Les relations entre hommes et femmes au miroir
de la littérature de thérapie de couple
Irène Jonas Sociologue indépendante.
Cet article analyse l’argumentation développée
par les ouvrages de la littérature de thérapie de
couple qui se situent dans une logique d’aide et
visent l’établissement d’une communication entre
conjoints propre à faire vivre et durer le couple.
L’auteure montre comment cette argumentation
contribue à une réactivation des inégalités de
genre. L’hypothèse ici posée est que l’idéologie
véhiculée par ces ouvrages d’une communication
« réussie » au sein du couple participe à une réin-
vention et une réorganisation des clivages hommes-
femmes, ainsi qu’à leur réorganisation en faisant
reposer les efforts de changements uniquement sur
les femmes.
L’éclosion de la « culture psychologique de masse »
et l’apparition d’une « vulgate psy » ont largement
été mises à jour par Robert Castel dès le début des
années 1980. De plus en plus, les « psys » sortent
de leurs lieux de consultation, descendent de leurs
chaires, multiplient leurs interventions sur la scène
publique et s’impliquent dans la plupart des débats
de société concernant l’évolution des mœurs. Loin
de se cantonner à la seule transmission de connais-
sances, de découvertes et d’analyses, leur discours
s’attache à proposer une représentation globale
des questions de société et à offrir diagnostics et
conseils (Mehl, 2003). Comme en témoigne l’appa-
rition de nouvelles collections à l’usage du grand
public, l’approche « psy » devient une ressource
pour une société en recherche sur elle-même, sur
ses valeurs de référence et sur les repères normatifs
susceptibles de guider les conduites personnelles
et conjugales (Prokhoris, 2002). Face au constat
sociologique de la fragilité conjugale (un mariage
sur quatre finit par un divorce), toute une littérature
aidant au maintien du lien entre conjoints y trouve
matière à développement.
Dans une société où « un bon partenaire, c’est
celui qui sait aider l’autre – le conjoint ou son équi-
valent – à être lui-même, à développer ses capacités
personnelles, à s’épanouir »etoù«le couple se
pense dans l’accomplissement mutuel de l’homme
et de la femme » [Singly (de), 1996, p. 9], de
nombreux ouvrages « psy » prônent désormais la
communication entre les conjoints comme élé-
ment fondamental d’un bon fonctionnement du
couple. On constate ainsi, depuis une dizaine
d’années, l’apparition de lignes éditoriales spé-
cialisées dans ce domaine chez des éditeurs tels
qu’Odile Jacob, J.-C. Lattès, Robert Laffont. Forte-
ment relayés par la presse féminine, ces ouvrages
grands publics sont non seulement cités dans les
magazines féminins (EEllllee,,MMaarriiee--CCllaaiirree), mais
alimentent également leurs articles sur le couple.
Le choix de travailler sur un corpus d’ouvrages
« psy » (1) sur le couple, apparemment hétéroclite,
repose ainsi sur l’hypothèse qu’au-delà de ce qui
les différencie, ils s’appuient sur des présupposés
communs et véhiculent un même message en
matière de rapports sociaux de sexe. Quel est le
véritable modèle de communication de couple
proposé par ces « médecins de l’âme » ? Dans
quelle mesure contribuent-ils à la définition des
normativités sociales et plus précisément à la
reproduction des rapports sociaux de sexes ?
Les fondements essentialistes
de l’argumentaire « psy »
LLeeddiissccoouurrssddiifffféérreennttiiaalliissttee
Trois grands types d’ouvrages « psy » différentia-
listes peuvent être distingués. Ceux qui s’appuient
sur la psychologie évolutionniste (encadré, p. 22)
et qui fournissent une raison « scientifique » pour
dresser l’inventaire des différences innées entre les
natures « mâles » et « femelles ». Ceux qui se réfèrent
au rapport inconscient à la mère (le petit garçon
dont le silence serait la seule liberté face au désir de
la mère et la petite fille pour qui la parole permettrait
de nouer une relation affective fusionelle avec
cette même mère). Et, enfin, ceux qui s’attachent à
Recherches et Prévisions n° 89 - septembre 2007
21 Conflits de couples et maintien du lien parental
(1) La quinzaine d’ouvrages « psy » anglo-saxons et français citée dans cet article fait partie d’un corpus plus large capitalisé
depuis deux ans selon plusieurs critères (encadré, p. 23).
