Jean Peneff, Les
idées
originales d'Howard Becker pour enseigner la sociologie
in Blanc A.
et
Pessin A. (2004)
L'art
du
terrain,
Mélanges
offerts à Howard S. Becker,
L'Harmattan
(pp.
15-28)
JEAN
PENEFF
Les idées
originales d'Howard
Becker
pour enseigner la sociologie
«Est-ce
quej'aime
enseigner
?
Assurément,
oui ! je
n'aime
pas ce qui va
avec
: l'administration des
départements,
la
réunions
el les
cotes,
l'éta-
blissement
des
programmes
et les
discussions
des jurys.
Mais
j'aime
m'as-
seoir
au milieu de
jeunes
gens,
bavarder
ou
parler
de
choses
intéressantes,
ce qui est ma
conception
de la
pédagogie
ou de ce qu
'elle
devrait
être.
Ces
dernières années,
j'ai
souvent
préféré
instruire les
débutants
pli:
tôt
que les
étudiants
de
maîtrise
ou de
DEA, peut-être
parce
que ces
derniers
sont si
obsédés
par le
besoin
de titres et de
diplômes,
par
l'idée
de
l'emploi
et des
moyens
pour
l'obtenir,
ils sont
déjà
si
professionnels
(je ne peux les en
blâmer),
qu
'ils
en ont
perdu
toute
fantaisie.
»
Howard
BliCKiïR
et
Shirah
HECHT
Talk
Berween
Teachers
Qualitative
Sociology,
1997, n°4
P
ersonne
d'autre
qu'Lioward
Becker
n'a autant
réfléchi
et
écrit
sur
l'enseignement
de la sociologie (surtout si on y
inclut
les
conseils
(pour
la
rédaction)
: un
livre,
plusieurs
articles, des
échanges
avec
de
•Hughes qui a
lui-même écrit
sur la
pédagogie
en sociologie et mis en
'valeur les travaux de ses
étudiants.
Il y a
peut-être
autre
chose
que le
tÀI
idées
originale!
d'I ïowarâ
Becker
pour
enseigner
la
sociologie
besoin
d'un contact
avec
les
jeunes
générations
et la transmission
«expériences.
C'est
ce que je
pressentais
quand je lui demandai l'au-
torisation
d'assister
pendant un
semestre
à l'un de ses cours.
J'avais
obtenu une bourse
Fulbright,
en 1983,
pour
suivre la vie
du département
de
Northwestern
University à Evanston (banlieue
résid«muelle
du
nord
de Chicago), ce qui me conduisit à participer aux
réunions pédagogiques,
à suivre certains cours ou
séminaires,
à
écou-
ter des
conférences
internes. Je fus donc un observateur silencieux du
cours
d'Howard
Becker sur
Yieldwork
methods,
de niveau
licence-maîtri-
se,
qui avait
lieu
pendant deux
heures
tous les mardis et jeudis matins.
Ce-cours
s'adressait
à une vingtaine
d'étudiants,
en enseignement
Optionnel.
Je raconterai cette
expérience
avec
mon
interprétation
personnelle
car nous n'avons
jamais
discuté
de ses intentions. Ce
sera
M:'$B»
contribution en
forme
d'hommage à quelqu'un qui a mis à la
disposition
de la
communauté
des sociologues un ensemble de
réfle-
xions
et de propositions
pour
l'enseignement, non seulement
auprès
de quelques
thésards
ou
jeunes
chercheurs mais
dans
les cours
adres-
s
aux
étudiants
de
DEUG
ou de
deuxième
cycle.
OBSERVATION
D'UN
COURS
DE II.
S.
BECKER
arrive,
ponctuel, à
neuf
heures, de son pas nonchalant, bavardant
r«juelque étudiant rencontré
par hasard à la sortie du
métro
et qui
'Comme
lui du centre de Chicago. Blouson de sport, chemise à
aux,
jeans
avec
ceinturon,
un
livre
à la main :
tout
cela
ne
fait
pas
ji,0m
classique
et. de
fait,
il n'a pas le style des professeurs et des
cadres
rejoignait
la fac au
même
moment, en costume-cravate et l'atta-
*e. Mais son allure
décontractée
ne l'assimile pas non plus à
l'in-
ijffteeruel
de
gauche,
vitupérant
ou pensif, ni au
maître entouré.
