ANTHROPOLOGIESOCMLE
Hélène
CLAUDOT-HAWAD
avec
la
collaboration
de
Laure-Marie
CEZZA
Parmi
les
pratiques
courantes
qui
s'
observent
chez l'homo anthropologie
us
-
et
en
dehor
s
de
tout
jugement
moral-
,
une
manie
fréquemment
décelable
existe
, qui
consiste
pour
un
auteur,
à
l'instant
même
il
prend
connaissance
d'
une
publication
extérieure,
à
en
lire
le
titre
et
à
se
précipiter
frénétiquement
s
ur
la
bibliographie
avant
même
de
s'être
intéressé
au
contenu.
Cette
attitude,
qui a
toute
s les
apparences
du
narci
ss
ime,
peut
être
instrumentalisée
comme
technique
de
savoir
permettant
de
révéler
les
mutation
s
id
éo
lo
giques
de
la discipline.
Les
références
contribuent
en
effet à
la
construction
d'
une
certaine
légitimité
intellectuelle
des
auteurs
et
l'on
constate
dans
ce
domaine
que
le
panthéon
intellectuel
s'
est
beaucoup
modifié
au
cours
des
cinq
dernières
années
.
Dans
les
revues
d
'e
thnologie
,
en
1995, les
bibliographies
produite
s
dans
l
es
différents
art
icles
donnent
entre
autres
une
place
récurrente
à
certains
noms liés à
une
réflexion s
ur
l
es
catégories
de
l
'a
nthropologie
sociale (te
ls
que
Barth,
Hobsbaw
et
Ranger
, Le
nclud
, etc.).
La
remise
en
cause
des
anciens
paradigmes
a
donné
li
eu
à des réflexions épis
témologique
s
intéressantes
et
fertiles,
renouvelant
les
interrogation
s
théoriques
de l'
anthropo
logie
sociale et te
ntant
de
redéfinir
la
forme,
le
sens,
la
construction
de
son objet. Des r
evues
se
sont
créées
s
ur
ces
int
e
rrogations
st
imulante
s (
par
exe
mple
Enqu
ête ). M
ais
ce cou
rant
,
suscitant
un
effet de mode, a
également
contribué
à in
sta
ller
de
nouvelle
s idoles
dont
le
c
ulte
se
révèle à
travers
de
nombreu
ses
publications
aux
titres
et
aux
thématique
s
parfaitem
e
nt
consensuels
et
monotones,
avec
pour
mantra
«
l'invention
d
e"
ap
pliqué
à
tout
ph
éno
mèn
e
observab
le. Il
en
s
ulte
un
e so
rte
de
pr
êt-à-pense
r
que
certains
aute
ur
s
utilisent
à
la
façon d'
un
emporte-pièce
pour
emboutir
des r
éalités
complexes
qui
heureu
seme
nt
se
rebellent.
Pour
un
«c
hercheur-embouti
sse
ur
",
il va de soi
que
le
genre
de
publication
à
éviter
est
la
compilation d'
articles
produit
s
dans
le long
terme
et
donc
pris
entre
diff
ére
nt
s
moule
s à
penser,
appliqués
de
manière
si rigide
que
de l'exotis
me
finit
par
s'
instaurer
entre
de
s
réalités
i
ssues
de la m
ême
m
at
rice.
En
dehors
de
ces
travaux
dirigés
que
l'on
retrouve
dan
s des
domain
es div
ers,
les
publication
s de 1995
en
anthropo
logie sociale
confirment
l'inflexion
déjà
remarquée
des
ét
udes
centrées
sur
le
«
religieux
" -
et
plus
largemen
t
su
r le
sacré
- s'
intéressant
à
ses
modèles
théoriques,
à
ses
applications
et
à
ses
formes
diverses
au
cours
de
l'histoire
et
dans
des
contextes
variés.
Cette
s
phère
est
mise
en
relation
avec
diver
s
champs
co
mm
e
ceux
du
politique (
Colonna
),
des
relations
soc
iales
de
genre
(Aziz,
Badran
), des rites,
des
formes
et
des
défini
tions
que
prend
la religiosité
et
la
«sai
nteté
" (Albert-Llorca,
Aouatth,
Babes
,
Cham
bert-Loir
et
Guillot
Saidi
...
).
