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Camera hugoliana :
espace scénique, espace didascalique, espace littéraire.
Benoît BARUT (Polen EA4710 – Cepoc)
(dans De l’hypertrophie du discours didascalique au XXe siècle, Marie-Claude Hubert
et Florence Bernard (dir.), Presses universitaires de Provence, coll. « Textuelles
Univers littéraires », 2012, p. 101-115.)
[101] Qu’on le veuille ou non – sauf quand elles sont « seules en scène » comme dans
les Actes sans parole de Beckett – les didascalies restent dans l’ombre du dialogue. Muettes à
la scène et souvent plates, elles ne sont que l’écrin de la parole des personnages. Chez Hugo,
cependant, l’écrin peut avoir autant d’importance que le bijou qu’il renferme. Ainsi, dans Ruy
Blas, Casilda s’extasie-t-elle sur la boîte en bois de calambour que la reine destine à son père
mais n’a pas un mot sur les reliques qu’elle contient : le coffret-écrin est suffisamment beau
pour être admiré pour lui-même – la boîte est « divine » (on note la translation de valeur du
contenu au contenant) et le bois « exquis »
– et pas seulement pour ce qu’il renferme.
Transposons : si la didascalie est un texte éminemment fonctionnel et vaut surtout par la mise
en scène minimale qu’elle propose aux malheureux qui n’ont pas vu le drame et se contentent
de le lire
, il serait néanmoins dangereux de croire qu’un écrivain comme Hugo – polygraphe,
foisonnant et maniaque en matière d’édition – puisse écrire et, a fortiori, publier un texte qui
soit purement utilitaire. Selon Julien Gracq, « en littérature, comme en politique, les moyens
subvertissent immanquablement les fins
. » Ce principe vaut aussi pour les didascalies,
lesquelles échappent immanquablement à leur destination scénique. À côté du devenir-
spectacle, la didascalie possède également, peu ou prou, un « devenir-poème
» ainsi qu’un
devenir-roman voire un devenir-essai. Plus souvent qu’à son tour, la didascalie cesse donc
d’être seulement lisible – c'est-à-dire claire, univoque, tendant vers un idéal de
transcodification exacte – et devient littéraire, morceau à lire du fait de son épaisseur
signifiante. Les indications de cadre scénique des drames romantiques hugoliens en sont une
magistrale illustration. Apparaissant [102] en tête d’acte, juste après l’intertitre, elles sont le
lieu d’une description souvent longue, riche et qui ne fait pas doublon avec le décor du
spectacle. « Le drame est imprimé aujourd’hui. Si vous n’étiez pas à la représentation, lisez.
Si vous y étiez, lisez encore », ordonne la préface du Roi s’amuse
. Ces pauses optiques –
Victor Hugo, Ruy Blas [désormais RB], Théâtre II, Œuvres complètes, Paris, Robert Laffont, coll.
« Bouquins », 1985 rééd. 2002, p. 44. Sauf mention contraire, toutes les références dans le corps du texte
renvoient aux deux volumes Théâtre de cette édition, et nous nous contenterons de préciser la pièce citée et le
numéro de page.
C’est particulièrement vrai chez Hugo, metteur en scène avant la lettre, encourageant les futurs acteurs à se
conformer à la mise en scène d’origine – fantasme de duplication qui se traduit par des didascalies nombreuses et
souvent très précises.
Julien Gracq, En lisant en écrivant, Paris, José Corti, 1980, p. 211.
Didier Plassard, « Le devenir-poème des didascalies », in Frédéric Calas et alii, Le Texte didascalique à
l’épreuve de la lecture et de la représentation, Pessac, Sud éditions/Presses Universitaires de Bordeaux, coll.
« Entrelacs », 2007, p. 53-67.
Le Roi s’amuse [désormais RSA], 831.