Point de vue de M. Robert HIGGINS

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Point de vue de M. Robert HIGGINS
3ème Journée Régionale des Soins Palliatifs le 28 mars 2003 à Château-Gontier – AT – DRASS – ARH PDL
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LE « MOURANT » : UNE DOUBLE EXCLUSION
Depuis leur origine, les Soins Palliatifs ont mis en avant un triple objectif : lutter contre ce
que Norbert Elias a nommé « La solitude des mourants », s’opposer à l’exclusion dont La Mort était
l’objet dans nos sociétés occidentales industrialisées, exclusion soulignée par les travaux de
Philippe Ariès, et enfin, et dans un second temps, promouvoir un contrepoids (je pense en
particulier aux bénévoles, et aux plus récents réseaux) face à la médicalisation de la mort, dans ces
mêmes sociétés, médicalisation à laquelle, d’ailleurs, le mouvement en faveur des soins palliatifs
pouvait « objectivement collaborer », ne serait-ce que de fait.
Je voudrais par rapport à ces trois points essentiels émettre, à partir d’un travail que je mène
depuis de longues années1, des remarques critiques qui appellent à une vigilance, voire à des
révisions cruciales. Mon propos pourra choquer. Je tiens à préciser que je suis personnellement et
professionnellement engagé dans les Soins Palliatifs depuis 20 ans comme animateur de groupes
de parole avec des équipes soignantes (après quatre ans de travail direct auprès des malades, de
leurs familles, et des soignants), comme enseignant dans trois facultés de médecine, et comme
consultant. Je ne suis pas « contre » les soins palliatifs, mais je crois que nous devons nous
efforcer de repérer « l’autoroute » dans laquelle nous sommes, à notre insu le plus souvent,
embarqués, et les effets pervers qui s’y manifestent, et dont certains sont, à mon avis, structurels,
et que l’on peut, que l’on doit même mettre au jour. Et j’ajoute que ces remarques critiques
s’appliquent aussi bien à ce qui se joue du côté des partisans de l’euthanasie. Une logique
commune, à bien des égards, est à l’œuvre, qu’il s’agit de démonter, ne serait-ce que pour « ne pas
en remettre », comme je le répète à mes étudiants, et afin de bien dégager la spécificité des soins
palliatifs, ainsi que leurs fondements, au delà d’une vision quelque peu floue, fondée sur l’affectif, et
qui les maintient dans une sorte de symétrie inverse face au mouvement en faveur de la
légalisation de l’euthanasie qui ne cesse de se diffuser.
L’invention du mourant
Je centrerai mes remarques autour de l’invention et de la promotion d’un personnage
nouveau, témoignant de l’invention d’une nouvelle catégorie de citoyens par nos sociétés
ultramodernes – promotion à laquelle les Soins Palliatifs contribuent –, le personnage du
« mourant ».
L’enjeu du terme – et de la catégorie – de « mourant » est radicalement différent de celui
d’expressions comme « Untel est dans état critique », « Il n’en a plus que pour quelques jours », « Il
ou elle est proche de sa fin ». L’entrée dans l’ensemble particularisé des « mourants » ségrègue
celui qui va mourir, l’écarte, l’exclut, au lieu que les expressions précédemment citées laissaient
entendre au moins implicitement que le sort de celui dont on parlait - autrefois, il y a vingt encore dans ces termes, est le sort de tous, de moi qui en parle comme de l’autre à qui j’en parle. «
Mourants » sépare les mourants des malades et aussi des vivant, sépare la Vie de la Mort, mais
sépare aussi chacun des « vivants » de sa finitude, de sa condition de « mortel ». La mort est
1
on pourra en lire un "résumé" dans l'article d'ESPRIT de janvier 2003, qui constitue le dossier du mois de la revue :
R.W. HIGGINS, L'invention du mourant. Violence de la mort pacifiée.
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devenue, avant tout, l’affaire des « mourants » et de quelques « personnes admirables », les
soignants des soins palliatifs, qui s’en occupent et auxquels rendent hommage les succès de
librairie d’ouvrages qui sont consacrés à « ce douloureux problème ».
Comment répond-t-on à la solitude du « mourant » ? Il n’est ni un malade « comme les
autres », mais un malade très particulier, relevant d’une discipline médicale nouvelle, ni vraiment un
vivant. Les formules dont on l’entoure, « vivant jusqu’au bout », par exemple, témoignent comme
une dénégation, quelle que soit leur volonté de s’y opposer, d’un statut de « déjà mort » qui est le
sien, statut qui se retrouve plus nettement encore chez le futur euthanasié. Le terme lui-même le
signifie parfaitement, le « mourant » est d’abord dominé, commandé par l’anticipation pronostique,
médicale de sa fin, qui est un des opérateurs essentiels de sa séparation d’avec les vivants, comme
d’ailleurs – et cela est vrai pour lui comme pour nous tous – d’avec les morts. Le mourant chasse
« la présence des morts », mais je ne m’y attarderai pas.
Nous voyons en lui, avant tout, une victime, de sa condition physique, de sa dégradation ou
de sa déchéance, comme on y insiste, termes lourds de signification symbolique, avec leur
résonance juridique. Victime d’une mort qui approche et que l’on s’efforce de traiter « comme une
maladie », médicalement. Victime donc, et non plus sujet d’une condition mortelle et commune, qu’il
s’agit, dans toutes les sociétés humaines de partager. Victime, cela aussi isole, et exclut. Car s’il est
indéniable que le malade en fin de vie était « un grand oublié » de notre système de soins, que les
médecins dans leur exclusivisme curatif n’entraient plus dans sa chambre, ce qu’on lui offre
aujourd’hui est moins donner une place à la victime oubliée qu’il était que l’assigner à une place de
victime.
Victime aussi, et surtout, de sa douleur et de sa souffrance, psychique et morale, de ses
angoisses devant ce qui l’attend, angoisses d’abandon et de séparation, victime de son chagrin, de
sa tristesse, souvent appelés dépression. Et ceci m’amène à ma seconde remarque.
Sollicitude relationnelle et « privatisation de la Mort »
Les soins palliatifs mettent un accent très fort sur cette dimension psychologique de
l’approche du mourant. On y voit volontiers un contrepoids majeur à la médicalisation, à la
technicisation nécessaire – je m’empresse de dire, pour qu’il n’y ait pas de malentendu, que je
partage tout à fait cette idée que la qualité, la compétence médicales des soins sont une exigence
indispensable dans ce domaine, rappelons l’importance des unités de soins palliatifs pour la
formation.– mais les choses ne sont pas si simples.
