Femmes et innovation sociétale dans l`espace méditerranéen

Business School
W O R K I N G P A P E R S E R I E S
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Working Paper
2014-339
Femmes et innovation sociétale dans
l’espace méditerranéen
PETIT Isabelle
http://www.ipag.fr/fr/accueil/la-recherche/publications-WP.html
IPAG Business School
184, Boulevard Saint-Germain
75006 Paris
France
1
Femmes et innovation sociétale dans l’espace
méditerranéen
PETIT Isabelle
IPAG LAB
Professeur à l'IPAG Business School
4, Bd Carabacel 06000 Nice
04 93 13 39 24
Résumé :
Les femmes apparaissent souvent comme moins entreprenantes que les hommes en particulier
dans les pays l’innovation technologique domine. Cette résistance pourrait être moindre
dans une nouvelle forme d’innovation orientée vers des besoins sociaux et le soin, tâches plus
souvent attribuées aux femmes. L’innovation sociétale proposerait donc un terrain plus
propice aux entrepreneurs féminins. Nous avons recherché des indices permettant de vérifier
cette proposition dans un espace connu pour sa tradition patriarcale : l’espace méditerranéen.
Les données recueillies montrent que si le domaine de l’innovation sociétale mobilise plus les
femmes, elles ne deviennent entrepreneurs pour autant que si elles n’ont pas d’autres
possibilités pour accéder au marché du travail.
Abstract
Women often appear as less entrepreneurial than men especially in countries where
technological innovation dominates. This resistance may be lower in a new form of
innovation-oriented social needs and care, tasks usually assigned to women. The social
innovation would therefore propose a more suitable field for female entrepreneurs. We looked
for evidence to verify this proposal in an area known for its patriarchal tradition: the
Mediterranean. The data show that if the field of social innovation involves more women,
they become entrepreneurs, only if they have no other options for accessing the labor market.
Mots clés:
Entrepreneuriat féminin, innovation sociale, innovation sociétale, entreprise sociale,
entrepreneuriat social, femmes, microcrédit.
Key words
Female entrepreneurship, social innovation, social enterprise, social entrepreneurship, women,
microcredit
2
Introduction
Le monde de l’innovation et de l’entrepreneuriat est un monde dans lequel les femmes sont
faiblement représentées. Ce constat se vérifie particulièrement dans les pays innovation-
driven dans lesquels l’innovation est considérée comme la clé de la compétitivité selon les
catégories du Global Competitiveness report. C’est ce que montre l’étude du GEM (Global
Entrepreneurship Monitor) qui étudie sur un échantillon de 59 pays le comportement
entrepreneurial des femmes1. Alors que dans un pays comme la France l’intérêt pour
l’entrepreneuriat est évalué à 2% de la population féminine en âge de travailler, cet indicateur
est au maximum en Bolivie à 32,21% - pays qui lui, fait partie des pays considérés comme
factor-driven, en phase initiale de développement de ses infrastructures.
Pourtant, dans un contexte de crise qui permet de repenser les modèles économiques, les
femmes pourraient jouer un rôle actif dans l'émergence de nouvelles solutions dans un autre
domaine que la technologie. L’évolution actuelle d'une innovation valorisant les activités liées
au soin que ce soit des personnes ou de la nature dans le cadre d'un nouveau modèle de
développement pourrait mieux correspondre à un entrepreneuriat féminin. Le domaine du
care est associé à l’univers féminin (Brugère, 2011). Les femmes pourraient apparaître dans
ce domaine d'innovation comme plus entreprenantes.
