Document complémentaire à la requête : régimes anglais et canadien

Mise à jour du 23 janvier 2006
DOCUMENT COMPLÉMENTAIRE
RÉGIME ANGLAIS ET CANADIEN
ANNEXE À LA REQUÊTE EN RECONNAISSANCE ET CONFIRMATION
DU STATUT D’AUTOCHTONE FRANÇAIS DU QUÉBEC (CANADIEN
FRANÇAIS DU QUÉBEC) ET DES DROITS Y AFFÉRENTS
Des descendants de Français venus s’établir en Nouvelle-France avant 1763
ont présenté une requête en vue de se faire reconnaître et confirmer le statut
d’Autochtone français du Québec. Le seul fait d’être des descendants de
Français établis en Nouvelle-France avant la Proclamation royale de 1763 (ci-
après la Proclamation) ou l’affirmation de souveraineté de l’Angleterre de 1763,
et par ailleurs confirmé par les articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de
1982, est considéré comme suffisant pour justifier et fonder cette requête.
Cependant, comme il n’y a pas lieu de ne retenir que ce seul motif de droit, il
peut être dégagé, avec le plus d’objectivité possible, d’autres faits et motifs qui
s’ajoutent et s’étalent tout au long de l’histoire de ce peuple depuis 1763 (voir la
liste en annexe des ouvrages consultés).
1. Nouvelle identité
Rappelons que dès qu’ils prennent racine dans le Nouveau Monde, les colons
français, marqués par l’esprit des coureurs des bois, par la bravoure et les
grands espaces, se donnent une nouvelle identité, celle de Canadiens. Ils sont,
selon les historiens «naturellement indociles» et trouvent le bonheur dans la
liberté et l’indépendance. Leur identité les oppose, même avant 1763, aux
Français. Ils forment une société nouvelle, une nation, bien qu’ils soient de
souche française (voir les par. 44 à 50 de la Requête en reconnaissance et
confirmation du statut d’Autochtone français du Québec).
2. Rétrécissement de l’identité
En 1763, l’Empire français est amputé de ses grands espaces et ne s’étend
désormais plus beaucoup au-delà de la vallée du Saint-Laurent. Aussi, le lien
culturel avec la France est pratiquement coupé et dans l’espace culturel restant,
la langue française survit, perd de sa pureté, entre autres, au contact de
l’anglais, du bilinguisme des journaux, d’autant plus que tout l’espace visuel
(affichage, etc.) est complètement anglais. Alexis de Tocqueville, au cours d’un
voyage effectué au Canada en 1831 écrit : […] « Bien que le français soit la
langue presque universellement parlée, la plupart des journaux, les affiches et
jusqu’aux enseignes des marchands français sont en anglais.» […] Il y a alors
recherche identitaire à travers laquelle, dans cet environnement nouveau, se
pointent les mots «peuple», «race» et «nationalité» qui sont souvent utilisés
pour désigner les deux groupes en présence. Et plus récemment, mais toujours
d’actualité, le géographe Luc Bureau, en 1999, dans sa préface de Pays et
Mensonges pose la question identitaire qui a aussi permis d’initier cette
Requête en reconnaissance et confirmation du statut d’Autochtone français du
Québec. Il écrit : […] «Les peuples peuvent-ils perdre leur âme? On
comprendra que plus le temps avance, plus il devient difficile de parler de l’âme
québécoise, d’en parler au singulier tout au moins. Cette notion, pourtant si
claire et pénétrante jusqu’à tout récemment, subit-elle les effets d’une
nébulosité croissante comme on dit à la météo? Quel auteur, quel penseur
sérieux oserait de nos jours épiloguer sur l’«âme collective», l’«âme des
peuples» ou l’«âme de la race»? Autrement dit, le silence contemporain tient-il
au fait que les peuples ont réellement perdu leur âme, ou, plutôt, que la notion
d‘âme est parfaitement vide et futile? » […] Curieusement, il nous semble que
parmi tous les peuples de la terre, seul le Québec ne puisse s’exprimer sur son
âme, son identité, contrairement au Canada qui ne cesse de faire la promotion
du «nation building». Que se passe-t-il?
3. Abolition de la constitution, des usages et coutumes
La Proclamation qui est traitée spécifiquement au titre Le droit aux
paragraphes 54 à 73 de la Requête en reconnaissance et confirmation du statut
d’Autochtone français du Québec établit un gouvernement très peu satisfaisant.
