Deux théâtres, un même conflit ? Le poids de l`Union française sur l

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REVUE HISTORIQUE DES ARMEES N° 236,
3° TRIMESTRE 2004,
NUMERO CONSACRE A LA GUERRE FROIDE,
p. 18-32.
Deux théâtres, un même conflit ? Le poids
de l’Union française
sur l’intégration atlantique
1952-1956
François DAVID
Dans les années Cinquante, les responsables
occidentaux considèrent l’Europe, et en particulier le
Centre-Europe, comme le front principal d’une guerre
future. Il s’ensuit une volonté de survie et une montée en
puissance croissante de l’OTAN. Cet effort considérable
doit toutefois prendre en compte les conflits asiatiques et
africains. La République populaire de Chine à partir de
1949, la guerre d’Indochine puis celle de Corée
obscurcissent l’horizon politique et économique des EtatsUnis et de la France dans le Pacifique. Les progrès
nationalistes en Afrique remettent en cause la profondeur
stratégique de l’Alliance dans une guerre mondiale. Ces
considérations géopolitiques se superposent aux héritages
coloniaux du Royaume-Uni et de la France, que le texte du
Traité de l’Atlantique Nord ne garantit en rien : le
dispositif de l’OTAN s’oriente contre le bloc soviétique et
lui-seul. La distorsion prévisible entre les intérêts français
dans l’Union française et la défense prioritaire de l’Europe
perturbent les développements de l’Alliance pendant sa
première décennie. Dans le cadre rustique des contreguérillas indochinoises et nord-africaines, et en prévision
d’une guerre atomique, sophistiquée et apocalyptique,
comment la France relève-t-elle le défi de dessiner et
d’exécuter une mission atlantique à la hauteur de son rang
mondial supposé ? Malgré ses engagements outre-mer,
comment fait-elle face à la réforme et la modernisation
indispensables de ses forces en Europe ? Comment
concilie-t-elle croissance économique et sécurité
extérieure ?
Aussi étudierons-nous les développements suivants :
durant la guerre d’Indochine, la France reçoit l’aval tacite
de ses alliés de combattre le Viêt-minh au détriment
provisoire de son effort atlantique. A terme, ce conflit
lointain et atypique paralyse la réflexion sur la doctrine, la
stratégie et le format du corps de bataille stationné en
métropole et en Allemagne fédérale. Au niveau des étatsmajors français, nous analyserons ainsi les tentatives de
renaissance d’une organisation militaire cohérente, de Diên
Biên Phu à l’intensification irréversible des opérations
algériennes en 1956. Nous étudierons en particulier deux
projets du haut commandement en ce sens : les plans jaune
(1954) et orange (1955), ignorés jusqu’alors. Nous nous
fonderons à cette fin sur les archives du Service Historique
de l’Armée de Terre (SHAT), à savoir les dossiers relatifs à
l’Indochine (série 10 H), et surtout les fonds de l’Etatmajor de l’armée de terre (T), et ceux du Cabinet du
ministre (R). Certains cartons sont exploités pour la
première fois.
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p. 18-32.
Bilan atlantique de la guerre
d’Indochine
L’ampleur des effectifs français engagés en Indochine
suspend l’effort atlantique de la France. De 1950 à 1954,
les Etats-Unis ne contestent pas ce mouvement et décident
d’aider la France en Indochine : il est inutile de geler le
front de la Guerre froide en Europe, si on ne réagit pas
ailleurs aux menaces immédiates. En novembre 1952 ainsi,
le Conseil de l’Atlantique Nord finit par reconnaître que la
France en Indochine défend le « monde libre ». Le
nouveau secrétaire d’Etat John Foster Dulles va plus loin et
associe directement le théâtre indochinois à la sphère
atlantique. Il systématise et inverse la théorie des dominos :
une victoire en Indochine permettrait au gouvernement
français de donner l’indépendance aux Etats associés et de
rapatrier la majorité du corps expéditionnaire. Ce retour en
métropole permettrait à la France de monter en puissance
dans le dispositif atlantique. L’opinion publique et
parlementaire française retrouverait confiance, consentant
enfin à la Communauté Européenne de Défense (CED),
malgré un abandon notable de souveraineté face à
l’Allemagne réarmée.
Victoire en Indochine et mise sur pied d’une armée
européenne et atlantique sont consubstantielles de la
politique franco-américaine en 1952-1954. Jusqu’à Diên
Biên Phu, cet axiome se décline sur trois versants. Le
premier concerne le financement du réarmement européen.
Décidé à la conférence de Lisbonne (février 1952), il coûte
vite trop cher. Ainsi, en 1952, de même en 1953 , le budget
français de la Défense, même s’il ne démérite pas en
prélèvement sur la richesse nationale au classement
occidental, est manifestement insuffisant pour se
conformer aux accords de Lisbonne. Par chance pour la
France, les autres alliés, et d’abord les Etats-Unis,
renoncent pour les mêmes raisons à ces accords. Elue sur
un programme déflationniste, l’administration Eisenhower
renonce à accroître les budgets du Pentagone et de la
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Mutual Security et espère diminuer les effectifs de l’armée
de terre . Cela signifie l’arrêt progressif de l’aide militaire
américaine, pour les forces françaises en métropole et en
Allemagne. Pour l’année budgétaire 1954-55, la France
doit se contenter d’une ultime enveloppe de 100 millions
de dollars pour développer son artillerie et ses munitions.