la dimension sexuée de la socialisation dès le premier
âge. Toutefois, la séparation entre ces ouvrages est
loin d’être aussi tranchée et l’hypothèse du déter-
minisme biologique garde un impact certain même
dans la littérature qui saisit les différences de
comportements entre les garçons et les filles par le
biais de la fabrication sociale de l’identité sexuée.
Un de ces ouvrages affirme, par exemple, que « ce
n’est pas comme on le dit trop souvent un fait
d’éducation, c’est lié à des dispositions inhérentes à
la différence, inscrite dès le plus jeune âge et de
manière la plus concrète qui soit, entre les sexes »
(Naori, 2005), les différences entre les garçons et
les filles étant commandées par l’anatomie et la
physiologie. Dans un autre ouvrage, il est écrit
qu’« un garçon n’est pas une fille et une fille n’est
pas un garçon. Il y a sur terre deux espèces qui ont
des attitudes, des positions et des dispositions
radicalement différentes et qui essaient de vivre
ensemble, côte à côte » (Rufo, 2003). Ces livres ne
s’intéressent pas à n’importe quelles différences
innées, mais à celles qui engendrent des inégalités
entre les sexes. Les différences de comportements,
de jeux, de modalité d’apprentissage et de centres
d’intérêts entre les garçons et les filles tels qu’elles
sont repérées par les défenseurs du déterminisme
biologique sont celles qui témoignent des capacités
inégales d’un sexe par rapport à l’autre dans
l’accomplissement de tâches ou d’apprentissages
identiques : langage, calcul, motricité, compréhen-
sion, pensée, communication.
Or, le fait de catégoriser au sein d’une même et
identique espèce (ici l’espèce humaine) entraîne un
classement de ces catégories et crée la hiérarchie
ou plus précisément l’opposition. Catégoriser, c’est
séparer l’un et l’autre par une distinction (Guillaumin,
1998). Les défenseurs de cette littérature pourront
objecter que ces écrits « psy » luttent justement contre
la hiérarchisation, puisqu’ils mettent en avant ces
différences tant chez les hommes que chez les
femmes et s’appuient sur les sources d’enrichisse-
ment que ces différences peuvent procurer. Mais
cet appel à la complémentarité qui affirme une
harmonie possible entre un ordre naturel préétabli
et l’ordre social revient à soumettre ce dernier, pour
le légitimer, à un ordre infra-social (la biologie, les
différences cervicales). En figeant les hommes et
les femmes dans des caractères immuables,
l’essentialisme proclame leur différence comme un
fait naturel et irréductible. Lorsque ces ouvrages
parlent de femmes et d’hommes, il ne s’agit jamais
de groupes sociaux qui entretiennent une relation
déterminée et sont constitués au sein même de
cette relation par des pratiques spécifiques ; au
contraire ce sont leurs différences qui fondent les
différences sociales de leurs positions.
L’ensemble de ces ouvrages sur le couple s’élabore
ainsi à partir de deux lignes fondatrices, l’une affir-
mant que l’égalité entre les sexes est déjà là et
l’autre supposant que les hommes sont différents
des femmes sans pour cela former une catégorie
sociale spécifique collectivement en position de
domination. En privilégiant les discours essentia-
listes sur les différences entre les sexes, ils péren-
nisent, sous de nouveaux habillages, l’idée que
les deux sexes sont irréductiblement différents
et le discours sur les différences psychologiques
se substitue à l’analyse des inégalités sociales
(Pichevin, 1995).