Sa
,41M-
de cours est surprenante.
I!
a refuse
d'enseigner
dans
une
salle
^^Hjhttnelle
avec
pupitres ou tables.
Il
a choisi une
salle
obscure
dans
Ut
soussoi
du
bâtiment
universitaire, une
salle
dans
une
cave,
que
m"
personne ne revendique. Cette
pièce
obscure,
avec
juste un soupn-ail
.en
guise
de
fenêtre,
sans
bureau ni
chaise,
sans
table ni
bibliothèque
dont
la porte donne sui un
couloir
qui ne
dessert
que le
débarras
du
matériel
pour
le personnel d'entretien, est sa
salle
préférée.
Elle
est
bizarrement
meublée
de
sièges dépareillés achetés
à la brocante,
avec
un
ou deux vieux fauteuils, un
canapé
ainsi qu'un tableau au mur.
Chacun
prend place
dans
une disposition plus ou moins circulaire1
Des
étudiants préfèrent
s'asseoir
à terre, dos contre le mur. Par la
porte
restée
ouverte, on
voit
passer
des ouvriers qui viennent chercher
seaux
et balais,
habitués
à ce professeur
étrange,
enseignant
sans
solennité.
De temps à autre, un
étudiant
se
lève
et va chercher une
boisson
chaude au distributeur
dans
le
couloir,
quelques
apartés
à
voix
basse
ont
lieu
mais l'ambiance est
plutôt
à
l'attention.
Le
cours est
l'opposé
de la
conférence
magistrale, il se rappro-
che
plutôt
d'une discussion ouverte entre pairs. Les
étudiants
inter-
viennent,
échangent.
Le travail de
préparation n'apparaît
pas mais ce
serait trompeur de crou-e le cours
improvisé.
A chaque
séance,
Becker
a un
dième
en
tête
: un
livre,
un
événement
social,
l'actualité
nationa-
le ou locale, une
péripétie
de la vie universitaire, une
thèse
ou un
travail
d'étudiant
qu'il
vient
de
lire,
il centre la discussion sur un sujet
inattendu
tiré
du monde social mais
connu
de l'auditoire. Le but du
cours est de transformer les observations courantes de la vie
quoti-
dienne ou les
réflexions
ordinaires sur les comportements en
vérita-
bles
problèmes
sociologiques. Quelle
interprétation
tirer
du
fait
'évoqué
? Comment
analyser
les
réactions
des acteurs, des journalistes
qui
reportent, des
témoins
d'une
péripétie
?
Il
parle
sans
note, rappel-
le les faits, lance des
pistes
et ouvre la discussion. Parfois il abandon-
ne le cours et
laisse
les
étudiants échanger
seuls
; il se
lève
pour
boire
fleuri Mentiras dans ie souvenir de son passage à Chicago
décrit
un
décor
simi-
laire
:
«
Chez
Uoyd Warner, le
séminaire
se tenait dans une sorte de salon,
affalés
dans des sofas profonds, nous discutions les premiers
résultats
de
Yankee-City.
»
Comment
devenir
sociologue
?« Actes Sud », 1995, p. 46.
17
Les
idées
originales
d'Howard
Becker
pour
enseigner
la
sociologie
Jean Peneff
un café.
Un
débat
un peu
désordonné,
une dispute plus ou moins
courtoise
entre
étudiants
se
développent
alors. Faussement distrait,
Becker
écoute
mais
néglige
d'intervenir. Soudain, il reprend la direc-
tion,
donne son avis, propose des arguments en faveur d'une inter-
prétation,
parle de ses propres
enquêtes, suggère
des lectures. Il
n'im-
pose aucune conclusion, ne se
réfère
à aucun dogme de recherche ou
théorie
pour
régler
le
problème
qu'il
a
fait
naître.