Ainsi, l’innovation sociétale ouvre des perspectives dans lesquelles l’engagement féminin
pourrait se mobiliser davantage. Une redistribution est à l’œuvre entre économie formelle et
informelle, marché et secteur non-lucratif, société civile et secteur public, dans ce
réagencement la place des femmes apparaît particulièrement intéressante à observer. Écartée
d'une économie qui valorise principalement la mesure par le marché de l'activité économique,
le rôle des femmes dans le cadre de cette innovation pourrait évoluer sensiblement. Les
initiatives féminines sont porteuses de réponses originales aux problématiques sociales et
sociétales. Elles proposent de nouvelles frontières entre vie professionnelle et vie familiale, et
sont soucieuses de leur environnement et de leur territoire. A l'échelle de la planète, des
initiatives féminines sont étudiées qui s'inscrivent dans le champ de l'innovation sociale et
sociétale, car elles proposent de nouvelles organisations sociales et de nouvelles répartitions
du pouvoir (Guérin, alii, 2011). Il paraît particulièrement intéressant d'observer la place des
femmes dans cette innovation dans un espace de tradition particulièrement patriarcale qui est
l'espace méditerranéen. Cet espace est traditionnellement marqué par de grandes disparités de
genre, la participation des femmes à l’économie est peu apparente. Cette zone est
caractérisée par un taux de participation des femmes au marché du travail le plus faible de la
planète. Il est en outre en phase de transformation importante. Il parait donc pertinent
d’observer le rôle que peuvent jouer les femmes dans cet espace, ce qui nous amène à nous
demander si les femmes apparaissent comme un acteur de l’innovation sociétale dans l’espace
méditerranéen ? Peut-on noter des signes manifestant qu’elles seraient plus entreprenantes
dans ce domaine d’innovation ?
Pour aborder cette question, nous reviendrons sur la notion d'innovation sociale et sociétale,
en dégageant les acteurs qui la portent. Nous étudierons aussi le lien établi entre les femmes et
la notion de care. La littérature s'intéresse aussi actuellement au rôle des femmes dans le
développement économique à travers des initiatives innovantes comme le microcrédit.
Notre enquête essaiera de dégager le lien du monde féminin avec ces acteurs de l’innovation
sociale, en particulier dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, et dans ce nouvel
entrepreneuriat social émergent.
1 Enquête du GEM est menée sur 59 pays, 90 000 femmes ont été sondées dont 14000 entrepreneurs sur un total
de 175000 sondés l’été 2010
3
Partie 1 Femmes et innovation sociétale
Avant d’étudier la place des femmes dans des initiatives qui relèveraient de l’innovation
sociétale, il convient tout d’abord de définir ce que l’on entend par cette forme d’innovation.
1.1 Les acteurs de l’innovation sociétale
L’innovation sociétale n’a pas de définition très stabilisée. Héritière de l’innovation sociale,
elle intègre de nouveaux enjeux sociétaux par rapport à cette dernière et des structures plus
diversifiées.
L’innovation sociale est un concept en discussion depuis 20 ans, des sciences de gestion à la
sociologie et à la géographie (Hillier alii, 2004). La nécessité de trouver de nouvelles
solutions ne se limite pas à l'innovation technologique et donc à un processus du
développement technologique et sa mise sur le marché. La sociologie de l’innovation a
montré que ce processus est plus complexe et qu’il est avant tout un processus social (Akrich,
Callon, Latour, 2006). Toute innovation est donc sociale, mais certaines innovations se posent
comme sociales car que ce soit la finalité, le processus de création ou le résultat, chaque étape
est marquée par une dimension sociale. Désormais ce qui caractérise l’innovation sociale ou
sociétale ce n’est pas tant l’objet de l’innovation, un besoin non satisfait, mais surtout les
nouveaux rapports que la nouvelle solution propose dans la société. Elles est un objet d’étude
important notamment au Québec, c’est pourquoi nous nous appuierons sur la définition d’un
centre de recherche important, le CRISES2 : « Une innovation sociale est une intervention
initiée par des acteurs sociaux pour répondre à une aspiration, subvenir à un besoin, apporter
une solution ou profiter d’une opportunité d’action afin de modifier des relations sociales, de
transformer un cadre d’action ou de proposer de nouvelles orientations culturelles. En se
combinant, les innovations peuvent avoir à long terme une efficacité sociale qui dépasse le
cadre du projet initial (entreprises, associations, etc.) et représenter un enjeu qui questionne
les grands équilibres sociétaux. Elles deviennent alors une source de transformations sociales
et peuvent contribuer à l’émergence de nouveaux modèles de développement ». Ainsi, nous
voyons que la dimension sociale est partout que ce soit en tant qu’acteurs sociaux, dans les
conséquences et dans la transformation qu’elle peut amener à terme. Pour les chercheurs du
CRISES l’innovation sociale est porteuse de transformations sociales dans 4 domaines : elle
renouvelle les rapports de production, les rapports de consommation, les rapports entre
entreprises en proposant de nouvelles formes de gouvernances partenariales et propose de
nouvelles configurations spatiales des rapports sociaux (Bouchard, 2007). Elle est ainsi
porteuse d’un nouveau modèle de développement.