L'
intérêt
pour
les
études
monographique
s
est
toujours
pr
ése
nt
. Il
va
de
pair
avec
la
mu
l
tiplication
des
édi
tions
concernant
des
textes
anciens
produits
au
début
du
siècle
par
d
es
voyageurs
, d
es
mis
s
ionnaire
s ou d
es
milit
aires,
souvent
é
rudit
s,
hériti
ers
de
l
cole
orientaliste
qui
a formé des
observateurs
aux
compétences
ethnographique
s
et
lingui
s
tiques
d
éve
loppées,
soucieux
de c
rire
avec
minutie
les
aspects
tangible
s
des
sociétés
approchées,
comme
la
vie
mat
érie
lle, l
es
institutions
politique
s, le droit... -
notant
en
lan
gue
vernaculaire
le
vocabulaire
associé à ces doma
ine
s - ou
encore
les
traditions
orales
recueillies
généralement
en
version
originale.
Ces
travaux
sont
bien
ente
ndu
à
replacer
dans
le
contexte
intell
ectue
l
et
les
qu
est
ionnement
s
théoriques
de
l'époque,
fortement
marqu
és
par
les p
aradigmes
triomphants
de
l'évolutionni
s
me
et
du
diffus
ionni
sme.
Dans
le
domaine
berbère,
la
publication
de
plu
s
ieur
s de ces
textes
(Frobe
nius,
Genevois
,
Podeur
... )
vient
e
nrichir
l'
étude
comparative
de
champs
en
pleine
Annua
ir
e de l'Afrique du Nord, tome
XXX
IV
, 1995, CNRS Éditions
1008
BIBLIOGRAPHIE
mutation
depuis
Je
but
du siècle
et
parfois tombés
dans
J'oubli (
institutions
politiques,
organisation
sociale, mythologie, cosmogonie ...
).
Rappelons à ce propos
qu
e tous l
es
titre
s
en anthropologie sociale qui conce
rn
ent
le monde berbè
re
so
nt
mentionné
s c
i-apr
ès
dan
s
la
rubriq
ue bibliographique de
C.
Brenier-E
st
rine
consacrée à
l'aire
berbél'Ophone. Dans
ce domaine, seuls
figurent
ici les ouvrages qui
ont
fait l'objet d'
un
compt
e-
rendu
approfondi.
Les é
tud
es sur, ou
autou
r de, la
litt
é
ratur
e orale
continuent
à ê
tre
prolix
es
(Atelier
«
Pa
trimoine
et
c
ulture
populaire ",
Breteau
, Belhoucine-Drissi,
Kurper
shock, Reynolds,
Tai ne-Ch
ei
kh).
La production ethnologique s
ur
les
phénomènes
contemporains
,
urbain
s, «mode
rne
s
",
aut
re
foi
s abandonnés
aux
sociologu
es
, se p
oursuit
et
contribue
à
enrichir
l'analyse des
faits sociaux dans l
eur
dy
namisme
ainsi que la réflexion
sur
les m
éta
morphoses
identitaires
(Virolle à propos
du
raï
, Yacine
au
sujet
de l'itiné
raire
d'
une
femme kabyle
émigrée, qui exprime
sa
souffrance à
travers
une
po
ésie
trè
s personnelle .
..
).
Enfin,
au
cours des
dernières
années,
l'
étude
des
techniques
utilisées
en
par
ticulier d
an
s
le
cham
p de
l'
alime
ntation
, de la production des
denr
ées, de la fabrication des «
goûts
",
des
repré
sentation de la faim, a suscité,
dan
s
un
champ
relativement
peu fré
quen
, des
travaux
assez nombreux. A ce s
ujet
des compte-rendus approfondis des ouvrages de Aida
Kanafani
-
Zahar
:
Mûn
e.
La
conservation ali11lEntaire
trad
itionnelle au Liban Œd. de la
MSH,
Paris
, 1994
),
de Gerd
Spittler
: Les Touaregs
{a
ce
aux
sécheresses et a
ux
{amin
es.
Les Kel E
we
y
de
l'Aïr (Niger) (
Karthala
,
Paris
, 1993), de
Paul
Créac
'h : Se nourrir
au
Sah
el : l'alimentation au Tch
ad
1937-1939 (L'
Harmattan
,
Pari
s,
1993), et d'Olivier
D'
Hont
:
Vie
quotidienne d
es
'Ageda.t. T
ec
hniqu
es et occupation de l'espace sur le
Moyen-
Euphrat
e (Ins
titut
Français
de Damas, 1994)
se
ront
publiés
dan
s la
pr
oc
hain
e
rubrique
d'
ant
hropologie sociale de l'
Annuaire
(996
).
Hélène CLAUDOT-
HAWA
D
Analyses
VIROLLE
Marie
-
La
chanson
raï.
De
l'Algérie
profonde
à
la
scène
internationale,
Paris,
Karthala
,
1995,218
p.
