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LE CORPS
EN IMAGES
ou Petites histoires de corps et de photographies
Une série de 3 cours proposée par Jean pierre Morcrette
COURS N°3/3
COURS N° 1
- 0 - INTRODUCTION : position dominante dans la production d’images ; quelques
questions préalables ; L’origine de l’image ; Quelques mythes : La castration d'Ouranos
et la naissance d'Aphrodite, Le jugement de Pâris, Vénus et Cupidon, Psyché ; Le monde
chrétien ; Léda et le cygne ; polysémie des images histoire des mentalités ; une
enquête en 5 parties : 1 – idéal, le corps comme un idéal ; 2 – désir, le corps comme
objet de désirs multiples et variés ; 3 – étude, le corps comme objet d’étude et
d’exploration ; 4 – social, le corps comme celui d’un être social et public ; 5 – chair, le
corps comme un être de chair
- 1 - IDÉAL, le corps comme idéal : 1/1 - nu artistique ; Le réalisme en peinture et
en photographie ; 1/2 - sport, culturisme, danse, nudisme… ; 1/3 - mode, pin up, stars
et vedettes
COURS N° 2
- 2 - DÉSIR, le corps comme objet de désirs multiples : 2/1 - sexualité et sacré ;
2/2 - érotisme/pornographie ; 2/3 - montrer/cacher ; 2/4 - Éros et Thanatos
- 3 - ÉTUDE, le corps comme objet d’études et d’explorations: 3/1 - le corps
médical ; 3/2 - le corps formalisé par l’art ; 3/3 - le corps transformé par l’art ; 3/4 corps incertains et corps fictifs
COURS N° 3
- 4 - SOCIAL, le corps comme celui d’un être social et public : 4/1 - ethnologie,
anthropologie ; 4/2 - le corps judiciaire ; 4/3 - le corps politique, idéologique ; le corps
publicitaire ; 4/4 - le corps opprimé, oppressé, victime ; 4/6 - le corps du fou, de l’agité,
de l’aliéné
- 5 - CHAIR, le corps comme celui d’un être de chair : 5/1 - le corps souffrant ; 5/2 -le
corps a-normal ; 5/3 - l’épiderme, la peau ; 5/4 - le corps mortel
« En 1960, je faisais mon service militaire en Algérie. L’armée française avait décidé
que les autochtones devaient avoir une carte d’identité française pour mieux contrôler leurs
déplacements dans les « villages de regroupement ». Comme il n’y avait pas de photographe civil,
on me demanda de photographier tous les gens des villages avoisinants […] J’ai ainsi photographié
près de 2000 personnes, en grande majorité des femmes. […] Elles n’avaient pas le choix. Elles
étaient dans l’obligation de se dévoiler et de se laisser photographier. Elles devaient s’asseoir sur un
tabouret en plein air, devant le mur blanc d’une mechta *. J’ai reçu leur regard à bout portant, premier
témoin de leur protestation muette, violente. […]
Marc GARANGER
* répandu v. 1950; mot ar. d'Algérie : hameau, en Algérie, en Tunisie
« Ces images, prises dans des camps dits "de regroupement", (dont on sait, depuis le rapport
Rocard de 1959 qu'ils relevaient plus de l'univers concentrationnaire que du refuge), ont toutefois
connu ultérieurement une fortune artistique inattendue sous forme de tirages photographiques, de
beaux livres et d'expositions (plus de 300 !).
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Autrement dit, tout se passe comme si ces images, produites initialement par une instance militaire
coloniale au sein d'un dispositif concentrationnaire d'une indéniable violence, avaient changé
miraculeusement de statut en devenant des icônes photoartistiques à la beauté trouble.
Sans se hasarder à faire un procès d'intention au photographe (qui a constamment affirmé vouloir
rendre hommage à ces femmes prises de force sans cesser toutefois d'exploiter leur image depuis
vingt ans), le travail qui est entrepris ici par les moyens de la sculpture entend toutefois réinterroger
au plus près la nature profonde de ces photographies, tant du point de vue esthétique, historique,
politique que tout simplement humain.