En effet, nous inspirant de Maurice Ollivier qui écrit que lors de l’adoption de
l’Acte de Québec de 1774 par la Chambre des communes impériale, l’on dira
11 ans après la Proclamation que «S’il faut considérer la Proclamation comme
une introduction des lois anglaises dans un pays déjà colonisé, elle constitue à
mon sens l’acte de tyrannie le plus grossier, le plus absurde et le plus cruel
qu’une nation conquérante ait jamais accompli à l’égard d’un pays conquis.
Feuilletez toutes les pages de l’histoire et je vous défie de citer un seul cas où
un conquérant a tenté de dépouiller une province conquise de l’ensemble de sa
constitution au moyen d’un simple et brutal trait de plume». Et, il a semblé
absurde aux conseillers juridiques de la Couronne de vouloir administrer la
justice au Canada dans une langue inconnue et sans le concours des
Canadiens, et «abolir immédiatement tous les usages et coutumes du Canada
avec la main rude du conquérant».1
4. Reconnaissance des institutions des habitants
Pour consolider son emprise sur la Canada en plus de résister à la poussée
indépendantiste des colonies du Sud, l’Angleterre révoque la Proclamation,
reconnaît avec l’Acte de Québec de 1774 les institutions des habitants, remet
en vigueur les lois civiles françaises, la religion catholique et permet aux
Canadiens d’origine française de participer au gouvernement civil de la colonie
à la suite de l’abrogation ou de l’annulation du serment d’allégeance et de la
déclaration d’abjuration (serment du Test – Test Act de 1673, loi votée par le
Parlement anglais, imposant à tout candidat à un office public l’appartenance à
la foi anglicane) contenus à la Proclamation susdite. En même temps,
l’Angleterre s’assure de bons alliés pour repousser l’armée américaine qui
s’avancera jusqu’à Québec lors de l’invasion de 1775. En moins de 100 ans, le
nombre de Canadiens d’origine française se multiplie par 10, c’est-à-dire passe
de 65 000 environ à 696 000. De son côté, l’immigration anglaise aura raison
de ce nombre puisqu’en 1851 la population du Haut-Canada (Ontario)
dépassera celle du Bas-Canada (Québec).
5. Des tentatives d’assimilation forcée
En ce temps-là, les Anglais, nouveaux immigrants et occupants, commencent
eux aussi à s’identifier comme «Canadiens». De plus, des tentatives
d’assimilation forcée, comme par exemple l’article 41 de l’Acte d’Union de 1840,
vont amener les Canadiens à se définir comme peuple distinct et différent des
Français, des Anglais et des Américains.
1 Maurice Ollivier, Actes de l’Amérique du Nord Britannique et statuts connexes, 1867 à 1962, p.17.
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6. Rétrécissement du territoire, d’une colonie à deux colonies
Pendant que les Canadiens d’origine française se battent pour conserver leurs
institutions, leur langue et leurs droits, voilà que le gouvernement anglais
adopte en 1791 l’Acte constitutionnel qui divise le territoire en deux colonies : le
Bas-Canada (Québec), à forte majorité de langue française et le Haut-Canada
(Ontario), à forte majorité de langue anglaise. Au gouverneur et au Conseil
législatif est ajoutée une Chambre d’assemblée qui, avec le Conseil, a le
pouvoir d’adopter des lois pour la paix, l’ordre et la bonne administration du
pays. Mais, l’année suivante, une ordonnance vient compléter cette loi en
établissant un Conseil exécutif répondant au gouverneur et au pouvoir impérial
et non aux députés. La Loi de 1791 introduit donc le parlementarisme au
Bas-Canada mais non la démocratie. À noter qu’il y a un profond
bouleversement social qui fait du censitaire l’égal du seigneur de telle sorte que
ce dernier doit désormais obtenir le suffrage de ses censitaires pour siéger à la
Chambre d’assemblée. Jusqu’en 1840, c’est la période importante de transition
entre le régime absolu et le gouvernement responsable. C’est aussi l’époque du
gouvernement représentatif qui est accordé avec réticences parce que c’est en
fin de compte le premier pas vers la séparation politique et l’indépendance.
7. Les Canadiens ridiculisés et l’évêque est d’accord
En janvier 1805, la grande bourgeoisie d’affaires britannique à Québec fonde le
Quebec Daily Mercury. Ce journal, voué à asseoir l’économie québécoise sur le
commerce et à assurer la suprématie politique des anglophones d’origine
britannique, ridiculise les Canadiens, les idées politiques de leurs chefs et se
fait un point d’honneur de démolir les structures traditionnelles du Bas-Canada.