LLeettrraavvaaiillssuurrssooii
Depuis la fin des Trente Glorieuses, de nouvelles
approches thérapeutiques (psychogénéalogie,
constellation familiale, thérapies cognitivistes,
Programmation neuro-linguitique (PNL), analyse
transactionnelle, etc.), majoritairement d’origine
américaine, ont fait leur apparition et ont fait évo-
luer la notion de « psychothérapie » vers celle de
« développement personnel ». Toutes ces approches
possèdent un point commun : elles savent tout,
sont enseignées en quelques jours et constituent
un vaste commerce soutenu par un marketing
agressif. Qu’elles soient surnommées « malpsy »
(Vogel, 2004) ou « popsy » (Nadaud, 2006), ces
psychothérapies se séparent à la fois de la psy-
chologie et de la psychiatrie pour s’intéresser à
l’homme « ordinaire » dans sa souffrance existen-
tielle quotidienne : « Les psychothérapeutes (…) se
partagent davantage le marché des plus ou moins
bien portants qui voudraient aller mieux encore et
se maintenir au sommet de leurs performances »
(Vogel, 2006, p. 47).
Dans cette littérature « psy », on trouve un certain
nombre de critères qui la caractérisent au-delà
de la multiplicité des approches thérapeutiques
proposées.
Recherches et Prévisions n° 89 - septembre 2007
22 Conflits de couples et maintien du lien parental
La psychologie évolutionniste
Les thèses de cette nouvelle discipline alliant bio-
logie de l’évolution, sociobiologie et psychologie
reposent sur un postulat principal : les conduites
dominatrices des hommes sont des comportements
d’origine biologique, qui sont eux-mêmes le fruit
d’une sélection naturelle depuis les temps pré-
historiques. Cet ordre hiérarchique entre les sexes
aurait perduré pour la seule et unique raison qu’il
aurait été le plus efficace pour la survie et la repro-
duction de l’espèce. Les arguments à l’appui de
cette théorie sont présentés comme très scientifiques
puisqu’ils se fondent sur l’évolution du cerveau,
l’étude des sociétés animales et les sciences cogni-
tives. Ces thèses ont été largement remises en cause
et critiquées notamment par Catherine Vidal et
Dorothée Benoît-Browaes (*).
(*) Vidal C. et Benoît-Browaes D., 2005, CCeerrvveeaauu,,sseexxeeeett
ppoouuvvooiirr, Paris, Belin.
En premier lieu, elle se présente comme un travail
sur soi qui s’exerce à partir d’un individu considéré
comme libre et autonome, mais sur lequel repose
désormais la responsabilité de construire ses rela-
tions avec autrui. S’inscrivant dans une dynamique
de mieux-être et de bonheur à conquérir, cette litté-
rature « psy » vise avant tout à aider les personnes
à trouver les ressources nécessaires pour contourner
les obstacles mais sans les supprimer (Vrancken et
Macquet, 2006). Et si quelques rares ouvrages font
référence aux relations inégales ou aux discrimi-
nations comme sources de stress spécifique pour
les femmes, il n’en reste pas moins que les solutions
émises par ces ouvrages restent de l’ordre du travail
sursoiDe nombreuses sources de ruminations
prennent naissance dans la façon dont nous vivons
et dont la société est organisée. Si nous n’avons pas
le pouvoir de les combattre par la loi, nous pouvons
personnellement, en tant que citoyen, chacun à
notre petit niveau, faire des choix afin de limiter
leurs influences (…) Beaucoup de chemins mènent
àl’overthinking, mais rien ne nous condamne à les
emprunter. C’est à chacune de nous de se prendre
en main. Nous avons toutes la possibilité de nous
libérer de nos sentiments afin de construire une
vie plus épanouie et réussie. Nous avons toutes à y
gagner… et la société aussi » (Nolen-Hoeksema,
2005, p. 251).
Pour ce faire, le discours produit est attractif, émis
dans un langage accessible à tous et rédigé dans
un style proche du lecteur. Il se diffuse à travers
des collections et des médias populaires afin de
toucher les personnes qui n’ont pas accès aux
lieux où les discours savants s’échangent et sont
distribués (revues et librairies spécialisées). Dans
leurs ouvrages, les auteurs doivent montrer qu’ils
ont connaissance des problèmes les plus courants
du couple que génère la vie actuelle, ainsi que des
schémas comportementaux qu’ils ont eu l’occasion
d’observer dans leur pratique de psychologue.