A partir de 1955-1956, elle doit compter sur ses propres
finances pour s’armer.
Le second versant de la politique franco-américaine
porte sur le financement de la guerre d’Indochine.
L’équipement employé au Viêt-nam est déjà d’origine
américaine, et les livraisons en matériels se renforcent.
Paradoxalement, au ralentissement de l’aide à l’Europe
correspond un doublement de l’assistance financière à la
guerre d’Indochine pour 1953-54. Ce changement
d’échelle constitue une exception et confirme la règle : il
paraît rentable de vaincre en Indochine à court terme, avant
de rationaliser les dépenses militaires en Europe. A long
terme cependant, la défense de l’Europe occidentale
demeure la priorité absolue des Etats-Unis.
Le troisième versant concerne la recherche par la
France, sans objection américaine, du rang le plus élevé en
Europe continentale, au sein de l’OTAN et de la CED. Cet
obsession, associée à la volonté de rester dans le club des
trois grandes puissances occidentales, pèse lourd sur le sort
final de l’Indochine 1. Le péril soviétique et le futur
réarmement allemand interdisent de démanteler les forces
de couverture. Ainsi, le commandant en chef en Indochine,
le général Navarre, obtient en 1953-1954 la moitié
seulement des renforts indispensables à son plan de
reconquête : « Un nouvel accroissement des moyens
militaires de l’Union française, mis à la disposition du
théâtre d’opérations d’Indochine ne pourrait être obtenu
qu’au prix d’un affaiblissement excessif de nos forces en
Europe et en Afrique du Nord et les inconvénients qui en
résulteraient seraient encore plus graves pour la situation
globale de la France » écrit un très haut fonctionnaire
depuis Paris 2. De fait, le Plan 1954 prévoit à
l’automne 1953 de maintenir 319 000 hommes en Europe
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et 95 000 hommes en Afrique du Nord, mais de réduire en
revanche le corps expéditionnaire en Extrême-Orient de
183 000 à 165 000 hommes (total des effectifs militaires :
580 000 hommes). Le refus d’accorder les renforts
demandés par Saigon provoque un déficit de 380 officiers
et 2300 sous-officiers 3.
Redonner à l’armée française son rang de principale armée
continentale face à la future Bundeswehr. 2°) Lui confier
une mission atlantique à la hauteur de son rang européen.
3°) Etre et durer dans le premier mois d’un conflit
atomique.
Autre conséquence du réarmement atlantique, une
aviation inadaptée à l’Indochine. La perte de Diên Biên
Phu s’explique largement par la pénurie en
bombardiers B 26 et B 29. Seule une noria continue
pourrait desserrer l’étau Viêt-minh. Cette carence
s’explique par la priorité donnée en métropole à une force
aérienne tactique moderne sur le Rhin 4, par les types
d’avions américains livrés, et par la répartition des
fabrications d’armement au sein de l’OTAN.
Au lendemain de la guerre
d’Indochine, trois paramètres d’évolution
Pourtant l’effort insuffisant octroyé à l’Indochine n’a
même pas permis d’édifier un outil de défense opérationnel
en Europe. La défaite cinglante de Diên Biên Phu
concentre maintenant les regards sur l’attrition des forces
restées en France et en Allemagne. Le déficit budgétaire
chronique de la IVe République s’aggrave par le
déséquilibre croissant de la balance des paiements et la
fiscalité écrasante n’y change rien. Gardons à l’esprit ce
frein permanent à la modernisation de l’armée, sous la
IVe République.
Depuis 1946, l’armée française vit au rythme des
prélèvements continus de personnels et d’unités au profit
de l’Indochine 5. On y envoie seulement les militaires de
carrière, les volontaires et les troupes d’Union française, à
partir des unités déjà existantes. Ainsi, en juillet 1953,
douze bataillons issus de plusieurs divisions sont transférés
en faveur du plan Navarre. Cette pratique interdit la
définition d’un outil militaire cohérent avec les divisions
atlantiques. Face à cette carence qualitative et quantitative,
durant l’été 1954, le haut commandement français estime
pouvoir enfin réviser la posture militaire française et
proposer aux autorités politiques un projet ambitieux au
sein de l’OTAN, malgré la situation budgétaire : 1°)
La prochaine concurrence allemande
Pour des raisons historiques, l’opinion française et ses
élites s’inquiètent du réarmement allemand. Après l’échec
de la CED, les accords de Paris (23 octobre 1954) donnent
naissance à l’Union de l’Europe occidentale (UEO)
intégrant directement la RFA dans l’OTAN. Par
précaution, on définit un plafond de quatorze divisions
terrestres pour la France et douze pour la RFA à constituer
entre M (1er jour de la mobilisation, assimilé à l’époque au
1er jour de guerre) et M+30. Très vite, le haut
commandement français constate que l’économie
allemande peut atteindre sans difficulté son plafond, à la
différence notoire de la France. Les chefs d’état-major
français prévoient une supériorité terrestre allemande
dès 1955-56, et aussi aérienne tactique vers 1958 grâce à
1300 avions contre 1000 à la France 6.
Le vrai problème concerne le rang statutaire de la
France dans le dispositif Centre-Europe, en comparaison
de sa puissance de feu réelle. En 1952, on compte 46% de
cadres français dans l’état-major des forces terrestres
Centre-Europe, dont son commandant, le maréchal Juin
(1951-56). Or, le gouvernement français considère de plus
en plus les unités stationnées en Allemagne comme un
volant de gestion dans lequel on peut puiser. Plus la
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Bundeswehr fournira une contribution importante, plus elle
pourra faire valoir ses droits à une participation importante
dans les instances atlantiques.