La sollicitude envers le mourant est conçue comme essentiellement relationnelle,
psychologique, affective. Et nous devons, ici, nous poser une question : est-ce que cette attention
relationnelle, parfois extrême, et non sans excès, où se brûlent parfois les soignants, peut, ou suffit
à faire pièce à l’exclusion symbolique du mourant, à sa mise à l’écart du collectif, de l’humanité, de
l’humaine condition, que j’esquissais plus haut ?
Il s’agit d’une psychologisation de la Mort, sensible au-delà des pratiques palliatives dans la
façon la plus courante dont nous envisageons aujourd’hui la mort, et qui est indissociable d’une
privatisation de son statut, terme à entendre dans les multiples acceptions qu’il peut prendre tant
sur le plan collectif que privé, précisément. L’exemple le plus saisissant en est sans doute le livre
(un best-seller qui s’est vendu à 240 000 exemplaires) écrit par une psychologue travaillant en
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soins palliatifs, Marie de Hennezel, préfacé par François Mitterrand et dont le titre était la Mort
intime2, conjonction de l’intimité et de la plus haute autorité de l’État, qui signe bien une confusion
entre le privé et le public.
L’intervention normative de l’État fait de la mort une affaire publique dont il « s’occupe »
mais dans un dispositif qui souligne bien que, pour chacun des mourants, sa mort est bien sa mort,
son affaire personnelle, bien à lui, qu’elle relève de son « autonomie3 », de sa responsabilité. Il doit
« prendre en charge personnellement » sa mort, et la tâche des « psy » et des soignants
représente une « socialisation » bien particulière, car elle consiste à relayer l’injonction sociale
d’individualisation, et de privatisation, par une prothèse soignante et psychologique.
Car de quel intime s’agit-il ? L’argument souvent invoqué selon lequel traiter la mort comme
relevant du seul privé ne serait que la marque du respect de la singularité et de la subjectivité de
celui qui meurt est irrecevable. On ne saurait confondre ce reste, ce noyau réel et irréductible qu’est
la subjectivité, avec cette intimité prescrite, préfabriquée, que l’on assigne au mourant. Et les
« psys », mobilisés au chevet du mourant peuvent apparaître à un autre niveau, plus fondamental,
comme les préposés à la privatisation de la mort, comme des instruments essentiels dans
l’opération de conversion de la mort en un problème psychologique et une affaire privée.
On dit que la mort des patients renvoie chacun des soignants à sa propre mort. Mais la prise
en considération de la mort reste comme enfermée, confisquée dans le psychologique. Que la mort
« signifie » pour chacun et pour tous, au-delà de l’angoisse, de la souffrance « imputée » au
mourant passe au second plan. Qu’elle soit pour toutes les sociétés humaines ce point central qui
« provoque à la culture » (P. Legendre et P. Baudry4), ce qui nous est « le plus en commun », selon
la juste expression de Jean-Luc Nancy, cela reste méconnu, ignoré.
La scène de la mort reste « duelle », un théâtre horizontal entre les soignants et le mourant
sans mise en perspective, sans « cadre ». L’exclusion est confirmée, redoublée par cet
enfermement. Le regard « valorisant » que les soins palliatifs veulent opposer au regard dégradant
posé par notre modernité sur les mourants est un regard qui a du mal à trouver sa distance, qui,
faute d’être référé à autre chose que lui-même, invite à se confondre avec son objet ; regard suraffectivé, fusionnel, vampirique et mortifère parfois, où domine un fantasme maternant5. Un
exemple : un des problèmes les plus récurrents dans les unités de soins palliatifs est celui « des
patients qui ne meurent pas ». Si l’on analyse ce dont il est véritablement question, on trouve que
cet intense investissement affectif du patient mourant par le soignant (et revendiqué comme tel par
tout un courant dans le personnel infirmier et soignant, à l’origine le plus souvent de la « vocation
palliative »), sans qu’aucune règle instituée, aucun principe explicite collectivement reconnu n’en
2
Marie de Hennezel, la Mort intime, Paris, Robert Laffont, 1995.
Jean-Pierre Le Goff a bien montré le paradoxe de l’autonomie, véritable injonction paradoxale car elle est non seulement prescrite,
imposée, mais elle transfère au sujet des responsabilités relevant d’instances qui ne les assument pas ou qui démissionnent, comme on
le voit dans certaines doctrines pédagogiques et éducatives. La Barbarie douce, Paris, La Découverte, 1999. Il s’agit là d’une tentative,
vouée selon nous à l’échec, de rendre la mort contractuelle.
4
Pierre Legendre écrit à propos du système rituel : « Toute société élabore un point central d’attache, qui commande à l’équilibre, à
l’optimum de manifestation de sa propre production de figures. Ce point central, autour duquel gravitent les représentations abritant le
vide qui soutient l’ultime pourquoi ? de l’homme, est la métaphorisation de la mort », La 901e conclusion. Étude sur le théâtre de la
Raison, Paris, Fayard, 1998, p. 176. Voir aussi Patrick Baudry, la Place des morts, Paris, Armand Colin, 1999. Lire également « Conflit,
image du corps et rapport à la mort », Souffrances et violences à l’adolescence. Rapport à Claude Bartolone, ministre délégué à la Ville,
Paris, ESF, 2000.
5
Avec toutes les dérives que cela peut impliquer : épuisement et passages à l’acte, manque de distance, tentations « fusionnelles ».
Notons ici la leçon qui se dégage de la confrontation entre infirmières laïques et religieuses exerçant cette profession. Bien que, pour
celles-ci, chaque malade puisse représenter le corps du Christ et malgré leur invocation de l’amour, elles ne témoignent pas dans leur
pratique de dérives fusionnelles. Leur travail est contenu, cadré par le montage et l’échafaudage de l’Amour Chrétien. Un équivalent laic
de ce cadre manque pour les soignants travaillant en palliatif. L’absence de dimension tierce dans leur relation au malade se retrouve
dans l’absence de cadre de leur travail, conçu et valorisé comme extra professionnel.
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précisent les limites, ne trouve de fait une limitation que dans l’occurrence de la mort venant mettre
fin à cet excès. Tout se passe comme si l’on tablait sur la survenue de la mort pour « réguler » le «
sans frein ». Autrement dit, c’est la mort qui, de fait, commande. Compassion et vœux de mort se
côtoient6.