Il a
laissé
les
étudiants éprouver
mutuellement leurs arguments,
sans
trancher
abruptement.
Les
étudiants habitués
à ces
exercices
ne semblent pas
déconcertés.
Ils ne manifestent d'ailleurs
envers
Becker aucune
défé-
rence
particulière
mais
semblent
profiter
tout
simplement d'une
offre
de dialogue
sérieux
entre
générations.
Il
lève
la
séance
au
bout
d'une
heure trente et prolonge la discussion une demi-heure
avec
les
étudiants
qui veulent bavarder sur un sujet ou un autre.
je me
suis
interrogé
sur ce style d'enseignement. L'organisation
matérielle
de la
séance,
l'absence
de
signes
hiérarchiques,
l'apparent
désordre
de la discussion :
volonté
de rompre
avec
l'académisme
?
Attitude
post soixante-huitarde ?
Affectation
d'originalité
? Caricature
du
salon où l'on
cause
? Pourtant, il n'y a ni gesticulation professora-
le
théâtrale,
ni
imposition
d'une «
leçon
»
mais
peut-être
une applica-
tion
de la sociologie des interactions au
profit
des interactions de l'en-
seignement ?
Un début
de
réponse
m'est apparu
avec
le commentaire, en fin
de cours, des devoirs rendus. Il remet à chacun les
exercices
corrigés
(du
moins aux volontaires qui s'y sont soumis)
constitués
de notes
d'observation.
Les
étudiants,
en effet, sont
invités
à
rédiger
des petits
comptes rendus d'observation de deux ou trois
pages
sur des
sujets
divers
(événements
dont
ils ont été
témoins
dans
leur travail profes-
sionnel
pour les
salariés
- ou
scènes vécues
de la vie sociale).
Becker a
consacré
beaucoup de temps à la correction, si l'on en juge
par le soin
apporté
à ia
rédaction
de critiques et aux suggestions. Pour
la
première
fois,
un
étudiant
voit
que son
écrit,
dont
il doute
peut-être,
a
suscité
chez
son professeur un
écrit
presque
aussi
long.
Ce commen-
.^jgjfeùre
peut
être
à son
tour
discute en cours, la remise de ces devoirs
''.frétant
publique. Ce n'est que progressivement que l'on
perçoit
le
sens
.^pédagogique
de cet apparent desordre. Il peut
laisser
croire, par une
îfiMfccumulation
d'anecdotes, à un certain laxisme. Or,
c'est
du contraire
font
il
s'agit.
Il propose, à
côté,
un plan de cours qui
suggère
le travail
jpemandé
dans
un va-et-vient entre lectures et observations person-
nelles. L'exigence du travail des
étudiants
est pour nous surprenante.
Leur
niveau de lecture en licence correspond à ce que nous deman-
dons (à peine) aux
étudiants
de
DEA
avec,
par exemple, la lecture de
ftextes en
français
ou en espagnol, et suppose une grande culture hors
fociologie, de
même
qu'une
connaissance
de la vie intellectuelle en
rénéra!2.
•L'ÉCRIT
COMME INSTRUMENT PÉDAGOGIQUE
•Le
corrigé
du travail de
l'étudiant
est
organisé
sur un
modèle
standard
^(feuille
distincte,
date
et sujet pour le retrouver sur son ordinateur et
RVoir
ultérieurement
les
progrès
de
l'étudiant)
et concentre l'essentiel
ides
remarques. Rien sur la copie, aucune
zébrure
de
rage
ou d'excla-
j'ïnation,
aucune
phrase
sibylline en marge. Le travail du novice est
•respecté.
L'effet
d'une correction minutieuse est frappant
chez
l'étu-
hdiant
qui ne
reçoit
pas une copie
annotée
ou
surchargée
mais
un
vrai
Icommentaire
lisible et construit. L'apprenti
découvre
qu'on
peut faire
\e
analyse
de ce
qu'il
a
produit.