Leur contribution est ainsi issue d’analyses et
d’éclairages inspirés par leurs consultations plutôt
que par la théorie. Le plus souvent, ils illustrent
leur propos par un certain nombre de situations
types (extrait d’études de cas, petits dialogues), si
communes qu’un fort pourcentage de leurs lecteurs
est susceptible de s’y retrouver. Ces auteurs offrent
ainsi des gages de sérieux et de crédibilité qu’ils
vont puiser tant dans leur statut (ce sont des
« psy ») que dans leur discours (ce sont eux qui
détiennent le savoir).
L’amour s’apprend et seul celui qui maîtrise sa
propre vie intérieure a une chance de s’adapter
aux nouvelles contraintes de la vie conjugale.
L’idée selon laquelle les lecteurs sont d’une façon
ou d’une autre menacés est ainsi tempérée par un
climat apaisant : puisque rien n’est vraiment
grave, ni hors norme, les lecteurs sont assurés d’y
trouver une compréhension qui devrait pouvoir
améliorer leur vie de tous les jours s’ils suivent les
conseils donnés.
LLiiddééoollooggiieeddeellaabboonnnneeccoommmmuunniiccaattiioonn
Les ouvrages centrés sur le couple se présentent
ainsi comme une littérature salvatrice d’un couple
précarisé par diverses mutations sociales, arguant
la possibilité pour tous de construire un couple
« sain » (ou de se soigner si le couple est
« malade »). Ils se proposent d’accompagner les
lecteurs pour trouver au cœur de leur psychisme
les capacités à dépasser résistances et blocages. Au
centre de la démarche du « travail sur soi », un
élément majeur se dégage : celui de l’apprentis-
sage d’attitudes et d’échanges verbaux propres à
initier et favoriser une véritable communication
entre conjoints qui tiennent compte de leurs dites
spécificités masculines et féminines.
Ces « experts », qui visent à pacifier le couple, ont
donc pour objectif de définir ce que doit être un
« bon » couple aujourd’hui, de cibler les compétences
Recherches et Prévisions n° 89 - septembre 2007
23 Conflits de couples et maintien du lien parental
Méthodologie
MMooddeeddeesséélleeccttiioonnddeessoouuvvrraaggeessdduuccoorrppuuss
La sélection a été effectuée à partir de leur diffusion
et leur médiatisation : le nombre d’exemplaires
vendus en France a ainsi été l’un des premiers critères,
facilité par le repérage de ces ouvrages qui sont large-
ment mis en valeur tout au long de l’année sur les
tables des rayons de développement personnel de
grandes librairies (FNAC,Virgin), et tout particulière-
ment au moment des fêtes de Noël. Certains ont
même connu, et connaissent encore, un succès
mondial. L’ouvrage d’Allan et Barbara Pease paru en
2001, PPoouurrqquuooiilleesshhoommmmeessnnééccoouutteennttjjaammaaiissrriieenn
eettlleessffeemmmmees
snneessaavveennttppaasslliirreelleessccaarrtteessrroouuttiièèrreess,
est devenu un best-seller mondial ; il a été vendu à
six millions d’exemplaires dans trente-trois pays.
Celui de John Gray, LLeesshhoommmmeessvviieennnneennttddeeMMaarrss
lleessffeemmmmeessddeeVVéénnuusss’est lui vendu à sept millions
d’exemplaires outre-Atlantique.
GGrriilllleeddaannaallyyssee
Il s’agissait ici de mettre à jour comment l’opération
de différenciation par opposition des hommes et
des femmes, propre à l’argumentaire différentia-
liste, précédait et ouvrait la voie à la hiérarchisation
en référence aux travaux de Marie-Claude Hurtig
et Marie-France Pichevin : « Qui ne se réfère aux
différences psychologiques entre les sexes ?