Le mourant, otage d’une approche « globale » qui n’est pas sans tentations totalitaires, est
enfermé dans une « présence » – et un présent – qui l’isole et le coupe de ce à quoi il est relié bien
plus fondamentalement : la chaîne des morts et des vivants, sa généalogie personnelle et
collective, la finitude commune, son humanité6 bis. Très entouré psychologiquement, il peut n’être
renvoyé qu’à lui-même, à une solitude héroïque et dans son principe inassumable, insubjectivable.
La sollicitude relationnelle ne remplace pas une vraie place symbolique.
La question des relations entre « le palliatif » et « le médical » n’est jamais véritablement
posée, ni celle de ce que pourrait être une place pertinente et reconnue de la dimension « psy » et
des « psy ». La fonction « psy » semble ne pas mordre véritablement sur le médical,
psychologisation et médicalisation, scientificisation de la mort semblent avoir trop souvent partie
liée. Ce qui fait question en premier lieu et spécialement dans ce domaine, est sans doute, une
vraie réflexion sur la fonction première du Médecin, et aussi des soignants et des intervenants,
« psy » inclus, qui est une fonction Tierce, bien indiquée par le terme latin « medicus », le moyen
terme, celui qui est entre le malade et son mal. Et l’on assiste par exemple à une fréquente «
réécriture scientifique », médicale, des suggestions émises par l’équipe palliative de la part des
services de médecine. Ainsi la présence d’une souffrance morale importante chez le patient peut
conduire à préconiser un « sommeil induit », dont on dit bien « qu’il préserve la capacité de rêver,
maintient une possibilité d’élaboration onirique… ». Mais très souvent, on pourra constater qu’entre
deux passages de l’équipe mobile, les doses ont été considérablement augmentées, transformant
la prescription conseillée en geste euthanasiant. On y répondra fréquemment en arguant de la «
cohérence » et en disant : « Mais vous nous avez bien dit de l’endormir ! ».
Peut-être a-t-on voulu trop attendre des « psy » et de la seule dimension « psy ».
L’effacement du modèle gériatrique en soins palliatifs au profit du modèle oncologique, pourrait
nous servir de boussole. Tout se passe comme s’il fallait mériter les soins palliatifs, comme s’il
valait mieux avoir eu un cancer incurable, pour y avoir vraiment droit, comme si n’y suffisait pas
d’être simplement « vieux » ! . Réparation d’une « injustice », de l’échec d’une médecine toute
puissante ? Certains aspects du modèle Sida, avec sa dimension sociale, pourraient aussi être
revisités pour réinterroger cette inflation relationnelle, et son inefficacité à véritablement
questionner, inquièter l’exclusivisme du modèle médico-scientifique.
Qu’attend-on du « mourant » ? Qu’il soit un « héros » ! Nous attendons de lui deux choses
essentiellement : qu’il puisse parler de sa mort et qu’il l’accepte. Il doit être « au clair » avec sa
mort, pouvoir en parler avec les soignants dont la tâche est conçue comme devant aider au « travail
de deuil » du patient à l’égard de la vie et de ses proches. Là encore, il s’agit d’une opération
présentée comme purement psychologique et incombant pour l’essentiel au malade mourant, à lui
seul. Tâche « héroïque », mais en réalité impossible, inassumable subjectivement.
6
Les soins palliatifs restent le plus souvent dans l’humanitaire qui, comme le sentiment, présente de bien faibles garanties, ne peut
remplacer la construction d’un métier, avec ce que cela comporte d’établissement de limites.
6 bis
Nous avons proposé la notion de « mort orpheline ». Voir notre communication, portant ce titre, au colloque « Des vivants et des
morts. Des constructions de la “bonne mort” », organisé les 21-23 novembre 2002 à Brest par la faculté des lettres et sciences sociales Victor Segalen, actes à paraître.
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Que recouvrent une telle demande, une telle exigence d’héroïsme de la part de l’individu
mourant ? Que signifie cette demande de « face-à-face » avec le réel de la mort ?
Cette « acceptation de la mort », purement psychologique et en réalité impossible, est avant
tout refus de la seule acceptation qui soit humainement accessible de la mort, à savoir, le refus
culturellement et collectivement construit, en quoi consiste la mise en représentations communes et
partagées de la mort (P. Baudry). La « honte » que nous rencontrons fréquemment chez le
mourant, témoigne selon nous de ce déficit culturel à l ‘égard de la mort.
Nous vivons dans la séduction et l’illusion d’un rapport qui serait enfin réaliste à la mort et
qui s’opposerait au tabou de la mort dont traite Philippe Ariès7.. Mais cette mort « transparente » - là
encore sans véritable Tiers - ne laisse plus que le faible écran du mensonge, ou que le symptôme,
la pathologie, au lieu de l’échange, du partage d’une parole « vraie », (qui peut être silence) autour
de la mort que rien ne vient signifier, rappeler comme étant aussi et d’abord « notre mort », notre «
en commun ».
Le « mourant » remplace La Mort
Mais cette réduction psychologique de la mort, montre une dimension autrement
considérable de la privatisation de la mort, qui ne concerne plus le traitement des mourants, ni
même l’exclusion dont ils sont l’objet, mais la fonction même de cette exclusion8.. La « mort interdite
» qui, selon Ph. Ariès, succède actuellement à la « mort de toi » romantique, apparaît en fait
comme une sorte d’achèvement pervers de ce mouvement d’individualisation, de privatisation de la
mort : la mise de la mort en l’autre. L’héroïsme prend ici tout son sens, et il est très lourd.
Mettre la mort, toute la mort, pourrait-on dire, en l’autre, dans le mourant, pour qu’il l’emporte
avec lui, nous en délivre. Comme si l’on voulait, par ce transfert, cette délégation, enfermer la mort
elle-même dans « le mourant », en expulser le poids et le sens collectif, en lui, le déjà exclu de la
communauté des vivants par le terme qui l’en sépare. Il faut entendre ce mot de « mourant » avec
toute la force du participe présent substantivé, comme on peut parler de « l’officiant », du «
fabricant », du « militant », comme s’il était le seul à mourir, ou mourait « pour nous », comme si
nous le chargions de nous délivrer de la finitude et de notre douleur d’exister, de porter, seul, toute
l’affaire de la mort. La mort exclue dans et par le mourant, par l’exclusion du mourant. Le traitement
d’exception dont il « bénéficie » venant, illusoirement, faire oublier la règle, notre commune
mortalité.