Cette
réception
est gratifiante
même
;si
la critique est
sévère.
Pas
d'attribution
de notes
mais
une
invite
au
dialogue, un
apprentissage
sur
pièces
où les
essais
sociologiques sont
:
Voir par exemple, sur son site internet, le cours
donné
en 1997 à Santa Barbara
(L'niversity
uf Californie).
Telling
about
socitty.
Sjlhlms
ami
class
schtdult.
\r programme
des lectures
proposées,
les recherches
demandées
aux
étudiants,
les obligations de
mise en
forme
des observations
stupéfieraient
un enseignant
français.
Avec toujours
comme
obsession
le
développement
du
sens
critique et du travail autonome de
l'étu-
diant.
18 19
Lt.f
idées
originales
d!lion>ard
Becker
pour
enseigner
la
sociologie
Jean
Peneff
des
.gammes
ou des
esquisses.
Cette
forme
d'enseignement qui
privi-
légie l'écrit
(notes de terrain, fiches, comptes rendus d'observation}
semble
issue
de la
tradition
de Chicago. Des devoirs
d'étudiants
conservés
à
l'université
de Chicago à
l'époque
de E. C, Hughes
présentent
ces
mêmes caractéristiques.
A la question : comment
ensei-
gner la sociologie ? Becker
répond
: en demandant aux
étudiants
de
rédiger
très
tôt,
c'est-à-dire présenter
des
données
d'observation et les
interpréter
d'une certaine
manière.
Cette conception se distingue de
nos
enseignements
basés sur le seul
écrit
qu'est la copie d'examen.
L'écrit
individuel
incite à l'autonomie, oblige à
hiérarchiser
les docu-
ments,
à éciaircir la pensée, à trouver le mot juste. Les formules
dénonciation
propres à la sociologie (relations,
causalités,
descrip-
tions
ou lectures de tableaux) sont mieux
maîtrisées
avec
un appren-
tissage
précoce.
Becker prend le contre-pied du cours
traditionnel
et
Conteste la logique universitaire où les
étudiants
sont
jugés
sur des
.examens
écrits
quand les cours ont été exclusivement oraux. La
ques-
tion
primordiale devient alors : comment
écrire
en sociologie ?
Son
intérêt
pour ce sujet est connu. Personne ne
s'est
élevé
*VeC
plus
de
conviction
pour une
écriture
limpide.
Il a
consacré
une
:pjS.i3'i-
d^3 se1 i
•**
"'**".ivt'!'.*
à
1
:
rédaction
sociologique.
II
n'a
cessé
de
«tiquer
la longueur,
l'abus
des
néologismes,
des termes
étrangers,
en
-AMESBC
d'allusions
érudites comme
signes
de
reconnaissance
d'école.
4Tout le monde ne manifeste pas la
même sensibilité
que moi à
l'écri-
L,»,Pans
le premier
cycle,
à Chicago,
j'eus
de bons cours de
rédac-
loçiologique
qui insistaient sur les techniques de
réécriture
et l'or-
Ition
interne
des
textes.
J'ai
appris
qu'un
brouillon
est un
5n
et
qu'il
faut
s'attendre
à le retravailler. Plus
tard,
la lecture de
Ceux livres et articles ont
donné
à mon style ses
caractéristiques
'•'/*
•*'.* ••••*
v
p. 91. Le rait de corriger attentivement ies papiers de ses
étu-
.i^gWjb/tsC.jissociï,
pour
Becker, à ta
libre
disposition
de sou temps par les
étudiants,
à
|«
fatuité.
Par esempie, la
porte
de son bureau est constamment ouverte , celui qui
tii à i'ùhptoviste
est
reçu,
discute dix minutes et disparait.
L'idée
que l'objet d
étude,
complexe, de la sociologie justifie un
tyic
complique (ce qui vouuraii une • si)ic simple
égale pensée
npliste) lui est
étrangère.