A un moment où partout (et pas seulement en Irak) le post colonialisme semble se réimposer de
manière si brutale que certains artistes y trouvent même la licence de transformer - par exemple - la
photographie médiatique d'une femme arabe contemporaine hurlant sa douleur en une "madone"
médiévale exsudant le plus obscur des catholicismes, les sculptures exposées ici tentent tout au
contraire de rétablir le regard politique et historique dans sa crudité sèche, sans artifice esthétisant,
et le pouvoir critique de la sculpture par le déploiement complet de sa présence physique même. »
Olivier Blanckart, Les Femmes Déviolées, 2004
« La base de mon travail est la représentation du corps humain. En photographie,
cette représentation est subordonnée à des gestes expressifs ayant un caractère symbolique. Le
contenu doit transparaître à travers l’apparence extérieure, dit Hegel, et dans la représentation du
corps il se manifeste sous forme de geste qui se reconnaît lui-même comme apparence extérieure. »
Jeff WALL, cité in L’érotique de l’Art, Taschen
« Le mythe de l'abbé Pierre dispose d'un atout précieux : la tête de l'abbé. C'est une belle
tête ; qui présente clairement tous les signes de l'apostolat : le regard bon, la coupe franciscaine, la
barbe missionnaire, tout cela complété par la canadienne du prêtre-ouvrier et la canne du pèlerin.
Ainsi sont réunis les chiffres de la légende et ceux de la modernité.
La coupe de cheveux, par exemple, à moitié rase, sans apprêt et surtout sans forme, prétend
certainement accomplir une coiffure entièrement abstraite de l'art et même de la technique, une sorte
d'état zéro de la coupe ; il faut bien se faire couper les cheveux, mais que cette opération nécessaire
n'implique au moins aucun mode particulier d'existence : qu'elle soit, sans pourtant être quelque
chose. La coupe de l'abbé Pierre, conçue visiblement pour atteindre un équilibre neutre entre le
cheveu court (convention indispensable pour ne pas se faire remarquer) et le cheveu négligé (état
propre à manifester le mépris des autres conventions) rejoint ainsi l'archétype capillaire de la
sainteté : le saint est avant tout un être sans contexte formel ; l'idée de mode est antipathique à l'idée
de sainteté.
Mais où les choses se compliquent - à l'insu de l'abbé, il faut le souhaiter - c'est qu'ici comme
ailleurs, la neutralité finit par fonctionner comme signe de la neutralité, et si l'on voulait vraiment
passer inaperçu, tout serait à recommencer. La coupe zéro, elle, affiche tout simplement le
franciscanisme ; conçue d'abord négativement pour ne pas contrarier l'apparence de la sainteté, bien
vite elle passe à un mode superlatif de signification, elle déguise l'abbé en saint François. D'où la
foisonnante fortune iconographique de cette coupe dans les illustrés et au cinéma (où il suffira à
l'acteur Reybaz de la porter pour se confondre absolument avec l'abbé).
Même circuit mythologique pour la barbe : sans doute peut-elle être simplement l'attribut d'un homme
libre, détaché des conventions quotidiennes de notre monde et qui répugne à perdre le temps de se
raser : la fascination de la charité peut avoir raisonnablement ces sortes de mépris ; mais il faut bien
constater que la barbe ecclésiastique a elle aussi sa petite mythologie. On n'est point barbu au
hasard, parmi les prêtres ; la barbe y est surtout attribut missionnaire ou capucin, elle ne peut faire
autrement que de signifier apostolat et pauvreté ; elle abstrait un peu son porteur du clergé séculier ;
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les prêtres glabres sont censés plus temporels, les barbus plus évangéliques : l'horrible Frolo était
rasé, le bon Père de Foucauld barbu ; derrière la barbe, on appartient un peu moins à son évêque, à
la hiérarchie, à l'Eglise politique ; on semble plus libre, un peu franc-tireur, en un mot plus primitif,
bénéficiant du prestige des premiers solitaires, disposant de la rude franchise des fondateurs du
monachisme, dépositaires de l'esprit contre la lettre... »
Roland BARTHES, Iconographie de l'abbé Pierre, Lettres nouvelles, 23, janvier 1955
Qu'appelez-vous: "publicité sexiste" ?
« Ce qui m'apparaît le plus important, c'est d'abord de se demander pourquoi cette question
n'est jamais posée à personne. Tout un-e chacun-e a du sexisme une perception, une analyse, un
jugement, une interprétation différente. Lorsque nous nous sommes réunies entre féministes pour
réagir contre des publicités particulièrement sexistes, ce qui nous a le plus étonnées, c'est de
découvrir que nous n'étions souvent pas d'accord entre nous. La reconnaissance de cette diversité
devrait être l'objet de débats privés et publics qui, seuls, nous permettraient de comprendre les
raisons qui expliquent pourquoi ce qui choque l'un-e ne choque pas l'autre. Seule cette confrontation
nous permettrait d'évoluer, d'avancer. Mais pour cela encore faudrait-il que la société française
reconnaisse que l'inégalité des relations entre les sexes est un débat politique.