Le « mourant » ferait à notre place tout le « travail de la mort ». En parlant, en obéissant à
cette contrainte de parler de sa mort et de parler sa mort, en accomplissant la tâche psychique de
l’accepter, il solderait les comptes et nous laisserait quittes, nous dispensant notamment de tout ce
que nous devons au mort, pour qu’il soit mort. Il légitimerait l’illusion que l’évidence biologique suffit,
pour ceux qui lui survivent, à faire du mort « un mort ».
Le statut du mourant est un statut victimaire (René Girard) qui délègue aux mourants
émissaires nos difficultés avec la mort. Nous sommes là en présence de ce qu’il faut bien appeler
7
Philippe Ariès a décrit un mouvement d’individualisation de la mort, de la mort comme « événement collectif » à la « mort de soi » et à la
« mort de toi ». Il se prolonge aujourd’hui, et peut s’analyser selon trois dimensions. Mouvement de reflux vers l’amont, ce qui se passait
après la mort se passe avant ; conversion de ce qui était de l’ordre de la fiction en scène qui se joue sur le plan de la réalité, hospitalière
et médicale, car l’amont, c’est l’ici-bas ; enfin, projection en l’autre « mourant » de la mort, radicalisation de la « mort de toi ».
8
Qu’attend-on du mourant quand on lui demande d’accepter sa mort, ou en réalité cette fonction que nous lui assignons ? L ’» invention
du mourant » correspond à l’aboutissement du mouvement historique décrit par Ariès. Elle est « réalisation » ultime, « incarnation » de
ce qui est de l’ordre de l’invisible, du « pourquoi ? » et qui ne peut qu’être mis en représentations, par le mythe et dans les rites, de ce qui
donne sens.
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un sacrifice – les sacrifiés permettant aux autres de vivre en évitant de sacrifier de leur toutepuissance, leur illusion de toute puissance
J’espère vous avoir fait sentir comment les trois objectifs des Soins Palliatifs que je rappelais
au début sont compromis, hypothéqués, subvertis parfois et dans un même mouvement où se
relaient et se soutiennent médicalisation, privatisation et exclusion tant de la mort que du mourant,
au travers des remarques que je vous ai proposées. Invitation, encore une fois, à revisiter le modèle
gériatrique (porteur d’une « autre médecine »), et les raisons pour lesquelles il s’est effacé, ainsi
que le modèle Sida (avec sa dimension sociale), des Soins Palliatifs. Ces modèles, pourrait-on dire
ne nous proposent pas la même mort que cette mort « réparatrice », méritée par un cancer
incurable, dont je parlais plus haut, et qui est surtout réparatrice de l’échec d’une médecine qui se
veut toute-puissante.
Mais je voudrais terminer, pour rebondir sur des points abordés dans cette journée, avec
deux exemples qui illustrent très concrètement le premier la contamination des Soins Palliatifs par
une logique médicale et scientifique, le second comment ce qui pourrait aller du côté du collectif,
d’une ouverture vers la société, peut se retourner en privatisation.
Vérité et information
Les soins palliatifs font référence, nostalgique, au modèle ancien de l’annonce au malade
par le prêtre le plus souvent – nuntius mortis – de sa fin prochaine. Mais ce qui était annoncé au
chrétien n’était pas une information pronostique, ou pas seulement. L’annonce prenait place dans
toute une construction de représentations concernant l’immortalité de l’âme, le jugement, la vie
dans l’au-delà, les différents lieux où vont et où sont les morts que l’on va rejoindre, les prières et
intercessions des vivants…, s’insérait dans un ensemble de fictions, au sens positif du mot, qui
mettait en représentations, en gestes rituels, en cérémonies, l’indicible de la mort, qui offraient à
chacun un canevas, une structure permettant de donner sens à « la mort de soi », comme à « la
mort de toi » dans une construction collective. Nous n’en sommes plus là. L’annonce aujourd’hui
n’est plus que celle d’une information médicale, scientifique qui comme telle devrait être accueillie
avec « la froideur et l’objectivité » qui conviennent mais qui, là encore, risque de ne convier le
mourant qu’à un face-à-face à nu avec l’indicible.
La « griffe » scientifique, médicale, domine. La dignité par exemple n’est plus un principe
mais un « état », constatable par une sorte de « diagnostic », sur un modèle médical. Un autre
exemple, tiré d’un mémoire présenté lors d’un diplôme universitaire de soins palliatifs. Il s’agit d’une
personne âgée qui avait un très bon contact avec son médecin mais refusait obstinément de parler
de tout ce qui concernait son état. Celui-ci s’aggravait, provoquant et pour le praticien et pour
l’équipe un sentiment d’être dans une situation fausse, dommageable pour la patiente, et surtout,
d’avoir échoué à mieux l’aider. La suite du travail concluait pour « ce type de cas » à la nécessité,
étayée sur des travaux de psychologues travaillant en soins palliatifs, de respecter ce déni. Mais ce
qui frappait, dans les observations du médecin relatant soigneusement ses entretiens avec la
malade, c’est que cette femme ne se bornait nullement à un refus de parler de son état, ni même de
sa mort. Elle enchaînait toujours sur sa petite-fille, infirmière de hôpital, qui « travaillait au même
étage, là, juste à côté », qui « était toute jeune, se plaisait bien dans ce service », où « elle
travaillerait longtemps », et « le médecin la rencontrerait souvent, ferait sa connaissance,
contribuerait à sa formation… ». Déni ? Elle parlait bel et bien de sa mort au contraire, de la vie
après sa mort, de sa petite-fille qui resterait là « après », qui rappellerait son souvenir au médecin…
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mais elle en parlait sur un mode imagé, métaphorique, en élaborant une fiction, partageable avec
l’autre en face d’elle, le médecin. Fiction qui lui donnait une place d’ancêtre, de quelqu’un dont on
se rappelle. Déni ? Peut-être, mais surtout, refus de parler de sa mort de façon médicale, sur le
mode de l’information technique, sur un mode qui ne lui apportait aucune offre de sens ! L’aider
véritablement, n’était-ce pas avant tout l’accompagner dans cette création, dans cette symbolisation
de sa mort prochaine9?
Bénévolat et réseaux instrumentalisés ?
Je suis souvent frappé de voir chez les bénévoles un modèle « crypto-médical ». Que
signifie par exemple de la part de bénévoles travaillant en soins palliatifs, la volonté de s’assurer
que le malade qu’on leur demande de voir « est bien un mourant » !, Et de demander parfois le
dossier médical, ce qui est plus que contestable, pour « vérifier le pronostic létal » ! D’une façon
plus générale, les bénévoles que j’entends dans les colloques parler de leur action, me paraissent
être dans une sorte de mimétisme médical. Leur formation, qui est une bonne chose, présente d’un
autre côté l’inconvénient de leur donner un statut « pseudo professionnel ».