Que devrait-on
pen»ei
des
îusioritns,
iémographes
et
autres
qui
écrivent
de
manière
claire, parfois
agréable,
nd
ils
étudient
des
processus
complexes ou des
événements
de
grande ampleur (comme la
Révolution,
les
guerres,
les
crises,
les
éludons démographiques
qui
relèvent
de
causes
enchevêtrées,
de
giques
complexes et de
différents
niveaux) ? La
simplicité d'écriture
cache
pas une
incapacité
aux
analyses
profondes.
L'hermétisme
et
style
lourd
recèlent
plus de
faiblesse
que
d'assurance.
L'étrangeté
et
pauvreté
de la
langue
sociologique
usuelle
ne se
justifient
pas par la
fficulté
de notre terrain ou la
complexité
de nos
analyses.
C'est
une
ffaire
de prise de conscience et
d'apprentissage.
Une
analyse
maîtri-
se
mérite
une
limpidité
d'expression.
Howard
Becker nous rappelle
s
débuts
d'auteur et la
réaction
de E. C. Hughes à son premier texte.
On
dirait
que
tout
ceci est traduit mot à mot de l'allemand » ironisa
n
mentor. Il abandonna
déhnitivement
ce
préjugé étudiant
de la
leur
attribuée
aux
textes
abscons.
Son obsession pour rendre plus
jccessible
la lecture de la sociologie le conduisit quand il fut le
une
éditeur
de la revue
Social
Vroblems
a
réécrire
presque tous les
xtes
publiés
dans
les
numéros
qu'il
supervisait. Il n'appauvrissait pas
analyse,
ne
réduisait
pas les
données
mais
incitait
à la
cohérence,
ffrant
au lecteur l'occasion d'affronter des affirmations
dans
la ciar-
É,
de
contrôler
leur
sens,
de les contester ou de se les approprier
sans
s
risques
de l'erreur due à
l'ambiguïté
du discours. Dans l'entretien
cordé
à J.-P. Briand etJ.-M. Chapoulie, il reprend ces
idées
:
«
Outsiders
a
peut-être joué
un
rôle
particulier à
cause
de la
plicité
de son style ? A
quoi
faut-il
attribuer ce style ?
C'est
en partie un
goût
personnel, en partie quelque
chose
ue j'ai appris... Mais cette
manière d'écrire
est
aussi
Liée
à nia concep-
tion
de la sociologie. En citant encore une fois Hughes, je
dirai
que la
Raciologie, ordinairement, ne
découvre
pas des
choses
que personne
•"aurait connues auparavant. On pourrait dire
qu'il
n'est
pas du
tout
Les
idées
originales
d'Howard
Bêcher
pour
enseigner
ta
sociologie
Jean Peneff
question
de
dévoiler
ce qui serait
caché,
mais de
trouver
quelque
chose, au
sens
d'aller
dans
tel
endroit
où d'autres
gens
ne sont pas
encore
allés
mais où ils auraient pu aller et,
dans
ce cas,
voir
ce que le
sociologue
voit.
Ce n'est pas une
démarche
extraordinaire, magique, et
il
n'y a pas le
moindre
besoin d'un vocabulaire
ésotérique.
»4
Si la question de la
forme
est
indépendante
(pas totalement) de
celle de la
justesse
des
analyses,
de la
validité
des
données,
de la
cohé-
rence du raisonnement, la
possibilité
d'une
communication
non
ambi-
guë dépend
de la
précision
du
langage.
Habitués
à un style
négligé,
nous avons, en
tant
que lecteurs, tendance à sauter la phrase confuse
et à
trouver
l'échappatoire
de
notre
propre
interprétation
par une
autre
rédaction
mentale, esquivant ainsi la
culpabilité
de ne pas
saisir
le
sens
ou de ne pas demander des
éclaircissements
à l'auteur. Le
travail
de
réécriture demandé
par les revues ou les
éditeurs
est plus ou
moins
exigeant. Il n'y a pas, d'ailleurs, de
définition
de style simple. Il
y
a place
pour
plusieurs
façons d'écrire
sobrement, aucune ne s'impo-
se. Hughes a un style particulier
avec
des
phrases
alternant
brièveté
et
longueur,
parfois des allusions et
l'usage
d'un
humour
froid.