Références machinales, acquises très tôt, qui, si on
y regarde de plus près, apparaissent organisées de
façon stable et cohérente en un système d’expli-
cation du réel : c’est toute une psychologie sauvage
de la différence des sexes qui est à l’œuvre, et qui
se transmet, se module selon les sociétés, les
groupes, les époques » (Hurtig et Pichevin, 1986,
p. 9). Chaque ouvrage a été analysé à partir de
trois questions : à qui s’adresse-t-il véritablement ?
Comment y sont expliquées les difficultés du
couple ? Et, enfin, quelles sont les solutions pro-
posées selon le sexe du membre du couple ?
qu’il faut acquérir pour bien vivre une relation
d’amour dans la société, et d’offrir aux conjoints les
outils de communications nécessaires à une bonne
gestion de leur vie affective. Car, dans ces ouvrages
sur le couple existe une illusion majeure : celle de
la toute-puissance libératrice de la communication.
Celle-ci s’articule autour de deux croyances. L’une
arguant que le seul fait de communiquer serait
suffisant pour créer un rapport harmonieux entre les
conjoints, et l’autre supposant que « l’épanouisse-
ment de soi » passe par l’accès aux techniques rela-
tionnelles. « Parlez, apprenez à communiquer et
tout ira mieux » est devenu le leitmotiv de toute cette
littérature de développement personnel destiné au
couple. La communication – et ses techniques – se
constitue de fait comme un recours majeur à tous
les dysfonctionnements de la société et elle est
aujourd’hui utilisée de plus en plus systématique-
ment dans le discours social comme un recours
universel, sinon comme le seul recours (Breton,
1997).
La question de la communication entre les hommes
et les femmes apparaît aujourd’hui à bien des
égards comme la condition nécessaire et suffisante
pour réussir son couple. Trouver la bonne approche
de soi et du rapport à l’autre en apprenant à
communiquer est considéré comme une condition
suffisante pour résoudre toutes les difficultés. Mais
tant que les hommes et les femmes ne sauront pas
et n’admettront pas que la parole est une qualité
injustement distribuée, qui remplit des fonctions
différentes selon les sexes, ils iront forcément vers
de grandes déceptions, ces disparités étant à l’origine
de bien des conflits : « Hommes et femmes nous ne
parlons pas la même langue, mais nous ne le savons
pas (…). Comment vivre ensemble quand on ne
parle pas la même langue ? Il faut inventer des
registres communs, s’entendre sur les mots impor-
tants pour l’autre, comprendre la valeur différente
de ces mots importants » (Brenot, 2001, p. 206).
Dans le couple, selon ces ouvrages, les hommes
ont avant tout besoin de confiance, d’acceptation,
d’appréciation, d’admiration, d’approbation et
d’encouragement. Les femmes, quant à elles, ont
besoin d’attention, de compréhension, de respect,
de dévotion, que l’on avalise leurs sentiments et
qu’on les rassure : « La femme a besoin de se sentir
aimée et comprise, d’être écoutée par un homme
qui ne s’impatientera pas et ne se fâchera pas en
l’écoutant exposer ses sentiments » (Gray, 1997,
p. 172) ou encore : « Dans le pacte amoureux
inconscient, la femme recherche une relation équi-
librée avec un homme susceptible de la sécuriser et
de protéger le couple. En échange de quoi l’homme
demande à sa compagne qu’elle soit ouverte à son
égard et développe ses facultés d’écoute émo-
tionnelle » (Turchet, 2001, p. 57). Là où les hommes
veulent le pouvoir, les femmes souhaitent des relations
de coopération (les garçons aiment gagner, les
filles aiment jouer) ; là où les hommes aiment les
choses ou les objets, les femmes aiment les gens et
les relations ; là où les hommes sont en concur-
rence, les femmes coopèrent (l’homme marche à la
domination, la femme à l’émotion). Les hommes se
définissent par le « faire » et les femmes par « l’être » :
l’homme cherche à bien faire, la femme à être bien.
