terrain par des structures urbaines, mentales et
matérielles (physiques), tout à fait particulières (8).
Cette juxtaposition spatiale – quartier populaire,
quartier moyen et haut standing ou résidentiel – se
dresse, d’une manière ou d’une autre, comme une
barrière devant la mobilité sociale. En d’autres termes,
elle n’autorise que difficilement la prétention à un
changement de quartier du bas vers le haut de la
hiérarchie spatiale (9) ; c’est en fait à l’image des
mécanismes qui traversent la société dans son ensemble
et qui réduisent par là les possibilités d’ascension
sociale. Il s’ensuit que les clivages sociaux sont trop
criants. Mais la complexité de la situation n’autorise
nullement à réduire la question à une volonté politique,
visant à assigner à chaque type de population le quartier
qui lui convient.
L’aménagement de cet espace urbain – le quartier
populaire – se heurte à des habitudes mentales et à
l’urgence pour parer dans l’immédiat à l’afflux
démographique. La fonctionnalité de l’habitat, quelle que
soit sa qualité, et la prédominance des activités de survie,
éclipsent la nécessité et la dimension de l’harmonie et
de l’esthétique. Les problèmes (10) d’ordre financier des
acquéreurs de logements contribuent pour beaucoup à
cette configuration spécifique du quartier populaire.
L’obsession chez le Marocain d’être propriétaire,
nonobstant ses moyens, pèse fortement sur l’orientation
que prend l’aménagement de l’espace urbain. Le paysage
urbain qui en découle traduit beaucoup plus une tendance
au bricolage (11) qu’une planification soucieuse de
l’harmonie et de l’esthétique. Il en ressort des signes d’un
espace pratiquement hétérogène sinon en désordre où
il ne fait pas bon vivre (12).
L’observation ne peut percevoir les indices susceptibles
de renseigner sur cette dynamique à l’oeuvre que
lorsqu’elle est synonyme d’immersion (13) dans le
quartier populaire (14). Ainsi, que ce soit sur le plan
social ou architectural, cet espace foisonne de
contrastes (15), de stress (16), de malaise, de désarroi,
d’insalubrité, etc. Il est, en somme, une projection et
une expression de la réalité des relations sociales (17),
où le déséquilibre social et écologique est assez patent.
L’histoire établit qu’un quartier populaire est une suite
infinie de recasement des habitants de gourbis et de
bidonvilles. La déstructuration des campagnes, relayée
par un fort exode rural, ne cesse d’alimenter ce cercle
vicieux ; car l’habitat spontané pullule assez rapidement
dès que le contrôle administratif se desserre (18). Ainsi
une néocitadinité voit le jour et un type particulier de
rapport à l’égard de l’Etat de la part des habitants de
ces nouveaux quartiers s’établit (19). Le système de
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(8) Victor Hugo (Notre-Dame de Paris) comparait l’architecture
à une écriture et les villes à des livres. Voir Françoise Choay, in
op. cit.
(9) La nature des activités qui s’y déroulent fait qu’il est impossible
de les transférer dans un quartier de moyen ou haut standing.
(10) Il y a dans le logement peu de nature et énormément de
culture… Exclus de certains espaces urbains, faute de ressources
financières et culturelles ou s’y sentant mal à l’aise ; les gens des
classes populaires se cantonnent dans leurs foyers, cherchant à
s’approprier le quartier pour l’apprivoiser et le convertir en un
environnement original aussi familier et circonscrit qu’un petit
village (Hoggart, la Culture du pauvre, op. cit., p. 233).
(11) L’aménagement de l’espace, même quand on le croit anarchique
ou désordonné, traduit une conception de la vie en société et,
partant des rapports sociaux.
(12) Les lamentations des occupants et usagers du quartier populaire
sont courantes. Ces derniers ont toujours l’impression de ne vivre
que provisoirement sur cet espace ; ils souhaitent toujours un
départ vers une autre destination meilleure.
(13) Quels que soient les moyens mobilisés par l’observateur, il
ne peut rendre compte, d’une manière catégorique, des
susceptibilités du lieu.
(14) Anoter que nos observations, bien que généralisables à d’autres
quartiers populaires, sont tirées du vécu quotidien des occupants
et usagers du quartier Yacoub Al Mansour, Rabat.
(15) Il est courant de voir des voitures de grand luxe garées devant
des maisons dont l’apparence est trop modeste. Si ces engins sont
destinés à la démonstration, ils ne sont pas moins à l’origine de
questionnements sur les sources des revenus de leurs propriétaires.
Le quartier est propice pour ce genre de trafics souterrains qui
conduit à la richesse rapide.
(16) E. Hall ; la dimension cachée comme le remarque Halbwachs :
« Le lieu a reçu l’empreinte du groupe, et réciproquement. Alors,
toutes les démarches du groupe peuvent se traduire en termes
spatiaux, et le lieu occupé par lui n’est que la réunion de tous les
termes. Chaque aspect, chaque détail de ce lieu a lui-même un
sens qui n’est intelligible que pour les membres du groupe, parce
que toutes les parties qu’il a occupées correspondent à autant
d’aspects différents de la structure de la vie de la société, au moins
à ce qu’elle a de plus stable. »
(17) Ledrut, 1976, p. 13, considère que l’espace n’est pas une
projection mais une expression de la réalité des relations sociales.
(18) Du fait que le contrôle administratif s’inscrit dans cette logique
de l’ensemble, il est soumis aux aléas de la corruption et du laisser-
aller.
(19) Henri Coing remarque au sujet de ces habitants des quartiers
populaires à Tunis qu’ils se comportent comme s’ils avaient une
créance sur l’Etat, leurs revendications étant focalisées sur
l’équipement du quartier en infrastructures. (Cité par Morched
Chabbi, in op. cit., p. 262.