En réaction, l’année suivante, les Canadiens fondent le journal Le Canadien qui
reproche au journal anglais d’être anti-canadien et de fomenter la guerre civile
dans la colonie.
Le Canadien est de toutes les luttes. Il dénonce l’oligarchie anglaise, la «clique
haineuse» qui tend à modifier les rapports sociaux selon ses propres objectifs
et qui s’érige, comme minorité, en bénéficiaire exclusif des faveurs royales.
Mais en 1809, Mgr Plessis, évêque de Québec, s’en prend violemment au
journal Le Canadien. Il s’indigne «des ravages que fait ce misérable papier
dans le public et le clergé» qui tend à «anéantir la subordination et à mettre le
feu dans la province» comme le rapporte l’historien Jean Provencher.
À noter que James Craig, devenu gouverneur du Bas-Canada en 1807 ordonne
en 1810 la saisie des presses du journal Le Canadien et l’arrestation des
principaux rédacteurs. À cette date, au moins 500 des 661 navires quittant le
port de Québec sont remplis de troncs de pin blanc destinés à être utilisés
comme mâts de navires (voir par. 26.).
Aussi en 1812, commence la guerre anglo-américaine qui perturbe l’économie
du pays. Le 26 octobre 1813, c’est la victoire des Canadiens dirigés par Charles
de Salaberry à l’occasion de la bataille de Châteauguay. Les Américains sont
défaits et cette guerre se termine l’année suivante (1814).
Enfin, en 1815, Louis-Joseph Papineau du Parti canadien devient président de
l’Assemblée législative et le demeure presque sans interruption jusqu’en 1837.
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8. Lutte pour la démocratie et la Rébellion
Rappelons qu’au printemps 1837, le mécontentement est grand au
Bas-Canada. Londres refuse toujours de transformer le Conseil législatif en
corps électif et de rendre le Conseil exécutif responsable devant la Chambre
d’assemblée. La protestation pour l’obtention de la démocratie s’organise,
même si elle est interdite par le gouverneur, lord Gosford. À l’automne, la
rébellion est déclenchée. Des Patriotes, souvent mal organisés, engagent des
combats avec l’armée anglaise à Saint-Denis, Saint-Charles et Saint-Eustache.
La répression rase des villages, la population est molestée, des femmes et des
enfants sont jetés hors de leurs demeures à l’approche de l’hiver. L’année
suivante, en 1838, plusieurs Patriotes réfugiés aux États-Unis et dirigés par
Robert Nelson proclament la République du Bas-Canada et invitent des
volontaires américains à se joindre à eux. Mais, le président américain menace
de la prison «tous ceux qui compromettront la neutralité du Gouvernement». En
novembre, une attaque des Patriotes contre des troupes anglaises à Lacolle et
Odeltown est sans succès et provoque une répression encore plus forte.
D’autres villages sont mis à sac et à feu et près d’un millier de personnes sont
arrêtées. Cent huit sont traduites devant les tribunaux, une soixantaine sont
déportées et douze sont pendues à la prison du Pied-du-Courant à Montréal.
Tel est le prix de la démocratie pour les Patriotes et pour les Canadiens
français.
9. Imposition de la subordination
À la suite de la Rébellion de 1837-1838, l’administrateur John Colborne,
surnommé «le vieux brûlot», qui était, de fait, le commandant des troupes
anglaises lors des répressions et des incendies des villages, nomme un Conseil
spécial pour administrer le Bas-Canada jusqu’en 1841. L’Angleterre s’inquiète,
car des émeutes éclatent dans le Haut-Canada tandis que le mécontentement
gronde dans les colonies du Golfe. Elle assigne George Lambton, lord Durham,
gouverneur de toutes les colonies d’Amérique, pour faire enquête sur les
événements. Ce dernier conclut en 1839 dans son rapport au gouvernement
anglais que pour rétablir la paix, il faille «assurer une majorité anglaise et
loyale, angliciser les Canadiens français qui n’ont aucune chance de survie
dans une Amérique anglo-saxonne et établir la responsabilité ministérielle».
Cette dernière est repoussée dans l’immédiat parce qu’en l’octroyant, cela
postule un élargissement de la liberté coloniale. Alors, pour mettre les
Canadiens en état de subordination politique, Londres sanctionne en 1840
l’Acte d’Union qui réunit les deux Canadas sous un seul parlement et fait de
l’anglais la langue officielle par une mesure constitutionnelle (article 41) pour la
première fois depuis 1763 (voir par. 5.).