Pour l’ensemble des auteurs, tant que les hommes
et les femmes ne sauront pas et n’admettront pas
que la parole est une qualité injustement distribuée,
qui remplit des fonctions différentes selon les sexes,
ils iront forcément vers de grandes déceptions, ces
disparités étant à l’origine de bien des conflits. L’idée
centrale qui traverse les explications concernant les
difficultés actuelles des couples est bien celle que
les hommes et les femmes, supposés égaux, sont
différents biologiquement et/ou psychologique-
ment. Ces différences décident en grande partie de
leurs priorités, de leurs centres d’intérêt et de leur
mode de communication : « Car l’homme et la
femme sont différents. Égaux, mais désespérément
différents. Et pour toujours. Et là, forcément, ce
n’est pas de l’appareil génital et de la silhouette en
général que je parle. Mais de tout le reste. Je dis
bien tout le reste : le cerveau, les hormones, les
perceptions, les aptitudes, les comportements… »
(Willer, 2001, p. 9). Le nouveau défi à relever par
les hommes et les femmes serait alors d’assurer la
mise en place d’une bonne communication « inter-
culturelle » qui leur permette de s’entendre au-delà
de leurs « langues » et de leurs visions du monde
différentes. On assiste ainsi à une tentative de restau-
ration assidue de la communication qui s’opère sur
deux registres : une explication scientifique des
différences « naturelles » entre les hommes et les
femmes, en ce qui concerne les causes des malen-
tendus, et nous allons le voir, l’assignation d’une
place spécifique des femmes vis-à-vis de leurs
conjoints pour ce qui touche aux remèdes.
Le renforcement de la hiérarchisation
des rôles masculins et féminins
Si les femmes sont bavardes, diront les « experts »
de la psychologie évolutionniste, c’est d’abord
parce qu’elles sont mieux équipées pour le faire et
que, au niveau cervical, elles disposent de capa-
cités très supérieures aux hommes sur le plan de
la parole : « Ce qu’on fait bien, on aime le faire.
Alors les femmes, tout naturellement, se sont
mises à bavarder. Bavarder, c’est jeter un pont
vers les autres, c’est échanger des idées ou de
bonnes adresses. C’est remplir le vide entre les
autres et nous, c’est maintenir le contact » (Willer,
2001). Cette opinion communément admise que
les femmes parlent plus que les hommes est l’un
des stéréotypes le plus répandu. Or plusieurs études
Recherches et Prévisions n° 89 - septembre 2007
24 Conflits de couples et maintien du lien parental
ont montré que ce n’est pas en fonction du temps
de parole dans le couple que les femmes sont
jugées bavardes mais par rapport aux femmes
silencieuses. La norme n’étant pas ici le masculin
mais le silence tel qu’il devrait être chez les
femmes (Monnet, 1998).
Lorsqu’on observe la question de la communi-
cation dans le couple dans l’ensemble des ouvrages
« psy », ce qui frappe au premier abord c’est la
grande négativité du tableau brossé chez les
hommes en matière de communication intime :
«La principale plainte des femmes aujourd’hui
porte sur le silence frustrant ou irritant et même le
refus de s’exprimer de certains hommes (…). Cette
parole qui semble impossible, bloquée, interdite
chez certains hommes pour tout ce qui touche à
l’intime d’eux-mêmes, au ressenti, au vécu ou aux
émotions est à l’origine des carences et de la diffi-
culté la plus fondamentale, me semble-t-il, des
couples d’aujourd’hui » (Salomé, 1995, p. 81). Si,
dès l’enfance, les hommes n’excellent pas dans la
parole, ce serait soit en raison de leurs capacités
cérébrales qui ne s’y prêtent pas, soit du rapport
inconscient à la mère, ou encore d’une socia-
lisation différenciée.