Préparer la guerre atomique : le New Look
En 1953-54, l’administration Eisenhower définit une
posture défensive à très long terme, le New Look, pour
dissuader le bloc communiste sans ruiner les économies
occidentales 7. Le 12 janvier 1954, le secrétaire d’Etat
Dulles proclame le dogme des représailles nucléaires
massives dès le début d’un conflit. Le New Look devient la
doctrine officielle de l’OTAN, avec la directive ultrasecrète MC 48. Désormais, les forces atlantiques utiliseront
l’arsenal atomique et s’adapteront au combat en ambiance
nucléaire. Toutefois MC 48 ne supprime pas les armées
classiques, en renforçant la fonction. D’abord, un pays
satellite pourrait engager seul, pour le compte de l’Union
soviétique, un conflit limité et régional. Ensuite, MC 48
insiste sur l’importance décisive des premières actions
ennemies brèves et brutales, à contrecarrer par une
concentration
rapide
et
massive
des
forces
conventionnelles 8. Enfin, la bataille classique et
conventionnelle pourrait accompagner et suivre la bataille
nucléaire, bien au-delà du premier mois 9.
Il revient donc aux Européens, et à la France, d’assurer
le bouclier conventionnel. Dès septembre 1954, le
commandant suprême des forces alliées (SACEUR), le
général Gruenther, envoie la directive 177/54 pour adapter
les armées alliées à la guerre atomique 10. On part des
postulats suivants : les premiers échanges atomiques
dévasteront les forces à moins de les déployer sur de larges
surfaces à partir d’une logistique cohérente. Si on peut
encore accomplir une contre-offensive, des renforts
terrestres et aéroportés réduiront les éléments ennemis
épars et épargnés par la contre-attaque atomique de
l’OTAN. Dans cette guerre coûteuse en hommes, s’impose
la nécessité d’un premier échelon de forces, le plus
important possible et immédiatement sur pied, pour
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endiguer les forces conventionnelles ennemies ; d’un
second, pour reprendre l’initiative au plus vite, et d’un
troisième pour reconstituer le corps de bataille et
poursuivre la lutte.
La directive 177/54 et MC 48 bousculent le dispositif
militaire français. La préservation de l’Empire empêche la
France d’honorer l’obligation (en peau de chagrin depuis la
conférence de Lisbonne) de quatre divisions
opérationnelles au premier jour de la mobilisation (M).
Outre l’aspect quantitatif, la deuxième contrainte est
structurelle : les lourdes divisions françaises dépendent
trop des routes et des agglomérations, objectif prévisible
des frappes ennemies. La nouvelle division OTAN doit
donc désormais concentrer le maximum de puissance sous
le minimum de volume (12 à 13 000 hommes au lieu de
18 000) ; rechercher la mobilité en tout terrain et
s’affranchir des infrastructures routières grâce à des
véhicules de transport chenillés, coûteux en maintenance et
en carburant ; enfin, développer le transport aérien pour
des actions décisives. Sur le plan logistique, les divisions
doivent acquérir une autonomie complète, en sachant
qu’elles ne pourront compter sur aucune assistance
extérieure. Cela implique la standardisation maximale des
matériels, et la réduction des types de division 11.
L’organisation de l’instruction des troupes et les règles de
la mobilisation doivent évoluer aussi. En vue du plus grand
nombre d’unités professionnelles opérationnelles le
premier jour, on doit confier l’instruction des jeunes
recrues non plus aux corps de troupe mais à des centres
régionaux, conformément aux méthodes américaines. Les
difficultés de transport en ambiance nucléaire imposent
aussi une régionalisation de la mobilisation pour constituer
les divisions de 2e et 3e échelons.
Pour résumer, le SHAPE (commandement suprême des
forces alliées en Europe) préconise des divisions moins
importantes en effectifs, mais les plus nombreuses
possibles à effectif maximal entre M et M+5. En
novembre 1954, la guerre naissante en Algérie interdit tout
de suite à la France d’honorer sa part du contrat.
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Les conséquences du conflit algérien sur le
dispositif atlantique
Dès le départ, le gouvernement Mendès France emploie
les grands moyens. Il envoie d’Allemagne en Afrique du
Nord la 11e division d’infanterie complète et la 14e division
d’infanterie à 55% de ses effectifs, auxquelles s’ajoutent
dix-sept bataillons d’infanterie allégés, trois groupes de
transport et un groupe d’artillerie prélevés sur cinq
divisions d’infanterie. Ces départs perturbent l’OTAN. Sur
le plan qualitatif, le nombre d’instructeurs chute. Sur le
plan quantitatif, le SHAPE et la Maison-Blanche déplorent
l’usure accélérée d’un matériel livré gratuitement depuis
quatre ans au profit exclusif du corps de bataille centreeuropéen. Or ce matériel est soumis à une procédure de
surveillance très stricte de la part du Military Assistance
Advisory Group rattaché à l’ambassade à Paris. Si la
France choisit de déclasser deux divisions OTAN en
Afrique du Nord, l’administration Eisenhower a le droit le
plus strict de lui retirer le matériel donné, voire de le
transférer à la Bundeswehr.