«Ce
nt
mille
jeunes
à
un
conce
rt
de musique
raï
à Alger "
titrait
la
pr
esse. Le
jeudi
4 juillet
1996 à 20 h à l'occasion de la fê
te
de l'Indépendance à
Al
ger, Cheb Hindi
et
Zahouania
(Zahwa
ni
a
),
tous deux
gra
ndes ve
dettes
de la c
han
son
raï
, cha
ntai
e
nt
s
ur
l'es
pl
anade de
Riadh el Feth (le
Parc
de la Victoire) deva
nt
un
e foule
den
se
défiant
les
conservateurs
et
les
int
égr
istes qui
assassinent
désormais les
jeun
es
chanteur
s. Cheb Aziz
tué
le 20
septe
mbre
1996 à
Constant
ine
est
la
quatrième
victime des
terrori
stes
apr
ès Cheb Hazni
(tué à
Oran
le 29 septembre 1994), Rachid Ahmed
Baba
(tué p
ar
balles à
Oran
le 15
février 1995
),
et
Lila Amara (égore avec son
mari
en
août
1995 près d'
Al
ger).
M
ais
qu'est-ce donc
qu
e ce
genre
mu
sical appelé
raï
qui
fait
tellement
trembler
tous ceux
qui
vo
udrai
e
nt
me
ttr
e à genoux le peuple al
rien?
Après des
dizaine
s d'articl
es
dans
la
pre
ss
e algé
rienne
(dont celui de
Saïm
el
Hadj:
«
Petite
histoire du
ra
·" publiée
dans
El
Moud
ja
hid le 1er a
oût
1985) et la
pr
esse française (en
parti
culier
dans
le
journal
Libération),
qu
elques é
tudes
plus re
marquables
comme celle de Bezza Mazou
zi
: " La
musique al
rienn
e et la question du raï "
parue
dan
s
la
Revue
mu
sicale (
num
éros 418,
419, 420,
Pa
ris 1990),
il
é
tait
urgent
que le public
puis
se dis
po
ser d'un ou plus
ieur
s
ouvrages
pr
ése
ntant
une
s
ynthè
se
su
r
Je
raï
et
son
actualit
é.
Parmi
l
es
ethnologues nul
n'é
tait
mieux d
és
igné
qu
e
Mari
e Virolle,
auteur
de plus d'
un
e dizaine d'
article
s s
ur
le
raï
,
pour
m
ene
r à bien
un
par
e
il
pr
ojet.
A un
moi
s d'intervalle, et
sa
ns conce
rt
ation, deux livres
s'
offrent à nous
aujourd'hui:
celui
de
Marie
Vi
l'olle (sorti en décembre 1995) et celui de Bouziane Daoudi et el Hadj Miliani
(en
janvier
1996) «L'
aventure
du
raï
, musique
et
soci
été
" (édition du Seuil
).
Nous
considérons que ces d
eux
livres ne so
nt
pas concurre
nt
s mais éclair'ent d'
un
e façon
di
ff
é
rente
et
souve
nt
compme
nt
aire le phénomène évo
lutif
du raï.
ANTHROPOLOGIE SOCIALE
1009
« Le
cour
an
t
mu
sical
qu
'il est conve
nu
d'appeler Raï est
un
e nébuleuse. L
es
sous-
en
sem-
bl
es
qui la
co
mpo
se
nt
s
ont
i
ss
us d'
un
e pa
rt
, de la
diver
sification dia
chronique
du
ge
nr
e
s
ur
plu
s d'
un
demi-siècle, d'
autre
pa
rt
en coupe s
ynchr
oni
qu
e, de la
plurali
des
circons
tan
ces
et
a
ct
eu
rs
de la
performance
ch.antée. Mê
me
succinc
te
, même
approxim
a-
tive,
une
recons
titution
de l'hi
st
oire du Raï (Virolle
19
88), pe
rmet
de
cern
er l
es
é
vo
lution
s
de ce
tt
e cha ns
on
, depuis son
impr
éc
i
se
nai
ssa
nce vers les a
nn
ées
vin
gt
dans
l'
Ouest
al
rien
aux ma r
ge
s d
es
ge
nre
s ins
titu
és
, j
us
qu
sa
m
ass
ive diffusion
act
uelle pouss
an
t
d
es
point
es
intern
ational
es
» (M.
Vi
rolle-Souibes, REMMM 51, 19
89
-1, p. 47). Mais c'
est
s
ur
to
ut
dans l
es
anné
es
cinquant
e,
apr
ès
la deuxième g
uerr
e
mondial
e
qu
e c
ette
chan
son
po
pulair
e algérie
nne
s'
es
t épanouie
en
Orani
e telle
une
fl
e
ur
s
auv
age
dont
la
cr
oi
ssa
nce
et la vigue
ur
allaie
nt
bouleverser
rapid
e
ment
le p
ay
s
ag
e
mu
sical al
ri
en.