Dans le contexte français Nadine Richez Battesti, considère qu’elle se caractérise aussi par
quatre traits. Dans son objet, elle doit répondre à des besoins sociaux et environnementaux,
pratiques sociales et/ou organisations, dont la priorité est l’utilité sociale. Dans sa
gouvernance, elle intègre une dimension collective multi parti-prenante et réseaux. Dans sa
coordination, elle est aussi originale et enfin elle est marquée par un ancrage territorial
(Richez-Battesti, 2009). La mise en œuvre de cette forme d’innovation est donc un catalyseur
qui redéfinit le rôle de chacun, invente de nouvelles formes de partenariats et de nouvelles
formes de coordinations.
Dans la littérature américaine, la réflexion sur l’innovation sociale est suffisamment avancée
pour donner lieu à une nouvelle définition. Alors que l’équipe de Stanford de la Social
Innovation Review travaille sur ce sujet depuis 2003, en 2008, il a semblé important de
« redécouvrir » l’innovation sociale avec une nouvelle définition qui paraît s’imposer
2 2 Centre de Recherche sur les Innovations Sociales, www.crises.uqam.ca
4
Rediscovering Social Innovation » Phills et alii, 2008). Cette définition a été traduite en
français par l'expression d'innovation sociétale : «Une solution nouvelle à un problème social,
plus efficace, efficiente, durable ou juste que les solutions existantes et dont la valeur ajoutée
concerne en premier lieu la société dans son ensemble plus que les individus.» (Phills, 2008,
p. 38).Ce glissement vers le terme sociétal paraît pertinent pour distinguer cette nouvelle
acceptation de ce concept dans une vision plus large qui intègre aussi bien le secteur pionnier
du monde de l’économie sociale, qu’un secteur privé qui découvre le Social Business. Cette
définition insiste moins sur la transformation sociale mais elle remet la société dans son
ensemble bénéficiaire de l’innovation plutôt que le porteur de projet. Elle montre que la
nouveauté de la solution proposée, peut contenir une dimension sociale aussi bien dans les
acteurs qui la portent, dans la nouvelle relation qu’elle propose ainsi que dans ses
conséquences.
Mais qui sont ces acteurs de l’innovation sociétale ? Pour pouvoir situer la place des femmes
dans cette action, il est nécessaire de repérer les porteurs de projets.
Dans les débuts de l’innovation sociale, les premiers acteurs furent les organisations
représentatives de la société civile : associations et organisations non gouvernementales. Cette
innovation s’est développée dans un premier temps au sein de ce que l'on a appelé le tiers
secteur. A côté du marché et du secteur public, est apparu un nouveau secteur composé de
structures originales qui a été désigné par l’expression de « tiers secteur » pour évoquer cette
nouvelle sphère. Un modèle proposé par Pestoff illustre bien l'apparition de cette nouvelle
sphère entre le monde public, privé, et la société civile (Defourny, Pestoff, 2008). Il permet de
bien situer les frontières entre activité à but lucratif et non-lucratif, économie formelle et
informelle. Si nous devions placer la participation féminine traditionnelle à l’économie dans
le cadre de l’économie domestique non salariée, nous la trouverions dans cette économie
privée, informelle à but non-lucratif des communautés.
Source Defourny, Pestoff (2008)
Les structures du tiers secteur vont devenir les centres d’innovation sociale : les coopératives,
associations et diverses structures productrices de nouvelles solutions pour la société. Les
pionniers de l’innovation sociale sont donc principalement ces structures associatives et
coopératives héritières de la tradition associationniste qui représente aujourd’hui l’Économie
Sociale et Solidaire. Le développement de ce tiers secteur va s'accompagner d'une réflexion
sur une autre économie qui ne sera pas seulement caractérisée par un domaine social mais
aussi par des solutions originales s'inscrivant dans une économie solidaire englobant toutes les
activités citoyennes (Laville, 2011). Cette économie va recouvrir aussi bien les structures de
ETAT
Structures
publiques
COMMUNAUTES
Familles groupes informels
MARCHE
Entreprises privées
Public
But non-lucratif
Formelle
Informelle
Privé
1/3 secteur
1 / 18 100%
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