MYCOLOGIE Mucormycose cutanée primitive et diabète : à propos d’une observation. B. Jemli (1), H. Garsallah (2), I. Lebben (2), M. Ferjeni (2) & S. Gargouri (1) (1) Service de parasitologie, hôpital militaire de Tunis, 1008 Montfleury, Tunisie, E-mail : [email protected] (2) Service de réanimation médicale, hôpital militaire de Tunis, 1008 Montfleury, Tunisie. Manuscrit n° 2673. “Mycologie” Reçu le 17 mars 2004. Accepté le 25 janvier 2005. Summary: Cutaneous mucormycosis and diabetes: about one observation. Mucormycosis is a rare opportunistic infection but a fulminant disease. Varying clinical forms have been described, including cutaneous localisations which are mainly observed in diabetic and burned patients. The cutaneous lesions induced by the mucormycosis affection are often atypical and gangrenous. We report a case of cutaneous mucormycosis in a Tunisian patient with diabetic ketoacidosis. He developed cutaneous necrotic lesions at the low limb. The diagnosis of mucormycosis was not initially evoked but tardily confirmed by identifying mucorale hyphae in tissue sections and Rhizopus oryzae in the sample culture. The treatment consisted of an extensive surgical debridement associated with intravenous perfusion of amphotericin B. The patient had a fatal outcome. diabetes cutaneous mucormycosis Rhizopus oryzae hospital Tunis Tunisia Maghreb Northern Africa Résumé : Les mucormycoses sont des affections opportunistes rares mais graves. Différentes formes cliniques ont été individualisées dont la forme cutanée décrite, surtout chez les diabétiques et les brûlés, sous forme de lésions primaires gangréneuses non spécifiques. Nous rapportons une observation de mucormycose cutanée survenant chez un sujet diabétique insulino-dépendant et insuffisant rénal. L’examen clinique a été évocateur avec lésions squameuses nécrosées et prolifération mycélienne de moisissures au niveau du membre inférieur. Le diagnostic a été évoqué tardivement et confirmé par la présence de filaments mycéliens à l’examen direct et de Rhizopus oryzae dans la culture des prélèvements effectués au niveau des lésions. Notre patient a bénéficié d’un traitement par amphotéricine B ainsi qu’un débridement chirurgical, mais l’issue a été fatale. Introduction L es mucormycoses sont des infections fongiques opportunistes, le plus souvent aiguës, secondaires à la prolifération, dans différents tissus viables, de champignons ubiquitaires appartenant à la classe des Zygomycètes et à l’ordre des Mucorales (1, 2). C’est une pathologie rare, d’incidence croissante (4), cosmopolite, avec une forte létalité et survenant le plus souvent sur un terrain débilité (1). La forme cutanée, troisième localisation après la forme rhino-orbitocérébrale et la forme pulmonaire, compte pour 10 % des cas dans la littérature (1, 2). Nous rapportons le cas d’une mucormycose cutanée chez un patient diabétique et insuffisant rénal pris en charge par le service de réanimation de l’hôpital militaire principal de Tunis au cours de l’année 2001-2002. Observation L e patient, âgé de 43 ans, est admis dans le service de dermatologie le 2 octobre 2002, suite à l’apparition d’un érysipèle de la jambe Bull Soc Pathol Exot, 2005, 98, 5, 347-349 diabète mucormycose cutanée Rhizopus oryzae hôpital Tunis Tunisie Maghreb Afrique du Nord droite qui s’est aggravé malgré l’antibiothérapie. On note dans ses antécédents un diabète insulino-dépendant évoluant depuis 1976, une insuffisance rénale chronique au stade terminal depuis 1991 avec prise en charge en hémodialyse, ainsi qu’une hépatite C. L’évolution se fait vers l’extension du placard érythémateux de la face dorsale du pied jusqu’à 5 cm au-dessous du genou avec inflammation, phlyctène et nécrose ischémique de la pulpe du pied. Une gangrène humide s’installe rapidement nécessitant l’amputation de la jambe, réalisée le 9 octobre 2002, et une antibiothérapie à base de ceftriaxone : 2 g/j, ofloxacine : 200 mg/j, métronidazole : 1,5 g/j et amikacine : 500 mg/j. À J1 de l’amputation, le patient a présenté une chute tensionnelle (80-90/40-50 mmHg) justifiant son transfert dans le service de réanimation. À son admission, son état hémodynamique est altéré avec une bradycardie à 38 b/min et une hypotension à 60 mmHg de pression artérielle systolique. Le bilan biologique montre un syndrome inflammatoire avec une hyperleucocytose à 28,3 Giga/l et une valeur de la C Reactive Protein (CRP) à 134 mg/l. Le malade est mis sous antibiothérapie à large spectre associant imipénème, vancomycine et métronidazole, insulinothérapie à la pousse seringue électrique à une dose permettant de maintenir une glycémie entre 5,5 mmol/l et 8 mmol/l. À J9, le patient est fébrile (38 °C), confus, délirant ; il présente une dyspnée avec signes de lutte respiratoire et perte de conscience. Parallèlement, le moignon est surinfecté présentant une fascéite nécrosante, nécessitant une reprise chirurgicale avec amputation à 347 B. Jemli, H. Garsallah, I. Lebben et al. es mucormycoses sont des infections fongiques rares, évoluant le plus souvent sur un mode aigu et principalement sur un terrain fragilisé (1). Plus de 600 cas ont été rapportés dans la littérature (2), dont une dizaine seulement en Tunisie (2). Les champignons en cause sont saprophytes, largement répandus dans la nature et caractérisés par leur grande affinité pour les parois vasculaires (4). Les mucormycoses sont habituellement décrites comme une complication rare mais grave du diabète décompensé. Plusieurs facteurs prédisposants ont été individualisés dont spécialement le diabète en décompensation acido-cétosique (1). L’acidocétose semble jouer un rôle déterminant, plus que l’hyperglycémie, en facilitant la germination des spores. Elle favoriserait la croissance du champignon en induisant une activité enzymatique (la cétone- réductase) essentielle à son métabolisme et en augmentant la disponibilité du fer sérique qui semble être un facteur de croissance des Rhizopus. Cependant, l’acidose diminue les capacités phagocytaires des polynucléaires, de même l’hépatite C contribue à l’état d’immunodépression (4). Les pathologies rénales sont également fortement impliquées ; dans notre observation, l’insuffisance rénale chronique au stade terminal semble jouer un rôle synergique avec le diabète dans la prolifération du champignon. Chez ce malade, le mal perforant plantaire représente une porte d’entrée des spores. Les lésions cutanées retrouvées sont celles d’un placard érythémateux de la face dorsale du pied qui a évolué par la suite en une nécrose ischémique, puis vers une gangrène humide et même une prolifération mycélienne sur le moignon d’amputation (1). Généralement, le diagnostic des mucormycoses est anatomopathologique et mycologique (2). Nous avons isolé Rhizopus oryzae après culture sur milieu de Sabouraud ; c’est l’espèce la plus fréquente, incriminée dans plus de 90 % des cas (2). Non traitée, une mucormycose est toujours fatale. Un traitement précoce est requis pour espérer une guérison qui n’est actuellement obtenue que dans environ la moitié des cas (1). Bien que l’examen direct soit positif, notre patient a été mis sous amphotéricine B après le résultat de la culture, soit 2 jours plus tard. L’approche thérapeutique doit être multidisciplinaire. Il faut associer le traitement des facteurs de risque au traitement antifongique par amphotéricine B ou une de ses formulations lipidiques et enfin une exérèse chirurgicale large des tissus nécrosés (1). L’amphotéricine B reste le traitement médical le plus efficace. La forme liposomale, moins toxique pour le rein, permettra un traitement prolongé souvent nécessaire au cours de cette infection (2). Le posaconasole pourraît être une alternative aux dérivés lipidiques de l’amphotéricine B, le taux de survie observé dans une étude multicentrique étant de 66 % (3). La chirurgie, élément essentiel du traitement, doit être la plus précoce possible et d’emblée assez large, même si Photo 1. Photo 2. mi-cuisse. À J12, surviennent au niveau de la face postéro-externe de la cuisse et à 5 cm du moignon des lésions squameuses nécrosées avec prolifération mycélienne de moisissures (aspect visible à l’œil nu et décrit par le cadre médical), des prélèvements de peau sont alors réalisés et envoyés au laboratoire. L’examen direct a montré de larges filaments non septés avec des ramifications à angles droits. À J14, la culture permet d’isoler Rhizopus oryzae au niveau des prélèvements des lésions de la cuisse. L’examen histologique, utilisant la coloration de Grocott, objective la présence de nombreux filaments mycéliens non cloisonnés, de diamètre irrégulier au sein d’une nécrose. Un traitement antifongique par l’amphotéricine B est alors mis en route à la dose de 0,7 mg/kg 1 jour/2, puis 1 mg/kg à partir du 3e jour. À J15 et devant l’aggravation du syndrome infectieux et l’extension des lésions, une désarticulation de la hanche droite est réalisée. À J18, on décrit chez le patient une instabilité hémodynamique au début des séances d’hémodialyse avec persistance de l’état infectieux. Parallèlement, apparaît une récidive des lésions de nécrose sur le moignon d’amputation malgré un changement quotidien du pansement et l’application locale d’amphotéricine B. Le patient décède à J37 dans un tableau de choc septique et de défaillance multiviscérale. Discussion L Vue postéro-externe de la cuisse droite après l’amputation. Postero-external view of the right thigh after amputation. Clinique Vue antérieure de la cuisse droite après l’amputation. Anterior view of the right thigh after amputation. 348 Mucormycose cutanée primitive et diabète. elle mène à des gestes aussi délabrants qu’une amputation de la jambe comme chez notre patient (1, 2). Les mucormycoses cutanées primitives, faciles à diagnostiquer et à traiter par exérèse chirurgicale complète, ont un meilleur pronostic (1). Cependant, l’étendue de la lésion, l’état d’immunodépression sévère du patient et le retard d’installation du traitement antifongique ont fait que l’évolution a été rapidement fatale. Conclusion L es mucormycoses sont des infections fongiques très agressives, constituant une urgence médicale au vu de leur évolution fulminante. Le principal facteur favorisant incriminé reste le diabète, surtout en décompensation acido-cétosique. Le pronostic dépend en grande partie de la précocité du diagnostic et du traitement. L’approche thérapeutique actuelle des mucormycoses requiert une réelle collaboration multidisciplinaire. Les grandes bases du traitement sont l’amélioration du terrain avec le contrôle de la pathologie sous-jacente, Bull Soc Pathol Exot, 2005, 98, 5, 347-349 l’exérèse chirurgicale des tissus infectés et nécrotiques et le traitement antifongique. L’amphotéricine B reste le traitement de choix des mucormycoses notamment dans ses formulations lipidiques qui ont une toxicité moindre et une efficacité au moins semblable à celle de la molécule mère. Références bibliographiques. 1. 2. 3. 4. BATTIKH R, LABBEN I, BEN ABDELHAFIDH N, BAHRI M, JBALI A et al.– Mucormycose rhinofaciale : à propos de 3 cas. Méd Mal Infect, 2003, 33, 427-430. BEN SAID M, YACOUBI MT, BEN HAMMOUDA M, MILI A, KORBI S & ABROUG F – Mucormycose rhino-cérébrale : à propos d’un cas tunisien. J Mycol Méd, 1994, 4, 51-53. GREENBERG RN, ANSTEAD G, HERBRECHT, LANGSTON A, MARK K et al. – Posaconasole (POS) experience in the treatment of Zygomycosis. Abstract m 1757, 43rd annual ICAAC Chicago (USA), 2003. HERBRECHT R & CHABASSE D – Zygomycoses (I) : généralités et mucormycoses. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Maladies infectieuses, 8-614-B-10, 1999, 8 p. 349