Ce ge
nr
e nouv
ea
u dans le
qu
el exce
ll
aie
nt
de
nombr
eu
ses
fe
mm
es
app
elées C
hikh
at
(fé
minin
de C
hikh
: l
es
m
tr
es
)
et
qu
i ravi
ss
ai
ent
souvent la ve
dette
aux ho
mm
es
po
urra
it,
se
lon
Mari
e Virolle, avoir
trouv
é sa «matrice
prin
ci
pale »
dan
s
un
e
pratiqu
e
mu
sicale et
un
ré
pert
o
ir
e fé
minin
s tels le ze
nd
ani «pe
tit
s r
ef
ra
in
s po
lyrithmique
s
que
l
es
cha
nt
euses et l
es
fe
mm
es
en néral, utilise
nt
co
mm
e s
out
ien à l'
impr
ovi
sa
tion et
éve
ntu
e
ll
ement, de
mu
si
que de danse » (p. 42).
Mais d'
vi
e
nt
le
mot
Raï c
rit
souve
nt
rây
) et
qu
e ve
ut
-
il
dir
e?
«Le
term
e e
rr
ay
v
ient
de
la
r
ac
ine a
rab
e R'y «vo
ir
»;
il
signifie «ma
ni
ère de vo
ir
»,
« opinion
»,
« avis
»,
« c
on
seil
»;
mais au
ss
i «
bu
t
»,
« dessein)
et
en
co
re «pen
sée
»,
«
ju
ge·
me
nt
», «volo
nt
é, «choix ». La notion renvoie donc à
la
libert
é de penser,
au
li
br
e
ar
bitr
e,
à
la possibili
plu
s ou moins effici en
te
d'ag
ir
s
ur
l
es
choses.
Err
ay
est const
it
utif
de
l'individua
li
té, de ce
qu
i peut échapper
au
co
ll
ec
tif
,
au
co
de
..
. » (p. 24).
Le c
ara
ctère
qui nous part le plus
important
du r
est
sa
ns aucun doute
sa
langue :
l'arabe al
gér
i
en
populair
e é
ma
illé pa
rf
ois de
term
es français, i
ta
liens ou esp
ag
nols,
d'e
xpr
essions dialectales s
av
o
ur
eu
ses
où le peuple
se
reco
nn
aît
avec d'au
ta
nt
plus de
bo
nh
e
ur
qu
'il rep
rés
ent
e
un
e
vi
g
our
euse percée de
rit
é pulvé
ri
san
t la chape de plomb
qui
ét
ouffe l'ide
nt
ité
alrie
nn
e " ... loin de l'ana
th
ème cul
pa
bili
sa
nt
d
es
dik
tats
scola
ir
es
et
o
ffi
ciels. Ce qui
es
t évide
nt
po
ur
le cha
nt
en langue
ta
mazig
ht
(Je
berbère, non reco
nnu
,
non enseigné)
est
au
ss
i
tr
ès
impor
ta
nt
po
ur
l
'a
rabe dialectal du R» (M. V
ir
olle,
REMMM 1993/4, p. 125
).
Et malgré
un
e
ca
mpa
gne
de
pr
esse algéri
enn
e voula
nt
ré
duir
e le raï à
un
ge
nr
e vulg
aire
,
as
servi, sans avenir,
sa
fo
rte
popula
ri
et
au
ss
i
sa
gr
an
de i
nd
épendance à l'égard de toute
idéologie, de
tout
mili
ta
ntisme politique, religieux ou autre, ont obligé les instit
uti
ons
n
at
ionales à lui accorder
un
e place o
ffi
cie
ll
e en 1985 au f
es
tival de la
je
un
esse po
ur
la fête
nationale, au f
est
ival
du
raï
d'
un
e
se
ma
in
e à
Oran
en
août
de la même a
nn
ée
et
à la
«quinza
in
e cultu
re
lle alrie
nn
e » organisée à P
ar
is en f
évrier
1
98
6. Cepend
ant,
cett
e
li
ber
té n'a pas e
mp
êché l
es
cha
nt
e
ur
s de
raï
de s
uivr
e l'
act
ua
lit
é en ex
prim
a
nt
l
es
th
èmes
de
le
u
rs
soucis, de leu
rs
souffrances, de leu
rs
prot
esta
tions,
qu
e ce soit à l'épo
qu
e
co
loniale
ou a
pr
ès l'
ind
épendance de l'Alri
e.
Marie Viro
ll
e se deva
it
de don
ner
aux
fe
mm
es
la
pl
ace
qu
'e
ll
es méri
te
nt dans ce do
ma
ine
et
qu
e la
plup
ar
t d
es
a
ut
eu
rs
ne le
ur
ont
pas toujo
ur
s acco
rd
ée.
