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N° 143 - Tome 16 - mars 2011 - RéfleXions Ophtalmologiques
Théorie motrice et théorie
sensorielle concernant l’origine
du strabisme précoce
Bien avant l’amélioration des connaissances fondamentales et
cliniques de la seconde moitié du XXe siècle, on peut résumer
les théories sur la physiopathologie du strabisme précoce à
une théorie motrice et une théorie sensorielle, que Tychsen
dénoncent toutes deux !
>Une théorie motrice évoquée par Von Noorden selon
laquelle l’excès de vergence tonique initiale (rôle de neurones
de la vergence identifiés comme des neurones de MT et MST)
perturbe le développement de la fusion motrice. Le système
sensoriel est initialement normal (6).
>Une théorie sensorielle, défendue en particulier il ya bien
longtemps par Worth, selon laquelle il existe initialement une
absence innée de fusion sensorielle (dont la cause est inconnue
mais pourrait être attribuée au vu des connaissances actuelles
à un défaut des neurones corticaux sensibles à la disparité).
Les vergences toniques ne sont pas contrôlées par la fusion,
d’où une déviation. Cette perturbation des deux images entraîne
une neutralisation (alternante ou non) et une absence de
développement des cellules binoculaires et des connexions
calleuses normales, d’où la « perversion » sensorielle irréver-
sible (7).
D’autres théories ont par exemple impliqué un défaut primitif
musculaire (Scobee). Certains auteurs comme Chavasse (8)
insistent plus sur l’acquis, prétendant que la fusion binoculaire
initialement normale est perturbée par une anomalie du signal
sensoriel (cataracte par exemple ; il est vrai que l’on voit très
souvent se développer une ésotropie en cas de cataracte
congénitale même opérée précocément) ou de l’effecteur
musculaire (parésie musculaire)
Tychsen dénonce la plupart de ces théories dont les faiblesses
sont l’absence de spécificité anatomique ou physiologique,
l’absence d’explication sur la séquence temporelle, l’absence
d’explication des particularités oculomotrices du strabisme
précoce . Et le problè me est la difficult é de vérifier c es
hypothèses. Il convient cependant de la difficulté d’approcher
la « vérité » ; le problème de toute théorie physiopathologique
est qu’il faut la vérifier. Se pose le problème du modèle expéri-
mental. De nombreux travaux ont montré depuis Hubel et
Wiesel les conséquences d’une altération précoce de l’expé-
rience visuelle sur les structures impliquées dans la vision, du
corps géniculé latéral dorsal au cortex visuel. Les consé-
que nce s ne son t pas l e s cau ses et i l dem eure diffi cil e
d’approcher avec certitude la réalité physiologique et physio-
pathologique.
Tychsen montre un schéma de cercle vicieux qui fait bien
comprendre qu’on peut entrer dans le strabisme précoce par
plusieurs mécanismes, peut-être intriqués.
Corps calleux et strabisme
précoce
La théorie prédit un rôle majeur du rôle du corps calleux dans
la physiologie de la vision binoculaire, absente -on le sait- en
cas de strabisme précoce.
Les deux hémisphères du cerveau des mammifères, bien
qu’anatomiquement séparés, coopèrent l’un avec l’autre par
l’intermédiaire de faisceaux de fibres qui constituent les
commissures cérébrales. Parmi celles-ci, le corps calleux
(corpus callosum, c'est-à-dire le « corps dur ») est la plus
importante, du moins par son nombre de fibres (200 à 800
millions suivant les espèces). Pont entre les deux cerveaux,
et entre les deux cortex visuels, dans chacun desquels est
représenté un hémichamp visuel, le corps calleux est impliqué
dans la fusion des deux hémichamps visuels, et du méridien
vertical central au niveau duquel se trouve la fovéa, représentée
également dans les deux cortex. La perception du relief fait
intervenir une « comparaison » des images en provenance des
deux yeux, et repose sur le principe de disparité (9,10,11). Pour des
raisons géométriques, et ceci en fonction de la distance entre
les deux yeux, les deux images se projetant sur les deux rétines
sont différentes. Il existe une absence d’homologie exacte
entre les points se projetant sur chaque rétine, ceci créant une
disparité. Il faut imaginer un point de fixation des deux yeux,
ce point se projetant sur chacune des fovéas (en l’absence de
pathologie oculomotrice). A distance de ce point de fixation,
un point n’aura pas toujours une projection sur des points
correspondants rétiniens (à même distance du point de fixation).
C’est l’intégration perceptive de cette disparité rétinienne qui
sous-tend la vision stéréoscopique. Les voies magno et parvo-
cellulaires n’interviennent pas de façon identique, puisque la
voie parvocellulaire est impliquée dans la stéréoscopie statique
(cellules sensibles à une disparité de 2’’ à 1200’’ soit 0 à 0,33
degré, avec latence de 250 msec, fréquence temporelle de
moins de 2 Hertz) alors que la voie magnocellulaire est impliquée
Physiopathologie du strabisme précoce