En outre, les règles de subordination au SACEUR sont
assez strictes, du moins sur le papier. Depuis la conférence
de Lisbonne (février 1952), les membres de l’Alliance lui
rendent des comptes tous les ans sur leur réarmement
(révision annuelle). Or les retraits de grandes unités vers
l’Algérie empêchent d’honorer les engagements contractés
pour 1955 et 1956. S’y ajoute l’obligation de soumettre
tout redéploiement aux avis du SACEUR et du Conseil de
l’Atlantique nord, selon la procédure SGM-529-55,
approuvée en d’autres temps par la France elle-même au
Groupe permanent de Washington. En négociant les
accords de Londres, Pierre Mendès France a même
renforcé les prérogatives du Conseil de l’Atlantique nord et
du SACEUR, pour mieux encadrer le réarmement
allemand : volume, implantation et coordination logistique
des unités 12. Au nom de la parité avec la RFA, ce contrôle
s’applique à la France, en contravention dès la fin 1954.
Le problème devient ainsi moins militaire que politique.
En dépit de la théorie, l’autorité du SACEUR sur les
armées nationales n’est pas une relation hiérarchique
fondée sur l’obéissance, mais sur un contrat moral. Les
principales difficultés se rencontrent au niveau
diplomatique : ou bien les déficiences chiffrées de la
participation françaises incitent d’autres partenaires à
baisser la garde ; ou bien, certains membres reprochent à la
France de ne pas honorer son contrat, alors qu’elle devrait
constituer le principal pilier conventionnel de la défense
européenne avec la RFA. La situation en Algérie diffère
radicalement de la guerre d’Indochine, considérée comme
un épisode saillant de la Guerre froide. Les alliés ne
considèrent pas que l’Algérie relève de l’OTAN, malgré le
texte du traité de 1949 et son organisation en départements
français. Sous l’impulsion américaine, les partenaires
atlantiques refusent de considérer les indépendantistes
algériens comme un surgeon soviétique en Afrique du
Nord 13.
En réponse à ces critiques et malgré l’Indochine et
l’Algérie, l’état-major français tentera en 1954-55 de
répondre aux exigences du SACEUR par un programme
ultra-secret de réorganisation et de réarmement appelé
« plan jaune », puis « plan orange ».
Les projets de réforme et de modernisation du haut commandement français : les plans jaune et
orange
Le plan jaune (élaboration en 1954-1955 ;
pour l’horizon 1955-1957)
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Dès la signature des accords de Genève (juillet 1954),
l’état-major français propose au gouvernement un projet de
Loi programme, prototype des lois de programmation
militaire de la Ve République. Ce Plan à long terme (PLT),
le plan jaune doit préserver des fluctuations budgétaires,
sortir de quatre ans de promesses non tenues à l’OTAN, et
se conformer aux directives atlantiques récentes. Le
général Guillaume, chef d’état-major général des forces
armées, veut ainsi interrompre « un jeu d’improvisations
désastreuses ruinant les quelques forces existantes sans
réussir à répondre aux missions du moment 14 ». Il donne
l’ordre à son état-major de travailler selon les axes
suivants : défendre l’Afrique du Nord ; entretenir en temps
de paix un volume suffisant dans les trois armées pour
pouvoir combattre en Centre-Europe sans attendre les
effets de la mobilisation ; adapter les forces à la tactique
atomique ; régionaliser la mobilisation pour accélérer les
concentrations de troupes en première phase d’un conflit,
et, instituer un « dispositif permanent de défense intérieure
du territoire français » dans toute sa profondeur 15.
Emergence de la Défense intérieure du
territoire
Cette dernière intention modifie l’attention accordée à
la stratégie de l’avant, alpha et omega de la géopolitique
française depuis le début de la Guerre froide. La Défense
intérieure du Territoire (DIT) tente de mieux répondre au
double dilemme des années cinquante, et préfigure la
Défense opérationnelle du Territoire (DOT) de la
Ve République : défense de l’Union française, sauvegarde
du sanctuaire national et engagements atlantiques d’une
part ; équilibre entre forces conventionnelles et frappes
nucléaires, d’autre part. En fait, la DIT a pour fonction
principale de constituer un réservoir d’unités projetables et
de parer à des activités subversives en métropole. Alors
que les états-majors atlantiques se concentrent sur la guerre
atomique, le commandement français applique à l’espace
métropolitain et pas seulement à l’Algérie certains
enseignements de la contre-guérilla indochinoise. Par
ailleurs certains doutent à l’époque de l’automaticité de la
riposte nucléaire américaine. La non-intervention
américaine sur Diên Biên Phu pèse lourd dans les esprits16.
La DIT reçoit donc la mission de préserver l’autonomie de
la défense sur le territoire national.
Les gouvernements Pierre Mendès France
et Edgar Faure refusent de financer un
Plan à Long Terme
Cinquante jours après les accords de Genève, dès le
11 septembre 1954,
le
président
du
Conseil,
Mendès France convoque une conférence interministérielle
à Marly. Il y décrète une pause budgétaire. Cet
euphémisme traduit une réduction du budget de la Défense
d’au moins 20% : « Il s’agit de faire oeuvre de sincérité,
plutôt que de prétendre vouloir, par des artifices,
« gonfler » apparemment le volume des forces mises à la
disposition de l’OTAN. Mieux vaut posséder un corps de
bataille peut-être moins nombreux sur le papier, mais plus
valable et plus réel, qu’aligner des forces théoriques plus
volumineuses mais d’une efficacité discutable 17 ». Pour
répondre à cette directive, le chef d’état-major général de
l’armée doit proposer un abattement de 12% sur les
effectifs, soit la conversion de quatre divisions d’active en
divisions de réserve opérationnelles à M+30 18. Le
12 décembre 1954, Matignon accepte et en informe le
SHAPE 19.