Et
su
rt
o
ut
à la
plu
s
ancie
nn
e
et
la
plu
s célè
br
e d'e
ntre
ell
es:
C
hikha
Rimi
tt
i (née
Sa
dia dief le 8 mai 1923
à T
essa
la
pr
ès
de Sidi Bel Abbès). «
Dan
s la s
oci
été
ma
g
hr
ébine, la
vo
cation
mu
s
ic
ale,
qu
'elle so
it
ma
sculine ou fémi
nin
e, est souve
nt
cue comme
tr
an
sg
ressive, mais le
titr
e
de e.
nix
(echc
hikh
) «cha
nteur
», «m
tr
e » suscite
plut
ôt
co
nsidér
at
ion, y c
ompri
s de la
pa
rt
des profan
es
,
alor
s
que
son
pend
a
nt
minin
eHi
xa
es
t
co
nn
oté d'os
tr
acisme social
et
évo
qu
e
un
uni
vers
s
ulfur
eux, même
pour
qui g
oût
e
le
tale
nt
de celles qui le po
rt
e
nt
»
(p. 81
).
L'aute
ur
explique
av
ec s
ubtilit
é ce
tte
" symbolique androgyne " qu'e
xprim
ent ces
"femm
es
sa
ns homm
es
" ou c
es
«vieilles femmes " qui n'h
és
ite
nt
pas à ado
pt
er d
es
a
ttitud
es
d'
homm
es
. "Une
chikha
comme
un
homm
e,
fume
et
boit de l'al
coo
l, elle pe
ut
par
exemple, s
im
er dans
ses
doi
gts
comme
un
homme,
int
e
rp
e
ll
er n'
imp
o
rt
e quel ho
mm
e
...
"
(p. 91
),
ou
jouer
de la flûte «ins
trum
e
nt
masculin par excellence ". L
es
cha
nteur
s de r
cha
nt
e
nt
l'a
mour
phys
ique
, y co
mpri
s a
dult
ère,
pr
o
cl
ame
nt
le d
és
ir
d
es
fe
mm
es
po
ur
l
es
ho
mm
es, le
tout
indui
sa
nt
«
un
chan
ge
ment
dan
s la perce
pt
io
n d
es
rel
at
ions e
ntr
e les
sexes,
un
e
red
éfinition de la métaphore fé
minin
e " (p. 93). Ce
qui
n'empêche p
as
les
évocations religieuses «en
juxtapositi
on
abrupte
" sans
tr
ansition
du
sa
cr
é et
du
pr
ofane,
du
ma
sculin et du
minin
. «Fo
rm
ée
à
la
rigo
ur
euse école des Ch
io
ukh
, de la Qasida
1010 BIBLIOGRAPHIE
douine
,
du
Melhoun
,
pour
la
rythmique,
la diction, la prosodie,
la
métrique
,
Rimitti
fit
le
prem
ier
accroc
thématique
ma
jeur
à la bien
séa
nce d
es
textes
, il y a 37
ans
dit-elle, avec
un
e «
chanso
n
mani
feste»
:
$a
rrak
ge
ttd «déc
hire
, l
acère
»!
su
r
un
tem
po
trépidant,
elle
répéta
it
ce m
ot
d'ordre
destructe
ur
et g
uttural
- d
'aucuns
virent
une
allusion à la
virg
i
nité
1 - puis
détendait
son audito
ir
e
en
lui
ass
ur
ant:
w errimitti traqà
«et
la
Rimitti
ravaudera
(p. 99
).
Mais
depuis
la
per
cée des C
hikh
at
co
mm
e
Rimitti
, Djinya el
Kebira
,
Hab
Lahmeur
,
Habiba
Seghira,
Habiba
el Ke
bira
, etc., la v
ague
de
s «
jeunes
» : Ch
eb
et
Chebat
, a déferl
é;
épi
thètes
lancées
par
la
télévis
ion al
gér
ie
nn
e
et
qui
ont
f
ait
flor
ès
chez les
pr
oducteurs
de
raï
les
quels
é
dit
ent
des millions de
cassettes
(4 millions en 1983)
et
réali
se
nt
de copieux
néfices
en
profitant
de
l'
anarchie
du
marché, de l'
ignorance
et
de
la
bonne
foi
de
ces
jeunes
gens
émerveillés
par
le
ur
propr
e succès.