Il arrive également que les bénévoles se présentent devant les soignants avec une
« compétence palliative ». Certes les bénévoles doivent se faire accepter par les équipes médicales
et soignantes, et dans notre pays ce n’est pas une chose simple, mais trop souvent leurs
interventions me semblent un peu trop « prescrites » par le pouvoir médical ou soignant, et leur
attitude très « soumise », ou allant au-devant de ce même pouvoir. Les bénévoles représentent la
société, ils peuvent jouer un rôle essentiel, en contribuant à desserrer l’excessive, voire exclusive
médicalisation de la mort, indissociable de ce statut d’exclusion du mourant que je souligne. Ne
doivent-ils pas être plus offensifs dans ce sens, davantage citoyens encore, ne pas se limiter à une
action qui peut renforcer encore cette privatisation de la mort ?
Quant aux réseaux, une simple question. Ils représentent, eux aussi, potentiellement un lien
entre la société et l’hôpital. Mais trop souvent, faute d’un véritable maillage, dont ils devraient être
un élément, articulé aux autres possibilités, ne sont-ils pas réduits, souvent, à être l’instrument de
l’hôpital qui se débarrasse sur eux, au prix d’un travail, aux limites parfois de l’impossible, pour les
membres du réseau, de malades en fin de vie ? L’idéalisation du retour à domicile est parfois un
piège. Renvoi, paradoxal, au privé, ruse de la « privatisation », là encore ?
Miroir d’un malaise contemporain ?
Je ne pense pas que les soins palliatifs doivent se réduire à n’être qu’une des trois variantes
de mort héroïque, et médicale, que notre ultramodernité, ou notre surhumanité proposent au sujet
d’aujourd’hui : se battre jusqu’au bout, offrir sa vie, ou plutôt sa « mort douce », euthanasié sur
l’autel de la toute puissance contemporaine, ou bien être un modèle en « acceptant » et en parlant
sa mort. Ils doivent s’ouvrir sur la société, et ne pas confisquer la mort sur une scène hospitalière,
médicale et psychologique, privée, ils ne sauraient devenir « notre nouveau rituel de mort » expression employée par B. Kouchner – pas plus que l’euthanasie. Ni prétendre remplacer
l’exigence de représentation, de fiction, de mise en sens, en scène, de la mort, l’exigence de rituel,
par un agir médical et relationnel d’exception, qui tourne le dos à une véritable symbolisation. Ni
9
Autre aspect des affinités de la psychologisation et du modèle scientifique, la rivalité entre psychologie et médecine, qui se traduit par
une toute-puissance interprétative, une surinterprétation, où l’on confond interpréter et symboliser avec expliquer, en ce qui concerne les
causes et de la maladie et de la mort.
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être le miroir inversé, et quelque peu fascinant, de cette fatigue d’être soi, de cette culture du
malheur intime dont parle Alain Ehrenberg. Projection en l’autre, dans le mourant d’un malaise et
d’une douleur d’exister contemporains, d’un insupportable de nos vies, dans nos sociétés qui se
« reconnaissent, par millions, dans le naufrage du Titanic ».
* * *
Virginie CHARBONNEAU : Merci beaucoup, M. HIGGINS pour ce point de vue qui, je suppose,
suscitera des réactions de votre part dans la salle, mais avant de passer la parole à la salle, je
vous propose de faire venir sur scène d'autres personnes pour faire déjà une première synthèse de
cette demi-journée et pour nous apporter leur point de vue sur ce qui a pu être entendu.
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TABLE RONDE
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Virginie CHARBONNEAU : J'appelle Jean-Pierre CLAVERANE, Professeur des Universités à
Lyon, spécialiste en organisation de la Santé et à ce titre vous dirigez, notamment, une équipe de
chercheurs du C.N.R.S., Danielle LEBOUL, Psychologue et responsable du Diplôme de Soins
Palliatifs à la Faculté de Médecine de Brest et Aude LE DIVENAH, représentante de la Direction de
l'Hospitalisation et de l'Organisation des Soins à Paris.
Je vous propose ensemble, les uns après les autres, de nous livrer un petit peu les
réactions que suscitent ce que vous avez pu entendre ce matin de la part des uns et des autres sur
l'organisation des services de soins palliatifs, de la coordination régionale dans les Pays de la Loire.
Qui souhaite commencer à s'exprimer ?
J.P. CLAVERANE : Je voudrais tout d'abord apporter une précision : je ne suis pas spécialiste en
organisation de la santé sinon j'aurais un autre titre. Je m'occupe plus prosaïquement d'organisation
dans les structures de soins et, croyez-moi, cela suffit largement à ma peine.
Effectivement, je dirige un laboratoire du C.N.R.S. Il y a 15 ans quand je l'ai créé,
cela faisait rire tout le monde. On disait : "mais enfin qu'est-ce que tu vas f… dans les soins, cela ne
s'organise pas". Et aujourd'hui, c'est l'un des plus grands laboratoires, mais ce n'est pas tellement
cela dont je suis le plus fier. Ce dont je suis le plus fier, c'est l'institut de formation où nous
accueillons tous les ans à peu près 150 soignants, médecins, pharmaciens qui viennent pour un
diplôme mais qui font autant de la formation qu'ils sont formés.
Tout nous sépare, entre ce qu'a dit M. HIGGINS et moi-même, c'est-à-dire l'objet
même de nos préoccupations et dont je n'ai aucune prétention à vouloir apporter une critique
quelconque, mais lui dire que ce qui m'a un peu surpris, mais surpris c'est tout, c'est un rapport
d'étonnement, j'en aurai un autre ensuite.
Sur le statut du mourant,
Quand j'étais gamin, j'étais au Pays Basque, au fin fond du Pays Basque, il y avait le
sacrement des mourants, j'étais enfant de chœur et il devait déjà y avoir une pénurie de vocations
car j'étais souvent dédié à cette tâche. Donc nous partions avec le prêtre, moi avec la clochette
devant, pour aller rencontrer des gens qui étaient des mourants, pour leur porter le sacrement. Et je
me souviens bien de certaines personnes qui disaient : "mais attendez, pourquoi vous venez, je ne
suis pas du tout en train de mourir". Alors après, bien entendu, on sortait de la pièce.
