Le Cardiologue 346 – Novembre 2011
Le non-respect d’une recommandation ne participe pas seule-
ment à la caractérisation de la faute déontologique, mais ferait
également présumer la faute médicale. Inversement, le patient
aura bien du mal à démontrer une faute médicale si le praticien
s’est en tout point conformé aux recommandations.
Dans ces conditions, on peut s’interroger sur les conséquences
de l’abrogation de la recommandation sur les actes médicaux
qui lui sont antérieurs. La faute doit-elle s’apprécier compte
tenu des recommandations en vigueur à l’époque où elle a été
commise ? Ces recommandations font apparaître l’état de la
science à un moment donné. L’abrogation qui n’a
d’effet que pour l’avenir, l’annulation ou le retrait
qui ont un effet rétroactif d’une recommandation,
ne devrait pas permettre de reprocher à un médecin
de s’être fondé sur ladite recommandation pour ap-
précier les données acquises de la science.
Cependant, le juge n’est pas lié par les RBP, ce qui
exclut que le médecin puisse faire l’économie d’une
recherche de l’évolution des données scientifi ques
en se limitant à l’application des recommandations.
La question de la validité de la RBP présente un in-
térêt particulier en matière pénale. On sait que le
médecin qui cause indirectement un dommage à son patient
(défaut de contrôle ou de surveillance, retard dans le diagnos-
tic ou l’intervention) engage sa responsabilité pénale unique-
ment si son imprudence ou sa négligence résulte d’une faute
qualifi ée (art. 121-3 Code pénal).
La notion de faute qualifi ée recouvre la faute caractérisée (ex-
poser autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur
de la faute ne pouvait ignorer) et la faute délibérée (violation
manifestement délibérée d’une obligation particulière de pru-
dence et de diligence prévue par la loi ou le règlement).
Même si le respect des RBP ne doit pas être aveugle, la viola-
tion délibérée de ces recommandations s’apparenterait à une
faute délibérée sanctionnée pénalement, et ce d’autant plus
que le caractère réglementaire de la RBP est reconnu par le
Conseil d’Etat. L’annulation d’une RBP ne devrait-elle pas alors
permettre au médecin d’échapper à sa responsabilité pénale ?
Il y a là un intérêt à ce que la recommandation soit annulée
et pas simplement abrogée, [8] d’autant que le juge pénal est
compétent pour annuler l’acte règlementaire illégal sur lequel
est fondée la répression.
En reconnaissant que les RBP sont grief, le juge admet sans
ambiguïté leur caractère opposable et ainsi le fait qu’elles puis-
sent servir à démontrer une faute délibérée.
En conclusion, rappelons que la HAS a procédé à l’analyse
de ses RBP entre 2005
et 2010 afi n d’y déceler
une suspicion de confl it
d’intérêts d’un expert
ou l’absence d’une ou
plusieurs déclarations
publiques d’intérêt. Le
Collège a suspendu six
recommandations de
bonne pratique pré-
sentant des faiblesses
de forme et procède
désormais à leur actualisation. [9] Déjà en mai 2011, la recom-
mandation sur la prise en charge de la maladie d’Alzheimer
avait été retirée à la suite du retrait de la recommandation sur
le diabète de type 2. [10]
Le projet de loi relatif à la Déontologie et prévention des
confl its d’intérêts dans la vie publique consacre l’obligation
d’impartialité dégagée par la jurisprudence. Le projet généra-
lise l’exigence de la déclaration d’intérêts obligatoire et prévoit
la création d’une Autorité de la déontologie de la vie publique.
C’est dire que l’évolution de la jurisprudence associée à l’af-
faire du Médiator est à l’origine d’une réforme profonde du
statut des responsables publics et de la transparence de nos
institutions.
■
Armand Dadoun
MCU Lille 2 (Droit et Santé), CRDP - ERADP
Fenêtre sur
Cependant, le juge n’est pas lié
par les RBP, ce qui exclut que le
médecin puisse faire l’économie
d’une recherche de l’évolution
des données scientifi ques en
se limitant à l’application des
recommandations.
[1] J. Peigné, note RDSS 2011.483 sur CE 27 avril 2011,
Assoc. Formindep, n°334396.
[2] Cette vérifi cation s’impose pour les circulaires (CE 18
déc. 2002, Mme Duvignères) mais aussi pour certaines
recommandations telles que celle relative aux conditions
d’accès au dossier médical (CE 26 sept. 2005, Conseil na-
tional de l’ordre des médecins, n°270234).
[3] CE 12 janv. 2005, n°256001.
[4] Civ. 1ère, 4 janv. 2005, n°03-14206.
[5] Qu’en est-il des accords de bon usage et contrats de
bonne pratique de soins (art. L. 162-12-17 CSS)? L’accord
qui se borne à promouvoir un objectif de maîtrise médi-
calisée des dépenses s’appliquant aux antiagrégants pla-
quettaires, en préconisant l’aspirine pour les cas non aigus
de traitement de l’artériopathie oblitérante des membres
inférieurs n’a pas entendu établir des références médicales
opposables : CE 31 déc. 2008, Sté Sanofi Pharma Bris-
tol-Myers Squibb. Qu’en est-il des référentiels de bonne
pratique établis par l’INCA ?
[6] CE 12 oct. 2009, Sté GlaxoSmithKline Biologicals.
[7] CE 12 fév. 2007, Sté Laboratoires Jolly-Jatel; CE 11
fév. 2011, Sté Aquatrium.
[8] «N’ayant pas de portée rétroactive, l’abrogation d’un
acte administratif individuel pénalement sanctionné est
sans effet sur la validité de poursuites fondées sur la vio-
lation antérieure de cet acte»: Crim. 19 fév. 1997, Bull.
crim. n° 68.
[9] Communiqué HAS, sept. 2011, « Indépendance de
l’expertise: la HAS tient ses engagements». Les RBP sus-
pendues sontnotamment: Prévention vasculaire après un
infarctus cérébral ou un accident ischémique transitoire
(mars 2008); Prise en charge des patients adultes atteints
d’hypertension artérielle essentielle (juillet 2005).
[10] Formindep avait déposé une requête, parallèlement
à celle sur le diabète, en vue de l’abrogation de la recom-
mandation « Diagnostic et prise en charge de la maladie
d’Alzheimer et des maladies apparentées ».
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Cardio346v3.indd 17Cardio346v3.indd 17 22/11/11 17:4722/11/11 17:47