La déréglementation des marchés du travail a-t-elle eu des effets sur l’emploi ? Avec l’explosion du nombre de chômeurs dans la plupart des pays de l’OCDE, à partir de la crise des années 1970, les politiques liées à l’emploi deviennent une question centrale pour chaque gouvernement. Ainsi, dans les années 1980, c’est dans le sens de la déréglementation que s’engagent de nombreux pays. Cette déréglementation peut prendre différentes formes : flexibilisation et individualisation des salaires, allègement des procédures de licenciement, développement d’emplois atypiques. Autant de mesures visant à réduire le coût du travail pesant sur les taux de marge des entreprises. Pourtant, alors que le taux de chômage reste élevé pour de nombreux pays, on peut s’interroger sur les effets sur l’emploi de telles mesures. En quoi la déréglementation est-elle devenue dans le contexte actuel un outil indispensable de la lutte contre le chômage ? Dans quelle mesure permet-elle une baisse du chômage, notamment des moins qualifiés ? Si la relation est imparfaite, où trouve-t-on ses limites ? Nous verrons donc en quoi la déréglementation s’est affirmée comme indispensable pour lutter contre le chômage et nous mesurerons ses effets. Nous verrons ensuite en quoi ces effets positifs restent nécessairement limités, limites révélant alors les effets négatifs voire pervers de ces mesures. Dans un contexte de concurrence accrue et de croissance ralentie, la déréglementation est un outil efficace dans la lutte contre le chômage, notamment celui des moins qualifiés. Avec la fin des 30 glorieuses, le contexte économique change, appelant alors à un autre fonctionnement du marché du travail. Les années 1970 voient en effet la régulation fordiste entrer en crise. Les 30 glorieuses étaient alors marquées par un faible chômage, des hausses de salaires régulières nourries par les gains de productivité et négociées collectivement. Avec la crise, les gains de productivité s’essoufflent tandis que les hausses de salaires se poursuivent, pesant ainsi sur les taux de marge des entreprises alors incitées à élever leurs prix. Parallèlement, on ne peut plus compter sur une relance monétaire pour faire baisser le chômage, la relation de Phillips se perd dans l’inflation. En outre, on assiste à la montée progressive de la concurrence internationale dans le contexte de mondialisation. Les NPIA s’affirment peu à peu comme de redoutables concurrents dans le secteur des produits manufacturés à faible valeur ajoutée, production intensive en travail non qualifié. Ainsi ce sont les travailleurs exposés, pour reprendre une distinction établie par P.N. Giraud, qui sont le plus durement touchés par cette nouvelle concurrence. Ils ne possèdent pas les qualifications des compétitifs, ce sont les premiers touchés par les délocalisations. Ils sont en outre les premiers touchés par le progrès technique qui s’affirme donc comme biaisé. Ainsi face à un bouleversement des conditions de la concurrence, au ralentissement des la croissance, la déréglementation s’est peu à peu imposée pour réduire le coût du travail, renouer avec l’investissement, la croissance et l’emploi. De telles mesures trouvent leur justification théorique dans les théories classiques et néoclassiques. Dans ces théories, le marché du travail est un marché comme les autres, les quantités (l’emploi) doivent s’ajuster par les prix (les salaires) pour conduire à l’équilibre (le plein-emploi ou le chômage naturel). Le chômage apparait comme volontaire ou lié à des rigidités qui empêchent la flexibilité des salaires devant mener à l’équilibre. En rétablissant ou en renforçant les forces régulatrices du marché, en réduisant les charges sociales et fiscales, en abaissant le salaire minimum, le chômage doit se réduire. Ainsi, il s’agit dans le cadre d’une politique de l’offre de desserrer les contraintes pesant sur les entreprises pour abaisser le coût du travail. Leurs marges rétablies, les entreprises dégagent les moyens pour financer leurs investissements et relancer l’offre. La baisse du coût du travail réduit en outre l’opportunité d’une substitution du capital au travail. La déréglementation permet aussi à la firme d’être plus réactive face aux aléas de la conjoncture. Grâce aux emplois atypiques notamment, elle va pouvoir adapter la quantité de travail à sa production, évitant ainsi les surcoûts. Cette flexibilisation est particulièrement importante pour les PME, plus fragiles. Alors que les économistes de l’offre et le patronat défendent la déréglementation, de nombreux pays adoptent des mesures en ce sens. La Grande-Bretagne en est l’exemple le plus marquant : l’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir conduit à l’affaiblissement des syndicats et à des mesures de libéralisation du marché du travail (suppression du closed shop). Aux Etats-Unis, Ronald Reagan ne revalorise pas le salaire minimum, ce qui le maintient, compte tenu de l’inflation, à un niveau très bas. Le faible chômage américain est souvent expliqué par la flexibilité de son marché du travail et la faiblesse des charges pesant sur les entreprises. Le Danemark a également fait baisser sensiblement son taux de chômage grâce à la flex-sécurité, modèle dans lequel les contraintes sur le licenciement ont été allégées. Réciproquement, les forts de taux de chômage dans certains pays d’Europe continentale sont expliqués par de trop fortes réglementations. La France a suivi – de manière modérée – la voie de la déréglementation à partir du milieu des années 1980 avec la désindexation des salaires sur les prix, la suppression de l’autorisation administrative de licenciement, la montée des emplois