Sous
la
pr
ession
de
la
demand
e, l'enrichi
sseme
nt d
es
orche
st
res
qui
passent
de
l'
ani
mation
des
mariages
et
des fêtes familial
es
aux
récita
ls publics
en
Algérie
et
à
l
trange
r, les
modestes
accomp
agnements
à la flûte,
au
gellal
et
au
tambourin
, font
progressivement
place
à
la
g
uitar
e,
la
trompette,
la
derbouka
puis à l'accordéon avec
l
'e
mploi de
synthétiseurs
et
d'amp
lifi
cate
ur
s des
plu
s mod
ernes.
Les CD font
désormais
le
tour
du
monde, s
urtout
avec
la
percée in
ternationale
de
Khaled
reçu le
14
juillet
1991 à
Cent
ral
Park
(New York)
consacrant
ains
i le
raï
dan
s la «World
Mu
sic».
En
1993
un
festival
du
raï
eut
lieu à la
Mutualité
à P
aris
pe
nd
ant
le
Ramadhan
avec
Sahraoui
et
Fade
la,
Cheb
Nasro
. Cheb
Hasni
, Cheb
Hamid
, Ch
eb
Tahar.
Le
succès
internati
onal des
de
ux
tubes
de Khaled : Didi
et
N'ssi n
's
si, lui
va
le
nt
une
tou
rn
ée
mond
iale «
de
Bombay à
Dubay,
au
Ca
ire
à Los Angeles, à
Beyrouth,
en
Suisse
,
aux
Pays
Bas,
au
Japon»
(
p.
66).
L'assassinat
de
Cheb
Hasni
en
septe
mbr
e 1994 à O
ran
déclenche
une
vague
de
protestat
ions
et
d'
émigrat
ion de cha
nt
e
ur
s
et
c
hant
eu
ses
de
raï
avec de nombt'eu
ses
man
if
estations
à Alger, à
Paris
et
ai
ll
e
ur
s. «Non à l'exclusion, non
au
ghetto, non à
l'e
xtrém
isme qui
éradique
et
qui
tue
».
«Les
messages
diffus ou plus
marqu
és
de
cet
engageme
nt
reno
uent
avec ceux que délivr
ent
le r
spontanément
et
sans
aucune
visée
pol
iti
que
depuis
un
demi-siècle.
Aurait
-on oublié
que
«
Raï
" signifie
en
arabe
«
libr
e
choix,,? (
p.
171
).
Que
l
est
désormais
l
'aveni
r
du
raï
qui
a
touché
des
point
s e
sse
ntiel
s:
libéralisation
des
mœurs
,
créativité
de la
cultu
re populai r
e?
«S
i le
raï
a f
ait
merveille
dans
la
contestatio
n sociologique,
il
n'a
jamais
voulu ou pu
franc
hir
le
pa
s
du
politique » (
p.
176
).
Le r
a
ur
a-t-il
un
second s
oume
? «La
que
stion
r
este
posée.
Mais
faut-il exiger d'
un
ge
nr
e qui a
inventé
les
conditions
mêmes
d'
un
e
rénovation
qu'il
en
assure
aussi la rel
ance?
» (p.
176
).
Ain
si,
Marie
Viro
ll
e pose-t-elle av
ec
prudence
la
question
du
devenir du
raï
après
son
étude
tr
ès
document
ée, e
nrichie
de
nombr
e
uses
citations
de
chants
(avec l
es
textes
ar
abes
et
traduct
i
ons
fran
çaises) s
ituant
la
diversité
de
s
domain
es
abordés par ce
genre
et
suivant
les époques.
Deux
annexes
et
un
e bibliographie de
quatre
pages
terminent
l'ouvra
ge:
onze
chansons
de
Rimitti
(
texte
arabe
et
traduction
)
et
un
r
éc
it s
ur
l'animation
d
'un
maria
ge
par
les
meddahat
, ch
ante
u
ses
de
raï
.
Le livre de
Marie
Viro
ll
e n'
est
pas
une
s
imple
desc
ription
du
raï
et
de
son hi
sto
ire ; c'
est
une
réflexion
approfond
ie
et
p
ar
foi
s
sava
nt
e,
d'une
écriture
élégante
et
recherchée s
ur
la
nais
s
ance
et
l
volut
ion de ce
phénomène
cu
ltur
el,
su
r
la
musique
et
la
poésie, s
ur
l'
importance
et
l'influence
des
fe
mm
es
dans
ce
courant
en
Algérie, s
ur
un
trait
de
cette
s
ubtile
alchimie
qui fonde la
culture
d'
un
peuple
et
dessi
ne
les lignes de force de son
aven
ir
. (
Marceau
Gast
).
YACINE
Tassadit
-
Pi
è
ge
ou
le
combat
d'
une
femme
alg
érienne
.
Essai
d'anthropologie
de
la
souffrance
,
Pari
s, PublisudJAwal, 1995
,2
13
p.