Ceci posé, pour moi, une publicité sexiste est une publicité qui reproduit des préjugés négatifs, qu'ils
soient discriminants, méprisants à l'égard des femmes par rapport aux hommes et ce, sur le plan
intellectuel, social, sexuel, symbolique. » […]
Marie-Victoire LOUIS, À propos du sexisme dans la publicité
http://www.marievictoirelouis.net/document.php?id=458&themeid
« Deux figures de la mort, qui n’ont de commun que leur simultanéité (1945 en
Allemagne) et, peut-être, cette posture du corps, visage renversé, bouche ouverte. Mais par-delà
cette fragile proximité, l’écart absolu, radical, qui sépare le suicide librement décidé – tel une voie
d’issue – par cette fille du bourgmestre de Leipzig à l’arrivée des Alliées, et l’extermination
méthodique, sérielle, dont gît ici l’une des anonymes victimes.
Dans la première image, la mort se laisse encore, pourrait-on dire « portraiturer ». Le
visage demeure intact, les mains reposent délicatement sur l’uniforme, et il entre quelque théâtralité
dans ce corps suicidé qui n’est pas encore un cadavre comme si une esthétique – celle-là même du
nazisme – était encore possible autour de cette mort, que viennent renforcer la beauté de la jeune
allemande et le cuir du canapé.
Dans la seconde image, rien de tel : quel portrait serait encore possible de ce visage
creusé, révulsé, anonyme dans son martyre jusqu’à être le visage de tous les déportés ? Car il ne
s’agit plus même d’un visage, mais déjà d’un cadavre, que n’attendrait nul apaisement, nulle
transfiguration post mortem. Et de ce cadavre, que dire, que comprendre ? Le regard — celui,
étonné, presque hébété, de ces deux soldats américains, le nôtre, aussi — se heurte à une zone de
hors sens.
Ce qui se dit, si violemment,dans cette photographie de Lee Miller, c’est que les
camps d’extermination proposent une figure inouïe de la mort : l’inhumaine barbarie de la mort en
série, planifiée, industrialisée […]
Mais ce qui se profile, aussi, dans la stupeur des deux soldats, c’est ce que sera
l’après-Auschwitz : un long et douloureux questionnement, dont tout laisse à penser qu’il n’a pas
encore trouvé sa réponse. […]
D.B. (initiales seules, sans doute Dominique BAQUÉ), in La Recherche
Photographique N°6, juin 1989
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« Depuis Auschwitz, la mort est devenu quelque chose qu’on n’avait encore jamais
eu à redouter sous cette forme […] Depuis Auschwitz, la mort signifie avoir peur de quelque chose
de pire que la mort. […]
Auschwitz a prouvé de façon irréductible l’échec de la culture. […] Toute culture consécutive à
Auschwitz, y compris sa critique urgente, n’est qu’un tas d’ordures. »
ADORNO (1903-1969) [philosophe, sociologue, compositeur allemand)]
« J’ai toujours été très touché par les images relatives aux abattoirs et à la viande, et
pour moi elles sont liées étroitement à tout ce qu’est la crucifixion. […] C’est sûr, nous sommes de la
viande, nous sommes des carcasses en puissance. Si je vais chez un boucher, je trouve toujours
surprenant de ne pas être là, à la place de l’animal. »
Francis BACON
« […] Artemisia a rendu avec un soin extrême la couche sur laquelle elle égorge
Holopherne (abruti par le vin). Dans la version latine de la Bible, cette couche est dite un lectulus ; le
lectulus peut être lit de table, lit funèbre et lit nuptial, en sorte que le peintre, rien que par le lit, rend
compte de l’ambivalence profonde de l’histoire ; car vue d’un peu plus loin – et c’est ce que requiert
l’architecture savante du tableau – la scène est,, si l’on peut dire, une exhibition de membres
entrelaces et composés, de façon qu’on puisse la lire indifféremment comme un étal de viandes ou
une combinaison de postures amoureuses : si les deux femmes devaient violer le général, elles ne
s’y prendraient guère autrement . […] «
Roland BARTHES , in Mot pour mot : Artemisia, Yvon Lambert, Paris, 1979
« Ce qu’il y a de plus profond chez l’homme, c’est la peau »
Paul VALERY, L’Idée Fixe, ou Deux hommes à la mer, Paris, 1933
« Mes photos ne vont pas au-delà de la surface. Elles ne vont pas au-delà de quoi
que ce soit. Elles sont des lectures de ce qui se trouve à la surface. J’ai une grande confiance dans
les surfaces : lorsqu’elles sont bonnes, elles regorgent de clés. »
Richard AVEDON, 1970
[…] « Je n’éprouve aucune pitié envers le fait d’être vieux. C’est l’une des meilleures
choses qui me soient jamais arrivés. Pour la première fois, je suis libre. Je pourrais regretter de ne
pas avoir un corps jeune, mais vous savez, le plus intéressant c’est précisément le fait que ce que je
photographie n’est pas intéressant en soi. Il n’y a rien d’autre que le corps d’un vieil homme
semblable à des dizaines de milliers d’autres corps de vieux hommes. Cela n’a rien d’intéressant, ni
érotiquement ni d’aucune façon. […]
John COPLANS, in Journal du MOMA , New York, 1988
« L’enfance est le royaume des belles images : chaque petit prince y est totalement
son corps et ses rôles, le temps pour lui ne fait qu’un avec l’instant. Quand, plus tard, on s’est évadé,
à grands coups d’épaule, de l’album de famille, tout ce qui prétend nous y coincer à nouveau nous
falsifie.
