soins palliatifs, Marie de Hennezel, préfacé par François Mitterrand et dont le titre était la Mort
intime2, conjonction de l’intimité et de la plus haute autorité de l’État, qui signe bien une confusion
entre le privé et le public.
L’intervention normative de l’État fait de la mort une affaire publique dont il « s’occupe »
mais dans un dispositif qui souligne bien que, pour chacun des mourants, sa mort est bien sa mort,
son affaire personnelle, bien à lui, qu’elle relève de son « autonomie3 », de sa responsabilité. Il doit
« prendre en charge personnellement » sa mort, et la tâche des « psy » et des soignants
représente une « socialisation » bien particulière, car elle consiste à relayer l’injonction sociale
d’individualisation, et de privatisation, par une prothèse soignante et psychologique.
Car de quel intime s’agit-il ? L’argument souvent invoqué selon lequel traiter la mort comme
relevant du seul privé ne serait que la marque du respect de la singularité et de la subjectivité de
celui qui meurt est irrecevable. On ne saurait confondre ce reste, ce noyau réel et irréductible qu’est
la subjectivité, avec cette intimité prescrite, préfabriquée, que l’on assigne au mourant. Et les
« psys », mobilisés au chevet du mourant peuvent apparaître à un autre niveau, plus fondamental,
comme les préposés à la privatisation de la mort, comme des instruments essentiels dans
l’opération de conversion de la mort en un problème psychologique et une affaire privée.
On dit que la mort des patients renvoie chacun des soignants à sa propre mort. Mais la prise
en considération de la mort reste comme enfermée, confisquée dans le psychologique. Que la mort
« signifie » pour chacun et pour tous, au-delà de l’angoisse, de la souffrance « imputée » au
mourant passe au second plan. Qu’elle soit pour toutes les sociétés humaines ce point central qui
« provoque à la culture » (P. Legendre et P. Baudry4), ce qui nous est « le plus en commun », selon
la juste expression de Jean-Luc Nancy, cela reste méconnu, ignoré.
La scène de la mort reste « duelle », un théâtre horizontal entre les soignants et le mourant
sans mise en perspective, sans « cadre ». L’exclusion est confirmée, redoublée par cet
enfermement. Le regard « valorisant » que les soins palliatifs veulent opposer au regard dégradant
posé par notre modernité sur les mourants est un regard qui a du mal à trouver sa distance, qui,
faute d’être référé à autre chose que lui-même, invite à se confondre avec son objet ; regard sur-
affectivé, fusionnel, vampirique et mortifère parfois, où domine un fantasme maternant5. Un
exemple : un des problèmes les plus récurrents dans les unités de soins palliatifs est celui « des
patients qui ne meurent pas ». Si l’on analyse ce dont il est véritablement question, on trouve que
cet intense investissement affectif du patient mourant par le soignant (et revendiqué comme tel par
tout un courant dans le personnel infirmier et soignant, à l’origine le plus souvent de la « vocation
palliative »), sans qu’aucune règle instituée, aucun principe explicite collectivement reconnu n’en
2 Marie de Hennezel, la Mort intime, Paris, Robert Laffont, 1995.
3 Jean-Pierre Le Goff a bien montré le paradoxe de l’autonomie, véritable injonction paradoxale car elle est non seulement prescrite,
imposée, mais elle transfère au sujet des responsabilités relevant d’instances qui ne les assument pas ou qui démissionnent, comme on
le voit dans certaines doctrines pédagogiques et éducatives. La Barbarie douce, Paris, La Découverte, 1999. Il s’agit là d’une tentative,
vouée selon nous à l’échec, de rendre la mort contractuelle.
4 Pierre Legendre écrit à propos du système rituel : « Toute société élabore un point central d’attache, qui commande à l’équilibre, à
l’optimum de manifestation de sa propre production de figures. Ce point central, autour duquel gravitent les représentations abritant le
vide qui soutient l’ultime pourquoi ? de l’homme, est la métaphorisation de la mort », La 901e conclusion. Étude sur le théâtre de la
Raison, Paris, Fayard, 1998, p. 176. Voir aussi Patrick Baudry, la Place des morts, Paris, Armand Colin, 1999. Lire également « Conflit,
image du corps et rapport à la mort », Souffrances et violences à l’adolescence. Rapport à Claude Bartolone, ministre délégué à la Ville,
Paris, ESF, 2000.
5 Avec toutes les dérives que cela peut impliquer : épuisement et passages à l’acte, manque de distance, tentations « fusionnelles ».
Notons ici la leçon qui se dégage de la confrontation entre infirmières laïques et religieuses exerçant cette profession. Bien que, pour
celles-ci, chaque malade puisse représenter le corps du Christ et malgré leur invocation de l’amour, elles ne témoignent pas dans leur
pratique de dérives fusionnelles. Leur travail est contenu, cadré par le montage et l’échafaudage de l’Amour Chrétien. Un équivalent laic
de ce cadre manque pour les soignants travaillant en palliatif. L’absence de dimension tierce dans leur relation au malade se retrouve
dans l’absence de cadre de leur travail, conçu et valorisé comme extra professionnel.
3ème Journée Régionale des Soins Palliatifs le 28 mars 2003 à Château-Gontier – AT – DRASS – ARH PDL
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