Notons, d’ailleurs, que l’auteur Luc Bureau dans Pays et Mensonges rappelle
les propos d’Alfred de Vigny, écrivain français : «En mars 1839, il assiste à un
débat à la Chambre des Lords et il est outré que l’on puisse traiter
«froidement», entre les quatre murs d’un Parlement anglais, de la nécessité
absolue d’étouffer une nation française de quatre cent cinquante mille âmes».
10. Incendie du Parlement de Montréal
Le Parlement du Canada-Uni déménage de Kingston à Montréal en 1844. Mais
l’adoption d’une loi d’amnistie qui indemnise les victimes de la Rébellion de
1837-1838 cause une émeute où les Anglais (Tories) incendient (fait souvent
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occulté dans notre histoire) l’Hôtel du parlement à Montréal, le 25 avril 1849.2
Le Parlement est donc déménagé à Toronto d’abord, et ensuite, il s’établit
définitivement à Ottawa en 1865.
11. Représentation proportionnelle et Confédération
Notons que longtemps avant 1867, l’Acte d’Union avait cessé d’être efficace.
Les habitants du Haut-Canada estimaient que les deux provinces eussent une
représentation égale alors qu’ils étaient en minorité. Mais, le jour où leur
population est devenue plus nombreuse (1 393 091 habitants) que celle du
Bas-Canada (1 111 566 habitants en 1861), ils réclament une représentation
proportionnelle. À cela s’ajoute, surtout entre 1862 et 1864, le fait qu’il devient
difficile de gouverner parce que les deux partis politiques sont si également
représentés que le sort du gouvernement peut dépendre de deux ou même
d’un seul vote. Le dénouement de ce problème se fait avec l’avènement de
l’union fédérative de 1867, de façon inappropriée appelée Confédération,
réunissant la province du Canada, aujourd’hui le Québec et l’Ontario, la
Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, prévoyant en même temps
l’adhésion future d’autres provinces.
La langue française obtenant pour la première fois un statut politique et
juridique, la Confédération est reçue avec enthousiasme. On célèbre le
«parlement français» qui s’ouvre à Québec, le «pacte d’honneur» conclu entre
les deux peuples fondateurs, le Canada qui parle français et anglais d’un océan
à l’autre. Aussi, le sentiment national et identitaire va s’étendre à l’ensemble
canadien et va même rejoindre la diaspora jusqu’en Louisiane. Le Québec
devient le foyer d’un vaste espace linguistique et se sent solidaire de tous les
Canadiens français. C’est sous ces augures que débute la nouvelle aventure.
Mais en sera-t-il ainsi?
12. Le fédéral hautain, un premier gouvernement national à Québec et le
déséquilibre fiscal
Le gouvernement fédéral adopte des attitudes hautaines et même impériales
dans sa façon de gérer certains dossiers importants, comme la question des
Métis de la Rivière-Rouge et la pendaison de Louis Riel en 1885, la question
des écoles de langue française du Manitoba (de 1880 à 1897) et de l’Ontario (le
règlement 17) auxquelles s’ajoutent la conscription de 1917 et plus tard, celle
de 1942.
Déjà en 1887, Honoré Mercier, libéral, premier ministre du Québec, forme un
cabinet «national». Selon lui, le Québec doit s’affirmer comme nation française
et catholique. Adoptant une attitude fortement autonomiste vis-à-vis du
gouvernement fédéral, il s’attaque au fait que les augmentations de population
ne se traduisent pas, depuis plusieurs années, par une augmentation
correspondante des subventions fédérales. Pour discuter d’autonomie
provinciale et obtenir une révision des subventions aux provinces, il s’appuie,
en octobre 1887, sur une conférence interprovinciale, la première dans l’histoire
de la Confédération. Cette conférence regroupe les délégués de cinq provinces,
l’Ile-du-Prince-Édouard et la Colombie-Britannique s’étant abstenues, prépare
un plan de réforme constitutionnelle et fiscale qui s’appuie sur le fait que les
provinces ont des besoins alors que les revenus du fédéral ne cessent
d’augmenter. Il n’y a pas de suite, le fédéral ignore les recommandations qui lui
ont été faites et n’apporte aucun élément de solution. Les gouvernements
2 J.- J. Bell, M.A., L’incendie de l’Hôtel du parlement en 1849, LAction nationale, juin 1999.
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