Le projet GERRI
fait l'unanimité parmi les déci-
deurs réunionnais. Pourquoi ?
L'île est
dans une dynamique démogra-
phique forte. Le président Vergès
a su très tôt expliquer qu'il y avait
un risque important de la subir
plutôt que d'en profiter. Si, face
aux changements globaux, aux
problèmes de la congestion auto-
mobile, de l'insécurité routière, du
chômage de masse, il n'y a pas une
dynamique originale pour trouver
des créneaux d'excellence. Ce que
j'ai ressenti auprès des acteurs lo-
caux, c'est ce sentiment collectif
qu'il faut valoriser les atouts, anti-
ciper, aller sur les métiers d'avenir.
GERRI, c'est essayer de faire mieux
et plus rapide que les autres, non
pas par fierté, mais pour bénéficier
des eets d'antériorité, et ainsi ga-
gner des parts de marché et des
emplois. Sachant que l'enjeu est à
l'horizon 2030, ce qui signifie me-
ner des projets structurants et pas
seulement des coups médiatiques.
C'est pourquoi GERRI n'a de sens
que si on développe la formation et
l'information de la population.
•Pourquoi ce périmètre d'ac-
tion englobant énergies renou-
velables, transports propres,
logement HQE, urbanisme et
tourisme durables ?
Car c'est un périmètre cohérent où
tout est lié et imbriqué. Les deux
premiers secteurs n'ont de sens
que si on les couple à une logique
de territoire pour minimiser les
déplacements individuels, autour
des projets tram-train et route des
Tamarins par exemple. Il ne s'agit
pas de revoir toute la carte de La
Réunion mais de créer des éco-
quartiers exemplaires. Concen-
trons-nous là-dessus pour être
dans les meilleurs standards in-
ternationaux. C'est par le dialogue
sur les besoins locaux que le projet
trouvera son excellence, pas en pla-
quant des solutions extérieures.
•Pourquoi intégrer le tourisme ?
Parce que le tourisme est lié à la
dépense d'énergie, aux déplace-
ments et à l'urbanisme. Ensuite, la
fréquentation touristique peut bé-
néficier de GERRI car elle joue sur
les valeurs. Beaucoup de gens vont
en Islande car ça les intéresse de
voir comment cette île fonctionne,
avec 100% d'énergies renouvela-
bles (EnR) grâce à la géothermie.
Imaginez le touriste qui débarque à
La Réunion, qui prend le tram-train
relayé ensuite par un véhicule élec-
trique et qui arrive dans un hôtel
où l'électricité, la douche, où tout
est lié aux EnR. Les gens qui aiment
la nature y sont sensibles. Il faut
aussi des projets qui fassent la Une
des magazines d'architecture, pour
toucher une clientèle éduquée.
•Cette mise en notoriété est
un des axes forts de GERRI.
C'est aussi pour attirer investis-
seurs et porteurs de projets du
monde entier ?
Oui. Depuis que j'ai commencé ma
mission, des tas de gens viennent me
voir avec des projets. Il faut alimenter
ce bouche-à-oreille : il faut que ça de-
vienne naturel de choisir La Réunion
pour expérimenter une innovation.
L'image de La Réunion 2030 est déjà
lisible en métropole. Mais attention
au foisonnement actuel sur les éner-
gies renouvelables. Il faut garder
la tête froide, expérimenter, ne pas
s'embarquer bille en tête dans des
trucs qui ne tiennent pas la route.
•Quelle est la traduction
concrète de GERRI ?
La mission de préfiguration dure-
ra six mois jusqu'en septembre. Il
y a un comité technique, le "Gerri
Team", qui réunit tous les acteurs
locaux. Il y a aussi un comité de
pilotage politique sous l'égide de
l'Etat, la Région et le Département.
On a cette chance d'avoir une
convergence de tous les acteurs
politiques et économiques. Il faut
travailler sur l'ingénierie finan-
cière pour avoir des conditions fa-
vorables à l'investissement. Il faut
aussi définir les axes de recherche
les plus pertinents et lancer de pre-
miers projets forts et concluants.
