REVUE HISTORIQUE DES ARMEES N° 236,
3° TRIMESTRE 2004,
NUMERO CONSACRE A LA GUERRE FROIDE,
p. 18-32.
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Bundeswehr fournira une contribution importante, plus elle
pourra faire valoir ses droits à une participation importante
dans les instances atlantiques.
Préparer la guerre atomique : le
New Look
En 1953-54, l’administration Eisenhower définit une
posture défensive à très long terme, le New Look, pour
dissuader le bloc communiste sans ruiner les économies
occidentales 7. Le 12 janvier 1954, le secrétaire d’Etat
Dulles proclame le dogme des représailles nucléaires
massives dès le début d’un conflit. Le New Look devient la
doctrine officielle de l’OTAN, avec la directive ultra-
secrète MC 48. Désormais, les forces atlantiques utiliseront
l’arsenal atomique et s’adapteront au combat en ambiance
nucléaire. Toutefois MC 48 ne supprime pas les armées
classiques, en renforçant la fonction. D’abord, un pays
satellite pourrait engager seul, pour le compte de l’Union
soviétique, un conflit limité et régional. Ensuite, MC 48
insiste sur l’importance décisive des premières actions
ennemies brèves et brutales, à contrecarrer par une
concentration rapide et massive des forces
conventionnelles 8. Enfin, la bataille classique et
conventionnelle pourrait accompagner et suivre la bataille
nucléaire, bien au-delà du premier mois 9.
Il revient donc aux Européens, et à la France, d’assurer
le bouclier conventionnel. Dès septembre 1954, le
commandant suprême des forces alliées (SACEUR), le
général Gruenther, envoie la directive 177/54 pour adapter
les armées alliées à la guerre atomique
10. On part des
postulats suivants : les premiers échanges atomiques
dévasteront les forces à moins de les déployer sur de larges
surfaces à partir d’une logistique cohérente. Si on peut
encore accomplir une contre-offensive, des renforts
terrestres et aéroportés réduiront les éléments ennemis
épars et épargnés par la contre-attaque atomique de
l’OTAN. Dans cette guerre coûteuse en hommes, s’impose
la nécessité d’un premier échelon de forces, le plus
important possible et immédiatement sur pied, pour
endiguer les forces conventionnelles ennemies ; d’un
second, pour reprendre l’initiative au plus vite, et d’un
troisième pour reconstituer le corps de bataille et
poursuivre la lutte.
La directive 177/54 et MC 48 bousculent le dispositif
militaire français. La préservation de l’Empire empêche la
France d’honorer l’obligation (en peau de chagrin depuis la
conférence de Lisbonne) de quatre divisions
opérationnelles au premier jour de la mobilisation (M).
Outre l’aspect quantitatif, la deuxième contrainte est
structurelle : les lourdes divisions françaises dépendent
trop des routes et des agglomérations, objectif prévisible
des frappes ennemies. La nouvelle division OTAN doit
donc désormais concentrer le maximum de puissance sous
le minimum de volume (12 à 13 000 hommes au lieu de
18 000) ; rechercher la mobilité en tout terrain et
s’affranchir des infrastructures routières grâce à des
véhicules de transport chenillés, coûteux en maintenance et
en carburant ; enfin, développer le transport aérien pour
des actions décisives. Sur le plan logistique, les divisions
doivent acquérir une autonomie complète, en sachant
qu’elles ne pourront compter sur aucune assistance
extérieure. Cela implique la standardisation maximale des
matériels, et la réduction des types de division
11.
L’organisation de l’instruction des troupes et les règles de
la mobilisation doivent évoluer aussi. En vue du plus grand
nombre d’unités professionnelles opérationnelles le
premier jour, on doit confier l’instruction des jeunes
recrues non plus aux corps de troupe mais à des centres
régionaux, conformément aux méthodes américaines. Les
difficultés de transport en ambiance nucléaire imposent
aussi une régionalisation de la mobilisation pour constituer
les divisions de 2e et 3e échelons.
Pour résumer, le SHAPE (commandement suprême des
forces alliées en Europe) préconise des divisions moins
importantes en effectifs, mais les plus nombreuses
possibles à effectif maximal entre M et M+5. En
novembre 1954, la guerre naissante en Algérie interdit tout
de suite à la France d’honorer sa part du contrat.