Dans
cette
étude,
l'ex
pre
ss
ion
«a
nthropo
logie de la
souffrance
"
est
emp
loyée
pour
me
ttr
e
l'accent
su
r
ce
qu'a voulu l'a
ut
e
ur
de
ce
témoi
gnage
,
su
r
sa
vie
de
femme kabyle,
contra
inte
d
migrer
en
France
, orpheline,
mari
ée
cinq
foi
s
depuis
l
'âge
de douze
ans
et
qui
a
app
r
is
à
lir
e
et
à
écrire
le français pour pouvoir
tran
sc
rire
ses
poèmes
;
car
le
mot
«souffrance»
revient
souvent
chez
cette
femme
qu
i
s'est
constamment
battue
et
rebellée
contre
les si
tuations
imposées par
sa
famille, les pièges
et
l
es
règl
es
de
sa
société.
Cette
so
uffrance
, s
ufrans
, associée à La{rans (la
France
)
et
«sous-
Fran
ce »
est
le
lot
de
cette
ANTHROPOLOGIE SOCIALE
1011
caté
gorie sociale défavorisée, de ces
émigrés
vivant
un
exil
amer
dans
une
vision
du
ale
et
antagonique
:
d'un
côté la
France
mythique
qui
attire
et
s
éduit
, de
l'autre
la
France
réelle
qui déçoit
et
repousse (
p.
95).
Nouara
née en 1939 à Akwe
rma
(Amalou) en
Petite
Kabylie,
est
i
ss
ue
de deux
lignag
es
plu
s ou moins
antagoni
st
es
: les
Chenna
, celui
du
père
,
re
connu
s comme notables
trè
s
influents
dans
la région,
membres
de la ligue du
haut
(çoffi
et
qui
comporte trois se
gment
s
(l
'
un
puis
s
ant,
les
autres
défavorisé
s);
le lignage de la
mère
, les Bali, dominés
par
rapport
aux
C
henn
a.
La
forte
personnalité
de Rekiya, mè
re
de
Noua
ra
,
marquera
sa fille.
L'histoire
mouv
ementée
et
douloureuse
de
ce
s deux groupes
es
t racontée
et
analy
e
av
ec
une
g
rand
e finesse
par
T. Yacine à propos des
av
a
tars
de Nouara.
Une
chose e
st
s
ûr
e:
tour
à
tour
victimes et bo
urr
eaux, les femm
es
mainti
e
nnen
t l
es
r
èg
l
es
de fonctionneme
nt
de la
socié
traditionnelle
et
son échelle de
valeur
s,
rejeta
nt
av
ec violence
toute
vellé
ité
de
libération des veuv
es
et
des divorcées,
que
ce soit
au
pays ou
en
Fr
ance ; les
orphelin
s,
nombreux
dans
le
s deux lignages,
ne
s
ont
chez
eux
nulle
part
; a
ss
is
sur
le
seuil de la
maison, l'orphelin est à la
foi
s de
hor
s
et
dedans,
il
a
perdu
«
se
s épaules
",
«
sa
poutre
ma
î
tre
ss
e,,; s'il a
perdu
son re et s
on
grand
-
père
il n'a
aucun
droit.
Or
, Noua
ra
e
st
élevée par
sa
mère qui est veuve. «L
es
e
nf
ants d'
un
e veuve so
nt
s
oci
aleme
nt
perçus
comme des ê
tre
s inférie
ur
s"
(p. 49
).
Ces
orph
elins s
ont
le fait
du
mauv
ais s
ort
, de la
maladie et de la mo
rt
des c
hef
s de famill
e,
des
mort
s par v
end
e
tt
a. Les filles à marier sont
au
ta
nt
d'
en
jeux po
ur
créer des allianc
es
avec d
es
segme
nt
s lig
nager
s l'on
retr
ouve la
pr
o
te
ction d'
un
homme,
que
de bouches à
nourrir
dont
il
faut
vite se
barra
ss
er
. No
uar
a,
fille de veuve,
orph
eline, s
ans
r
ess
ourc
e économique ni
patrimoine
propre, va
se
mari
er
cinq fois, en «ré
pudiant
" à
chaque
foi
s (s
auf
un
e) d
es
maris
qu
'elle n'a p
as
choisis, par la
fui te
hor
s
du
domicile conjuga
l,
ou
par
un
divorce
devant
la
ju
stice franç
ai
se
.
Ca
r
plusi
eur
s de ses mariages ne
sont
pa
s e
nr
e
gi
s
tr
és
ga
le
men
t, et n'o
nt
lieu
que
d
eva
nt
un
religieux et deux témoins d'
un
e
fa
çon
tr
a
ditionn
elle.