Cette concession accordée, les chefs militaires
poursuivent néanmoins leur réflexion à moyen et long
terme. Les problèmes structurels des forces armées
demeurent. Le Conseil supérieur des forces armées
approuve définitivement le plan jaune modifié, le
4 avril 1955 20. Nous sommes sous le nouveau
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gouvernement Edgar Faure (ex-ministre des Finances de
Mendès France, tandis que le général Koenig reste ministre
de la Défense). Le CSFA place alors ses espérances dans
un budget de 1 064 milliards de francs dont 350 pour
l’armée de terre. Fin avril, le ministre des Finances Pfimlin
riposte en proposant 305 milliards ; Matignon tranche à
323. Cela signifie que le plan jaune ne sortira jamais des
cartons. Vis-à-vis de l’OTAN, on prend le risque de ne
disposer d’aucune division opérationnelle à 100% au
premier jour de la mobilisation (M)21.
Les conséquences atlantiques sur les trois
armées
Alors que le Groupe permanent à Washington et le
SHAPE insistent pour abréger les délais, le budget terrestre
de 323 milliards de francs reporte la disponibilité des
divisions de 2e échelon, de M+5 à M+10. Cela revient à
renoncer à mener une guerre mondiale éventuelle, en se
reposant sur l’équilibre nucléaire entre les deux blocs.
Les réductions budgétaires de la Marine empêcheront la
constitution d’un stock de munitions aux normes OTAN.
Elle n’alignera pas assez d’escorteurs de convois, ni de
flottilles de l’aéronavale. Comme la fin des livraisons de
matériel américain l’obligera en 1956-1957 à financer la
totalité de ses besoins, elle devra renoncer à un programme
de constructions neuves et à une flotte de combat de
360 000 tonnes en 1963.
L’armée de l’air, enfin, paie le plus lourd tribut : 143
avions en moins par rapport au plan jaune. Jusqu’alors,
elle bénéficiait de l’orientation la plus atlantiste des trois
armées. Le plan jaune devait couronner quatre années de
réarmement et permettre de remplir enfin la mission aéroterrestre impartie par l’OTAN : interdire les deux trouées
de Saverne et de Belfort en attendant les formations de
M+5, grâce à la complémentarité de la Ire Armée et du
Ier CATAC (corps aérien tactique). En outre, la réduction
des unités de bombardement léger ne facilitera pas l’entrée
de la France dans le « club atomique », alors que les EtatsUnis entraînent déjà les aviateurs britanniques et canadiens
aux opérations atomiques.
La défense aérienne du territoire (DAT) subit aussi les
restrictions de plein fouet. Sa mission atlantique consiste à
couvrir la mobilisation française, le débarquement des
troupes et des matériels anglo-saxons. Elle doit alerter les
populations et les troupes en voie de concentration. On
estime à l’époque pouvoir éviter 75% à 90% du choc
thermique en s’abritant derrière un mur… à condition
toutefois d’être averti. Les économies budgétaires
interdisent même d’achever la ceinture radar, créant une
béance entre Dôle et la Côte d’Azur.
Le Conseil supérieur des forces
armées en opposition frontale
avec l’exécutif
La dramatique séance du 3 juin 1955 22
Le Conseil supérieur des forces armées rassemble tous
les
officiers
généraux
détenteurs
d’un
grand
commandement. Lors de sa séance houleuse du 3 juin
1955, il condamne à l’unanimité cette impasse budgétaire
pénalisant autant la sécurité de la France et de ses alliés,
que l’Union française (sacrifice du transport aérien lourd).
Il estime que seul un budget idéal de 1 500 milliards de
francs défendrait la France, compte tenu de l’accroissement
du revenu national : le budget Faure-Pfimlin rompt avec
les engagements pris à la conférence de Lisbonne (1952)
d’établir un lien entre l’effort financier de défense et la
croissance économique (5% tout de même en 1954).
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Certains généraux frondeurs proposent alors la démission
du Conseil.
Le ministre, le général Koenig, repousse une telle
insubordination mais autorise à en diffuser la rumeur. En
attendant, l’avis transmis au gouvernement dénonce avec
vigueur les 119 milliards soustraits au plan jaune originel :
ces limitations « compromettent non seulement l’avenir des
armées, mais celui du pays et des territoires extérieurs
dont elles ont mission d’assurer la sécurité ». Fort de son
prestige personnel, le ministre de la Défense ordonne à
l’état-major de l’armée de terre de maintenir l’objectif
officiel de 470 000 hommes et interdit de mentionner
pour 1956 un « plan » à 450 000 hommes, au profit de la
litote « cadre budgétaire ». Le général Koenig prend date,
et ne cède rien qui conduirait au plancher des
420 000 hommes recherché par le ministère des
Finances 23.
Le Plan Orange (1955 ; pour l’horizon
1957-1958)
D’un point de vue budgétaire, les gouvernements
successifs refusent ainsi d’imprimer une orientation claire à
la politique militaire à long terme. La priorité porte sur les
dépenses civiles et la guerre d’Algérie, reléguant au second
plan les engagements atlantiques. Face à la rue de Rivoli
toute puissante, le comité des chefs d’état-major organise
une pression constante sur les pouvoirs publics. Instruits
par l’expérience, les généraux proposent une position
maximale pour obtenir le moins mauvais compromis final.
