielle avant tout qui nous rend humain ;
Et pour lancer ce message, il lui aura fallu déployer toutes les ressources de son génie de
styliste procédant à une épuration du langage : l’outil adéquat était de créer un style
minimaliste, une syntaxe pauvre, d'user d'un vocabulaire ordinaire, formant ainsi un récit
quasi journalistique emprunt de détachement composé d’une ligne narrative simple à mi
chemin entre le roman et la nouvelle.
On pensait de prime abord Meursault insensible mais en fait il n’en est rien : bien au
contraire, son sentiment est profond et respecte le temps des sensations et des pensées.
Au lieu de pleurer et ainsi fauter en ne respectant pas la temporalité de la vie vécue, au lieu
de pleurer et ainsi fauter par superficialité car moralement pleurer à l'enterrement de sa mère
doit se faire, à la fois pour nous même mais également devant le regard des autres qui
l'exigent tacitement, Meursault, lui, à l’encontre de cette attitude suit fidèlement son ressenti.
Et pour lui, la mort de sa mère a pris du temps à être sentie puis digérée.
C'est le décalage entre les faits et le moment où l’on accuse le coup qui délimite le temps
du malaise entre le lecteur et le narrateur, entre les personnages moraux et Meursault, enfin
entre lui et la justice divine et celle des hommes.
Meursault a donc vécu le temps nécessaire à la maturation du deuil, à la compréhension
sentimentale de la signification de la perte de l’être aimé : aimer, d’amitié ou d’amour,
Raymond, Marie ou sa mère, c'est uniquement se rappeler de l’autre et y penser, simplement,
se rappeler des sensations éprouvées avec lui et d’y voir, d’y interpréter comme une sobre
complicité faite de regards, de gestes et de silences, que l’on garde précieusement comme de
véritables joyaux: les événements qui jalonnent notre vie, notre expérience existentielle.