Clinique 348
B. Jemli, H. Garsallah, I. Lebben et al.
mi-cuisse. À J12, surviennent au niveau de la face postéro-externe
de la cuisse et à 5 cm du moignon des lésions squameuses nécrosées
avec prolifération mycélienne de moisissures (aspect visible à l’œil nu
et décrit par le cadre médical), des prélèvements de peau sont alors
réalisés et envoyés au laboratoire. L’examen direct a montré de larges
filaments non septés avec des ramifications à angles droits. À J14, la
culture permet d’isoler Rhizopus oryzae au niveau des prélèvements
des lésions de la cuisse. L’examen histologique, utilisant la coloration
de Grocott, objective la présence de nombreux filaments mycéliens
non cloisonnés, de diamètre irrégulier au sein d’une nécrose. Un trai-
tement antifongique par l’amphotéricine B est alors mis en route à la
dose de 0,7 mg/kg 1 jour/2, puis 1 mg/kg à partir du 3e jour. À J15 et
devant l’aggravation du syndrome infectieux et l’extension des lésions,
une désarticulation de la hanche droite est réalisée. À J18, on décrit
chez le patient une instabilité hémodynamique au début des séances
d’hémodialyse avec persistance de l’état infectieux. Parallèlement,
apparaît une récidive des lésions de nécrose sur le moignon d’ampu-
tation malgré un changement quotidien du pansement et l’application
locale d’amphotéricine B. Le patient décède à J37 dans un tableau de
choc septique et de défaillance multiviscérale.
Discussion
Les mucormycoses sont des infections fongiques rares, évo-
luant le plus souvent sur un mode aigu et principalement
sur un terrain fragilisé (1). Plus de 600 cas ont été rapportés
dans la littérature (2), dont une dizaine seulement en Tunisie
(2). Les champignons en cause sont saprophytes, largement
répandus dans la nature et caractérisés par leur grande affi-
nité pour les parois vasculaires (4). Les mucormycoses sont
habituellement décrites comme une complication rare mais
grave du diabète décompensé. Plusieurs facteurs prédisposants
ont été individualisés dont spécialement le diabète en décom-
pensation acido-cétosique (1). L’acidocétose semble jouer
un rôle déterminant, plus que l’hyperglycémie, en facilitant
la germination des spores. Elle favoriserait la croissance du
champignon en induisant une activité enzymatique (la cétone-
réductase) essentielle à son métabolisme et en augmentant
la disponibilité du fer sérique qui semble être un facteur de
croissance des Rhizopus. Cependant, l’acidose diminue les
capacités phagocytaires des polynucléaires, de même l’hépa-
tite C contribue à l’état d’immunodépression (4). Les patholo-
gies rénales sont également fortement impliquées ; dans notre
observation, l’insuffisance rénale chronique au stade terminal
semble jouer un rôle synergique avec le diabète dans la pro-
lifération du champignon. Chez ce malade, le mal perforant
plantaire représente une porte d’entrée des spores. Les lésions
cutanées retrouvées sont celles d’un placard érythémateux
de la face dorsale du pied qui a évolué par la suite en une
nécrose ischémique, puis vers une gangrène humide et même
une prolifération mycélienne sur le moignon d’amputation (1).
Généralement, le diagnostic des mucormycoses est anatomo-
pathologique et mycologique (2). Nous avons isolé Rhizopus
oryzae après culture sur milieu de Sabouraud ; c’est l’espèce la
plus fréquente, incriminée dans plus de 90 % des cas (2).
Non traitée, une mucormycose est toujours fatale. Un traite-
ment précoce est requis pour espérer une guérison qui n’est
actuellement obtenue que dans environ la moitié des cas (1).
Bien que l’examen direct soit positif, notre patient a été mis
sous amphotéricine B après le résultat de la culture, soit 2 jours
plus tard. L’approche thérapeutique doit être multidiscipli-
naire. Il faut associer le traitement des facteurs de risque au
traitement antifongique par amphotéricine B ou une de ses for-
mulations lipidiques et enfin une exérèse chirurgicale large des
tissus nécrosés (1). L’amphotéricine B reste le traitement médi-
cal le plus efficace. La forme liposomale, moins toxique pour
le rein, permettra un traitement prolongé souvent nécessaire
au cours de cette infection (2). Le posaconasole pourraît être
une alternative aux dérivés lipidiques de l’amphotéricine B, le
taux de survie observé dans une étude multicentrique étant de
66 % (3). La chirurgie, élément essentiel du traitement, doit
être la plus précoce possible et d’emblée assez large, même si
Photo 1.
Vue postéro-externe de la cuisse droite après l’amputation.
Postero-external view of the right thigh after amputation.
Photo 2.
Vue antérieure de la cuisse droite après l’amputation.
Anterior view of the right thigh after amputation.