Dès le 19 août 1955, le comité des chefs d’état-major,
en étroite coordination avec le général Koenig, élabore un
nouveau plan pour 1957 et 1958, sans en référer au
président du Conseil 24. A l’initiative du général Zeller,
chef d’état-major de l’armée de terre, on part du plan
jaune, comme si les restrictions budgétaires devaient rester
exceptionnelles et transitoires. Cette étude, prospective
8
mais destinée au gouvernement, aboutit au plan orange :
un budget total de 1 125 milliards de francs en 1957, et
1 172 milliards en 1958, dont 418 par an à l’armée de terre
pour un effectif de 504 000 h. 25.
Le plan orange actualise donc les ambitions chiffrées
du plan jaune, mais place la priorité irrévocable sur
l’Algérie, avec une dégradation irrémédiable des missions
atlantiques. La France a d’ailleurs envoyé deux divisions
supplémentaires en Algérie, équipées de matériel américain
conformément aux vœux du Conseil supérieur des forces
armées. Par exemple, le général de Larminat estime que :
« L’armée de terre a pratiquement dénoncé le contrat
OTAN pour marcher au feu en Afrique du Nord. A quoi
serviront à la France dans cinq ans, cent avions de combat
et une division blindée de plus en Europe, une Task force
maritime de plus, si nous avons perdu notre Afrique ? ».
Avec le plan orange, les priorités s’inversent
définitivement : une garnison puissante et permanente en
Afrique, la défense intérieure du territoire et la couverture
de la frontière de l’Est. L’OTAN hérite donc de la portion
congrue. On ne prévoit plus de participer à la bataille
retardatrice sur le sol allemand. En effet, le plan ne
mentionne aucune doctrine d’emploi de l’aviation de
transport sur le théâtre européen, ni le ravitaillement aérien
des divisions, ni les transports de renforts d’un secteur à
l’autre, encore moins l’emploi massif de troupes
aéroportées. On remet un peu plus en cause la « stratégie
de l’avant » en Centre-Europe. En tout cas, on en laisse la
responsabilité principale aux Etats-Unis, à la GrandeBretagne et à l’Allemagne occidentale. Quant à l’appui
aérien tactique, les forces terrestres détiendront fort peu de
jets chasseurs-bombardiers avant 1961. Enfin la Marine
doit accepter la disparition de toute référence au futur
porte-avions. (Commandes ? Cadences de fabrication ?
Doctrine d’emploi et degré de la coopération
interalliée ?) 26.
Au profit de la DIT et de l’Algérie en revanche, le plan
orange érige le territoire national en « place d’armes ». Il
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s’agit de « tenir compte de la diversité des missions
souvent contradictoires, et d’alimenter avec souplesse et
continuité des corps opérationnels (de bataille, de
maintien de l’ordre, d’intervention outre-mer) disposant
d’un minimum de moyens affectés de façon
permanente » 27. Contre la subversion idéologique, et pour
raccourcir les délais de mobilisation en plein chaos
nucléaire, le nouveau plan confirme la régionalisation et la
décentralisation de la mobilisation, conformément au
SACEUR et au plan jaune. Il reprend aussi le système des
centres d’instructions autonomes qui alimenteraient en
hommes les unités. En outre, les divisions resteraient
attachées pour leur base arrière et leur gestion à leur région
militaire d’origine.
divisions alliées en voie de modernisation, et à préserver le
potentiel technologique français. Par exemple pour l’Arme
Blindée Cavalerie, le plan orange impose comme norme de
rendre les matériels blindés existants étanches aux
poussières radioactives (à une époque où l’on sous-estime
la rémanence radioactive sur le champ de bataille). Dans
l’infanterie, le programme lance l’étude d’un véhicule
blindé, transportant douze hommes, préfiguration du
Véhicule de l’Avant Blindé (VAB) construit sous la
Ve République. Enfin cette adaptation à la guerre atomique
moderne passe par une standardisation systématique du
matériel,
rendue
indispensable
d’ailleurs
par
l’interchangeabilité des unités.
Enfin, pour prévenir les critiques des partenaires
atlantiques, le général Zeller essaie d’imposer la notion d’«
utilisation en profondeur » des ressources, battue en brèche
en 1953-1954 par les « théoriciens de l’avant ». Malgré cet
effort conceptuel, le SHAPE comprend très vite que la
« place d’armes » métropolitaine est un euphémisme pour
désigner un volant de gestion, alimentant aussi bien les
divisions destinées à l’Algérie que le corps de bataille
atlantique. Le commandement français réfléchit en effet à
la simplification maximale des grandes unités en trois
catégories : une division d’infanterie motorisée dotée des
matériels les plus modernes, de type Forces Françaises en
Allemagne (guerre atomique) ; une division d’infanterie, de
type métropolitain (DIT) ; enfin une division blindée. Les
unités grandes ou petites doivent devenir interchangeables
(expérience des guerres d’Indochine et d’Algérie). Au
final, la division métropolitaine (re-)devient une boîte à
outils et un réservoir de personnels28. En conséquence, les
instances atlantiques s’interrogent sur le nombre de
divisions vraiment disponibles à 100% au premier jour de
guerre.