Freidson
a un
phrasé
long,
des
énoncés
sans
images, ni effets.
Goffman
a une
écriture littéraire
avec
ornements et
singularités
de vocabulaire.
LES
CONSEILS D'ÉCRITURE
ET
LES RÉSISTANCES ÉTUDIANTES
«
Tenez, depuis quelques
années,
je fais un cours de
rédaction
pour
mes
étudiants
en licence, je leur apprends à
écrire
simplement. Un
jour,
l'un d'eux m'a
fait
une remarque que je
trouve
très
suggestive :
« Dis,
Howie,
si
j'écris
comme tu nous le demandes, ça ressemble à ce
que
n'importe
qui
pourrait
dire ;
pour
que ça ait l'air
d'être
vraiment
"•
Hommage
à
Howard
S.
Becker,
Textes
réunis
par
|ean-Pierre
BnanJ
et
Henri
Percez
«Travaux
et Documents »,
Paris
8 Yincennes Saint-Denis, 1996-1, p. 77.
'un
sociologue, il
faut
écrire
autrement ».5 De ce cours
d'écriture
et
s
réactions
des
étudiants,
ii a
tire
un
livre
de conseils et de
réflexion
:
Ecrite
en sociologie ». Il y
dénonce
nos tics : l'abus des formes
jjassives,
de l'impersonnel « on », les
fausses
évidences
(«
Tout
le
onde
sait que... », « On
voit
que
»).
II conteste les expressions
xotiques
empruntées
à des vocabulaires
étrangers,
les concepts
sans
éfinition,
la tendance à la
répétition.
Il
déplore
que les
étudiants
fealpnsent la
première rédaction
(le
one-shotpapsf).
La valeur d'un texte
épend
dans
leur esprit de la
capacité
à
écrire
d'un seul
txait.
Cette
dmiration
pour
la
composition
immédiate
n'est pas une
forme
de
aresse
mais de manque de
repères
et d'habitudes
dans
le
réexamen
es textes.
Réécrire
leur parait un signe de
ratage
(ceux qui surveillent
es
examens
aujourd'hui
sont
étonnés
par ces
étudiants
qui se lancent
plans la
rédaction
de leur copie une lois le sujet
connu).
Renverser
'illusion
étudiante
que la
réécriture
et la reprise ne sont pas un
anque de
compétences
n'est pas facile. Il attribue cette
illusion
au
fait
que les auteurs n'exhibent pas leur intense
travail
de
réécriture
et
Cachent ce
côté
laborieux de
lutte
contre les redondances, les
formu-
les-clichés.
Dans la
plupart
des disciplines, les professeurs n'ensei-
gnent
pas
l'écriture
d'une science, les auteurs
n'évoquent
rien
de leurs
tâtonnements
ou des
difficultés
de
rédaction. L'élitisme écarte
par
principe
ce type d'enseignement
jugé
trop
élémentaire,
que ce soit par
snobisme ou par
occultation
dans
l'activité
intellectuelle du
travail
pratique.
Nous
manquons de textes sur les
problèmes
de
l'écriture
sociologique,
sur les habitudes des auteurs
dans
la recherche de la
concision.
Nous
enseignons comme s'il n'y avait aucun
problème
de
irehie
entre
éuidiants
et enseignants et aucune
tentation
de
distinction.
Nous
avons
pourtant
rencontré
le
malaise
culturel
des
étudiants
d'origine populaire s'appliquant à
imiter
ie conceptuel
obscur
: « ça ne
fait
pas socio » disent certains de nos
étudiants
quand
on
ieurfait
lire
Howard
Becker. Le sentiment
d'accès
facile à la
pensée
p.
tx
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