Je vous laisse aussi le grand âge, ô photographes, et pour les mêmes raisons. Quand les jeux sont
faits, quand on cesse de pousser son ombre devant soi. Plus de mues en perspectives. Alors, le mort
peut saisir le mort sans tricher. […]
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En somme, les seules images fixes de nous qui ne nous trahissent pas sont celles qui ne nous
concernent pas encore, ou plus du tout : en bébé ou en macchabée. Hélas, les familles préfèrent les
baptêmes aux funérailles. Elles ne veulent plus clicher, enregistrer le cadavre en face. Tant pis pour
elles, et surtout pour nous. Car, passé seize ans, si on est épris de vérité vraie, on ne devrait ouvrir
sa porte au photographe que sur son lit de mort. »
Régis DEBRAY, in L’œil naïf, 1994
[…] « Peu de temps après la mort de ma mère, je rangeais des photos. Je n’espérais
pas la « retrouver », je n’attendais rien de « ces photographies d’un être devant lesquelles on se le
rappelle moins bien qu’en se contenant de penser à lui » (Proust). Je savais bien que, par cette
fatalité qui est l’un des traits les plus atroces du deuil, j’aurais beau consulter des images, je ne
pourrais plus me rappeler ses traits (les appeler tout entiers à moi). Non, je voulais, selon le vœu de
Valéry à la mort de sa mère, « écrire un petit recueil sur elle, pour moi seul » (peut-être l’écrirais-je
un jour, afin qu’imprimé, sa mémoire dure au :moins le temps de ma propre notoriété). […]
J’allais ainsi, seul dans l’appartement où elle venait de mourir, regardant sous la lampe, une à une,
ces photos de ma mère, remontant peu à peu le temps avec elle, cherchant la vérité du visage que
j’avais aimé. Et je la découvris. La photographie était très ancienne. Cartonnée, les coins mâchés,
d’un sépia pâle, elle montrait à peine deux jeunes enfants debout, formant groupe, au bout d’un petit
pont de bois dans un jardin d’Hiver au plafond vitré. Ma mère avait alors cinq ans (1898). […]
j’observais la petite fille et je retrouvai enfin ma mère. […] »
Roland BARTHES, in La chambre claire, 1980
[…] « Le brancard sur lequel est placé le cadavre est formé d’un châssis supporté
par quatre pieds. La partie supérieure est recouverte d’une table qui est mobile, pivote au tiers de sa
hauteur et est munie à sa partie inférieure d’une planche placée à angle droit avec elle sur laquelle
reposeront les pieds du sujet. À l’une des extrémités du brancard, les bras sont à charnières, de
façon à pouvoir êtres rabattus si l’on désire rapprocher l’appareil photographique. Désirant
photographier le corps debout, ce qui facilite singulièrement la mise au point, il fallait que, la table pût
être dressée ; dans de but, elle est munie à sa partie postérieure de deux arcs dentés, qui
s’engrainent avec des pignons mus par une manivelle pourvue d’un cliquet d’arrêt. […] Je joins à
cette notice quelques photographies comme indication des résultats auxquels je suis arrivé ; tout en
faisant remarquer que je ne pouvais pas prendre de spécimens parmi les cadavres reconnus, que le
choix que je pouvais faire était donc par cela limité ; enfin, que je ne me donne pas comme un
photographe de profession, bien loin de là, et qu’il est évident que si j’avais eu un bon photographe à
ma disposition, j’aurais obtenu, j’en suis convaincu, des épreuves autrement plus belles que celles
que je présente ici. Depuis que j’ai employé ce procédé, la moyenne des corps définitivement comme
non reconnus est tombée de 40 à 5 ou 6 pour cent. »
Professeur H. J. GOSSE, La photographie après décès, Suisse, 1896
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