Rejet du plan orange par le gouvernement Guy Mollet
En pleine connaissance de cause, les états-majors
relèguent donc leur participation à l’Alliance à une posture
de veille pour sauver l’essentiel, à savoir l’Empire. Ils
cherchent certes à éviter un décrochage complet avec les
Fin 1955, faute de majorité stable, Edgar Faure dissout
l’Assemblée nationale et procède à des législatives
anticipées, laissant le plan orange en suspens. Désireux
d’exploiter l’interrègne, le général Zeller ordonne à
l’armée de terre l’application du plan orange, en
commençant par régionaliser l’instruction. Dans le cas
prévisible où les crédits budgétaires ne suivraient pas les
exigences du plan jaune, le système serait « rétréci
homothétiquement ».29
Le nouveau gouvernement Guy Mollet déjoue vite la
manoeuvre. En juillet 1956, il repousse le plan orange
comme son prédécesseur avait refusé le plan jaune, pour
cause de dépassement budgétaire. Il retient toutefois les
principes de la « place d’armes » métropolitaine et de la
« division régionale ». En revanche, il ordonne de réduire
les FFA et de sortir des normes OTAN en admettant des
effectifs en temps de paix nettement plus réduits que ceux
requis par le SACEUR. La nature des forces doit évoluer
aussi avec suppression d’une ou deux divisions blindées.
Matignon exige en outre l’allègement de l’artillerie et de la
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DCA lourde. Quant au nouveau format de la division
d’infanterie, on en garde la structure, mais en la réduisant à
65% de ses effectifs souhaités, soit 9 000 hommes au lieu
de 13 000 30.
L’équilibre de la terreur nucléaire
ne dispense pas d’un ajustement
constant à l’environnement international
Nous n’avons pas évalué ici la définition de l’outil
militaire français dans les années Cinquante sous l’angle de
la décision politique. Il reste beaucoup à étudier sur les
relations entre le ministère de l’Economie et celui de la
Défense, transformé en variable d’ajustement budgétaire.
On pourrait ainsi s’interroger sur la constance des Finances
à réduire les effectifs alors que tous les types de conflit
durant la Guerre froide exigent l’entretien dispendieux de
forces terrestres nombreuses : la guerre atomique
dévastatrice dans les vingt premières minutes ; mais aussi
la contre-guérilla qui exige une densité et une dispersion
des troupes sur le terrain.
Conformément aux hypothèses du New Look, tous les
partenaires atlantiques de la France évitent de casser la
croissance. Face au dilemme entre une économie prospère
et une défense opérationnelle, la IVe République – Pierre
Mendès France en particulier – choisit une troisième
voie : la fabrication de l’arme nucléaire. En décembre
1954, Edgar Faure, ministre des Finances, acquiesce parce
qu’il croit à l’époque qu’un arsenal nucléaire coûterait
moins cher que quatorze divisions à M + 30. Jamais
appliqué, le plan orange (conventionnel) nourrit au moins
la réflexion stratégique et budgétaire en faveur du
nucléaire. A mise minimale, rapport maximal : la France
participerait de plein pied à la doctrine des représailles
10
massives (défense atlantique) ; elle sanctuariserait son sol
national (DIT) ; enfin elle rendrait à sa population un
sentiment de grandeur, après les déboires de l’Union
française 31.
Certes. Toutefois, une telle démarche ne résout toujours
pas l’équation posée par le New Look : une guerre
éventuelle sera-t-elle nécessairement atomique, donc
impossible ? L’« équilibre de la terreur » prémunit-il d’un
conflit conventionnel ? N’encourage-t-il pas d’ailleurs la
subversion interne, en métropole et outre-mer ? En même
temps, la principale leçon des plans jaune et orange est
d’illustrer l’impossibilité de vouloir répondre à toutes les
menaces à la fois, sous peine d’échouer. Un Etat spartiate
s’expose à une banqueroute qui l’empêche à terme de
financer son complexe militaro-industriel et provoque
l’implosion ultime de son système social. Les
gouvernements de l’OTAN choisissent la voie inverse dès
les années 1950. En vérité les autorités civiles et militaires
se complètent en direction d’une seule et même sécurité.
En France, il revient aux autorités civiles de veiller à
l’économie, et à l’état-major de tracer la ligne idéale.
Durant la Guerre froide, il n’existe aucune posture de
défense adéquate, seulement des compromis laborieux.
« Une posture de défense authentique se compose de
trois facteurs : le spirituel, le militaire et l’économique »
martèle le général Eisenhower pendant sa présidence 32.
Cette triade instable contraint à naviguer à vue et fait
ressortir l’importance cruciale des travaux d’état-major. Le
haut commandement a pour mission primordiale de
proposer en tout temps aux pouvoir publics des solutions
applicables, en se fondant sur le contexte économique et
extérieur, et en organisant le corps de bataille selon une
flexibilité maximale. A son retour au pouvoir en 1958, le
général de Gaulle le rappelle avec force : « Il n’y a pas
trois formes de guerres (nucléaire, subversive, classique)
mais une guerre qui menace d’englober successivement ou
simultanément ces trois aspects. Par conséquent nous
devons organiser nos forces pour faire face simultanément
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à ces trois dangers et avoir en conséquence une
organisation polyvalente » 33.
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19
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1
Indochine-Efforts financiers et matériels de la France de 1945 au 1er
janvier 1953, Synthèse du secrétariat d’Etat aux forces armées,
25/9/1953. SHAT, 10 H 155.
2
Comité de Défense nationale du 13/11/1953, secrétaire général permanent de la Défense nationale à Marc Jacquet, secrétaire d’Etat chargé
des relations avec les Etats associés. SHAT, 10 H 1510.
