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quant à lui, se situe résolument dans la trace de ce premier Walter Scott, puisqu’il se situe
en Ecosse, plus tout à fait au Moyen Age, mais au XVI
e
siècle.
L’aspect politique n’en est pas absent, puisque les Highlanders combattent le roi James.
L’acte I se termine par l’arrivée des troupes ennemies qu’on verra à l’acte II, la mort de
Rodrigo, le chef des Highlanders. Tout s’arrange cependant avec cette facilité merveilleuse
du monde opératique, puisque Elena est reçue par le roi qu’elle avait d’abord rencontré
déguisé en Uberto et qui, malgré son amour, ne fait pas d’obstacle à son mariage avec
Malcolm. Le livret n’était qu’ « un peu », très peu politique.
La donna del lago est bien caractéristique de cette vague de romantisme qui affectionne
les paysages nordiques, et en particulier l’Ecosse, ses châteaux, ses paysages mystérieux,
ses orages ossianiques. Rossini, en 1819, devance cependant très nettement la vogue de
Walter Scott qui envahit l’opéra autour de 1830 (Lucia di Lammermoor de Donizetti est de
1835) et rompt ainsi avec l’opera seria antique (l’échec d’Ermione a probablement été
déterminant). Il y a longtemps que la stérilité des sujets empruntés au monde gréco-
romain avait été dénoncée. Mais en France, la révolution romantique n’était pas encore
accomplie au théâtre, même si – Jean Mongrédien l’a bien montré – les premières années
du XIX
e
siècle voient sur la scène française, à côté de l’abondance de sujets antiques,
apparaître aussi un renouvellement, avec, dès 1804, Ossian, ou les Bardes de Lesueur, qui
« vient d’être nommé maître de chapelle des Tuileries par Napoléon »
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. Par bien des
aspects, l’opéra est plus libre dans ses formes que la tragédie parlée, et peut s’affranchir
plus tôt du modèle gréco-romain, d’autant que, même si l’on s’efforçait de trouver dans
les chœurs des tragédies antiques des ancêtres de l’opéra, on n’avait pas d’œuvres
opératiques grecques comparables aux tragédies de Sophocle ou d’Euripide.
La vogue de Scott est liée au renouvellement du style descriptif. On n’évoquera pas ici
l’histoire bien connue du mot « romantique », depuis les rives du lac de Bienne chères à
Rousseau, sinon pour rappeler qu’avant 1819 en France, le romantisme n’est pas une
école, mais un genre, admiré par certains, honni par d’autres, et que ce genre est
essentiellement descriptif. Le Dictionnaire de l’Académie en 1798 définissait ainsi le mot
romantique : « se dit ordinairement des lieux, des paysages qui rappellent à l’imagination
les descriptions des poèmes et des romans ». D’où la question : comment décrire à
l’opéra ? Le décor prend en charge très largement ce que le roman doit décrire par des
mots ; cependant les mots ne sont pas abolis, puisque c’est le livret qui va suggérer les
éléments du décor. En quoi le livret de Tottola est-il porteur de ces éléments descriptifs ?
Rochers escarpés (acte I, scène 3) ; « vaste plaine », « hautes montagnes » (I, 9) ; grotte
(II, 3). Mais l’essentiel reste la musique qui, plus encore que le décor, crée cet « effet »
romantique dont parle Rossini. Comment la musique peut-elle décrire ? Question posée
de façon répétitive dans le dernières années du XVIII
e
siècle et pendant les débuts du
romantisme, posée dans des termes qui souvent nous semblent surannés, dans la mesure
où les théoriciens lient la question de la description en musique à celle de l’imitation qui
est de moins en moins adéquate dans ces années où l’on passe d’une esthétique de
l’imitation de la nature, à une esthétique de la subjectivité. Mais déjà Diderot, pionnier en
tout, l’avait dit : la musique ne doit pas peindre l’orage, mais les sentiments de l’homme
pris dans un orage. L’instrumentation semble alors un élément essentiel pour créer cet
état d’âme des personnages pris dans ces paysages écossais, et Rossini utilise fort
habilement les cors et les harpes, instruments dont les possibilités descriptives sont alors
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J. Mongrédien, La Musique en France des Lumières au Romantisme, Flammarion, 1986, p. 73.