Il faut travailler avec l'Education
nationale pour former les maî-
tres à cette sensibilisation... Il y
a du travail. À terme, une équipe
d'animation permanente sera sans
doute nécessaire, avec un guichet
unique réunissant les financeurs et
facilitant les démarches. D'ici deux
à trois mois, on aura défini les prin-
cipaux domaines d'action et on es-
père bien pouvoir vous étonner.
•Il y a une tendance générale
mondiale dans ces domaines.
Pourquoi La Réunion pour-
rait-elle être ce territoire plus
« vert » que les autres ?
C'est un pari. Le succès de GERRI dé-
pendra du répondant de la popula-
tion. On vise l'eet d'entraînement,
la montée en puissance. Il faut déjà
se rendre compte que l'île compte
parmi ceux qui vont vite sur les éner-
gies renouvelables au niveau mon-
dial, par exemple sur les chaue-eau
solaires. Beaucoup de gros projets
photovoltaïques de 10 à 20 MW sont
en cours et les supermarchés s'équi-
peront dans un délai très court. Nous
sommes dans un des endroits les
plus favorables pour l'énergie de la
houle... Avant de venir ici, en lisant
le projet, je n'avaispas d'idée précon-
çue sur sa faisabilité. Au fil des ren-
contres, j'ai vu qu'il y avait vraiment
du répondant, de l'enthousiasme et
de la compétence, un appétit collec-
tif pour l'action. On n'est pas dans
le fantasme. Il y a un savoir-faire re-
marquable, chez les professionnels,
à l'ARER, l'ADEME...
•Si La Réunion est en avance
sur les EnR, elle est plutôt en re-
tard en matière de transports...
Oui, on part d'une situation d'apoca-
lypse, pour des raisons géographiques
et historiques. Il faut voir si l'on crée
les conditions d'une ore intégrée de
transports en commun, pourquoi pas
un syndicat mixte des transports en
commun pour toute l'île ? Les commu-
nes sont-elles prêtes à mettre des véhi-
cules à disposition librement ? Il faut
gagner en véhicules hybrides puis tout
électriques à travers les flottes profes-
sionnelles et les véhicules personnels.
Beaucoup d'idées sont dans l'air. Les-
quelles sont pertinentes, c'est aux gens
concernés de le dire. L'urbanisme est
un enjeu énorme, tout comme l'iso-
lation thermique. Il faut travailler ces
questions pour gagner en cohérence.
La politique intégrée doit être la mar-
que de fabrique de La Réunion. On
ne doit pas simplement plaquer de la
technologie mais répondre aux enjeux
de la population de l'île.
•Pourquoi les constructeurs
automobiles choisiraient La
Réunion comme vitrine de leurs
innovations ?
Si Renault a récemment choisi Is-
raël pour mener sa grande opéra-
tion de développement sur les vé-
hicules électriques, ce n'est pas par
hasard. C'est parce que la taille de
la flotte est adaptée. L'avantage de
La Réunion, c'est l'eet laboratoi-
re. Son isolement et sa petite taille
font qu'elle peut basculer plus ra-
pidement qu'ailleurs sur d'autres
technologies, tout en étant d'une
échelle très importante au plan
mondial. Les fortes pentes et le
milieu tropical sont des contrain-
tes qui permettent d'aller au bout
de l'expérimentation. Si ça marche
ici, ça marchera ailleurs.
•GERRI implique-t-il de l'Etat
un eort fiscal et financier ?
Oui, mais pas uniquement. Il faut
partir des business-plans des pro-
jets et voir ensuite les outils qui
permettent de les boucler dans de
bonnes conditions. Il n'y aura pas
de solutions miracles tous azimuts
à la fin de ma mission. GERRI pas-
sera par une kyrielle de petites me-
sures ciblées pas nécessairement
spectaculaires. L'idée était par
exemple d'appliquer le bonus-ma-
lus auto à La Réunion avant qu'il
ne le soit en métropole. En matiè-
re de réglementation thermique,
la démarche PERENE lancée à La
Réunion est en cours de validation
et sera appliquée cette année dans
tout l'outre-mer. Nous pouvons
aussi travailler sur des incitations
au renouvellement des frigos éner-
givores. Sur les clims, il y a aussi à
faire, mais c'est plus compliqué.