atypiques et l’allègement des charges sur les bas salaires. Malgré ces mesures, le marché du travail français reste très réglementé, notamment au niveau de l’embauche et du licenciement, du temps de travail (loi des 35 heures), et le code du travail est particulièrement contraignant, avec notamment des effets de seuils (10 salariés pour les délégués du personnel ; 50 salariés pour les délégués syndicaux). On peut établir une corrélation avec un chômage endémique et de longue durée en France. L’OCDE a souvent mis l’accent sur la déréglementation pour restaurer le plein emploi. De plus, si on peut critiquer les conséquences sociales de la déréglementation, le choc social lié au chômage apparait comme supérieur à celui créé par une précarisation de l’emploi. La déréglementation des marchés du travail semble donc avoir un effet positif sur l’emploi, cependant, la relation est loin d’être parfaite. Les effets positifs de la déréglementation restent limités. Elle se heurte à des contraintes et peut même se révéler inefficace. Les mesures de déréglementation des marchés du travail se heurtent d’abord au fonctionnement même de ces marchés sur lesquels on constate des rigidités empêchant la flexibilité des salaires. Les agents sont en effet amenés à limiter cette flexibilité par un comportement rationnel. Par la théorie du salaire d’efficience, Akerlof montre que l’entreprise peut avoir intérêt à offrir un salaire supérieur au salaire d’équilibre. En situation d’asymétrie d’information, avec un risque d’aléa moral, l’entreprise cherche à inciter les travailleurs à être productifs, à s’investir dans leur travail ou encore à attirer et garder les meilleurs éléments. Elle n’abaissera pas les salaires si la conjoncture se dégrade de peur de les perdre et de les mettre à la disposition de la concurrence. En outre, dans le cadre de la théorie insiders/outsiders, on peut aussi mesurer le pouvoir qu’ont les insiders sur la fixation des salaires. Si l’embauche se traduit nécessairement par un coût, ce coût est accentué par les insiders qui craignent la concurrence des outsiders, prêts à être moins bien payés. Ainsi, une baisse du coût du travail destinée à lutter contre le chômage des jeunes, par exemple, verra les vieux insiders réagir de façon à accroitre les coûts d’entrée et donc désinciter à l’embauche. C’est cependant à travers l’analyse keynésienne du chômage qu’on trouve la critique la plus forte des mesures de déréglementation. Pour Keynes, le chômage est volontaire et il n’existe pas de marché du travail dans la mesure où le salaire est fixé dans le cadre de négociations collectives. Les entreprises déterminent en outre leur niveau de production indépendamment du nombre d’emplois à distribuer : la production dépend de la demande effective et non pas du niveau des salaires. Que les salaires soient élevés ou pas, si les entreprises ont des anticipations pessimistes sur le niveau de la demande future, elles ne relanceront pas leur production. Keynes met ainsi en avant le rôle de la demande et du revenu. Le salaire est un revenu nourrissant une demande et non un simple coût. Pour relancer l’activité et donc l’emploi, il s’agit donc de relancer la demande ce qui ne peut passer par une baisse des salaires. La diminution du salaire minimum ne fait qu’aggraver la situation et ôte du pouvoir d’achat à une population possédant une forte propension marginale à consommer. Keynes s’oppose ainsi à Rueff, Pigou et autres néoclassiques dans son analyse de la crise de 1929. Les keynésiens avancent comme argument empirique le fait que pendant les 30 glorieuses le plein emploi existait parallèlement à une forte réglementation. Plus récemment, dans le cadre de la théorie du déséquilibre, Malinvaud et Benassy affirment l’existence d’un chômage classique lié à des contraintes pesant sur l’offre et d’un chômage keynésien lié à une insuffisance de la demande et contre lequel la déréglementation ne peut rien. La déréglementation n’aura pas non plus d’effet sur le chômage d’inadéquation du à des qualifications obsolètes ou inadaptées, ni sur le chômage d’hystérèse. La déréglementation constitue-t-elle alors une fausse solution ? Les études économétriques sont en effet partagées sur la question. Une étude menée aux Etats-Unis sur les effets d’une diminution du salaire minimum sur l’emploi a ainsi étonné par ses résultats allant à l’encontre de la logique libérale : on a alors parlé du paradoxe des fast-foods. Parallèlement, si le taux de chômage anglais a pu être inferieur à certaines périodes au taux de chômage français ou allemand, il faut souligner les effets pervers de la politique de déréglementation menée par M. Thatcher. Avec une baisse des bas salaires, elle a aussi désincité à la substitution capital/travail menant à une réduction de l’investissement, obérant à long terme la compétitivité et la croissance. Une forte précarité et des salaires faibles n’incitent pas les salaires à des efforts de productivité. De même, aux Etats-Unis, de nombreux emplois restent précaires, mal payés comme l’atteste l’importance des working poors et du double emploi. Et si les Etats-Unis ont vu leur taux de chômage baisser pendant les années 1980, la politique budgétaire expansionniste y a joué un rôle important. Tout autant que des rigidités du marché du travail, le niveau de l’emploi dépend du couple croissance/productivité (relation d’Okun). Ainsi, il s’agit, au-delà de la flexibilité quantitative externe, de développer une flexibilité qualitative exploitant les ressources des travailleurs. Sur le long terme, il faut construire une compétitivité qui doit s’attacher à la qualité et pas seulement au coût.