En ce qui concerne la socialisation différentielle,
fondée sur la division sexuelle des rôles, ces
théories expliquent le déficit de communication
intime des hommes par le fait que ces derniers, en
raison de la socialisation primaire, seraient moins
préparés et donc moins habiles à explorer leurs
sentiments et à exprimer leurs émotions. La convic-
tion profonde d’Alain Braconnier (2000), par
exemple, est que la plupart des malentendus entre
hommes et femmes reposent sur la différence
instaurée par le langage et les modalités d’expression
propre à chacun des sexes. L’incompréhension
entre les sexes résulterait ainsi d’une différence
fondamentale : parce que les femmes se réfèrent à
un langage de rapport et d’intimité là où les
hommes se réfèrent à un langage de statut et
d’indépendance, ils converseraient et auraient des
styles de communication qui leur sont propres. Les
pratiques de la conversation adulte seraient un
héritage ou plutôt une continuité des conversations
enfantines, puisque les petites filles utilisent déjà
un langage collaboratif qui vise à se rendre agréable
et sociable tandis que les garçons interrompent,
cherchent à diriger l’échange, à contrôler la dis-
cussion et, par-dessus tout, à s’affirmer.
La parole, qui au masculin serait un outil de
communication (informative et conseillère) et une
affirmation de soi, serait au féminin un moyen
d’expression, une façon de créer du lien et de
construire une relation. Dans le domaine linguis-
tique, Deborah Tannen, sociolinguiste américaine,
analyse les problèmes de communication entre les
hommes et les femmes en tenant compte de la
variable genre. L’hypothèse de départ est que la
masculinité se construirait par la séparation d’avec
la mère et la féminité par l’attachement à la mère.
La menace pour l’identité masculine résiderait ainsi
dans l’intimité et pour l’identité féminine dans la
séparation (Tannen, 1993). Cette analyse est large-
ment partagée par de nombreux « psy » : « Cette
hypothèse nous conduit à comprendre un des
cercles vicieux constant au sein du couple. Plus
l’homme se tait pour protéger son intimité, plus la
femme lui parle pour l’atteindre et être sans cesse
convaincue de sa désirabilité ; l’homme le perçoit
alors comme une tentative cannibale – déjà trop
connue de lui – et se protège instinctivement en se
murant dans son silence. La femme qui a un besoin
vital de langage, le "harcèle"donc de paroles, ce
qui aboutit au contraire de ce qu’elle recherche :
l’homme s’emmure, etc. » (Vecchiali, 2005, p. 41).
Si pour certains de ces « experts » de la communi-
cation dans le couple, l’origine de la différence
entre les sexes relève d’un déterminisme biologique,
Deborah Tannen, tout comme Alain Braconnier,
la situent dans une socialisation différenciée.
Toutefois, il est frappant de constater que l’ensemble
de ces auteurs en viennent à considérer l’existence
des catégories de sexe comme si chacune existait
indépendamment de l’autre et non dans une inter-
dépendance hiérarchisante. En ce sens, l’ensemble
de ces ouvrages explique aux femmes que non
seulement cette manière d’être n’est en rien une
attitude délibérée des hommes à leur égard ou une
résistance aux changements, mais bien qu’il s’agit
d’une spécificité masculine.
Différences et construction
de la hiérarchisation
Il s’agit maintenant de déconstruire l’objet donné
que constitue ce postulat « les hommes et les femmes
communiquent différemment », non pas pour
remettre ici en cause la véracité de ces différences
mais, au contraire, en les prenant pour vraies, c’est-
à-dire pertinentes dans le contexte d’élaboration
d’une communication genrée. Le fil conducteur de
l’analyse consistera à s’appuyer sur l’énoncé de ces
différences et leur mise en forme, en faisant l’hypo-
thèse que cette différenciation des comportements
renseigne sur leur hiérarchisation. Le silence du
groupe des hommes certes est présenté comme ayant
une dimension naturelle (difficulté à s’exprimer dans
l’intimité, limites cervicales), mais il est également
présenté comme apte à se transcender lui-même,
capable de distanciation et de transformation : « Les
hommes se parlent intérieurement parce qu’ils n’ont
pas la capacité verbale des femmes d’extérioriser
les mots pour communiquer. Quand un homme est
assis le regard fuyant, un scanner de son cerveau
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25 Conflits de couples et maintien du lien parental
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