Ce qu'a provoqué votre questionnement, c'est de me dire effectivement : j'avais en
parallèle ces deux images, cette image de mon enfance et d'une mort que j'ai vue dans des familles
très, très élargies et cette mort que je vois aussi parce qu'il m'arrive de fréquenter ces
établissements et de me dire : est-ce que le mourant en tant que personne a un statut différent
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aujourd'hui ou hier ? Mais ce n'est qu'une question, une interrogation, je ne me permettrais pas de
rentrer dans les débats.
Ce rapport d'étonnement, moi ce qui m'a surpris aujourd'hui, c'est cette dynamique
qui a été créée dans cette région. Une dynamique et si cette expression n'était pas galvaudée, je
dirais une force tranquille, parce qu'il faut être quand même assez, je dirai, assuré d'avoir fait un
certain nombre de choses pour venir comme cela débattre en toute tranquillité pour dire : voilà ce
que l'on a fait, voilà dans quel état on a trouvé la situation en 1997-1998. Voilà ce qui n'est pas
bien. D'ailleurs on va faire venir des gens qui l'on vécu. On n'a pas une prétention d'exhaustivité,
mais des gens qui ont vécu en bien, des gens qui ont vécu en moins bien. Je trouve là une distance
qui est peu fréquente dans ce type de grand-messe auquel j'assiste où c'est souvent des situations
un peu "zorro" où un Directeur d'Agence a trouvé une situation catastrophique et quelque temps
après, c'était merveilleux ! C'est mon premier étonnement.
Le deuxième, c'est cette notion de projet dans lequel vous êtes, c'est-à-dire cette
ligne asymptote, vous n'êtes pas arrivé au bout de vos peines. J'ai un peu le sentiment que, en
écoutant en particulier Mme THOBIE, j'ai un peu le sentiment que, dans sa tête, elle a déjà d'autres
projets pour faire un peu mieux ou pour changer. Ce que je lis entre, c'est une recherche du sens.
Ce n'est pas : voilà ce qu'il faut faire, c'est plutôt une recherche du sens et ce que j'ai apprécié
particulièrement et là j'ai examiné la vingtaine de SROS, ce que j'ai aimé dans votre SROS, c'est
cette recherche implicite du juste soin. St Thomas d'Aquin parlait du juste prix et du juste soin et
vous en avez un peu la formulation, alors que je l'ai noté : "que toute personne dont l'état requiert
puisse bénéficier des soins", c'est-à-dire un soin qui est fait par un juste acteur, selon de justes
procédures, selon de justes protocoles en un juste lieu.
La troisième idée également, c'est cette idée de vouloir non pas imposer une
solution, mais je dirais un grand mot que je ne voulais pas employer : la faire "métaboliser", c'est-àdire que chacun se fabrique.
Une petite insatisfaction, alors je pourrais en parler sur l'évaluation, mais j'ai déjà été
trop long, une petite insatisfaction ou une petite contradiction, quelque chose entre les deux, c'est
d'une part cette volonté, ce sens que vous donnez aux soins palliatifs et en même temps cette
recherche d'identification autour de 100 lits. J'ai un peu le sentiment qu'avec la méthode que vous
avez mise en place, c'est plus de 100 lits qui font du soin palliatif et je me demande si dans votre
idée, ce n'est pas que tous les lits soient aussi des lits en soins palliatifs. Voilà j'ai terminé. J'ai été
long, je vous prie de m'excuser.
Aude LE DIVENAH : Effectivement, je viens ici avec une étiquette, la Direction de l'Hospitalisation
et de l'Organisation des Soins au niveau du Ministère de la Santé.
A l'écoute de ce que j'ai entendu ce matin s'il est vrai que je m'interroge sur ma place
aujourd'hui, ce matin avec vous, j'ai envie de vous dire tout d'abord que je suis avant tout médecin
gériatre clinicienne, que j'ai une petite expérience de soins palliatifs au chevet des patients et qu'il
m'a paru important en tant que gériatre de m'engager dans une mission concernant le
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développement des soins palliatifs, je le reconnais humblement, étant en contact également avec
Renée SEBAG LA NOE et étant consciente des difficultés actuelles et notamment en gériatrie.
Alors là c'est une petite parenthèse gériatrique qui a toute son importance si l'on s'en
réfère aux données démographiques actuelles en sachant que les mourants à l'avenir auront une
proportion très importante de plus de 60 ans et même de plus de 80 ans et je fais tout de suite
allusion au plan Cancer en sachant qu'au jour d'aujourd'hui, là je prends ma casquette DHOS, la
façon d'appuyer le dossier soins palliatifs au niveau du Ministère est de l'engager dans le cadre du
plan Cancer. Maintenant, je vais parler "sous", je suis désolée, sachant que les moyens que l'on va
pouvoir dégager seront essentiellement dans le cadre du plan Cancer et qu'il y a une grande
nécessité à essayer de prouver au niveau de l'Etat qu'il y a un engagement au niveau de la
gériatrie.
Je voulais également donner quelques éléments de réflexion sur ce que j'ai entendu
ce matin et j'insiste beaucoup sur le fait que j'ai pu constater l'engagement de la Région au niveau
des soins palliatifs et le caractère pionnier puisque déjà en 1998, avant le premier programme,
avant l'apparition de la Loi., votre région, vous, étiez déjà très monopolisés, très engagés sur la
prise en charge des soins palliatifs au chevet des patients. Je m'interrogeais un petit peu au niveau
de l'organisation, je suis un peu désolée de venir sur ce sujet, au niveau des unités de soins
palliatifs, je crois qu'il en existe 2, j'avais compris que les unités de soins palliatifs avaient une triple
mission de soins, de formation, de recherche. Et il est vrai que je m'interrogeais un petit peu sur ces
unités, à savoir si, au niveau de la région, ces unités avaient bien ces fonctions.
Par ailleurs, j'ai pu constater un engagement fort au niveau du développement des
lits identifiés. Et c'est vrai que nous, au niveau national, on essaie vraiment de réfléchir à cette
organisation et éventuellement on serait intéressé d'avoir vos échos, vos expériences, pour essayer
de trouver un document commun pour l'ensemble des régions qui souhaiteraient développer cette
structure.
Enfin concernant les réseaux, j'ai pu constater que vous aviez déjà une culture du
réseau, sans vouloir trop formaliser, sans trop vouloir organiser. J'ai bien entendu que d'abord et
avant tout, ce sont des équipes qui sont au chevet des patients, qui les accompagnent, qui les
prennent en charge, qui ne voulaient pas trop d'organisation, pas trop de coordination, çà je suis
bien d'accord. Seulement, je pense qu'il y a, si l'on veut développer les soins palliatifs à domicile, je
pense que c'est un type d'organisation malgré tout qu'il peut être utile de mettre en œuvre.
Et puis en 30 secondes, je finirai avec les équipes mobiles pour souligner vraiment
tout l'engagement encore une fois au niveau de votre région par rapport à cette offre de soins que
vous connaissez particulièrement qui joue un rôle essentiel de consultant auprès des équipes
référentes au sein des différents services. J'entendais que, pour vous aussi, l'équipe mobile avait
un rôle de formation, soutien bien sûr, mais formation également, et je me dis, à vous entendre :
"Mon Dieu, ces équipes mobiles doivent être surchargées !" Une équipe mobile qui a le temps aussi
de former peut-être sur le terrain, dans l'accompagnement, une forme de pratique, mais leur donner
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en plus la mission de former tous les soignants ! Voilà je reste sur une interrogation : est-ce que ce
n'est pas le rôle de l'unité de soins palliatifs ? Merci.
Danielle LEBOUL : Je suis enseignante à la Faculté de Médecine de Brest et j'ai beaucoup
travaillé à la formation. Je voudrais réagir sur trois points, poser des questions rapidement, car je
crois qu'on est en retard, vous avez eu la gentillesse de nous le dire, donc cela va être assez court.
Il y a une notion sur laquelle il y a une insistance qui est la notion de diffusion des
soins palliatifs, c'est revenu plusieurs fois dans les exposés ce matin. Alors, cette question de la
diffusion des soins palliatifs, pour moi, pose directement deux problèmes. Le premier problème qui
a été un petit peu soulevé par Mme LE DIVENAH, c'est l'articulation entre les unité de soins
palliatifs et les équipes mobiles par exemple, sachant que les soignants des équipes mobiles, les
intervenants des équipes mobiles ont nécessairement eux aussi besoin de lieux de formation – je
parle en dehors même des formations théoriques ou théorico-pratiques tels que les diplômes interuniversitaires (D.I.U.) ou D.U.S.P. D'où leur vient leur formation clinique ? D'où leur vient leur
compétence clinique qu'ils doivent défendre très fortement vis-à-vis des autres services et vis-à-vis
de leurs interlocuteurs ?
En filigrane de cela, je pense qu'il y a quand même aussi une façon de présenter les
équipes mobiles (E.M.S.P.) en terme de soignants, d'intervenants qui ne se substitueraient pas aux
autres soignants ou autres intervenants qui me paraît relativement une position assez défensive et
assez faible. Pourquoi les EMSP ne se présenteraient pas comme étant porteurs d'un certain
nombre de spécificités et compétences et les revendiquant pour qu'effectivement il y ait un débat
qui s'instaure ? Je crois que c'étaient ces questions-là de dire au fond on vous fait une offre, on a
un certain type de compétences et en référence à un certain type de formation.
Cà c'est un débat qu'il est bien de mener probablement, qui aussi évidemment induit
des questions organisationnelles parce que, est-ce que l'on ne peut pas imaginer qu'il puisse y
avoir une rotation entre les unités et les équipes mobiles du point de vue des lieux, c'est-à-dire
passer un an, six mois, je ne sais pas, dans une équipe mobile et repasser six mois dans une unité
de soins palliatifs par exemple. L'idée des lits, qu'on appelle dédiés je crois, que les équipes
mobiles auraient en charge, permettrait peut-être de faire les allers-retours entre une pratique, une
réflexion sur la pratique qui est absolument nécessaire pour transmettre et pour que les soins
palliatifs se diffusent, un lieu de recul donc, je dirais presque d'abstraction un moment donné,
nécessaire, que peut-être elles n'auront pas si elles sont constamment dans cette relation au terrain
sans avoir un point d'appui avec des équipes fixes.
Cà c'était la première chose. Toujours et en fait, c'est assez lié : diffusion des soins
palliatifs, formation, relation unité/équipe. Il y a la question qui n'a jamais été réellement traitée, estce que c'est une spécialité, est-ce que ce n'est pas une spécialité ?
Effectivement ce matin, on a entendu et réaffirmer –je souscris d'une certaine façon
à cela- les soins palliatifs ne sont pas une spécialité. Mais quand on dit cela, qu'est-ce qu'on met
sur le terme de spécialité ? C'est-à-dire est-ce que ce qu'on entend automatiquement et
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obligatoirement c'est : ce n'est pas une spécialité médicale certes ? Ce ne serait pas une spécialité
médicale, mais qu'est-ce qu'on fait ? Comment on intègre la dimension de spécificité de
compétence médicale et soignante dans les soins palliatifs ? Comment est-ce qu'on peut articuler
çà aussi dans cette approche du patient ou qui se voudrait moins hiérarchisée d'un point de vue
strictement médical vers des approches complémentaires sociales et psychologiques voire
spirituelles. Donc, là aussi, quand on dit ce n'est pas une spécialité, peut-être pas médicale, mais
est-ce qu'on n'aurait pas intérêt aussi à définir les contours de la spécificité soins palliatifs et ce qui
nous renvoie encore une fois aux lieux de formation.
Voilà ce que je voulais dire très vite.
* * *
Virginie CHARBONNEAU : Merci à tous. Je vous propose quelques minutes si vous souhaitez la
parole. Si vous avez des souhaits par rapport à des questions à approfondir, par rapport au point de
vue de M. HIGGINS, qui a été longuement développé, également par rapport aux questionnements
qui ont été posés par les différentes personnes présentes autour de la table ronde. Je vous rappelle
juste que M. CLAVERANE, Mme LE DIVENAH, M. HIGGINS, Mme LEBOUL seront également
avec nous en fin de journée pour clôturer en fait toutes nos discussions et pour apporter leur point
de vue sur ce qui aura pu être complété cet après-midi avec vos expériences.
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ECHANGES
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Christiane DEBRAULT – Jalmalv 53 : Je réagis un peu à ce qu'à dit M. HIGGINS à propos des
bénévoles, parce que d'une part les bénévoles Jalmalv n'interviennent pas forcément auprès de
personnes en fin de vie, mais auprès de personnes en souffrance. Je crois qu'on ne se renseigne
pas avant si le malade va mourir ou non. En fait, à partir du moment où quelqu'un est en souffrance,
on intervient.
D'autre part, vous avez parlé de conflit, "il faut que les bénévoles sachent entrer en
conflit !" Si on entre en conflit avec les Hospitaliers, on va se fermer les portes. Je crois, en fait, que
cela me semble difficile pour des bénévoles d'entrer en conflit avec les services hospitaliers où
nous allons.
Salle : Je voudrais poser la question à tous les intervenants, mais particulièrement à M. HIGGINS
et Mme LEBOUL sur les rapports entre exclusion tel que l'a abordé M. HIGGINS et spécialisation tel
que Mme LEBOUL l'a abordé. Cela me paraît être une question à la fois épistémologique et
anthropologique fondamentale autour de laquelle tourne la question des soins palliatifs. L'idée qui
sous-tend ma question c'est que peut-être l'exclusion serait surtout autour de la question de la mort
l'avatar le plus obscène de la spécialisation, laquelle sévit en médecine de manière de plus en plus
prégnante par-delà tous les discours sur une approche globale qui serait comme le déni à usage
public de cette question de la spécialisation.
Je relie çà la question des repérages dont on a entendu tout à l'heure, la question du
repère est éminemment un terme analytique et l'administration souhaite repérer qui fait quoi. Je
pense que, parmi les gens qui sont ici mais aussi les gens qui ne sont pas ici, dans les services il y
a beaucoup de "M. Jourdain" qui font de la prose de soins palliatifs sans être reconnus comme tels.
Donc, cette question de l'exclusion de la spécialisation et cette question à la fois anthropologique
au sens où l'a abordé M. HIGGINS et épistémologique au sens où l'aborde Mme LEBOUL me
paraît être une question fondamentale.
Danielle LEBOUL : Je crois que votre question est vraiment fondamentale, mais je ne vais pas
répondre sur le fond parce que je crois que c'est toute une discussion assez difficile en plus. Ce que
je voulais dire par là en disant spécialisation, spécialité ou pas spécialité, c'est peut-être essayons
de véritablement définir ce que sont les soins palliatifs dans les différentes dimensions qui sont
couramment partagées par ceux qui veulent les pratiquer, en particulier la dimension médicale, la
dimension sociale, psychologique, etc… C'est en ce sens-là, si on avait peut-être plus d'éléments
sur la spécificité finalement de cette pratique que l'on arriverait peut-être à se détacher de cette
sorte de position toujours de défense vis-à-vis d'une spécialisation.
Ce que je voulais dire aussi, c'était que je ne crois pas que les soins palliatifs
puissent se diffuser par mouvements spontanés comme çà. C'est-à-dire que, effectivement, les
personnes qui vont rentrer dans cette pratique, dans cette problématique de l'accompagnement et
des soins palliatifs ont besoin d'avoir des repères, de sérieux repères de réflexion et des temps
aussi de réflexion. Je pensais aussi par rapport à çà aux étudiants en médecine dans la formation
initiale, où vont-ils se former ? C'est très difficile parce que, d'un côté on dit : les Unités de Soins
Palliatifs qui seraient un peu le berceau de la spécialisation soins palliatifs, OK. Mais c'est aussi, je
dirais, le lieu, en travail, d'une certaine conception du soin au malade en fin de vie. Donc, comment
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se débrouiller avec quelque chose qui a un lieu, qui a une organisation, qui a au fond des repères
assez normés, codés et cette difficile question de remettre la question de l'accompagnement et de
la fin de la vie dans le débat social ?
Je crois qu'on ne peut pas faire l'économie de la réflexion sans nier qu'il y a une part,
sinon de spécialisation, au moins de spécificité. C'est cette articulation là qui me paraît difficile.
Robert HIGGINS : Je vous remercie, Monsieur, de votre intervention. Je répondrai un peu en biais
le plus rapidement possible. Je mettrai plus l'accent sur l'exception que sur l'exclusion en ce qui
concerne le mourant. Je répondrai peut-être du même coup à mon voisin (M. CLAVERANE) qui me
parlait tout à l'heure de choses qui existaient il y a longtemps.
Mon Grand-Père est mort au Pays Basque, dans le Commune d'Arbone. Lorsqu'il est
mort, tous les voisins sont venus : "vous ne vous occupez plus de rien, c'est nous". Cà, je crois que
c'est vraiment en train de disparaître, je ne dis pas çà du tout par nostalgie. Je veux dire : il y a
toujours eu des mourants qu'on anticipait un peu trop, comme celui que vous avez évoqué et à la
stupeur de l'enfant de chœur que vous étiez, mais je crois que ce n'est plus du tout çà. Il y a
aujourd'hui, si vous voulez, une mise en forme, une catégorisation qui fait du mourant quelqu'un qui
est dans un état d'exception. Et c'est là-dessus que je mettrais l'accent.
Deuxième remarque et j'ai fini. D'une façon assez générale, je retournerai à
l'étymologie latine de ce que c'est qu'un médecin : médicus, le médecin c'est le moyen terme, le
tiers entre le malade et sa maladie. On peut généraliser tout çà évidemment dans l'héritage d'une
fonction sacrée, quasi-religieuse. Mais aujourd'hui, je pense que les soins palliatifs eux aussi sont à
restaurer – on ne va pas revenir en arrière, Souchon a raison : on avance, on avance – mais
s'inspirer peut-être de certaines choses du passé pour retrouver, dans nos moyens d'aujourd'hui, à
nouveaux frais, avec les exigences d'aujourd'hui , certaines fonctions, notamment cette fonction
tierce.
Paradoxalement, j'irai jusqu'à dire que la psychologisation prédominante dans les
soins palliatifs n'a pas aidé, au contraire, le médecin à garder cette fonction, ou en sauver quelque
chose si tant est que c'était possible. Au contraire, ils ont confisqué en quelque sorte ce qui serait
l'autre de la médecine alors que –d'où mon intérêt pour le modèle gériatrique que je regrette où, au
contraire, le médecin peut être– voilà une discipline où le médecin gardait un peu plus cette fonction
tierce et ne sombrait pas dans un exclusivisme technique et porteur d'une autre dimension de la
médecine.
Je crois qu'on a à se réguler là-dessus aussi, on a à faire vivre ces autres modèles
que le modèle actuel du psy, enfin, du médical et du relationnel à côté et le social où il est, les
voisins dont je parlais tout à l'heure qui sont venus, en quelque sorte, plus accompagner la famille
enfin. Et bien c'est fini.
Virginie CHARBONNEAU : Merci à tous. Je suis désolée de devoir clôturer ce temps d'échanges
puisque l'heure tourne très vite. Nous nous retrouvons dans une heure pour entamer les
discussions de l'après-midi : Vers des réseaux de santé, méthodes et enjeux départementaux.
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