3
Sur les déceptions du GAL Navarre en renforts : relève et entretien
en 1954 des forces terrestres en Extrême-Orient, lettre du GAL Navarre
au secrétaire d’Etat aux Etats associé, Saigon. 19/8/1953. SHAT,
10 H 179.
4
Problèmes interarmées, fiche du COL Lennuyeux en vue du voyage de
R. Pleven en Indochine. 8/2/1954. SHAT, 10 H 1510.
5
Exposé du GAL Blanc, chef d’état-major de l’armée de terre au
Conseil supérieur des forces armées (CSFA), 5 novembre 1954. SHAT,
6 T 502.
6
Perspectives résultant des budgets 1955-1956, lettre du GAL Valluy
(chef de la délégation au Groupe permanent de Washington) commentant la séance du CSFA du 3 juin 1955, 6/6/1955. SHAT, 7 R 5.
7
Sur le New Look, voir G-H. Soutou, La Guerre de cinquante ans,
Paris, Fayard, 2001, pp. 280-283.
8
Analyse de MC 48 dans Plan d’organisation des forces armées françaises pour 1957-1958, lettre du GAL Valluy au ministre, 5/12/1955.
SHAT, 6 T 504.
9
Après l’apocalypse nucléaire, « seul le nombre pourra alors résister au
nombre », note d’information sur l’armée de terre, transmise à tous les
commandants de divisions et d’écoles militaires, 14/2/1956. SHAT,
6 T 503.
10
Sur l’adaptation des procédés de combat à l’arme atomique tactique,
cf. SHAT, cartons 10 T 1006, 1047 et 1054.
11
Instruction personnelle et secrète pour le chef d’état-major général, et
les chefs d’état-major des trois armées. 19/8/1955. SHAT 6 T 865.
12
Fiche concernant les interférences des dispositions des traités de
l’Atlantique Nord et de l’Union de l’Europe occidentale sur
l’organisation de l’armée du 27/8/1955. SHAT, 6 T 502.
13
« Les territoires français d’outre-mer constituent actuellement un des
fronts de la Guerre froide où les forces de subversion sont en oeuvre
méthodiquement et progressivement ». Lettre du général de Larminat à
M. de Courcel, secrétaire général permanent de la Défense nationale.
1/6/1955, ibid.
14
Intervention du général Guillaume au CSFA du 3/6/1955. SHAT,
7 R 5.
15
Plan de réorganisation des forces armées, début 1955. SHAT,
6 T 502.
16
Sur ce scepticisme, voir l’instruction secrète du ministre pour le chef
d’état-major général. 19/8/1955. SHAT, 6 T 504.
17
Transformation des 4 divisions d’active en divisions de réserve, note
du général Blanc au secrétaire d’Etat aux forces armées « Guerre », du
20/1/1955. SHAT, 6 T 502.
18
Crédits prévisionnels-Mai, juin 1955. Réorganisation 1955. (Plan
jaune), ibid.
Décision du 15/12/1954. Ibid.
Chronologie de l’évolution du plan jaune. 12/5/1955. Sous-chef
d’état-major de l’armée de terre. Ibid.
21
Plan de réorganisation des forces terrestres (plan de 420 000 hommes). 1er Bureau de l’état-major de l’armée de terre, note du 11/5/1955.
Ibid.
22
Voir le procès-verbal du CSFA du 3/6/1955. SHAT, 7 R 5.
23
Lettre du général Koenig, ministre de la Défense, au général Blanc,
chef d’état-major de l’armée de terre, du 25/5/1955. SHAT, 6 T 502.
24
Instruction personnelle et secrète du ministre pour les Chefs d’Etatmajor, du 19/8/1955. SHAT, 6 T 504.
25
Présentation du plan orange pour les forces terrestres, brouillon de
lettre du général André Zeller, chef d’état-major de l’armée au chef
d’état-major général, du 10/12/1955. SHAT, 6 T 504.
26
Critiques des carences du « plan orange » en matière atlantique, exprimées au CSFA du 26/11/1955. Général Valin, 28/12/1955. SHAT, 6
T 504.
27
Projet de plan d’organisation des forces terrestres pour les années
1957-1958 du 4/10/1955. Directive aux chefs d’état-major. SHAT,
6 T 502.
28
Projet de plan d’organisation, de l’armée de terre, note du général
Zeller au chef d’état-major général du 4/10/1955. SHAT, 6 T 502.
29
Fiche du général Zeller, du 16/12/1955. SHAT, 6 T 503.
30
« Structure de la division d’infanterie type 65% plan Orange », note
pour l’état-major de l’armée, du 6/8/1956. SHAT, 6 T 504.
31
Sur la réflexion nucléaire des états-majors : note sur l’organisation de
l’armée de terre du général Zeller (10 p.), juillet 1955. SHAT, 6 T 502.
Instruction personnelle et secrète pour les Chefs d’Etat-major.
19/8/1955. SHAT, 6 T 504. « La première bombe pourrait être utilisée
en 1959 à condition que la décision de réalisation soit prise immédiatement ». Fiche du général Valin, 28/12/1955, ibid. Directive de politique
militaire à long terme, signée M. Bourgès-Maunoury du 5/10/1956.
SHAT, 6 T 503.
32
Conférence de presse sur le nouveau budget fédéral et les questions
militaires, New York Times du 1/5/1953.
33
Directives du général de Gaulle au comité des chefs d’état-major.
13/10/1958. SHAT, 6 T 506. Souligné par l’auteur.
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