Nouara
est
stérile, et au mome
nt
elle
pourrait
peut-ê
tre
soigner en F
ranc
e cette
sté
rilité
, e
ll
e re
fu
se to
ut
trait
eme
nt
pour
ne
pa
s avoir d'
enf
ant avec le
mari
qui est le sien
à cet
te
époque.
Et
pourt
a
nt
, elle
dem
e
ure
tr
ès
attra
ctive et d
és
irable
puis
qu
'elle reçoit
quin
ze de
mand
es de pare
nt
s
pro
ch
es
et
plu
sie
ur
s a
utr
es de
pr
éte
ndan
ts
du
li
gn
age
m
ate
rn
el Bali po
ur
la
case
r en la
donn
a
nt
à douze
an
s à
un
je
une
du vill
age
(Akl
i)
av
ec
lequel elle ne reste pas
plu
s de deux mois, a
pr
ès
cette " f
ête
du c
ou
scou
s"
c'
es
t-d
ire
ce
mariage non consommé. Mais les
mani
ga
nces des fe
mm
es fini
ss
ent
par
avo
ir
raison d
es
pr
écéden
tes
hostilités et c
'est
avec
un
Ba
li
(Khalfa
),
frère cadet
du
pr
écéde
nt
pr
éte
nda
nt
,
qu
'on marie à nouveau
No
uara (à la mode t
raditi
onne
ll
e).
Elle couvre alors la
Fr
ance
tr
availle son mari
et
" Pièg
e"
où réside la
co
mmun
a
ut
é de
Kabyles d'A
mal
ou. Ce village
es
t
pir
e que celui de la K
aby
lie. Nouara subit plusie
ur
s
dépressions,
te
nt
e de se suicider, dema
nd
e à son frère de pou
vo
ir
reve
nir
au bout de deux
ans en
Al
gérie. "Réservée"
dur
a
nt
trois ans (1955-1958
),
on
ma
rie à nouveau Nouara pour
la
pr
otéger de
l'
armée françai
se
, à
un
je
un
e ho
mm
e du
vi
ll
age, Omar, qui
se
ra le
seu
l
mari
qu
'e
ll
e
aim
er
a vra
iment
.
Malh
e
ureu
seme
nt
, celui-
ci
es
t mobili
pour fa
ir
e son
serv
ice
mili
ta
ir
e ; il en
vo
ie
sa
solde à
sa
fe
mm
e, lui éc
rit
so
uv
e
nt
, chose très mal perçue par
sa
mère qui déclare son
fil
s «envoûté ".
Fin
alement, c'est la
ruptur
e à
pr
opos de la solde
d'Omar ; Nou
ara
reto
urn
e en
Fr
ance à «Piège
",
vi
vre chez son frère et fa
it
à nouveau
l'
ob
je
t de demand
es
en mariage (e
ll
e n'a que vingt
et
un
ans
).
C'est
un
je
un
e ho
mm
e du
lign
age
de son père, Amir, qu'e
ll
e accep
te
pour décharger son frère. Amir
tr
availle à Alger
le
co
uple s'insta
ll
e en to
ut
e indépe
nd
ance.
Mai
s
Amir
bo
it
et joue au poker ; Nou
ara
le
dét
es
te et a
pr
ès
plu
sie
ur
s ava
ta
rs
o
bti
e
nt
le di
vo
rce au tr
ibun
al d'Akbou. P
as
plu
tôt
di
vo
rcée, c'est Khalfa, son deuxième époux qui a p
at
ie
nt
é di
x-
huit
an
s,
qui la sollici
te
à
nouveau. Nou
ara
accepte ce remariage car elle estime
Khalf
a, mais deme
ur
e
sté
ril
e;
elle
adop
te
une p
et
ite
fill
e,
retombe en dé
pr
ess
ion
et
dema
nd
e à nouveau le di
vo
rce. E
ll
e
se
fu
gie
da
ns la poésie qui e
st
son
se
ul
exut
o
ir
e. E
ll
e réu
ss
it
même le to
ur
de force
d'e
nr
egist
rer deux casse
tt
es
et
un
CD sous d
es
p
se
udonymes. Divorcée po
ur
la jus
ti
ce
française mais encore
mar
iée po
ur
l'Algéri
e,
elle reto
urn
e vivre à nouveau
un
an a
pr
ès
avec Kha
lf
a po
ur
des raisons économiques. Elle
tr
ouve enfin
qu
elqu'
un
à
qu
i
co
nfier
sa
souffrance
et
ses
cahiers
et
tr
anscender ainsi l'histo
ir
e de
sa
vie chao
tiqu
e.
1 / 21 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !