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UN AN D’ACTUALITE DU DROIT DES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES
ASPECTS COMMUNAUTAIRES
1 – La plus actuelle des questions d’actualité : le règlement 1/2003. Le développement du
droit communautaire des pratiques anticoncurrentielles s’apparente à la croissance d’un arbre.
C’est un processus d’accroissement, de transformation permanent s’appuyant sur des acquis
consolidés, des racines de plus en plus profondes. L’actualité offre maints exemples de cette
ambivalence. Les décisions ou arrêts Volkswagen, Lysine, Michelin, Van Den Bergh Foods,
Deutsche Telekom, Viandes Bovines Françaises, etc. n’échappent pas à ce mélange de
classicisme et de modernité.
Bien évidemment il ne sera pas question d’évoquer de façon exhaustive toutes les décisions,
tous les arrêts et tous les textes qui forment la luxuriante actualité du droit communautaire des
pratiques anticoncurrentielles. Seul sera traité le règlement n°1/2003 du Conseil du 16
décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et
82 du traité, ainsi que les projets de règlements, de communications et de lignes directrices
qui l’accompagnent1. Cette limitation est une nécessité: il est impossible de tout dire dans le
temps qui nous a été imparti. C’est pourquoi figure en annexe un inventaire des questions de
droit processuel ou matériel de l’année qui ne peuvent être directement abordées aujourd’hui.
Tous ceux qui recherchent une mise à jour descriptive et complète de leur connaissance
1 Règlement (CE) n°1/2003 du conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence
prévues aux articles 81 et 82 du traité, (JOCE, L. 1, 4 janvier 2003, p. 1) et communication au titre de l’article 33
du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002 relative à la mise en œuvre des règles de
concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JOCE, C. 243/03, 10 octobre 2003, p. 3) et communication
invitant les tiers à soumettre des observations sur des projets de communications de la Commission, (JOCE, C.
243/04, 10 octobre 2003, p. 10) contenant les projets de textes suivants :
- Règlement de la Commission relatif aux procédures d’application des articles 81 et 82 du traité mises
en œuvre par la Commission ;
- Communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau d’autorités de la
concurrence ;
- Communication de la Commission sur la coopération entre la Commission et les juridictions nationales
pour l’application des articles 81 et 82 CE ;
- Communication de la Commission relative au traitement par la Commission des plaintes déposées au
titre des articles 81 et 82 CE ;
- Communication de la Commission relative à des orientations informelles sur des questions nouvelles
qui se posent dans des affaires individuelles au regard des articles 81 et 82 du traité CE (lettres
d’orientation) ;
- Lignes directrices relatives à la notion d’effet sur le commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité ;
- Lignes directrices concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité.
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pourront se satisfaire de ce document. De plus on ne peut considérer que la proximité
chronologique d’une décision ou d’un texte suffit à en faire de facto une question intéressante
et il est préférable que le propos se concentre sur les points importants, débattus et novateurs.
Si toutes les questions de l’année écoulée sont actuelles, il faut bien admettre que parmi elles
certaines sont plus actuelles que d’autres. À ce titre l’entrée en vigueur le 1er mai 2004 du
règlement 1/20032 est sans nul doute la question qui préoccupe le plus les esprits3.
2 – Ambivalence du règlement 1/2003. Si les représentants de l’école et du palais
s’interrogent c’est en raison du caractère ambigu du texte. Pourtant le règlement 1/2003 est le
fruit de réflexions entamées depuis quelques années. Le règlement 17/62 a très vite dû être
complété par la jurisprudence et il fallait à un moment ou un autre procéder à la consolidation
des acquis communautaires. Une réforme du texte s’imposait. Mais, à côté de ces réflexions
techniques, le règlement 17/62 a subi des critiques politiques : le texte est inadapté aux défis
que pose le marché intégré et l’élargissement de la Communauté européenne. Remédier à
l’engorgement de la Commission, renforcer son efficacité, exigeait une rupture avec
l’architecture précédente. C’est parce que les auteurs du texte n’ont pas choisi entre la rupture
et la réforme que le texte ne manque pas de susciter la perplexité. De plus, les nouvelles
dispositions ont de nouveaux objectifs qui peuvent apparaître contradictoires : constituer un
socle sur lequel s’appuie la préservation d’une culture commune de la concurrence tout en
prévoyant à l’avenir son application homogène ; assurer l’efficacité du travail de la
Commission tout en garantissant les droits fondamentaux des entreprises poursuivies. Existe-
t-il une explication à cette ambivalence des diagnostics, remèdes et objectifs constituant la
rationalité du règlement 1/2003 ?
2 Art 45, règlement 1/2003.
3 P. Arhel, Modernisation des règles communautaires relatives à la mise en œuvre de l’interdiction des ententes
et abus de position dominante, Petites affiches, n° 66, 2 avril 2003 ; L. Idot, Premières vues sur le nouveau
règlement d’application des articles 81 et 82 CE, Europe, février 2003, chron. 2 ; R. Kovar, Le règlement du
Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82
du Traitè CE, D. 2003, 478 ; S. Reifegerste, L’articulation du droit communautaire et du droit national de
concurrence. Le règlement n° 1/2003 du Conseil du 16 décembres 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de
concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité CE, JCP 2003, I, 657 ; J. B. Blaise et L. Idot, Chronique
Concurrence (1er janvier 2003 – 31 mars 2003), Règlement 1/2003 du 16 décembre 2002, RTD eur., avril-juin
2003, p. 287.
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3 - Droit des institutions contentieuses et droit de la matière contentieuse. Une clef de
lecture permet peut être de surmonter toutes ces contradictions. Celle-ci réside dans une
distinction à faire entre différentes règles du droit processuel. Certaines normes du règlement
1/2003 ont pour objet de régir les relations de la Commission avec les institutions
contentieuses nationales. C’est du droit interinstitutionnel s’inscrivant dans le processus
politique de l’approfondissement de la Communauté européenne. D’autres dispositions du
règlement régissent les relations de la Commission avec les entreprises concernées par une
procédure d’application des articles 81 et 82 du traité. Ce sont les règles de procédure stricto
sensu ayant comme objet des questions techniques telles que la plainte, l’enquête, l’ouverture
d’une enquête, le déroulement des décisions, la prise de décision, les droits de la défense, etc.
On comprend que ce sont les anciennes règles interinstitutionnelles qui étaient inadaptées à
l’élargissement de la Communauté européenne et qu’il fallait rompre avec l’ancien système
pour mettre en place une nouvelle organisation contentieuse. On saisit aussi que ce sont les
règles de procédure qu’il fallait réformer afin de prendre en compte les acquis
communautaires et les évolutions du droit du procès.
C’est pourquoi nous démontrerons dans un premier temps que le règlement 1/2003 instaure
une organisation contentieuse intégrée (I) puis dans un second temps qu’il renouvelle une
procédure contentieuse dépassée (II).
I L’INSTAURATION D’UNE ORGANISATION CONTENTIEUSE INTEGREE.
II LE RENOUVELLEMENT D’UNE PROCEDURE CONTENTIEUSE DEPASSEE
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I L’INSTAURATION D’UNE ORGANISATION CONTENTIEUSE INTEGREE.
4 – Intégration des institutions contentieuses. L’intégration dans un ensemble commun et
cohérent de l’ensemble des institutions contentieuses communautaires et nationales poursuit
l’objectif d’une application harmonieuse des règles communautaires relatives aux pratiques
anticoncurrentielles. L’Union européenne n’étant pas une institution politique fédérale, il était
impossible de fonder cette organisation en instaurant une hiérarchie ouverte entre la
Commission et les institutions contentieuses nationales, c'est-à-dire les autorités nationales de
concurrence et les juridictions nationales4. Elle sera donc larvée et à cette fin deux types de
mécanismes sont mis en œuvre : le règlement opère une répartition des compétences
législatives (A) et encadre les institutions contentieuses nationales (B).
A. L’intégration par la répartition des compétences législatives
5 – Champ d’application du droit communautaire. On sait que « l’affectation du
commerce entre Etats membres » est le critère qui permet de déterminer le champ
d’application du droit communautaire. D’ailleurs l’article 3§1 du règlement 1/2003 rappelle
que l’application cumulative par les autorités de la concurrence et les juridictions nationales
du droit communautaire et du droit national ne peut se faire que s’il est établi qu’une entente
ou un abus de position dominante est susceptible d’affecter le commerce entre les Etats
membres. Compte tenu de l’importance de cette notion on ne sera donc pas étonné de
retrouver un projet de « Lignes directrices relatives à la notion d’effet sur le commerce
figurant aux articles 81 et 82 du traité »5. Ce texte, qui ne préjuge pas de l’interprétation
4 L’article 35 du règlement 1/2003 prévoit qu’il appartient aux Etats membres de désigner « l’autorité ou les
autorités de concurrence compétentes pour appliquer les articles 81 et 82 (…). Des juridictions peuvent figurer
parmi les autorités désignées ». Les juridictions qui interviennent en tant qu’autorités de la concurrence (ex : Ca
Paris, Chambre commerciale de la Cour de cassation) ne doivent pas être considérées comme des juridictions
nationales mais comme une autorité nationale de concurrence. Le critère n’est pas organique mais fonctionnel. À
l’inverse, les juridictions nationales sont toutes les juridictions non spécialisées dans l’application du droit de la
concurrence. Faut-il assimiler à ces dernières les juridictions arbitrales ? En l’absence de disposition spécifique il
convient de faire application de la jurisprudence EcoSwiss (CJCE, 1er juin 1999, Rec. P. I-3055, RTD eur. 2000,
p. 741 obs. L. Idot).
5 Communication invitant les tiers à soumettre des observations sur des projets de communications de la
Commission, JOCE, C. 243/04, 10 octobre 2003, p. 45 et s.
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ultérieure que les juridictions communautaires pourront donner de cette notion, a pour objet
« de présenter la méthodologie pour l’application de la notion d’effet sur le commerce et de
fournir une orientation sur cette application dans des situations qui se produisent
fréquemment »6. À cette fin, le texte expose tout d’abord7 les principes d’ores et déjà élaborés
par les juridictions communautaires et énonce une règle dite de « l’absence d’incidence
sensible sur le commerce » indiquant quand des accords ne sont pas susceptibles d’affecter
sensiblement le commerce entre Etats membres8. Cette approche abstraite de la notion est
complétée, ensuite, par des illustrations non exhaustives de son application aux types usuels
d’accords et de pratiques abusives9.
Concrètement ce sont les autorités de la concurrence des Etats membres et les juridictions
nationales qui auront besoin de ce texte lorsqu’elles seront confrontées à la question de savoir
si le droit communautaire doit s’appliquer à une espèce10. Les institutions contentieuses
nationales sont compétentes pour appliquer le droit communautaire, mais, pour déterminer
son applicabilité, elles devront se référer à ces lignes directrices : le raisonnement est encadré.
Le procédé a une légitimité. Il appartient sans nul doute au droit communautaire de
déterminer lui-même son propre champ d’application dans l’espace, on comprend qu’il
veuille dès lors uniformiser l’interprétation de la notion qui permet cette détermination. En
est-il encore de même lorsqu’il s’attache à la compétence législative des droits nationaux ?
6 – Primauté du droit communautaire sur les droits nationaux. La question de la primauté
du droit communautaire ne se pose, par définition, que dans les hypothèses où les droits
nationaux s’appliquent cumulativement avec les articles 81 et 82 CE. Cette subordination à
l’ordre juridique communautaire se manifeste tant pour les dispositions matérielles que
procédurales.
6 Point 3 du projet de lignes directrices.
7 Dans une partie dénommée « critère de l’effet sur le commerce » (points 6 à 57 du projet de ligne directrice).
8 Il ne faut pas confondre la question d’une restriction sensible du jeu de la concurrence relevant de la
communication concernant les accords mineurs (règle de minimis) et la capacité d’affecter sensiblement le
commerce entre Etats membres contenue dans ce projet de ligne directrice.
9 Accords et abus couvrant ou mis en œuvre dans plusieurs Etats membres, accords et abus couvrant un seul Etat
membre ou une partie seulement d’un Etat membre, accords et pratiques abusives impliquant des importations et
des exportations avec des entreprises établies dans des pays tiers et accords et pratiques abusives impliquant des
entreprises établies dans des pays tiers, projet de ligne directrice points 58 à 107.
10 L’obligation pour toutes les institutions contentieuses nationales d’appliquer les articles 81 et 82 aux pratiques
anticoncurrentielles qui affectent le commerce entre Etats membres est énoncée à l’article 3 §1 du règlement
1/2003.
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